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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 23 décembre 2005, monsieur Garcia Isaias (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision à l’encontre d’une décision rendue par cette instance le 8 décembre 2005.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles énonce les motifs suivants :
Dossiers 232908-61-0404 et 234799-61-0404
REJETTE la requête de monsieur Garcia Isaias, le travailleur;
ACCUEILLE la requête de Lallier Automobile Montréal inc., l’employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 21 avril 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 11 octobre 2002;
DÉCLARE que le diagnostic de cette lésion professionnelle est une contusion lombaire;
DÉCLARE que la lésion professionnelle est consolidée le 22 octobre 2002, sans nécessité de traitements après cette date;
DÉCLARE que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle de sa lésion professionnelle;
DÉCLARE qu’en conséquence le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 22 octobre 2002 et qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
Dossier 250117-61-0412
REJETTE la requête du travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 1er décembre 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 4 juin 2004.
[3] À l’audience tenue le 27 septembre 2006, le travailleur est présent et représenté par Me Charles Magnan et la compagnie Lallier Automobile Montréal inc. (l’employeur) est représentée par Me Céline Servant.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par cette instance le 8 décembre 2005 et de :
DÉCLARER que la procédure d’évaluation médicale qui a conduit à l’avis du Bureau d’évaluation médicale du 24 février 2004 est viciée
DÉCLARER par conséquent que le Bureau d’évaluation médicale du 24 février 2004 est nul et rétablir, à titre de rapport médical liant toutes les parties, le rapport d’évaluation médicale du dr Tinco Tran du 22 janvier 2003;
- ou subsidiairement si l’argument procédural est rejeté-
PERMETTRE au travailleur de produire un complément d’expertise afin de répondre au questionnement de la Commissaire et ordonner la reprise du délibéré au terme du tout, au condition que ce tribunal voudra bien fixer; [sic]
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis que la requête en révision du travailleur doit être rejetée car la décision du 8 décembre 2005 ne comprend aucun vice de fond ou de procédure de nature à invalider ladite décision.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur présente un motif donnant ouverture à la révision demandée.
[7] L’article 429.49 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) énonce qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel, lequel stipule ceci :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] L’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision dans les cas suivants :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Le recours en révision n’est possible que dans les circonstances spécifiquement énumérées à l’article 429.56 de la loi et ne peut constituer un appel déguisé ou un second appel; par conséquent, il ne peut être utilisé pour obtenir une nouvelle appréciation des faits par un autre commissaire ou encore bonifier sa preuve ou faire valoir de nouveaux arguments.
[10] La requête en révision du travailleur est basée sur le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi, soit le vice de fond de nature à invalider la décision; les termes de vice de fond ne sont pas définis dans la loi, mais la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles s’est prononcée à l’effet que cette expression réfère à une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur le sort du litige. L’erreur manifeste est interprétée comme étant celle qui méconnaît une règle de droit, applique un faux principe, statue sans preuve, néglige un élément de preuve important ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine; de plus, l’erreur manifeste doit apparaître à la simple lecture et ne peut s’agir d’une erreur manifeste lorsqu’il s’agit de discuter, d’analyser ou de scruter une décision. Finalement, l’erreur doit également être déterminante, à savoir, que si elle n’avait pas été commise, la décision aurait pu être différente.
[11] Dans le dossier qui nous occupe, le procureur du travailleur invoque essentiellement l’équité procédurale comme motif de révision, à l’effet que la procédure d’évaluation médicale menant à l’avis du Bureau d’évaluation médicale s’avère viciée; celui-ci dépose l’arrêt de la Cour d’appel Lapointe c. Commission des lésions professionnelles et Diane Taillon, Micheline Bélanger et Diane Beauregard et Sécuribus inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail[2] au soutien de ses prétentions.
[12] Ce motif de révision invoqué par le travailleur a fait l’objet d’un moyen préalable soulevé lors de l’audition du 20 septembre 2005; la commissaire s’exprime comme suit sur le sujet :
[17] La Commission des lésions professionnelles doit aujourd’hui se prononcer sur tous les aspects médicaux de cette lésion professionnelle : le diagnostic, la date de consolidation, la nécessité de traitements, l‘existence d’une atteinte permanente et l’existence de limitations fonctionnelles.
[18] Toutes ces questions ont fait l’objet d’un avis du Bureau d’évaluation médicale. Le procureur du travailleur soulève un moyen préalable concernant la régularité de la procédure d’évaluation médicale et demande de déclarer nul cet avis et, par conséquent, de déclarer que la CSST était liée par les conclusions du médecin qui a charge du travailleur, soit le Dr Tran.
[13] Après avoir énuméré les articles de loi pertinents au litige (212, 204, 205.1, 206, 217, 219), la première commissaire rédige ceci :
[21] Le travailleur fait valoir que le délai de la CSST pour présenter sa demande au Bureau d’évaluation médicale est tellement long qu’il vicie le processus. L’article 217 demande de soumettre les contestations au Bureau d’évaluation médicale «sans délai». L’article 219 prévoit que la CSST achemine le dossier médical complet «sans délai». Dans le présent dossier, il s’est écoulé un an avant que la CSST fasse la demande ce qui, plaide-t-il, compromet la stabilité des décisions et l’équité procédurale.
[22] Depuis les amendements législatifs de 1992, la loi n’impose aucun délai à la CSST en matière de contestation des questions médicales. Bien sûr les termes «sans délai» expriment une volonté du législateur que la CSST agisse avec célérité. Comme le soulignait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Blais3 aucune sanction n’est prévue toutefois en cas de défaut de transmettre sans délai les contestations prévues aux articles 206 et 212. Comme il s’agit d’une disposition procédurale, l’irrespect de cette règle ne devrait pas être interprété de façon à faire perdre l’exercice du droit qu’elle encadre. Cependant un délai injustifiable qui cause préjudice ou compromet la stabilité des décisions pourra amener le Tribunal à intervenir et entraîner la nullité de l’avis et de la décision de la CSST qui lui a donné suite. C’est ainsi que la Commission des lésions professionnelles a conclu dans l’affaire Morin et José & Georges inc.4 invoquée par le travailleur. Il réfère également au jugement rendu dans Lapointe c. Commission des lésions professionnelles5 pour faire valoir le principe d’équité procédurale tout en reconnaissant que la question soumise à la Cour d’appel dans cette affaire était différente de la présente.
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3 C.L.P. 114971-05-9903, 9 septembre 1999, F. Ranger
4 [2001] C.L.P. 443
5 C.A. Montréal 500-09-013413-034, 19 mars 2004, jj. Forget, Dalphond, Rayle, 03LP-313
[23] Dans le dossier qui nous occupe, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure ainsi. Il est vrai qu’il y a un délai appréciable entre la production du rapport d’évaluation médicale du Dr Tran et la demande de la CSST au Bureau d’évaluation médicale. Toutefois ce délai apparaît justifiable compte tenu des circonstances particulières du dossier.
[24] Le Dr Tran émet son rapport d’évaluation médicale le 22 janvier 2003. C’est le 29 janvier 2004 que la CSST soumet une demande au Bureau d’évaluation médicale sur la base d’un rapport médical de son médecin désigné, le Dr Jacques Murray, chirurgien orthopédiste, rapport du 17 octobre 2003 reçu par la CSST le 14 novembre 2003. Toutefois le cheminement du dossier au cours de cette année qui s’écoule après le rapport d’évaluation médicale du Dr Tran s’explique par les faits suivants.
[25] Dans son rapport d’évaluation médicale, le Dr Tran consolide la lésion au 21 janvier 2003 sur la base de diagnostics de hernies discales lombaires L2-L3 et L4-L5 avec radiculopathies. L’employeur obtient une évaluation auprès du Dr André Gilbert, chirurgien orthopédiste, qui signe son rapport le 30 avril 2003. Celui-ci conclut à un diagnostic de hernie discale L4-L5 centro-latérale gauche. Il considère que la lésion n’est pas consolidée et il suggère d’envisager une chirurgie. L’employeur avise la CSST le 8 mai suivant qu’il ne soumet pas de demande au Bureau d’évaluation médicale.
[26] Toutefois quelques jours plus tard la CSST reçoit copie des notes cliniques du Dr Tran, notes cliniques qui révèlent que le travailleur a consulté le Dr Tran un an avant l’accident d’octobre 2002 pour une symptomatologie semblable. Après avoir revu le dossier avec un comité de travail, l’agent de la CSST note ceci au dossier :
Les notes médicales antérieures démontrent la présence d’hernie discale L2-L3 , L4-L5. À acheminer au md [médecin] désigné de l’E [employeur] afin d’obtenir un complément suite à l’expertise du 03.04.30 par le Dr Gilbert (non reçue). Si aucune possibilité d’aller au BEM, revoir chef d’équipe pour 204.
[27] Le procureur du travailleur reproche à la CSST d’être intervenu auprès du médecin de l’employeur pour obtenir un changement d’opinion. La soussignée ne peut retenir cet argument. Il apparaît clairement du rapport du Dr Gilbert qu’il n’avait pas à son dossier ces informations plus que pertinentes sur les antécédents du travailleur. Il rapportait uniquement un épisode de douleur lombaire, sans conséquence, survenu il y a quatre ou cinq ans à la suite de la manipulation d’une transmission de véhicule. Devant des informations nouvelles de cette nature, la CSST a jugé à bon droit qu’elle devait en informer le médecin désigné de l’employeur. Rien au dossier n’indique qu’elle est intervenue directement pour influencer l’opinion de ce dernier mais elle lui a transmis des éléments jusque-là inconnus susceptibles d’avoir un impact sur l’évaluation du dossier.
[28] Après avoir pris connaissance des notes cliniques du Dr Tran, le Dr Gilbert conclut dans un rapport complémentaire du 2 juillet 2003 que le travailleur «était déjà symptomatique lorsque survient l’évènement invoqué d’octobre 2002 et que la hernie discale L4-L5 était très bien documentée tant sur le plan clinique que radiologique». Il conclut donc que la chute d’octobre 2002 n’a pas causé la hernie discale puisqu’elle était déjà présente et symptomatique.
[29] Ce n’est que le 5 septembre que la représentante de l’employeur à cette époque6 avise la CSST que l’employeur ne soumettra pas de demande au Bureau d’évaluation médicale. La CSST décide immédiatement d’enclencher elle-même la procédure de contestation médicale. Elle désigne le Dr Murray et l’examen a lieu le 9 octobre suivant. Elle obtient par la suite conformément à la loi deux rapports complémentaires, celui du Dr Tran et celui du Dr Denis Ladouceur qui assure lui aussi le suivi du travailleur. Puis le processus d’évaluation médicale suit son cours habituel.
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6 Mme Pelletier, de la firme AON.
[30] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles estime que le délai d’un an demeure acceptable. La CSST a obtenu des renseignements médicaux nouveaux et importants qu’elle a d’abord transmis à l’employeur. Constatant que l’employeur n’exerçait pas ses droits de contestation, la CSST a décidé de le faire elle-même ce que la loi lui permet. Le travailleur continuait d’être indemnisé, il n’a pas subi de préjudice de ce délai.
[31] La Commission des lésions professionnelles a déjà reconnu des délais semblables comme justifiés par des circonstances particulières, entre autres, dans Agri-Aide Laurentides inc. et Prévost7 dans laquelle un délai de neuf mois a été jugé acceptable de même que dans Tye-Sil Corporation ltée et St-Cyr8 , où il s’agissait d’un délai d’environ 12 mois.
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7 C.L.P. 133153-61-0003, 29 août 2000, S. Di Pasquale
8 C.L.P. 87035-73-9703, 14 décembre 2000, C.-A Ducharme
[32] Le moyen de droit soulevé par le travailleur est donc rejeté. La procédure d’évaluation médicale qui a conduit à l’avis du Bureau d’évaluation médicale n’est pas viciée.
[14] À la lecture de cet exposé, il est permis de constater que le moyen préalable est identifié, que les articles de loi pertinents s’avèrent cités et que le cheminement subséquent se révèle méthodique, cohérent et motivé.
[15] La première commissaire énonce clairement les motifs qui l’amènent à conclure que l’avis du Bureau d’évaluation médicale doit être considéré régulier dans le présent dossier en analysant toutes les étapes de la procédure médicale, pour finalement conclure que les dispositions de l’article 217 de la loi s’avèrent respectées.
[16] Or, non seulement cette analyse ne comporte aucune erreur manifeste de droit ou de faits, mais elle se révèle fort rigoureuse et le tribunal ne peut certes intervenir en vertu des critères précités.
[17] En ce qui a trait à l’arrêt de la Cour d’appel déposé par le procureur du travailleur, celui-ci admet que la question soumise à la Cour d’appel s’avère différente du litige contenu dans le présent dossier.
[18] Relativement à l’argument subsidiaire soulevé par le procureur du travailleur, il ne tient manifestement pas la route car il va à l’encontre des critères ci-haut énoncés et a pour but de bonifier la preuve initialement présentée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossiers 232908, 234799 et 250117
REJETTE la requête en révision de monsieur Garcia Isaias.
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Michel Denis |
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Commissaire |
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Me Charles Magnan |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Céline Servant |
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BÉCHARD MORIN ET ASS. |
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Représentante de la partie intéressée |
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Me Martine St-Jacques |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR LE TRAVAILLEUR |
Lapointe c. Commission des lésions professionnelles et Diane Taillon, Micheline Bélanger et Diane Beauregard et Sécuribus inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.A. 500-09-013413-034, 19 mars 2004, jj. Forget, Dalphond, Rayle
Morin et José & Georges inc. C.L.P., 154442-64-0101, 24 septembre 2001, R. Daniel
JURISPRUDENCE DÉPOSÉE PAR L’EMPLOYEUR
Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la petite-Nation et Commission de la santé et de la sécurité du travail C.L.P., 214190-07-0308-R, 20 décembre 2005, L. Nadeau
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.