Décision

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Commission scolaire des Phares et Proulx

2011 QCCLP 5002

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

22 juillet 2011

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

413197-01A-1006-R

 

Dossier CSST :

134139641

 

Commissaire :

Louise Desbois, juge administratif

 

Membres :

Gilles Cyr, associations d’employeurs

 

Pierre Boucher, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Commission scolaire des Phares

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Julie Proulx

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 2 décembre 2010, la Commission scolaire des Phares (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle demande la révision de la décision rendue le 21 octobre 2010 par la Commission des lésions professionnelles.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de l’employeur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 8 juin 2010 à la suite d’une révision administrative et déclare que la CSST était justifiée de refuser d’acheminer la demande de l’employeur au Bureau d’évaluation médicale quant à la date de consolidation de la lésion professionnelle subie par madame Julie Proulx (la travailleuse) le 21 novembre 2008.

[3]           Les parties ont renoncé à la tenue d’une audience, soumis leurs représentations écrites et demandé qu’une décision soit rendue sur dossier. La requête est prise en délibéré le 17 mai 2011.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande de réviser la décision rendue le 21 octobre 2010, de déclarer que l’article 212 de la loi permet à un employeur de demander un avis au Bureau d’évaluation médicale sur la période prévisible de consolidation et d’ordonner à la CSST de transférer au Bureau d’évaluation médicale sa demande quant à la consolidation recommandée par son médecin désigné, le docteur Jean-François Fradet, dans son expertise du 30 octobre 2009.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête de l’employeur devrait être rejetée. Ils considèrent plus particulièrement que l’employeur n’a pas démontré que la décision attaquée était entachée d’une erreur grave, manifeste et déterminante.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]           Le tribunal doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 21 octobre 2010 par le premier juge administratif.

[7]           Le tribunal souligne d’emblée qu’en vertu de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles[1] (la loi), les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

[8]           Quoique aucun appel d’une décision de la Commission des lésions professionnelles ne soit permis, une révision ou une révocation de celle-ci est possible, lorsque des conditions très strictes sont satisfaites, lesquelles sont énoncées à l’article 429.56 de la loi :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

[9]           En l’occurrence, le travailleur invoque un vice de fond de nature à invalider la décision au sens du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.

[10]        Cette notion de « vice de fond ou de procédure de nature à invalider une décision » a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles à de multiples reprises, interprétation par ailleurs confirmée et précisée par la Cour d’appel à plus d’une occasion.

[11]        Ainsi, en 1998, dans l’affaire Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve[2], la Commission des lésions professionnelles définit cette notion comme correspondant à « une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation »[3].

[12]        La même année, dans l’affaire Franchellini et Sousa[4], le tribunal reprend cette notion d’erreur manifeste et déterminante et précise en outre que « le pouvoir de révision ne peut servir de prétexte à l'institution d'un appel déguisé de la décision attaquée »[5].

[13]        Trois décisions importantes sont rendues en la matière par la Cour d’appel en 2003.

[14]        Dans l’arrêt Tribunal administratif du Québec c. Godin[6], la juge Rousseau-Houle, rédigeant les motifs pour la majorité, écrit notamment que « Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit pas être une répétition de la procédure initiale ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments »[7]. Il s’agissait alors de l’interprétation d’une disposition législative visant une décision du Tribunal administratif du Québec, mais tout à fait similaire à l’article 429.56 précité, lequel vise une décision de la Commission des lésions professionnelles.

[15]        Le juge Chamberland précise quant à lui dans cette même affaire que « La simple divergence d'opinions quant à la façon d'interpréter une disposition législative ne constitue pas […] un « vice de fond » […] »[8].

[16]        Finalement et toujours dans ce même arrêt, le juge Fish, maintes fois cité par la suite, réfère aux objectifs supérieurs de la justice administrative et à l’importance de la stabilité des décisions devant être finales, accordant primauté à l’opinion du premier juge administratif à moins de circonstances exceptionnelles :

[43]           Reading section 154 of the ARAJ in the light of the legislative scheme as a whole, I think it is intended to provide citizens[18] with an additional measure of security and peace of mind.  It is meant to ensure that the citizen's entitlement to a social benefit or indemnity, initially denied by a competent state authority but then confirmed by the TAQ — the quasi-judicial tribunal established by the state for that purpose — will not be again put in issue except in the interests of fundamental justice and in the limited instances contemplated by section 154.

 

[44]           I would characterize these limited instances as a defined set of exceptional circumstances where, under the established adjudicative scheme, administrative finality must yield to the superior imperative of administrative justice

 

[45]           This view of the matter appears to me to be entirely consistent with the legislator's stated objective: "to affirm the specific character of administrative justice, to ensure its quality, promptness and accessibility and to safeguard the fundamental rights of citizens"[19].  

 

[…]

 

[50]      In short, section 154(3) does not provide for an appeal to the second panel against findings of law or fact by the first. On the contrary, it permits the revocation or review by the Tribunal of its own earlier decision not because it took a different though sustainable view of the facts or the law, but because its conclusions rest on an unsustainable finding in either regard.

 

[51]          Accordingly, the Tribunal commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions.  Where there is room on any of these matters for more than one reasonable opinion, it is the first not that last that prevails.

____________________________

[18]   "Citizens" is the term used in the ARAJ.

[19]    Section 14 of the ARAJ.

[17]        Dans l’arrêt Bourassa c. CLP[9], la Cour d’appel se penche cette fois formellement sur l’interprétation à donner à l’article 429.56 de la loi, réitérant et précisant encore une fois les principes précités :

[20]      La notion de vice de fond peut englober une pluralité de situations. Dans Épiciers unis Métro-Richelieu c. Régie des alcools, des courses et des jeux, [1996] R.J.Q. 608 , le juge Rothman décrit ainsi un vice de fond de nature à invalider une décision :

           

The Act does not define the meaning of the term "vice de fond" used in section 37.  The English version of section 37 uses the expression "substantive … defect."  In context, I believe that the defect, to constitute a "vice de fond," must be more than merely "substantive."  If must be serious and fundamental.  This interpretation is supported by the requirement that the "vice de fond" must be "de nature à invalider la décision."  A mere substantive or procedural defect in a previous decision by the Régie would not, in my view, be sufficient to justify review under section 37.  A simple error of fact or of law is not necessarily a "vice de fond."  The defect, to justify review, must be sufficiently fundamental and serious to be of a nature to invalidate the decision.

 

[21]      La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

_______________

(4)   Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y.  Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[18]        Finalement, dans l’arrêt Amar c. CSST[10], la Cour d’appel rappelle que de simples divergences d’interprétation de la loi ne constituent pas un motif d’ouverture à la révision.

[19]        En 2005, la Cour d’appel, sous la plume du juge Morrissette, précise encore son interprétation de cette notion dans l’arrêt CSST c. Fontaine[11], devenu une référence en la matière :

[41]      […] à l’analyse que livre le juge Fish dans ses motifs de l’arrêt Godin. Les finalités de qualité, de célérité et d’accessibilité qu’il y évoque revêtent en effet une égale importance, qu’un justiciable s’adresse au TAQ ou à la CLP. Le risque que ces finalités soient compromises, voire contrecarrées, par des contestations persistantes et sans justification sérieuse est le même dans les deux cas; l’exercice libéral du pouvoir d’autorévision ne peut qu’encourager de telles contestations en affaiblissant la stabilité de décisions qui (en principe et sous réserve de quelques cas d’exception) sont finales dès lors qu’elles ne sont pas manifestement déraisonnable. Des textes législatifs souvent complexes reçoivent application dans les champs d’intervention du TAQ et de la CLP. Il est banal d’observer que ces textes se prêtent régulièrement à des interprétations diverses mais également défendables (« tenable » selon le terme employé par le juge Iacobucci dans l’arrêt Ryan, et que cite le juge Fish [35]) interprétations véhiculées par des décisions qui, selon la volonté du législateur, sont finales et non sujettes à appel. Il faut se garder d’utiliser à la légère l’expression « vice de fond de nature à invalider » une telle décision. La jurisprudence de notre Cour, sur laquelle je reviendrai, est à juste titre exigeante sur ce point. La faille que vise cette expression dénote de la part du décideur une erreur manifeste, donc voisine d’une forme d’incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique. […]

 

[…]

 

[50]      En ce qui concerne les caractéristiques inhérentes d’une irrégularité susceptible de constituer un vice de fond, le juge Fish note qu’il doit s’agir d’un « defect so fundamental as to render [the decision] invalid » [46], « a fatal error » [47]. Une décision présentant une telle faiblesse, note-t-on dans l’arrêt Bourassa [48], est entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige ». […] On voit donc que la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire « un vice de fond de nature à invalider [une] décision ».

 

[51]      En ce qui concerne la raison d’être de la révision pour un vice de fond de cet ordre, la jurisprudence est univoque. Il s’agit de rectifier les erreurs présentant les caractéristiques qui viennent d’être décrites. Il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première [51]. Intervenir en révision pour ce motif commande la réformation de la décision par la Cour supérieure car le tribunal administratif « commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions » [52]. L’interprétation d’un texte législatif « ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique » [53] mais, comme « il appart[ient] d’abord aux premiers décideurs spécialisés d’interpréter » [54] un texte, c’est leur interprétation qui, toutes choses égales d’ailleurs, doit prévaloir. Saisi d’une demande de révision pour cause de vice de fond, le tribunal administratif doit se garder de confondre cette question précise avec celle dont était saisie la première formation (en d’autres termes, il importe qu’il s’abstienne d’intervenir s’il ne peut d’abord établir l’existence d’une erreur manifeste et déterminante dans la première décision) [55]. Enfin, le recours en révision « ne doit […] pas être un appel sur la base des mêmes faits » : il s’en distingue notamment parce que seule l’erreur manifeste de fait ou de droit habilite la seconde formation à se prononcer sur le fond, et parce qu’une partie ne peut « ajouter de nouveaux arguments » au stade de la révision [56].

 

(Références omises par la soussignée)

 

 

[20]        Il s’avère donc qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles ne peut être révisée en vertu du troisième paragraphe de l’article 429.56 que s’il est démontré par la partie qui en demande la révision qu’elle est entachée d’une erreur grave, manifeste (évidente) et déterminante.

[21]        Le tribunal fait en outre sien l’enseignement que tire la juge administrative Nadeau, de la Commission des lésions professionnelles, des décisions précitées de la Cour d’appel, tel qu’elle en fait état dans l’affaire Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation[12] :

[22]      Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin16, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.

 

(Référence omise)

 

(Soulignements ajoutés)

 

[22]        Ces principes étant posés, le tribunal doit maintenant les appliquer aux faits en l’espèce.

[23]        Le premier juge administratif était saisi d’un litige concernant la procédure d’évaluation médicale et, plus particulièrement, la légalité d’une contestation par l’employeur sur la question de la consolidation de la lésion professionnelle subie par la travailleuse.

[24]        La notion de « consolidation » est ainsi définie à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« consolidation » : la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[25]        Cette question de consolidation de la lésion professionnelle constitue l’un des cinq sujets médicaux quant auxquels la loi prévoit une procédure d’évaluation médicale à ses articles 199 et suivants.

[26]        Essentiellement et eu égard au présent litige, en vertu de cette procédure, la CSST est liée par l’opinion du médecin qui a charge du travailleur sur les cinq sujets énumérés à l’article 212, à moins que l’employeur n’obtienne un rapport d’un médecin qu’il désigne qui infirme les conclusions du médecin du travailleur :

212.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :

 

1° le diagnostic;

 

2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

[27]        En l’instance, le médecin ayant charge de la travailleuse signe un rapport médical le 11 janvier 2010. Tel qu’en fait état le premier juge administratif, elle a alors le choix entre remplir un rapport médical d’évolution et cocher, à la question concernant la période prévisible de consolidation de la lésion professionnelle, « moins de 60 jours » ou « plus de 60 jours », ou bien remplir un rapport final sur lequel elle devra préciser la date de consolidation de la lésion. Or, elle remplit un rapport médical d’évolution, ne déclare donc pas la lésion consolidée, et coche la case « plus de 60 jours » en ce qui concerne la période prévisible de consolidation.

[28]        L’employeur souhaite contester ce rapport médical en ce qui a trait à la question de la consolidation de la lésion. Il invoque en ce sens le rapport du médecin qu’il a désigné, le docteur Jean-François Fradet, du 30 octobre 2009. Dans ce rapport, le docteur Fradet, après avoir examiné la travailleuse, conclut lui aussi que « la lésion, présentement, n’est pas consolidée », considérant plus particulièrement la présence d’un blocage lombaire et le fait que « des traitements peuvent améliorer la condition de madame ». Les traitements qu’il suggère alors consistent en la prise de cortisone en doses décroissantes pendant dix jours.

[29]        Le docteur Fradet ajoute cependant ce qui suit en ce qui concerne la consolidation : « Je recommande que la lésion soit consolidée dans un (1) mois, soit le 27 novembre 2009 ». Le docteur Fradet écrit également qu’il est trop tôt pour statuer sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles, le tout dépendant de la réponse de la travailleuse au traitement recommandé.

[30]        Le docteur Fradet ajoute également la mention suivante dans ses commentaires, mention également citée par le premier juge administratif :

[…] Cependant, comme indiqué précédemment, je préférerais qu’elle ait de la Prednisone en doses décroissantes avant de décider qu’il n’y ait plus d’indication de traitement supplémentaire. [sic]

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[31]        La CSST a considéré que le médecin désigné par l’employeur n’avait pas infirmé le médecin ayant charge de la travailleuse en ce qui concerne la question de la consolidation de la lésion professionnelle puisqu’il ne considérait pas lui non plus la lésion consolidée lors de son examen. Elle a par conséquent rejeté la contestation de l’employeur sur cette question, d’où le litige porté devant le premier juge administratif.

[32]        Le premier juge administratif a confirmé la décision de la CSST. Il a bien situé le litige dont il était saisi, il a énoncé les dispositions applicables de la loi, a rapporté l’ensemble des faits pertinents, puis les prétentions de chaque partie, pour finalement procéder à leur analyse et conclure comme il l’a fait, motifs à l’appui.

[33]        L’essentiel des motifs du premier juge administratif se retrouve aux paragraphes 21 à 27 de sa décision :

[21]      Le tribunal estime qu’on ne doit pas se limiter à une interprétation littérale des termes utilisés dans cette disposition pour rechercher l’intention du législateur. Il faut se référer à l’ensemble des dispositions portant sur la procédure d’évaluation médicale au chapitre VI de la loi et à la définition de la consolidation pour comprendre l’intention du législateur dans l’utilisation des termes « date de consolidation » ou « période prévisible de consolidation ».

 

[22]      Lorsque le législateur utilise les termes « date de consolidation » ou « période prévisible de consolidation » au paragraphe 2 de l’alinéa 1 de l’article 212, il se réfère au rapport médical que doit compléter le médecin qui a charge de la travailleuse en vertu des articles 199, 200 et 203 de la loi. Le médecin qui a charge de la travailleuse prévoit une période prévisible de consolidation lorsque la lésion n’est pas consolidée. Lorsqu’il estime que la lésion est consolidée, il complète un rapport final et il fixe une date de consolidation.

 

[23]      La soussignée estime que le libellé du paragraphe 2 du premier alinéa de l’article 212 de la loi ne peut pas être interprété comme permettant au médecin désigné de déterminer une période prévisible de consolidation pour infirmer la conclusion du médecin traitant voulant que la lésion n’est pas consolidée. Pour infirmer le rapport médical du médecin de la travailleuse qui ne consolide pas la lésion, le médecin de l’employeur doit conclure que la lésion est consolidée.

 

[24]      La Commission des lésions professionnelles estime que le médecin désigné de l’employeur peut prévoir une période prévisible de consolidation. Toutefois, il s’agit d’une période « prévisible » et cela n’équivaut pas à conclure que la lésion sera consolidée à la fin de la période. Le médecin désigné doit examiner à nouveau la travailleuse pour confirmer la date de consolidation.

 

[25]      Dans le dossier sous-étude, le docteur Fradet, médecin désigné par l’employeur, dans son rapport d’expertise du 30 octobre 2009, conclut que la lésion n’est pas consolidée le jour de son examen. Il recommande une médication qui pourrait améliorer la condition de la travailleuse. Il ajoute que la travailleuse doit prendre de la médication avant de décider s’il n’y a plus d’indication de traitements supplémentaires.

 

[26]      Manifestement, la lésion n’est pas consolidée le jour de l’examen puisque le docteur Fradet reconnaît qu’on doit attendre l’effet de la médication avant de décider s’il y a d’autres traitements à prescrire. Le docteur Fradet reconnaît donc que la condition de la travailleuse peut changer.

 

[27]      Le rapport médical du docteur Fradet du 30 octobre 2009 n’infirme donc pas celui de la docteure Comeau du 11 janvier 2010 sur la date de consolidation.

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[34]        L’employeur invoquait quant à lui l’interprétation de la loi privilégiée dans l’affaire Apostolopoulos et Lignes aériennes Canadien International ltée[13] (décision mentionnée par le premier juge administratif qui déclare ne pas être d’accord avec l’interprétation qui y est retenue) :

[43]      Pour répondre à cette question, il y a lieu d’abord d’analyser ce que dicte la Loi, au médecin qui a charge, quant aux concepts de «période prévisible de consolidation», «date de consolidation» et même «date prévisible de consolidation».

 

[44]      L’article 199, paragraphe 1 de la Loi indique que si le médecin ayant charge prévoit que la lésion sera consolidée dans les 14 jours suivant le début de l’incapacité du travailleur, il précise à l’attestation initiale «la date prévisible» de la consolidation.  Si le médecin qui a charge prévoit une consolidation de la lésion au delà des 14 premiers jours suivant le début de l’incapacité, il doit inscrire à l’attestation médicale «la période prévisible de consolidation» de cette lésion (article 199, paragraphe 2 de la Loi).

 

[45]      Dans le cas d’une «date prévisible de consolidation» (article 199, paragraphe 1), en deçà d’une période d’incapacité de 14 jours, le médecin du travailleur n’est tenu de compléter un rapport final que s’il y a atteinte permanente à l’intégrité du travailleur.  Cependant, si le médecin ayant charge estime la «période prévisible de consolidation» au delà des 14 premiers jours suivant le début de l’incapacité, il doit compléter un rapport final qui indiquera, notamment, la date de consolidation.  C’est ce que prescrit l’article 203 de la Loi.

 

[46]      Ces articles illustrent parfaitement que la Loi autorise les concepts de «date prévisible de consolidation» et de «période prévisible de consolidation», du moins, pour le médecin traitant.  La Loi indique même que la date prévisible devient la date de consolidation, à défaut d’avoir d’autres précisions du médecin ayant charge, lorsqu’il s’agit d’une courte période d’incapacité.  Le médecin est relevé de son obligation de fournir un rapport final (article 199, paragraphe 1 et article 203 de la Loi).

 

[47]      L’expert désigné par l'employeur, conformément à l’article 209 de la Loi, bénéficie-t-il de la même approche lorsqu’il est appelé à se prononcer sur la «date» ou la «période prévisible de consolidation» d’une lésion?  En d’autres mots, peut-il, lui aussi, inscrire une date ou une période prévisible de consolidation de la lésion à son expertise?  Si la Loi reconnaît cette possibilité au médecin ayant charge, il faut aussi la reconnaître chez le médecin désigné par l'employeur.  D’ailleurs, le libellé même de l’article 212, paragraphe 2 de la Loi, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, appuie une telle interprétation.  Le terme «prévisible» utilisé au paragraphe 2 de l’article 212 de la loi s’applique tout autant au terme «date» que «période».

 

[48]      La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le législateur a plutôt accordé une marge d’appréciation, tant au médecin ayant charge qu’au médecin désigné, pour qu’ils puissent exprimer avec discernement, leur avis professionnel au sujet d’un cas.

 

[49]      Ainsi, lorsque le docteur Gilbert indique que la lésion sera consolidée le ou vers le 20 octobre 1997, il fixe une «période prévisible de consolidation» de la lésion.  C’est à bon droit et en toute régularité que la C.S.S.T. a soumis le dossier de la travailleuse au B.E.M., suite à la demande formulée par l'employeur, puisqu’au 20 octobre 1997, selon l’opinion du médecin qui a charge, la lésion n’était pas consolidée.  Il y avait à cette date, contradiction entre les deux médecins quant à la période prévisible de consolidation de la lésion, et ce, comme l’exige l’article 212 de la Loi pour que le dossier soit valablement soumis au B.E.M.

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[35]        Dans sa requête en révision, l’employeur réitère ses arguments quant à l’interprétation de la loi devant selon lui être privilégiée, celle retenue par le premier juge administratif s’assimilant selon lui à un vice de fond de nature à invalider sa décision.

[36]        De prime abord, le tribunal constate que deux interprétations de la loi, toutes deux motivées, s’affrontent ici. Or, tel que mentionné précédemment, il est bien établi dans la jurisprudence, tant de la Commission des lésions professionnelles que des tribunaux judiciaires, que l’interprétation d’un texte législatif peut mener à plus d’une solution et que le fait d’en privilégier une ne justifie pas la révision de cette décision, à moins qu’il ne soit démontré que cette interprétation comporte une erreur grave, manifeste et déterminante[14].

[37]        Or, à la lecture des motifs exposés par le premier juge administratif, le tribunal ne retrouve pas de telle erreur grave, manifeste et déterminante.

[38]        L’interprétation privilégiée par le premier juge administratif, ainsi que son application aux faits en l’instance, est en effet motivée, logique, cohérente et tout à fait défendable.

[39]        Il considère ainsi que les deux médecins dont les rapports sont opposés par l’employeur en l’instance concluaient en fait tous deux à la suite de leur examen de la travailleuse que la lésion professionnelle n’était alors pas consolidée et indiquaient en conséquence une date ou une période prévisible de consolidation. Cela est rigoureusement exact.

[40]        Le premier juge administratif en conclut que le rapport du médecin désigné par l’employeur n’infirme donc pas la conclusion du médecin ayant charge de la travailleuse, à savoir que la lésion n’est pas encore consolidée. Cela peut difficilement être assimilé à une erreur grave, manifeste et déterminante, notamment à la lumière de ce qui suit.

[41]        Le premier juge administratif considère que le médecin ayant charge d’un travailleur est placé devant une alternative lorsque vient le temps de remplir un rapport médical conformément à la loi : conclure que la lésion n’est pas consolidée, et alors indiquer une période prévisible de consolidation, ou conclure que la lésion est consolidée et en préciser la date.

[42]        Il ressort de ses motifs que les véritables conclusions du médecin qui a charge du travailleur, qui porteraient ainsi à conséquence légale et qui seraient dès lors contestables, seraient celles de savoir si la lésion est consolidée ou non et, le cas échéant, la date de cette consolidation.

[43]        Ainsi, selon cette interprétation, pour infirmer la conclusion d’un médecin qui a charge selon laquelle la lésion n’est pas consolidée, ce qui se traduit dans son rapport par une période prévisible de consolidation « x », il faut nécessairement un rapport selon lequel la lésion est consolidée, le reste ne constituant qu’une prévision, par définition à réévaluer, et non une conclusion.

[44]        Le premier juge administratif ne nie donc pas le droit d’un employeur de contester le fait que le médecin ayant charge du travailleur indique une période prévisible de consolidation : il interprète la loi pour en conclure que lorsque le médecin du travailleur mentionne une période prévisible de consolidation, cela sous-tend sa conclusion selon laquelle la lésion n’est pas encore consolidée, et que ce qui infirme une telle conclusion du médecin du travailleur ne peut être qu’une conclusion selon laquelle la lésion est consolidée.

[45]        Encore une fois, le tribunal ne peut voir là aucune erreur grave, manifeste ou déterminante. D’autant qu’il est expressément fait référence aux « conclusions » du médecin qui a charge du travailleur au premier paragraphe de l’article 212 de la loi.

[46]        Le premier juge administratif considère par ailleurs que la déclaration d’un médecin, que ce soit celui ayant charge du travailleur ou celui désigné par l’employeur, selon laquelle il y aurait une période prévisible de consolidation de la lésion professionnelle, ne permet pas de conclure à la consolidation effective de la lésion professionnelle sans nouvel examen confirmant la prévision.

[47]        Force est pour le tribunal de conclure qu’une prévision n’est effectivement qu’une prévision, appelée par définition à être confirmée ou à être infirmée par la suite. Considérant les conséquences importantes rattachées par la loi à la notion de consolidation, l’exigence de sa confirmation par l’examen du travailleur peut difficilement dans ce contexte être assimilée à erreur grave, manifeste et déterminante, d’autant que cette exigence permet d’éviter le cheminement de contestations théoriques avec tout ce que cela implique. En effet, permettre une contestation sur la base de seules prévisions qui pourraient finalement ne pas être confirmées peut raisonnablement être jugé discutable, tant sur le plan financier, qu’humain et légal.

[48]        Le premier juge administratif ne nie pas non plus au médecin désigné par l’employeur le droit de déterminer, comme le médecin ayant charge d’un travailleur, une période prévisible de consolidation de la lésion. Mais il considère que cette période, comme le terme l’indique, n’est que prévisible et non certaine. Il considère donc qu’un autre examen subséquent du travailleur est nécessaire pour confirmer cette prédiction, statuer sur une date « effective » ou définitive de consolidation et, alors, véritablement constituer un avis infirmant celui du médecin qui a charge du travailleur le cas échéant. Or, il est effectivement exigé au premier paragraphe de l’article 212 que le médecin désigné par l’employeur ait examiné le travailleur avant de produire son rapport, ce qui peut également soutenir cette interprétation de la loi par le premier juge administratif.

[49]        D’ailleurs, en l’instance, le docteur Fradet, médecin désigné par l’employeur, après avoir d’abord recommandé la consolidation de la lésion un mois plus tard, après un traitement d’une durée de dix jours, reconnaissait la possibilité qu’après ce traitement d’autres traitements soient nécessaires. Dans ce contexte, la travailleuse aurait très bien pu ne commencer le traitement recommandé que deux ou trois semaines plus tard après avoir rencontré son médecin, elle aurait pu ensuite nécessiter d’autres traitements et tout cela aurait pu être confirmé par le docteur Fradet, avec report conséquent de la date de consolidation, si ce dernier avait revu la travailleuse un mois plus tard. En d’autres termes, sa prévision aurait pu ne pas s’avérer. Et lui-même aurait pu en convenir s’il avait revu la travailleuse, voire l’évolution de son dossier. D’où le fait que le premier juge administratif conclut qu’une prévision n’est justement qu’une prévision, non une conclusion, et qu’il est raisonnable de ne pas en inférer de conséquences.

[50]        Le premier juge administratif ne confond donc par ailleurs pas les notions de suffisance de traitement et de consolidation comme le plaide l’employeur : il évoque simplement que le médecin désigné par l’employeur recommandait un traitement et reconnaissait ensuite au surcroît que d’autres traitements pourraient être nécessaires, et le fait que cela n’exclut ainsi pas selon lui qu’une amélioration de l’état de santé de la travailleuse était encore possible. Cela est rigoureusement exact : le médecin désigné par l’employeur déclarait d’ailleurs qu’il ne pouvait se prononcer sur l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles tant que la réponse de la travailleuse au traitement recommandé ne serait pas connue, une amélioration étant clairement prévisible. En outre, le médecin reconnaissait dans ses commentaires à l’employeur qu’il pourrait encore, après ce traitement, y avoir indication de traitement supplémentaire, ce qui était en contradiction avec ses précédentes affirmations quant à la consolidation prévisible de la lésion et en diminuait précisément le caractère affirmatif.

[51]        Or, la consolidation d’une lésion implique précisément qu’aucune amélioration ne soit prévisible. Bien que devant être distinguées, les notions de consolidation et de suffisance de traitements sont ainsi généralement très interreliées : le tribunal considère en effet que tant qu’il est possible que des traitements améliorent l’état de santé d’un travailleur, sa lésion n’est pas consolidée[15].

[52]        Encore une fois, le tribunal ne peut donc en venir à la conclusion qu’il s’agit là d’une interprétation de la loi qui s’assimile à une erreur grave, manifeste et déraisonnable comme le plaide l’employeur.

[53]        Le premier juge administratif utilise par ailleurs toujours avec soin l’expression « période prévisible » et non « date prévisible » de consolidation. L’employeur considère quant à lui que son médecin pouvait valablement déterminer une date prévisible de consolidation et que cette date devait être retenue par le premier juge administratif.

[54]        Or, le tribunal constate que le législateur ne prévoit pour le médecin ayant charge du travailleur la possibilité de déterminer une date prévisible de consolidation que lorsque celle-ci doit survenir dans les 14 jours suivant la date de l’incapacité du travailleur à exercer son emploi :

199.  Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et :

 

1° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2° s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[55]        Il n’est autrement question dans la loi que de période prévisible de consolidation. En outre, à moins qu’il y ait consolidation de la lésion dans les 14 jours suivant la date d’incapacité et, par ailleurs, absence d’atteinte permanente, ce qui est très restrictif et limité aux seuls cas de lésions légères et sans conséquence, la loi exige du médecin qui a charge du travailleur (lequel peut pourtant avoir déjà indiqué une date prévisible de consolidation dans son rapport initial) qu’il produise ensuite un rapport final sur lequel il devra mentionner la date « effective » de consolidation de la lésion professionnelle :

203.  Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :

1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

(Soulignements ajoutés)

 

 

[56]        Le tribunal voit mal, dans ce contexte, comment l’employeur peut valablement soutenir que le premier juge administratif restreint ses droits et commet une erreur grave, manifeste et déterminante en ne retenant pas comme date de consolidation « effective » la date prévisible de consolidation déterminée par son médecin, sans que celle-ci n’ait été confirmée. En fait, on pourrait tout aussi valablement soutenir que c’est plutôt l’interprétation privilégiée par l’employeur qui aurait pour effet de conférer plus de « droits », ou de « possibilités », pour reprendre le terme utilisé dans l’affaire Apostolopoulos[16], au médecin désigné par l’employeur, lequel pourrait quant à lui, selon cette thèse, établir une date prévisible de consolidation dans tous les cas, ce que ne semble pouvoir faire le médecin du travailleur.

[57]        Il n’est certainement pas déraisonnable de conclure à la lecture de ces dispositions que la véritable détermination d’une date prévisible de consolidation peut être considérée limitée aux seuls cas de lésions légères et dont la période de consolidation est de moins de 14 jours, donc plus facilement prévisible. En d’autres termes, la prévision serait alors considérée par le législateur suffisamment fiable, et portant assez peu à conséquences, pour ne pas exiger du médecin une confirmation de sa prévision. Il s’agirait là d’une exception devant être interprétée en conséquence.

[58]        Ainsi, le fait pour le premier juge administratif de conclure qu’il n’en va pas de même pour l’ensemble des lésions (quant à la possibilité de déterminer une date prévisible de consolidation sans qu’elle soit confirmée) et, notamment, dans le cas de la lésion en litige, ne peut d’autant, dans ce contexte, être considéré comporter ou constituer une erreur grave, manifeste et déterminante.

[59]        Le tribunal conçoit, par ailleurs, qu’une « période prévisible » de consolidation puisse difficilement quant à elle être contestée puisqu’elle est par définition floue et imprécise, par opposition à une date, en plus d’être elle aussi sujette à nouvelle appréciation et donc, potentiellement, à changement.

[60]        Il s’avère ainsi que l’interprétation privilégiée par l’employeur est certainement défendable, ayant d’ailleurs déjà été retenue par le tribunal, mais que celle privilégiée par le premier juge administratif l’est manifestement aussi.

[61]        Considérant l’ensemble des éléments précités pouvant soutenir l’interprétation privilégiée par le premier juge administratif, celle-ci peut difficilement être assimilée à une erreur grave, manifeste et déterminante. Un employeur pourrait donc, selon cette interprétation, contester la conclusion du médecin qui a charge du travailleur selon laquelle la lésion n’est pas consolidée ou, si elle l’est, la date à laquelle elle l’est, le reste n’étant que prévision, non conclusion, et n’étant donc pas contestable. Il ne s’agit pas là d’un ajout au texte de loi, mais bien d’une interprétation défendable, basée sur l’appréciation tant du texte que de l’esprit de l’ensemble des dispositions relatives à la procédure d’évaluation médicale.

[62]        Comme le mentionne à bon droit le premier juge administratif, il faut lire l’ensemble des dispositions applicables de la loi pour bien comprendre l’intention du législateur : l’interprétation qu’il en fait, à savoir que l’on ne peut retenir comme date « effective » ou définitive de consolidation d’une lésion une date déterminée uniquement de façon prévisible, ne comporte pas d’erreur grave, manifeste et déterminante, surtout lorsque l’on considère les conséquences pour un travailleur de la consolidation de sa lésion professionnelle.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de l’employeur, la Commission scolaire des Phares.

 

 

 

 

Louise Desbois

 

 

 

 

Me Mélanie Charest

MORENCY SOCIÉTÉ D’AVOCATS

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Denis Mailloux

C.S.N.

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]          [1998] C.L.P. 733 .

[3]           Id., p. 738.

[4]          [1998] C.L.P. 783 .

[5]           Id., pp. 787-788.

[6]          [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).

[7]           Id., par. 141.

[8]           Id., par. 165.

[9]          [2003] C.L.P. 601 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004.

[10]         [2003] C.L.P. 606 (C.a.).

[11]         [2005] C.L.P 626 (C.A.).

[12]         C.L.P. 214190-07-0308, 20 octobre 2005, L. Nadeau.

[13]         C.L.P. 103568-62-9807, 11 juin 1999, L. Vallières.

[14]         Voir notamment : Desjardins et Réno-dépôt, [1999] C.L.P. 898 ; Buggiero et Vêtements Eversharp ltée, C.L.P. 93633-71-9801, 10 novembre 1999, C.-A. Ducharme, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-054889-991, 30 mars 2001, J. Baker; Gaumond et Centre d’hébergement St-Rédempteur inc., [2000] C.L.P. 346 ; Couture et Jenas, [2004] C.L.P. 366 .

[15]         Voir notamment : Landry et Les constructions Acibec ltée, C.A.L.P. 15556-60-8911, 19 juin 1990, R. Brassard; Soucy-Tessier et CSST, [1995] C.A.L.P. 1434 ; Groupe Aecon ltée et Lafrance, C.L.P. 258210-09-0503, 25 janvier 2006, J.-F. Clément; Fini-Excellence et Théberge, C.L.P. 309854-01A-0702, 08-02-01, R. Napert.

[16]         Précitée, note 13.

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