Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance-vie | 2021 QCCA 1861 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : | 200-09-010394-218 |
| (200-06-000134-117) |
PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
DATE : | 9 décembre 2021 |
FORMATION : LES HONORABLES | FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
PARTIES REQUÉRANTES | AVOCATS | |||
JEAN-PAUL DUPUIS FRANCIS TREMBLAY
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Me GUY PAQUETTE, avocat ad litem (ABSENT) Me ANNIE MONTPLAISIR, avocate ad litem (ABSENTE) (Paquette, Gadler)
Me PHILIPPE HUBERT TRUDEL (ABSENT) Me MATHIEU CHAREST-BEAUDRY (ABSENT) Me MARIANNE DAGENAIS-LESPÉRANCE (ABSENTE) (Trudel, Johnston)
Me SERGE LETOURNEAU, avocat-conseil (ABSENT) Me JULIEN DELISLE, avocat-conseil (ABSENT) (LLB Avocats)
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PARTIES INTIMÉES | AVOCATS | |||
DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE, COMPAGNIE D’ASSURANCE-VIE DESJARDINS GESTION INTERNATIONALE D’ACTIFS INC.
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Me MASON POPLAW (ABSENT) Me ISABELLE VENDETTE (ABSENTE) Me SAMUEL LEPAGE (ABSENT) (McCarthy, Tétrault)
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DESCRIPTION : | Requête pour permission d’appeler hors délai d’un jugement rendu le 14 juin 2021 par l’honorable Bernard Godbout de la Cour du Québec, district de Québec (art. | |||
Greffière-audiencière : Ariane Gilbert | Salle : 4.33 |
AUDITION |
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9 h 30 | Continuation de l’audition du 6 décembre 2021. Les parties ont été dispensées d’être présentes ce jour; |
| Arrêt, les motifs seront consignés au procès-verbal; |
| Fin de l’audition. |
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Ariane Gilbert, greffière-audiencière |
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ARRÊT |
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[1] Les requérants sollicitent la permission de faire appel hors délai d’une partie d’un jugement rendu en cours d’instance par le juge Bernard Godbout[1] qui, dans le cadre d’une action collective, a statué sur diverses objections à la preuve. Plus précisément, les requérants plaident que le juge a commis trois erreurs :
en maintenant l’objection à la communication de l’information concernant les rendements sur l’ensemble des sommes déposées;
en maintenant l’objection à la communication de l’information concernant les membres du groupe;
en ordonnant la tenue d’une audience ex parte à l’égard de documents qui ne sont pas visés par un privilège.
[2] Selon l’article
[3] L’avis de jugement est daté du 5 juillet 2021. Le 4 août 2021, le dépôt de la requête pour permission d’appeler et de la déclaration d’appel des requérants a été refusé par le greffe de la Cour parce que les requérants ont omis de déposer les originaux ou des copies dont l’authenticité était attestée par l’huissier et que seule la requête pour permission d’appeler (et non la déclaration d’appel) avait été signifiée à l’intimée Desjardins Gestion Internationale d’Actifs inc[4]. Cette situation résulte de la méconnaissance des règles de procédure de la Cour d’appel relatives à la signification et au dépôt des procédures et non du laxisme des requérants. Les explications données par les avocats des requérants suffisent pour satisfaire aux deux premiers critères de l’article
[4] Pour les deux conclusions afférentes au maintien des objections à la preuve, les requérants doivent démontrer que le jugement décide en partie du litige ou leur cause un préjudice irrémédiable (art.
[5] Le jugement qui autorise ou refuse la communication de pièces ou d’éléments de preuve est un jugement rendu en cours d’instance qui est susceptible de causer un préjudice irrémédiable à une partie[6]. En matière d’action collective, la Cour est exigeante dans l’octroi de la permission d’appeler des jugements rendus au cours de l’instance d’une action collective, considérant notamment l’étendue du pouvoir discrétionnaire du juge désigné pour la gestion de celle‑ci et de l’importance de sa conduite effective[7].
[6] Comme le rappelait la Cour dans Ravary c. Fonds mutuels CI inc.[8], une partie a droit d’obtenir communication de la preuve pertinente, la pertinence devant s’apprécier de façon large :
[59] Avant le procès, à l’étape de la communication de la preuve, une partie a droit d’obtenir la communication de la preuve pertinente, la pertinence devant s’apprécier de façon large. Suivant les enseignements de la Cour, la pertinence dans ce contexte réfère à des éléments de preuve utiles, appropriés, susceptibles de faire progresser le débat :
En résumé de tous ces arrêts, j'estime que l'on peut en dégager les principes suivants :
1. qu'au stade de l'interrogatoire préalable, tant avant qu'après défense, il y a lieu de favoriser la divulgation la plus complète de la preuve;
2. qu'à ce stade, comme il s'agit d'une communication de la preuve, la preuve divulguée n'est ultimement produite au procès qu'au choix des parties;
3. que le défendeur doit satisfaire le tribunal non pas de la pertinence de la preuve, au sens traditionnel du mot pris dans le contexte d'un procès, mais que la communication de l'écrit est utile, appropriée, susceptible de faire progresser le débat, reposant sur un objectif acceptable qu'il cherche à atteindre dans le dossier, que l'écrit dont il recherche la communication se rapporte au litige;
4. que cette communication ne peut constituer une « recherche à l'aveuglette »;
5. que l'écrit soit susceptible de constituer une preuve en soi.
[Renvoi omis]
[60] Ces enseignements de notre Cour ont été cités avec approbation par la Cour suprême dans Pétrolière Impériale c. Jacques. La Cour suprême rappelle l’importance de la communication de la preuve durant la phase exploratoire dans les termes suivants :
[26] Période névralgique dans cette quête de la vérité au prétoire, la phase « exploratoire » précédant l’audition favorise la communication des éléments de preuve susceptibles de permettre aux parties d’établir la véracité des faits qu’elles allèguent (J.‑ C. Royer et S. Lavallée, La preuve civile (4e éd. 2008), p. 485 et 493; J.-L. Baudouin, Secret professionnel et droit au secret dans le droit de la preuve : Étude de Droit Québécois comparé au Droit Français et à la Common-Law (1965), p. 173; voir aussi Blaikie c. Commission des valeurs mobilières du Québec,
[Renvois omis]
1- Les documents qui concernent les rendements sur l’ensemble des sommes déposées
[7] Dans ses paragraphes 40 à 47, le juge conclut que les requérants n’ont pas droit de recevoir communication de ces documents parce qu’ils ont été intégralement remboursés de leur capital qui avait été garanti par une obligation à coupon zéro.
[8] Les requérants allèguent avoir découvert en recevant la défense de la partie intimée qu’il n’y avait pas eu d’achat d’obligations à coupon zéro et qu’il s’agissait plutôt d’obligations à coupon zéro dites « notionnelles ». Considérant les circonstances réelles des placements effectués, les requérants entendent invoquer que les membres des groupes ont droit au rendement obtenu par l’investissement d’une importante portion du dépôt initial dans d’autres types de placements que ceux qui leur ont été représentés. Ils précisent que cet élément se situe à l’intérieur des questions communes identifiées dans le jugement autorisant l’exercice de l’action collective. En outre, les requérants proposent une argumentation très technique de l'ingénierie financière en place et prétendent à cet égard que les enjeux soulevés par le litige sont beaucoup plus complexes que ceux identifiés par le juge.
[9] Considérant ce qui précède et, à ce stade, les arguments soulevés par les requérants militent en faveur de l’octroi de la permission d’appeler, ce qui permettra à la Cour de statuer sur la pertinence des informations recherchées.
2- Les documents qui concernent les investissements des membres des groupes
[10] Au sujet de l’information concernant les membres des groupes, le juge écrit :
[57] Également à ce chapitre, l’identification des membres de l’action collective, soit l’identification des personnes qui ont pu acquérir des Placements IPS ou IPT, ne pourrait servir à établir une perte de rendement sur ces produits.
[58] Ce sont les informations financières qui sont à ce moment-ci pertinentes.
[59] D’ailleurs, une demande visant à ce que leur soit communiquée la liste des membres du groupe a déjà été refusée aux demandeurs par le jugement du 21 décembre 2016.[10]
[Renvoi omis]
[11] Selon les requérants, ils ne demandent pas d’informations nominatives, mais plutôt le détail des investissements ainsi que le nombre et le montant des rachats effectués avant échéance. Ces informations sont nécessaires selon eux pour établir de façon suffisamment précise le montant total des réclamations, permettant ainsi le recouvrement collectif ou même la possibilité d’envisager un mode alternatif de règlements des conflits. Ces informations seraient par ailleurs pertinentes vu le moyen allégué au paragraphe 200 de la défense des intimées[11].
[12] Le recouvrement collectif constitue la règle et le recouvrement individuel, l’exception[12]. Lorsque la preuve le permet, le recouvrement collectif doit avoir préséance, puisqu’il favorise la réparation intégrale du préjudice subi[13]. Comme l’indiquent les requérants, le fardeau de prouver que le recouvrement collectif est possible leur incombe. Corollairement, les intimées sont tenues de leur fournir les renseignements qui permettent de faire cette preuve[14].
[13] Tel qu’il appert du jugement, le juge estime que les requérants cherchent à obtenir l’identification des membres, demande qu’il a rejetée dans une décision rendue en 2016[15]. Les requérants considèrent que sa compréhension de la demande de communication est erronée. Ce second moyen mérite également l’attention de la Cour qui pourra statuer sur la pertinence des informations recherchées.
3- L’ordonnance concernant l’audition ex parte et à huis clos à l’égard de documents qui ne sont pas visés par un privilège
[14] La conclusion du juge au sujet de l’audition ex parte et à huis clos à l’égard du caractère confidentiel ou non des documents caviardés est ainsi rédigée :
[79] ORDONNE que les objections des défenderesses à communiquer aux demandeurs certains documents sans qu’ils aient été caviardés pour les motifs énoncés ci-dessus, soient examinées lors d’un processus de voir-dire, tenu à huis clos et ex parte de la présence des demandeurs et de leurs avocats.[16]
[15] Selon les requérants, la tenue d’une audience à huis clos et ex parte – dont même leurs avocats sont exclus – pour débattre du caractère confidentiel ou non des parties caviardées de certains documents constitue une atteinte à la publicité des débats et les prive de leur droit d’être entendus. À leur avis, aucun privilège ne justifie cette conclusion du juge[17].
[16] Le droit d’appel des requérants est fondé sur l’article
[17] Le moyen choisi par le juge pour vérifier le caractère confidentiel ou non des informations caviardées, soit un examen à huis clos et ex parte paraît déraisonnable dans les circonstances, car, de prime abord, il prive les parties du droit de faire des représentations à ce sujet. Les enseignements la Cour suprême dans Glegg c. Smith & Nephew Inc. confèrent une latitude au juge en pareille situation, mais il s’agit de décider s’il doit donner aux parties l’opportunité de faire des représentations avant d’examiner les documents caviardés et de rendre sa décision :
[29] Le Code de procédure civile ne détermine pas complètement toutes les modalités de la procédure qui s’appliquerait dans toute situation. Le Code reconnaît d’ailleurs lui-même l’impossibilité de tout prévoir. L’article
[30] Dans ce contexte, le juge conserve le pouvoir de prendre toutes les mesures qui éviteraient une divulgation prématurée ou superflue de l’information confidentielle, mais permettraient aussi de s’informer adéquatement sur la nature du conflit et d’encadrer le débat judiciaire engagé à son sujet. Bien des possibilités s’offrent au juge dans ces situations (voir Foster Wheeler, par. 44-47, et Lac d’Amiante, par. 35-39). Il pourrait exiger de la partie qui présente une objection une déclaration assermentée précisant la base de celle-ci et énumérant et décrivant les documents en litige. Il aurait ensuite la possibilité d’examiner en privé les éléments de preuve, hors de la présence des parties. Il lui serait loisible aussi d’ordonner la transmission des documents, sous réserve des obligations de confidentialité qui s’appliqueraient à cette phase du débat judiciaire, comme nous l’avons vu plus haut. Le juge pourrait aussi interdire aux avocats de communiquer les documents à des tiers ou aux parties elles-mêmes. Rien de ceci n’a été fait ici, en raison de la manière dont l’intimée a conduit le débat sur son objection.[18]
[18] Cette question mérite d’être examinée par la Cour. Précisons que la partie intimée a reconnu que la conclusion du jugement est ambiguë, d’une part, et que les requérants ont droit d’être entendus lors du voir-dire, d’autre part.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[19] ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler hors délai des requérants;
[20] AUTORISE les requérants à faire appel des conclusions apparaissant aux paragraphes 77, 78 et 79 du jugement de première instance;
[21] ORDONNE la suspension des procédures en première instance;
[22] DÉFÈRE le dossier à la maître des rôles pour qu’elle fixe la date de l'audience et la durée de l'audition;
[23] ORDONNE aux parties appelantes de déposer au greffe, au plus tard le 17 janvier 2022, en cinq exemplaires, un exposé comprenant les documents qui auraient normalement formé les Annexes I, II et III de leur mémoire selon l’article
[24] ORDONNE aux parties intimées, après avoir notifié copie aux parties appelantes, de déposer au greffe, au plus tard le 21 février 2022, en cinq exemplaires, un complément de documentation, de même qu'une argumentation d'au plus 30 pages et ses sources;
[25] ORDONNE aux parties de déposer leur exposé dans un format 21,5 cm x 28 cm (8½ x 11 pouces), rédigé à au moins un interligne et demi (sauf quant aux citations qui doivent être à interligne simple et en retrait). Le caractère à l’ordinateur est de 12 points et il n'y a pas plus de 12 caractères par 2,5 cm. Les marges ne doivent pas être inférieures à 2,5 cm;
[26] ORDONNE que les documents produits comprennent une page de présentation, une table des matières et une pagination continue;
[27] RAPPELLE aux parties la Directive G-3 du greffier (dernière révision : 20 avril 2021) qui les encourage fortement à joindre une version technologique du mémoire ou de l'exposé et du cahier des sources à chacun des exemplaires de la version papier de ces documents. Cette version technologique doit être enregistrée sur clé USB et confectionnée en format PDF permettant la recherche par mots-clés et comportant des hyperliens de la table des matières vers le mémoire, l'exposé ou le cahier des sources et, le cas échéant, de l'argumentation vers les annexes. Si disponible, les parties sont invitées à mettre sur la clé USB la version Word de leur argumentation;
[28] Frais de justice à suivre.
TEMPS D'AUDITION : Parties appelantes : 45 minutes
Parties intimées : 45 minutes
| FRANCE THIBAULT, J.C.A. |
| JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A. |
| GENEVIÈVE COTNAM, J.C.A. |
[1] Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, Compagnie d'assurance-vie,
[2] Immeubles HTH inc. c. Plaza Chevrolet Hummer Cadillac inc.,
[3] Voir par exemple L.D. c. P.D.,
[4] Requête pour permission d’appeler hors délai d’un jugement rendu en cours d’instance, 6 août 2021, paragr. 2 et 51-55.
[5] Metso Minerals Canada Inc. c. BBA inc.,
[6] Ravary c. Fonds mutuels CI inc.,
[7] Yves Lauzon et Bruce W. Johnston, Traité pratique de l’action collective, Montréal, Yvon Blais, 2021, p. 439-444.
[8] Ravary c. Fonds mutels CI inc.
[9] Id., paragr. 59-60.
[10] Jugement entrepris, paragr. 57‑59.
[11] Requête pour permission d’appeler hors délai d’un jugement rendu en cours d’instance, 6 août 2021, paragr. 44-45; Déclaration d’appel, 6 août 2021, paragr. 41.
[12] Y. Lauzon et B. W. Johnston, supra, note 7, p. 302-303.
[13] Masson c. Telus Mobilité,
[14] Marcotte c. Fédération des caisses Desjardins du Québec,
[15] Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie,
[16] Jugement entrepris, paragr. 79.
[17] Requête pour permission d’appeler hors délai d’un jugement rendu en cours d’instance, 6 août 2021, paragr. 35-37 et 46-48; Déclaration d’appel, 6 août 2021, paragr. 44-46.
[18] Glegg c. Smith & Nephew Inc.,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.