Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2015 QCTAQ 12785
Dossier : SAS-M-217366-1310
LISE BIBEAU
JOSÉE CARON
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL (IVAC)
[1] La requérante demande au Tribunal d’infirmer une décision rendue le 10 septembre 2013 en provenance de l’agent-réviseur de la Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels de la CSST, ci-dessous désignée la mise en cause.
[2] Dans cette décision, d’une part la mise en cause considère que la demande d’indemnisation reçue de la requérante le 24 avril 2013 s’avère irrecevable, car elle n’a pas été produite dans le délai prévu à l’article 11 de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (RLRQ, chapitre I-6). D'autre part, les crimes commis au jour du 27 septembre 2012 ne sont pas couverts par cette loi.
[3] Précisons à ce stade que la requérante présenta sa demande de prestations à la mise en cause au jour du 24 avril 2013. Celle-ci fut toutefois rédigée le 19 avril 2013. Dans celle-ci, elle fait d’abord référence à un événement survenu le 25 octobre 2011. Ce jour-là, la requérante, alors enseignante, se dit victime de blessure physique occasionnée par des voies de fait (rougeur au bras causée par un élastique projeté sur elle par un étudiant) et de blessures psychologiques en raison de harcèlement et d'intimidation répétée. Elle ajoute que le 27 septembre 2012, elle est aussi victime de menaces de la part de ce même étudiant (profération de menaces verbalement tout en tenant dans ses mains un bâton). Après l'événement du 27 septembre 2012, elle communique alors avec le service de police et des accusations sont déposées pour harcèlement et port d'arme dans un dessein dangereux. Elle considère avoir subi une blessure psychologique et des conséquences psychologiques (arrêt de travail, tensions au travail, crainte de l’étudiant, problèmes alimentaires exacerbés, cauchemars, épuisement). S’ajoute une blessure physique.
[4] Par ailleurs, à cette demande de prestations elle joint une annexe dite « annexe 2, demande de prestations présentée après l’expiration du délai prévu ». Celle-ci est aussi reçue le même jour par la mise en cause, soit le 24 avril 2013. La requérante écrit ce qui suit : « Suite aux voies de fait du 25 octobre 2011 j’ai tenté d’oublier surtout que mon employeur minimisait ce que j’avais vécu, comme je travaille avec une clientèle ayant des problèmes en santé mentale j’ai cru que je devais plutôt aller chercher des connaissances supplémentaires. Je n’allais pas bien, mais je faisait pas le lien entre mon état et l’agression que j'avais vécu ». Plus loin dans cette annexe, elle précise que c’est l’agression du 27 septembre 2012 donnant lieu au dépôt de la plainte à la police qui lui fit prendre conscience du lien entre sa condition psychologique résultant des voies de fait commis le 25 octobre 2011.
[5] Dans la décision en litige, la mise en cause considère que les crimes commis lors de l’événement du 27 septembre 2012 ne sont pas couverts par la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, puisque non énumérés à l’annexe de ladite loi. Quant à l’événement du 25 octobre 2011, il remonte à plus d’un an du dépôt de la demande de prestations, de sorte que la requérante est alors présumée avoir renoncé à ses droits. Vu les articles 3 et 11 de la Loi, la mise en cause considère qu’il y a lieu de refuser la demande.
[6] Elle ne retient pas les prétentions de la requérante à l'effet que ce n’est qu’à compter du deuxième événement (27 septembre 2012) qu'elle fit le lien entre l'événement du mois d'octobre 2011 et une atteinte à sa condition psychique. Puisque la requérante avait constaté une rougeur lors de la perpétration des voies de fait du mois d’octobre 2011, celle-ci avait alors réalisé la présence d’une blessure. Pour la mise en cause, le délai de 12 mois doit donc se calculer à compter de cet événement d'octobre 2011, nonobstant l’absence de constat d’une blessure psychologique.
[7] C’est pour ces raisons que la mise en cause refusa la demande de prestations alors présentée le 24 avril 2013.
[8] Vu la requête adressée par la requérante au Tribunal, celui-ci a tenu une audience au jour du 25 novembre 2015.
[9] Devant les soussignées, seul le représentant du Procureur général est présent. Bien que convoquées, la requérante et la mise en cause sont absentes.
[10] Une demande de remise de l’audience fut sollicitée par écrit par la requérante, et ce, la veille de l’audience. Dans celle-ci, elle n'énonce aucun motif au soutien du report de l’audience ni ne produit quelque document justificatif faisant état d’une impossibilité de se présenter. Par l'entremise d’une préposée du Tribunal, les soussignées tentèrent de communiquer avec la requérante afin d’en savoir davantage sur les raisons de cette demande. Il en fut de même en début d’audience. Toutefois, il n’a pas été possible de joindre celle-ci au numéro de téléphone retrouvé au dossier du Tribunal.
[11] Après ces quelques démarches, les soussignées décident de refuser cette demande de remise, telle que présentée. D’une part, les parties avaient été convoquées par écrit, et ce, depuis le ou vers le 17 septembre 2015. Par ailleurs, l'une ou l'autre des parties convoquées n'a pas signifié en temps utile son désaccord ou quelque empêchement à la tenue de l'audience. S’autorisant de l’article 100 de la Loi sur la justice administrative (RLRQ, chapitre J-3), les soussignées décident d’instruire le recours et de décider de son issue malgré l’absence de la requérante et de la mise en cause.
[12] Pour décider, les soussignées disposent du dossier administratif en provenance de la mise en cause et ayant servi à rendre la décision en litige. Celui-ci est paginé 1 à 23, suivi de la requête de la requérante et ses commentaires écrits.
[13] À cette preuve, s’ajoutent les arguments présentés par le représentant du Procureur général du Québec. Celui-ci soutient la décision prise par la mise en cause en référant les soussignées aux articles 3, 11 et 20 a de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels (RLRQ, chapitre I-6) et à des décisions de ce Tribunal rendues en semblables affaires identifiées 2013 QCTAQ 07269 et 2014 QCTAQ 064, 2015 QCTAQ 051066. À titre informatif, il produit un formulaire dit « CSST Réclamation du travailleur », daté du 11 janvier 2013. Y sont joints plusieurs rapports médicaux et la décision du 20 février 2013 refusant une réclamation pour un accident du 28 septembre 2012 en raison du fait qu'il ne s'agit pas d'un accident de travail. De plus, aucun diagnostic ne fut émis permettant d'éta-blir une relation médicale possible avec un événement survenu par le fait et à l'occasion du travail. Ces documents sont cotés I-1 en liasse. Il ne peut préciser si cette décision fit l'objet d'une demande de révision par la requérante. Il demande le rejet du recours.
Qu’en est-il?
[14] Au moment des événements, la requérante est majeure et n’est pas déclarée juridiquement incapable. Pas plus, dans les faits, les soussignées ne disposent d'une preuve permettant d'établir, de manière probante, quelque empêchement d’agir qu’il soit de nature médicale ou autre.
[15] De sorte qu’il y a eu commission de voies de fait au jour du 25 octobre 2011, présence d’une blessure physique et sa constatation par la requérante, dans le ou les jour(s) suivant(s). Même si l'ampleur des blessures conséquentes n'était pas entièrement connue par la requérante, rien n’empêchait celle-ci de présenter une demande de prestations à la mise en cause, considérant qu’elle remplissait alors toutes les conditions : crime visé à l'annexe contenue à la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, blessure physique conséquente à la perpétration du crime.
[16] Dans un tel contexte, il est raisonnable de conclure qu’en ne présentant pas de demande dans l'année qui suivit, la requérante était présumée renoncer à ses droits prévus à la loi.
[17] S’ajoute son absence de l’audience et l’absence de preuve documentaire additionnelle, de sorte que les soussignées ne disposent d’aucune information autre que celle retrouvée au dossier.
[18] Quant au deuxième événement survenu le 27 septembre 2012, force est de constater que cet événement ne peut être assimilé aux crimes énumérés à l’annexe de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels.[1] Il ne peut être assimilé notamment au crime d’« agression armée ou infliction de blessures » sanctionné par l’article 267 du Code criminel ni au crime d'« intimidation par la violence » sanctionné à l’article 423 du Code criminel.
[19] Voyons en détail le contenu des articles 267 et 423 du Code criminel. Ils se lisent comme suit :
Agression armée ou infliction de lésions corporelles
267. Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :
a) porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme;
b) inflige des lésions corporelles au plaignant.
L.R. (1985), ch. C-46, art. 267;
1994, ch. 44, art. 17
(Le soulignement est du Tribunal.)
[20] Le récit de la requérante tel que retrouvé au dossier du Tribunal ne permet pas de savoir si l’agresseur, tout en tenant le bâton, se livrait à des voies de fait sur la requérante. Il semble que non. Tout au plus, il proférait des propos menaçants ou avait une attitude menaçante.
[21] Quant au crime que la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels décrit comme étant de l’ « intimidation par la violence », il faut d’une part se référer au Code criminel canadien, à l’article 423. On y lit ceci :
Intimidation
423. (1) Est coupable soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, injustement et sans autorisation légitime, dans le dessein de forcer une autre personne à s’abstenir de faire une chose qu’elle a légalement le droit de faire, ou à faire une chose qu’elle peut légalement s’abstenir de faire, selon le cas :
o a) use de violence ou de menaces de violence envers cette personne, ou envers son époux ou conjoint de fait ou ses enfants, ou endommage ses biens;
o b) intimide ou tente d’intimider cette personne ou un parent de cette personne par des menaces de violence ou d’un autre mal, ou de quelque peine, à elle ou à l’un de ses parents, ou de dommage aux biens de l’un d’entre eux, au Canada ou à l’étranger;
o c) suit avec persistance cette personne;
o d) cache des outils, vêtements ou autres biens, possédés ou employés par cette personne, ou l’en prive ou fait obstacle à l’usage qu’elle en fait;
o e) avec un ou plusieurs autres, suit désordonnément cette personne sur une grande route;
o f) cerne ou surveille le lieu où cette personne réside, travaille, exerce son activité professionnelle ou se trouve;
o g) bloque ou obstrue une grande route.
Note marginale : Exception
(2) Ne surveille ni ne cerne, au sens du présent article, celui qui se trouve dans un lieu, notamment une maison d’habitation, ou près de ce lieu, ou qui s’en approche, à seule fin d’obtenir ou de communiquer des renseignements.
L.R. (1985), ch. C-46, art. 423;2000, ch. 12, art. 95;2001, ch. 32, art. 10.
(Les soulignements et pointillés sont du Tribunal.)
[22] Cependant, la mention « par la violence » retrouvée à la loi provinciale d’indemni-sation des victimes d’actes criminels fait en sorte que l’on doit être en présence non pas seulement d’intimidation accompagnée de menace(s) d’appliquer la violence, mais qu'il doit y avoir commission d'intimidation accompagnée d’acte(s) ou de geste(s) de violence assimilables à des voies de fait. En effet, rappelons que les crimes de menace de voies de fait ou menace de voies de fait graves ne sont pas couverts par la loi. En conséquence, pour respecter l’esprit de la loi, il est quelque peu inconfortable de l’entendre autrement.
[23] Subsidiairement, si l’on devait interpréter la description du crime « intimidation par la violence » retrouvée à l’annexe A de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels autrement et reconnaître que ce que décrit la requérante s’avère un crime donnant ouverture aux bénéfices de cette loi, alors il convient de considérer une particularité supplémentaire au contexte de l’événement du 27 septembre 2012.
[24] En effet, au moment de la survenance de l’événement, la requérante était sur ses lieux de travail, agissant comme enseignante. En conséquence, elle était assujettie à l’arti-cle 20 a de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels. Cet article se lit ainsi :
20. Le bénéfice des avantages prévus à la présente loi ne peut être accordé:
a) si la victime est tuée ou blessée dans des circonstances qui donnent ouverture, en sa faveur ou en faveur de ses personnes à charge, à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001) ou à une loi autre qu'une loi du Parlement du Québec;
b) si la victime a, par sa faute lourde, contribué à ses blessures ou à sa mort;
c) au réclamant qui a été partie à l'infraction ou qui, par sa faute lourde, a contribué aux blessures ou à la mort de la victime;
d) si la victime est blessée ou tuée par suite d'un acte criminel commis au moyen d'un véhicule-automobile, sauf le cas prévu à l'article 265 du Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46).
Cependant, dans le cas visé au paragraphe a, si les prestations prévues par une loi autre qu'une loi du Parlement du Québec sont inférieures à celles que prévoit la présente loi, la victime ou une personne à charge, selon le cas, peut en réclamer la différence en vertu de la présente loi.
1971, c. 18, a. 18; 1976, c. 10, a. 10; 1985, c. 6, a. 500; 2006, c. 41, a. 4.
(Le soulignement est du Tribunal.)
[25] Dans l’affaire 2015 QCTAQ 051066, les juges administratifs Le Moyne et Tardif de ce Tribunal sont d’avis que l’article 20 recommande d’abord une demande d’indemnisation auprès de la CSST, suivant la Loi sur les accidents de travail et maladies professionnelles puisque cette loi doit recevoir préséance.
[26] Il en va aussi d’une autre décision de ce Tribunal identifiée 2005 TAQ 288.
[27] Dès que l’événement pour lequel la victime soumet une demande d’indemnisation à l’IVAC est survenu sur les lieux de son travail, nous estimons qu’il s’agit de circonstances « donnant ouverture » à l’application de la Loi sur les accidents de travail et maladies professionnelles. De sorte que l’on ne peut se prévaloir de l’application de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, même dans l’éventualité où l’événement survenu au travail puisse constituer un acte criminel énuméré à l’annexe de la Loi sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels.
[28] Pour le reste, rien ne saurait orienter autrement notre analyse et nos conclusions.
[29] Nous n’avons pas de démonstration probante que cette décision mérite d’être infirmée.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
- REJETTE le recours.
Bernard, Roy (Justice-Québec)
Me Alexandre Duval
Procureur de la partie intimée
[1] Rappelons que seuls les crimes énumérés à cette annexe donnent ouverture aux bénéfices de la loi.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.