Décision

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Huard et Société canadienne des postes

2007 QCCLP 1136

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

21 février 2007

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

199404-71-0302      200157-71-0302      236458-71-0406

 

Dossier CSST :

120438817

 

Commissaire :

Francine Juteau

 

Membres :

Lise Tourangeau-Anderson, associations d’employeurs

 

Louise Larivée, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

199404-71-0302      236458-71-0406

200157-71-0302

 

 

Lyne Huard

Société canadienne des postes

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Société canadienne des postes

Lyne Huard

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossiers 199404-71-0302 et 200157-71-0302

[1]                Le 7 février 2003, madame Lyne Huard (la travailleuse) et le 19 février 2003, Société canadienne des postes (l’employeur) déposent tous deux une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle ils contestent une décision rendue le 17 janvier 2003 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme deux décisions rendues le 31 octobre 2002 à la suite de l’avis émis par un membre du Bureau d'évaluation médicale le 15 octobre 2002 et confirme une décision rendue le 1er novembre 2002. La CSST déclare que la lésion professionnelle de la travailleuse est consolidée le 20 juillet 2002, date à laquelle les soins ont été suffisants et déclare que la travailleuse est porteuse d’un pourcentage d’atteinte permanente et qu’elle conserve des limitations fonctionnelles lui donnant droit à la poursuite du versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que la CSST se prononce sur sa capacité à exercer un emploi.

Dossier 236458-71-0406

[3]                Le 9 juin 2004, la travailleuse dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 21 avril 2004 par la CSST à la suite d’une révision administrative.

[4]                Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 9 septembre 2003 et refuse de reconnaître une relation entre le diagnostic de dépression majeure secondaire et la lésion professionnelle du 9 juillet 2001.

[5]                La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Montréal le 23 novembre 2006 à laquelle assistaient les parties dûment représentées.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

[6]                Les parties conviennent de procéder uniquement sur le moyen préalable soulevé par la procureure de l’employeur portant sur l’irrégularité de la procédure d’évaluation médicale ayant mené au rapport du membre du Bureau d'évaluation médicale émis le 15 octobre 2002. L’employeur soutient que le processus est irrégulier et que la décision qui fait suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale est nulle et sans effet. Ainsi, la CSST était liée par l’opinion du médecin traitant énoncée dans son rapport complémentaire du 23 juillet 2002.

[7]                La procureure de la travailleuse soumet que la procédure d'évaluation médicale est régulière tout comme la décision faisant suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale. Subsidiairement, elle soumet que le rapport du membre du Bureau d'évaluation médicale doit être considéré au même titre que toute autre preuve médicale au dossier.

LES FAITS RELATIFS AU MOYEN PRÉALABLE

[8]                Madame Huard subit une lésion professionnelle le 9 juillet 2001 alors qu’elle ressent une douleur au dos du côté gauche lorsqu’elle dépose un sac lourd sur une table de travail.

[9]                La travailleuse consulte et les médecins font état de douleurs thoraciques, thoracalgie, entorse costale et fracture de la onzième côte gauche. La travailleuse est prise en charge par le docteur Soucy.

[10]           Le diagnostic en relation avec la lésion professionnelle est établi par un membre du Bureau d'évaluation médicale, le docteur J. Duranceau, physiatre, dans son avis émis le 19 février 2002. Il retient que la travailleuse s’est infligée une fracture de la onzième côte gauche. À cette date, le médecin est d’avis que la lésion n’est pas consolidée.

[11]           La travailleuse poursuit ses consultations auprès du docteur Soucy qui recommande l’assignation temporaire en raison de douleurs chroniques.

[12]           Le 20 mars 2002, le docteur Soucy fait état de l’absence d’amélioration et de douleurs persistantes. Il se questionne sur l’existence d’une cellulalgie au niveau du thorax. Il poursuit la recommandation des travaux légers pour un mois.

[13]           Il appert des notes évolutives au dossier que le 14 mai 2002, le médecin de la CSST, le docteur Zaharia, communique avec le docteur Soucy et note que ce dernier considère que la travailleuse a atteint un plateau thérapeutique et qu’il a de la difficulté à expliquer la persistance de douleur résiduelle. Le docteur Soucy demande une expertise de support.

[14]           À la suite de cette conversation téléphonique, la CSST demande au docteur M. Goulet, de procéder à l’expertise de la travailleuse conformément aux dispositions de l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[15]           Le 20 juin 2002, le docteur Goulet examine la travailleuse. Dans son rapport émis le 21 juin 2002, le médecin estime que la lésion de la travailleuse est consolidée le 20 juin 2002, que la travailleuse ne nécessite pas de traitements particuliers et qu’elle ne conserve ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de sa lésion.

[16]           Le 9 juillet 2002, la CSST fait parvenir au docteur Soucy copie de l’expertise réalisée par le docteur Goulet, lui demandant de répondre au rapport complémentaire joint à son envoi afin de signifier son accord avec les conclusions du professionnel de la santé désigné ou, dans le cas contraire, d’étayer ses conclusions. La CSST indique au médecin qu’il dispose d’un délai de 30 jours pour produire le rapport complémentaire.

[17]           Il appert du dossier médical qu’à cette période, le 6 juillet et le 8 août 2002, la travailleuse consulte le docteur Vinh qui fait état d’une fracture avec douleur persistante et dirige la travailleuse en orthopédie. Il poursuit, lors des deux consultations, la recommandation de l’assignation temporaire à des travaux légers.

[18]           Bien que le docteur Soucy signe le rapport complémentaire le 23 juillet 2002, celui-ci est reçu à la CSST le 26 août 2002, tel qu’en fait foi l’estampille de la CSST. Dans ce rapport, le docteur Soucy écrit ce qui suit :

Je suis en tout point d’accord avec le rapport d’expertise.

 

 

[19]           À la suite de la réception de ce rapport, la CSST décide de soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale. L’agente de la CSST complète un formulaire le 27 août 2002 requérant une évaluation du Bureau d'évaluation médicale en raison d’un diagnostic de fracture de la onzième côte gauche. La CSST inscrit différentes informations concernant des dates des rapports médicaux qu’elle soumet au Bureau d'évaluation médicale. Le rapport du docteur Goulet, du 21 juin 2002, de même que le rapport complémentaire du docteur Soucy, du 9 juillet 2002, qu’elle indique avoir reçu le 26 août 2002. Elle inscrit également la date du rapport médical du docteur Soucy du 20 mars 2002. Elle demande au membre du Bureau d'évaluation médicale de se prononcer sur la date de consolidation, la nature des traitements, de même que l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles. Elle oppose le rapport du médecin traitant du 20 mars 2002 qui se prononce sur la date de consolidation et la nécessité de traitements. La CSST indique qu’elle transmet le dossier au Bureau d'évaluation médicale le 30 août 2002.

[20]           Il appert des documents au dossier que le docteur Lacoste est désigné à titre de membre du Bureau d'évaluation médicale le 3 septembre 2002. Le dossier de la travailleuse est toutefois transmis au membre du Bureau d'évaluation médicale le 8 octobre 2002, date de l’examen réalisé par le membre du Bureau d'évaluation médicale.

[21]           Ainsi, après avoir procédé à l’examen de la travailleuse, le docteur Lacoste produit son rapport d’évaluation médicale le 15 octobre 2002. La CSST le reçoit le 16 octobre 2002. Le docteur Lacoste conclut que la fracture de la onzième côte gauche que s’est infligée la travailleuse le 9 juillet 2001 est consolidée le 20 juillet 2002 et qu’il n’y a pas lieu de continuer des traitements de physiothérapie ou d’ergothérapie. Toutefois, il souligne que la travailleuse pourrait recevoir des analgésiques mineurs et au besoin, des infiltrations. Il évalue le déficit anatomo-physiologique de la travailleuse à 1,5 % et émet des limitations fonctionnelles.

[22]           Conformément aux dispositions de l’article 224.1 de la loi, le 31 octobre 2002, la CSST rend une décision donnant suite à l’avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale le 15 octobre 2002. Cette décision est confirmée par la CSST à la suite d’une révision administrative le 17 janvier 2003 et fait l’objet du présent litige.

[23]           La procureure de l’employeur prétend que la décision rendue par la CSST à la suite de l’avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale doit être annulée puisque la procédure d'évaluation médicale est irrégulière. Essentiellement, l’employeur plaide que la CSST ne pouvait pas soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale puisqu’il y avait absence de divergence entre le médecin désigné par la CSST et le médecin traitant de la travailleuse sur l’un des sujets prévus à l’article 212 de la loi. La procureure de l’employeur souligne que le médecin traitant était d’accord avec l’expertise réalisée par le docteur Goulet, tel qu’il l’indique clairement dans son rapport complémentaire du 26 août 2002. La procédure d'évaluation médicale est donc irrégulière et la CSST demeurait liée par les conclusions du médecin traitant émises dans son rapport complémentaire du 26 août 2002 conformément aux dispositions de l’article 224 de la loi. Elle soumet de la jurisprudence au soutien de ses prétentions.

[24]           La procureure de la travailleuse soumet pour sa part que c’est à juste titre que la CSST a soumis le dossier au Bureau d'évaluation médicale puisqu’il subsistait un désaccord entre le médecin désigné et le médecin traitant sur plusieurs sujets prévus à l’article 212 de la loi. Essentiellement, la procureure de la travailleuse plaide que la CSST n’était pas liée par le rapport complémentaire du 26 août 2002 puisque le médecin traitant a émis ce rapport à l’extérieur du délai de 30 jours prévu à l’article 205.1 de la loi. Elle soumet que le défaut de respecter ce délai de 30 jours fait en sorte que la CSST n’était pas tenue de prendre en considération ce rapport. De la sorte, il subsistait un différend entre les conclusions du docteur Goulet et celles du médecin traitant qui n’avait pas consolidé la lésion de la travailleuse et qui reconduit son opinion sur ce point par la suite. Elle ajoute également qu’il existait une divergence entre le médecin traitant et le médecin désigné par la CSST sur la question de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, le médecin traitant ne s’étant pas prononcé sur ces questions. Elle soumet de la jurisprudence pour illustrer sa prétention qu’un rapport complémentaire visé à l’article 205.1 et émis en dehors du délai de 30 jours n’est pas valide.

[25]           En réplique à l’argument du délai concernant le rapport complémentaire visé par l’article 205.1 de la loi, la procureure de l’employeur répond qu’il n’existe aucune disposition dans la loi qui prévoit l’invalidité d’un rapport complémentaire soumis après le délai prévu à cette disposition. Elle attire l’attention sur le fait que la CSST avait en main le rapport complémentaire du médecin traitant lorsqu’elle a soumis le dossier au Bureau d'évaluation médicale et rappelle que c’est l’absence de divergence entre l’opinion des deux médecins qui invalide la procédure d'évaluation médicale. Elle soumet qu’à compter du moment où la CSST avait en main l’information concernant le rapport complémentaire, elle savait qu’elle ne pouvait saisir le Bureau d'évaluation médicale du dossier.

L’AVIS DES MEMBRES

[26]           La membre issue des associations syndicales et la membre issue des associations d’employeurs sont d’avis que la procédure d'évaluation médicale suivie par la CSST ayant mené à l’obtention d’un avis par le membre du Bureau d'évaluation médicale est irrégulière. Elles sont d’avis que la procédure d'évaluation médicale doit être enclenchée à condition qu’il existe un différend entre les opinions soumises. Le but du Bureau d'évaluation médicale étant de donner une opinion lorsqu’il y a désaccord sur des questions médicales. Elles estiment que l’opinion du médecin traitant en l’espèce s’accorde avec celle du médecin désigné par la CSST et que le délai à produire le rapport complémentaire par le médecin traitant n’a aucune incidence sur la validité de celui-ci.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LE MOYEN PRÉALABLE

[27]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision rendue par la CSST à la suite de l’avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale a été régulièrement rendue et si la CSST était liée par l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale conformément aux dispositions de l’article 224.1 de la loi.

[28]           Pour disposer de l’argument de l’employeur voulant qu’il n’y ait pas de différend entre l’opinion du médecin traitant et celle du médecin désigné, la Commission des lésions professionnelles doit d’abord répondre à l’argument de la procureure de la travailleuse qui soumet que le rapport complémentaire visé par l’article 205.1 de la loi complété par le médecin traitant n’est pas valide et n’a pas à être pris en considération puisque la position de l’employeur est fondée sur l’opinion retenue par le médecin traitant dans ce rapport complémentaire.

[29]           Pour trancher de la question en litige, la Commission des lésions professionnelles se réfère aux dispositions de la loi au chapitre VI portant sur la procédure d'évaluation médicale et plus particulièrement aux articles 204, 205.1, 206, 212, 221, 222, 224 et 224.1 :

204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.

 

La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115.

__________

1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.

 

La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216.

__________

1997, c. 27, a. 3.

 

 

206. La Commission peut soumettre au Bureau d'évaluation médicale le rapport qu'elle a obtenu en vertu de l'article 204, même si ce rapport porte sur l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 sur lequel le médecin qui a charge du travailleur ne s'est pas prononcé.

__________

1985, c. 6, a. 206; 1992, c. 11, a. 13.

 

 

212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants:

 

1°   le diagnostic;

 

2°   la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;

 

3°   la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;

 

4°   l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;

 

5°   l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

 

L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.

__________

1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.

 

 

221. Le membre du Bureau d'évaluation médicale, par avis écrit motivé, infirme ou confirme le diagnostic et les autres conclusions du médecin qui a charge du travailleur et du professionnel de la santé désigné par la Commission ou l'employeur, relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, et y substitue les siens, s'il y a lieu.

 

Il peut aussi, s'il l'estime approprié, donner son avis relativement à chacun de ces sujets, même si le médecin qui a charge du travailleur ou le professionnel de la santé désigné par l'employeur ou la Commission ne s'est pas prononcé relativement à ce sujet.

__________

1985, c. 6, a. 221; 1992, c. 11, a. 23.

 

 

222. Le membre du Bureau d'évaluation médicale rend son avis dans les 30 jours de la date à laquelle le dossier lui a été transmis et l'expédie sans délai au ministre, avec copie à la Commission et aux parties.

__________

1985, c. 6, a. 222; 1992, c. 11, a. 24.

 

 

224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.

 

Lorsque le membre de ce Bureau ne rend pas son avis dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par le rapport qu'elle a obtenu du professionnel de la santé qu'elle a désigné, le cas échéant.

 

Si elle n'a pas déjà obtenu un tel rapport, la Commission peut demander au professionnel de la santé qu'elle désigne un rapport sur le sujet mentionné aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 qui a fait l'objet de la contestation; elle est alors liée par le premier avis ou rapport qu'elle reçoit, du membre du Bureau d'évaluation médicale ou du professionnel de la santé qu'elle a désigné, et elle rend une décision en conséquence.

 

La Commission verse au dossier du travailleur tout avis ou rapport qu'elle reçoit même s'il ne la lie pas.

__________

1992, c. 11, a. 27.

 

 

[30]           La procureure de la travailleuse soumet que la CSST n’avait pas à prendre en considération l’opinion émise par le médecin traitant dans son rapport complémentaire du 26 août 2002 puisque celui-ci n’a pas été produit dans le délai de 30 jours tel que prévu à l’article 205.1 de la loi.

[31]           La lecture de l’article 205.1 confirme l’existence du délai de 30 jours accordé au médecin traitant pour fournir à la CSST un rapport complémentaire. Cette disposition demeure toutefois muette quant aux conséquences du non-respect de ce délai et aucune autre disposition de la loi ne traite des conséquences possibles du non-respect de ce délai.

[32]           La lecture du chapitre VI de la loi concernant la procédure d'évaluation médicale permet de constater que d’autres dispositions sont assorties d’un délai et de conséquence du non-respect de ce délai. Ainsi, l’article 224.1 réfère au délai prévu à l’article 222 de même que l’article 225 qui prévoit un délai et les conséquences pour le non-respect de celui-ci.

[33]           Également, la jurisprudence a interprété d’autres dispositions relatives au chapitre VI de la loi qui prévoit des délais retenant que le non-respect de ceux-ci pouvait entacher d’irrégularité la procédure d'évaluation médicale.

[34]           La Commission des lésions professionnelles estime que ce n’est pas le cas en l’espèce. Ni les dispositions de la loi ni la jurisprudence n’ont jusqu’à ce jour conclu à l’invalidité du rapport complémentaire en cas du non-respect du délai prévu à l’article 205.1 de la loi.

[35]           La procureure de la travailleuse a déposé de la jurisprudence relative au délai prévu à l’article 205.1 de la loi. Il ressort des décisions déposées que la CSST peut demander un avis au Bureau d'évaluation médicale même si le médecin traitant n’a pas produit de rapport complémentaire visé par l’article 205.1 de la loi. D’ailleurs, cette disposition n’impose pas une obligation pour le médecin traitant à se prévaloir de la possibilité de produire une rapport complémentaire mais lui en offre la possibilité. Il s’agit donc d’une disposition facultative. S’il ne s’en prévaut pas, cela n’a pas de conséquence dans la procédure d’acheminement du dossier au Bureau d'évaluation médicale.

[36]           La procureure de la travailleuse soumet l’affaire Desjardins et Électrolux[2], dans laquelle la commissaire conclut que la procédure d'évaluation médicale a été régulièrement suivie car même si le médecin traitant n’a pas produit le rapport complémentaire visé par l’article 205.1 de la loi, l’opposition entre l’opinion du médecin traitant et celle du médecin désigné demeure.

[37]           Également, dans l’affaire Chartray et Fruit of the Loom Canada inc.[3], la Commission des lésions professionnelles note deux accrocs au délai prévu à l’article 205.1 de la loi en ce que le dossier a été soumis au Bureau d'évaluation médicale par la CSST avant la réception du rapport complémentaire du médecin traitant et en ce que le médecin traitant a produit son rapport complémentaire après le délai de 30 jours prévu à l’article 205.1 de la loi. La Commission des lésions professionnelles conclut que cette situation n’entrave pas la procédure d'évaluation médicale et constate que malgré l’absence du rapport complémentaire, il demeure que l’opinion du médecin désigné infirme les conclusions du médecin traitant.

[38]           Ces deux décisions soumises par la procureure de la travailleuse permettent donc de constater que même si le médecin traitant n’a pas produit le rapport complémentaire, la procédure d'évaluation médicale peut suivre son cours. Ceci s’harmonise avec l’absence d’obligation du médecin traitant de produire ce rapport.

[39]           Toutefois, qu’en est-il lorsque ce rapport est produit en dehors du délai de 30 jours prévu à cette disposition?

[40]           En tout respect pour l’opinion émise par la procureure de la travailleuse, la Commission des lésions professionnelles estime que la décision qu’elle soumet dans l’affaire Bérubé et Pétro Canada[4] démontre plutôt que malgré sa production tardive, le rapport complémentaire doit être pris en considération.

[41]           En effet, dans cette affaire, la CSST n’avait pas reçu le rapport complémentaire visé à l’article 205.1 de la loi dans le délai de 30 jours. Toutefois, la commissaire discute de la teneur de ce rapport pour confirmer la persistance d’une opposition entre les opinions médicales au dossier et justifier la validité de la procédure d'évaluation médicale. Le présent tribunal estime que dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles a considéré qu’il y avait lieu de tenir compte des éléments consignés par le médecin traitant dans ce rapport afin de déterminer si la procédure d'évaluation médicale avait été suivie de façon régulière. En analysant son contenu, elle lui accorde donc une validité malgré sa production tardive.

[42]           Tout comme dans les autres décisions soumises par la procureure de la travailleuse, c’est l’existence d’une divergence entre les opinions médicales qui justifie le recours à la procédure d'évaluation médicale, indépendamment du délai prévu à l’article 205.1 de la loi.

[43]           La Commission des lésions professionnelles estime donc que pour déterminer si un rapport complémentaire visé par l’article 205.1 de la loi conserve sa validité malgré sa production tardive, il faut d’abord considérer le but recherché lorsqu’un avis est demandé au Bureau d'évaluation médicale.

[44]           Pour discuter de cette question, il est utile de rappeler que les dispositions de la loi au chapitre de la procédure d'évaluation médicale permettent de constater que le législateur reconnaît la primauté de l’opinion émise par le médecin qui a charge du travailleur. En effet, son opinion lie la CSST sur les cinq points prévus à l’article 212 de la loi suivant les termes de l’article 224 de la loi. La primauté de l’opinion du médecin traitant peut être remise en question tant par la CSST que par l’employeur suivant une procédure précise établie au chapitre VI de la loi. À défaut de contestation, l’avis du médecin traitant prime.

[45]           La CSST et l’employeur peuvent se prévaloir de la procédure d'évaluation médicale lorsqu’il y a désaccord ou contestation de l’opinion du médecin traitant sur l’un des cinq points prévus à l’article 212 de la loi. S’il n’y a pas de contestation, donc de désaccord sur les question médicales, il n’y a pas lieu de soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale. En effet, le rôle du Bureau d'évaluation médicale est de donner son opinion dans le but de régler un désaccord qui existe entre des opinions médicales contradictoires au dossier.

[46]           Dans cet esprit, la jurisprudence a confirmé à de nombreuses reprises, tel qu’elle le fait dans l’affaire Gauthier et Ville de Shawinigan[5], que la CSST ne peut, par le biais de la procédure d'évaluation médicale devant le Bureau d'évaluation médicale, remettre en cause l’un des éléments prévus à l’article 212 de la loi qui n’est pas infirmé par le médecin de la CSST ou qui fait l’objet d’un accord par le médecin qui a charge dans son rapport complémentaire.

[47]           S’il n’y a pas de litige sur des questions médicales, il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure d'évaluation médicale et demander un avis au Bureau d'évaluation médicale.

[48]           La Commission des lésions professionnelles estime qu’il n’y a pas davantage lieu de poursuivre la procédure d'évaluation médicale même si l’information qui confirme qu’il n’y a plus de litige sur des questions médicales est connue après l’expiration du délai prévu à l’article 205.1 de la loi puisque la raison d’être de la demande au Bureau d'évaluation médicale n’existe plus.

[49]           Le but de la procédure d'évaluation médicale doit être considéré pour décider de la question en litige et déterminer le sens à donner à l’existence d’un délai comme celui prévu à l’article 205.1 de la loi qui se retrouve dans le chapitre de la procédure d'évaluation médicale.

[50]           D’ailleurs, la jurisprudence soumise par la procureure de la travailleuse, qui discute de l’article 205.1 de la loi, ne fait que confirmer le raisonnement voulant que la validité de la procédure d'évaluation médicale repose sur l’existence d’une opposition entre les opinions médicales au dossier.

[51]           Ces considérations amènent la Commission des lésions professionnelles à conclure que même si le rapport complémentaire du docteur Soucy a été produit le 26 août 2002 et qu’il ne respecte pas le délai de 30 jours prévu à l’article 205.1 de la loi, ce rapport demeure valide et doit être pris en considération pour déterminer la régularité de la procédure d'évaluation médicale en l’espèce.

[52]           Or, dans ce rapport, le docteur Soucy indique clairement, et sans ambiguïté, qu’il est d’accord avec tous les points sur lesquels le docteur Goulet s’est prononcé dans son rapport du 20 juin 2002. La Commission des lésions professionnelles considère que de la sorte, le médecin traitant s’est prononcé sur l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles puisqu’il donne son accord sur ces sujets qui avaient été traités par le docteur Goulet.

[53]           La lecture de l’opinion du docteur Soucy ne comporte aucun élément qui pourrait requérir une interprétation. Il s’agit d’un avis clair et précis qui n’a pas à être interprété davantage. La Commission des lésions professionnelles convient que lorsqu’il y a ambiguïté dans la rédaction de l’opinion du médecin traitant, tel que cela s’est présenté dans l’affaire Bérubé et Pétro Canada[6], il peut y avoir matière à interprétation. Toutefois, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, ce n’est pas le cas dans la présente affaire en raison du texte clair et précis consigné par le docteur Soucy.

[54]           Considérant ces éléments, la Commission des lésions professionnelles estime qu’en l’absence de désaccord entre l’opinion du médecin traitant et celle du médecin désigné par la CSST, il n’y avait pas lieu pour la CSST de soumettre le dossier au Bureau d'évaluation médicale. La procédure d'évaluation médicale est irrégulière et les décisions qui font suite à l’avis émis par le membre du Bureau d'évaluation médicale doivent être annulées. La CSST demeure liée par les conclusions émises par le médecin qui a charge dans son rapport complémentaire du 26 août 2002. De la sorte, la lésion de la travailleuse est consolidée le 20 juin 2002, la travailleuse a reçu suffisamment de traitements à cette date et elle ne conserve ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle du 9 juillet 2001.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossiers 199404-71-0302, 200157-71-0302 et 236458-71-0406

ACCUEILLE le moyen préalable soulevé par l’employeur, Société canadienne des postes;

MODIFIE la décision rendue le 17 janvier 2004 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

ANNULE les décisions rendues le 31 octobre 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

DÉCLARE que la lésion professionnelle de madame Lyne Huard, la travailleuse, est consolidée le 20 juin 2002, que la travailleuse a reçu suffisamment de soins à cette date et qu’elle ne conserve ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles de sa lésion professionnelle;

CONVOQUERA les parties à une audience sur le fond de la contestation de la travailleuse dans le dossier 236458-71-0406.

 

 

__________________________________

 

Francine Juteau

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Céline Allaire

Philion Leblanc Beaudry

Représentante de la partie requérante

 

 

M. Luc St-Hilaire

Société canadienne des postes

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           C.L.P. 149947-63-0011, 17 mars 2005, D. Beauregard.

[3]           C.L.P. 200440-04-0302, 19 février 2004, L. Collin.

[4]           C.L.P. 218879-63-0310, 31 mars 2005, F. Mercure.

[5]           C.L.P. 233087-04-0404, 8 juin 2005, J.-F. Clément.

[6]           Précitée, note 4.

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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.