Lacerte et Cadorette Marine Co. (fermée) |
2010 QCCLP 5435 |
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Québec |
21 juillet 2010 |
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Région : |
Mauricie-Centre-du-Québec |
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Dossier CSST : |
096262670 |
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Commissaire : |
Pierre Simard, juge administratif |
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Membres : |
Jean-Marie Trudel, associations d’employeurs |
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Christian Pitel, associations syndicales |
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Partie requérante |
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Cadorette Marine Co. (fermée) |
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Partie intéressée |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 12 janvier 2009, monsieur Pierre Lacerte (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision et/ou révocation à l’encontre d’une décision rendue par notre tribunal, le 9 décembre 2008.
[2] Par cette décision, le tribunal disposait d’une requête en révision et/ou révocation déposée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 3 juillet 2008. La première juge administrative accueillait la requête en révision et procédait à réviser la décision rendue le 3 juillet 2008, en rétablissant la décision initiale émise par la Commission des lésions professionnelles, le 13 février 2008.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Montréal, le 13 janvier 2010. Le travailleur était présent et représenté par Me Michel Cyr. La représentante de la CSST était également présente. Cadorette Marine Co. (l’employeur) était absent, cette compagnie n’étant plus en activité.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande d’accueillir la requête concernant les deux révisions et/ou révocations et de rétablir la décision rendue le 8 août 2008, déclarant qu’il fut victime d’une récidive, rechute ou aggravation le ou vers le 4 mai 2007, lui donnant le droit de recevoir les prestations prévues par la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont unanimes pour recommander à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la requête en révision déposée par le travailleur, le 12 janvier 2009, requête datée du 9 janvier de la même année, pour les mêmes motifs que ceux énoncés à la décision.
[6] Plus spécifiquement, les membres ajoutent que cette troisième requête en révision porte essentiellement sur la remise en jeu de l’appréciation de la preuve qu’ont dû faire les juges administratifs ayant émis les décisions antérieures. Le travailleur n’a pas démontré que la décision attaquée comportait des erreurs manifestes et déterminantes.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles est saisie d’une troisième requête en révision pour cause dans le débat portant sur la reconnaissance ou non de l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation, le 4 mai 2007.
[8] D’entrée de jeu, le tribunal rappelle que le législateur québécois a voulu s’assurer de la stabilité ou de la sécurité juridique des parties en prévoyant à l’article 429.49 de la loi que la décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Toutefois, l’article 429.56 de la loi permet au tribunal de réviser une de ses décisions, dans les circonstances qui y sont décrites, conformément aux différents paragraphes.
[10] Dans le présent cas, le travailleur invoque devant le tribunal que la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, agissant en révision pour cause, comporte des vices de fond ou de procédure qui sont de nature à l’invalider.
[11] L’article 429.56 de la loi prévoit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[12] La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles interprète la notion de vice de fond comme étant une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’issu du litige[2].
[13] D’autre part, le tribunal n’a pas à se demander s’il aurait rendu la même décision, mais doit se limiter à vérifier si la décision attaquée est entachée d’une erreur à ce point fondamentale, évidente et déterminante qu’elle doive entraîner sa nullité[3].
[14] Dans l’affaire Bourassa et Commission des lésions professionnelles[4], la Cour d’appel du Québec a donné son aval à la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles quant à la notion des vices de fond.
[15] Elle a pris cependant la peine de rappeler que, sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit pas constituer un appel déguisé sur la base des mêmes faits, ni une invitation faite à un juge administratif de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation, ni une occasion aux parties d’ajouter de nouveaux arguments.
[16] Dans d’autres arrêts[5], la Cour d’appel du Québec a très récemment affirmé de nouveau qu’une décision attaquée pour vice de fond ne peut pas faire l’objet d’une révision interne à moins d’être entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant sont démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel affirme que l’on doit reconnaître la primauté ou l’autorité de la première décision, de sorte que le tribunal siégeant en révision doit faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision contestée, notamment à cause de la finalité de la justice administrative.
[17] Comme l’a déjà souligné la Commission des lésions professionnelles, on ne peut pas multiplier les requêtes en révision autant de fois qu’on le juge à propos. Une requête en révision d’une « décision en révision » doit démontrer qu’il existe une nouvelle cause de révision en rapport avec cette deuxième décision. Il en va de même lorsqu’il s’agit d’une troisième requête.
[18] Notre tribunal s’exprime ainsi dans l’affaire Rivard et CLSC des Trois-Vallées[6] :
« […]
[29] Quoi qu'il en soit, et même si la présente requête est considérée comme étant une deuxième requête en révision ou révocation, elle est quand même recevable. La Commission des lésions professionnelles considère que bien que des requêtes en révision ne peuvent être présentées ad infinitum, il n'est pas inconcevable qu'une deuxième requête en révision dans un même dossier puisse être jugée recevable, s'il existe une nouvelle cause de révision en rapport avec cette deuxième décision. Le législateur n'a certes pas voulu que le tribunal ne puisse se réviser à nouveau dans un tel cas1.
______________
1 Arcand et Commission scolaire des Laurentides, [1994], C.A.L.P. 57 .
[…] »
[19] Une fois ces principes juridiques établis, le tribunal résume, succinctement, les éléments du dossier ayant mené à l’introduction de la présente requête en révision.
[20] Le 13 février 2008, la Commission des lésions professionnelles disposait de différents litiges rapportés à cette décision.
[21] Plus spécifiquement, la première juge administrative, à cette décision CLP 1, rejetait les contestations déposées par le travailleur et confirmait les décisions rendues par la CSST, le 14 septembre 2004, le 3 janvier 2007 et le 10 septembre 2007.
[22] Dans les objets en litige, on concluait que la récidive, rechute ou aggravation datée du 24 janvier 2002 subie par le travailleur était consolidée le 2 avril 2004, sans nécessité de traitements subséquents. On déclarait que le travailleur était capable d’exercer l’emploi convenable déjà retenu, soit celui de gardien de stationnement. Son droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu réduite est préservé.
[23] De plus, on ajoutait que le travailleur n’avait pas subi de récidive, rechute ou aggravation, le 14 juin 2006, ainsi que le 10 septembre 2007.
[24] Pour en arriver à cette décision, la première juge administrative a entendu le travailleur ainsi que les représentants de la CSST. La première juge administrative disposait du dossier documentaire et s’est vu administrée une preuve qu’elle résume à sa section « Les faits ».
[25] Il est bon de souligner que la première juge administrative, dans cette section, fait un résumé complet des différentes opinions médicales, expertises et examens disponibles.
[26] Le tribunal constate que la première juge administrative s’est particulièrement intéressée à l’examen effectué par le docteur Des Marchais, le 2 avril 2004, ainsi qu’à son avis médical.
[27] Elle poursuit avec l’opinion émise par le docteur Denis Laflamme, le 1er juin 2004, ainsi que l’opinion émise par le docteur Pierre Laplante, le 23 février 2006.
[28] Dans le contexte d’une nouvelle réclamation pour récidive, rechute ou aggravation, en date du 14 juin 2006, la première juge administrative s’intéresse aux différents documents médicaux et aux diagnostics qui sont émis.
[29] Finalement, la première juge administrative fait état de l’opinion émise par le docteur Gilles Roger Tremblay, le 14 mai 2007, ainsi qu’à son témoignage, à l’audience.
[30] Ainsi donc, la première juge administrative ne néglige pas ce témoignage, son contenu, tout particulièrement quant à l’opinion du docteur Tremblay à l’effet qu’il y aurait une détérioration clinique de l’état du travailleur, eu égard à la réduction des amplitudes articulaires au niveau atteint. Elle souligne les mensurations établies par ce médecin quant aux cuisses et aux mollets.
[31] À partir du paragraphe 39 de sa décision, la première juge administrative motive ses conclusions, sur les sujets en litige.
[32] Notons que la première juge administrative confirme que la lésion était consolidée depuis le 2 avril 2004, puisqu’il n’y avait pas d’amélioration prévisible selon les opinions prépondérantes des docteurs Des Marchais et Laflamme.
[33] Quant à l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation, le 14 juin 2006, la première juge administrative, après avoir rappelé les critères usuels impliquant que le travailleur doit démontrer, par une preuve médicale, l’existence d’une détérioration de son état de santé en relation avec sa lésion professionnelle, elle conclut qu’aucune preuve ne fut offerte sur ce sujet par le travailleur, pour cette date.
[34] Elle fonde sa décision en prenant en considération le résumé médical effectué par le docteur Busque, ainsi que la consultation médicale auprès du docteur Plante, médecin qui n’a aucun traitement à offrir.
[35] Finalement, quant à la récidive, rechute ou aggravation du 14 mai 2007, la première juge administrative discute de la preuve qui lui est offerte, sur ce sujet, prenant en considération l’avis émis par le docteur Tremblay, aussi bien par écrit que lors de son témoignage, dans le contexte de toute la preuve documentaire au dossier.
[36] Les paragraphes 47 à 53 contiennent l’essentiel de sa motivation dans lequel elle oppose la position du docteur Tremblay, sur les diminutions de mouvements et les habitudes de marche du travailleur, informations contenues au dossier.
[37] Il est bon de souligner qu’elle dispose spécifiquement de l’attitude de marche du travailleur en inversion, ce qui avait été préalablement noté lors de la consolidation antérieure.
[38] Le tribunal constate que la première juge administrative n’a pas négligé, effectivement, que le travailleur présentait des pertes de mobilité et elle s’intéresse tout spécifiquement à la notion d’atrophie de son membre inférieur droit.
[39] Soulignons que la première juge administrative devait disposer de tous les éléments actuels médicaux qui lui sont soumis dans le contexte global de la question qui lui est posée.
[40] Au paragraphe 51, la première juge administrative donne l’essentiel de sa motivation de la façon suivante :
« […]
[51] La Commission des lésions professionnelles partage le raisonnement du docteur Des Marchais quant au fait qu’en l’absence d’une atrophie musculaire, il faut conclure qu’il n’y pas de pathologie importante. Transposant ce raisonnement à une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation, il faut conclure que même si en degrés la mobilité de la cheville s’est détériorée, il est raisonnable de conclure qu’en pratique il y a peu de conséquence sur la démarche du travailleur. En l’absence d’atrophie, il faut conclure qu’il utilise toujours, en mai 2007 comme en avril 2004, autant sa jambe droite que sa jambe gauche. Il n’y a donc pas lieu de conclure à un changement significatif de l’état de santé de la cheville droite du travailleur.
[…] »
[41] Suite à l’émission de cette décision, le 28 février 2008, le travailleur dépose devant notre tribunal une requête en révision et/ou révocation de cette décision.
[42] À cette décision que l’on peut nommer CLP 2, le juge administratif siégeant en révision accueille en partie la requête en révision déposée par le travailleur et révise la décision rendue le 13 février 2008, en déclarant que le travailleur avait subi une lésion professionnelle, le 14 mai 2007, sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation.
[43] Pour en arriver à cette décision, le juge administratif siégeant en révision, après avoir résumé les éléments juridiques intrinsèques à l’introduction d’une requête en révision, s’intéresse aux arguments soulevés par le travailleur au soutien de sa requête.
[44] Principalement, le travailleur reproche à la première juge administrative (CLP 1) d’avoir écarté, sans raison, les éléments de preuve introduits par le témoignage du docteur Tremblay, aussi bien en forme écrite qu’orale.
[45] D’autre part, ses allégations portent sur deux éléments dont a disposé la première juge administrative, comme on l’a vu, c’est-à-dire les habitudes de marche du travailleur et la notion d’amplitude articulaire versus l’atrophie.
[46] Quant au premier motif soulevé par le travailleur, le juge administratif agissant en révision rejette ce premier argument comme étant non fondé, la première juge administrative n’ayant commis aucune erreur manifeste ou déterminante.
[47] Quant au second motif, le juge administratif siégeant en révision énonce aux paragraphes 38 à 45 sa motivation de la façon suivante :
« […]
[38] Le travailleur reproche à la première commissaire d’avoir conclu à l’absence de changements significatifs dans sa condition malgré une aggravation de ses ankyloses et l'opinion du Dr Tremblay à cet effet et ce, sur la base d’un argument puisé dans une expertise bien antérieure.
[39] Le raisonnement de la première commissaire est de façon évidente fortement influencé par l’opinion du Dr Des Marchais émise en 2004 car elle reprend à son compte son commentaire à l’effet qu’en l’absence d’atrophie musculaire il n’y a pas de pathologie importante ce qui surprend quant on sait que le travailleur a subi une arthrodèse astragalo-scaphoïdienne, qu’on lui a reconnu un déficit anatomo-physiologique de 13 % et des limitations fonctionnelles.
[40] La première commissaire a conclu que même si la mobilité de la cheville s’était détériorée qu’en pratique, il y avait peu de conséquences sur sa démarche. Cette conclusion est une déduction qu’elle tire de l’absence d’atrophie qui démontrerait que le travailleur utilise toujours autant sa jambe droite que sa jambe gauche.
[41] La première commissaire n’a pas reçu de preuve à l’effet que le travailleur utilisait en 2007 autant sa jambe droite que sa jambe gauche. Pour en arriver à cette conclusion elle a fait sien le raisonnement du Dr Des Marchais. Or, le Dr Desmarchais(sic) a établi ce raisonnement suite à l’examen du travailleur qu’il a fait en avril 2004 soit 3 ans avant la récidive, rechute ou aggravation alléguée et cela, dans le cadre de la récidive, rechute ou aggravation de 2002 dans le but d’obtenir son avis sur des questions de nature médicale.
[42] À cette époque, le Dr Des Marchais avait noté une diminution des ankyloses par rapport à 1999 et il jugeait qu’une triple arthrodèse n’était pas indiquée. Or, en 2007 le Dr Tremblay note une aggravation des ankyloses et confirme à l’audience que le travailleur devrait bénéficier d’une pan-arthrodèse.
[43] La Commission des lésions professionnelles considère que la première commissaire, en important un raisonnement établi dans un autre contexte et dont il n’avait pas été démontré qu’il était médicalement pertinent dans le cadre de la récidive, rechute ou aggravation alléguée de 2007, a fait des déductions quant à l’utilisation des deux jambes qui n’étaient pas supportées par la preuve.
[44] De l’avis du soussigné, la première commissaire a conclu à l’absence de changement significatif dans la condition de santé de la cheville du travailleur sur la base d’une déduction qu’elle ne pouvait faire ce qui constitue une erreur qui a eu un effet déterminant sur l’issue de la requête et qui justifie de réviser sa décision.
[45] Contrairement à ce qui est allégué par la CSST, le tribunal ne peut en venir à la conclusion que la première commissaire a conclu, sans le dire directement, qu’il y avait absence de preuve prépondérante de récidive, rechute ou aggravation. La première commissaire a uniquement recherché un changement significatif dans la condition du travailleur et c’est strictement sur cette base qu’elle motive sa décision.
[…] »
[48] Le tribunal constate donc que le juge administratif siégeant en révision fonde sa décision sur cet élément qu’il rapporte, élément qu’il qualifie d’erreur manifeste et déterminante justifiant son dispositif.
[49] Subséquemment à l’émission de cette décision, la CSST, le 8 août 2008, introduit une nouvelle requête en révision pour cause à l’encontre de la décision rendue par notre tribunal, le 3 juillet 2008.
[50] Le tribunal rendait donc une décision, le 9 décembre 2008, cette décision étant subséquemment appelée CLP 3.
[51] La juge administrative conclut qu’il convient d’accueillir la requête en révision pour cause déposée par la CSST, de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 3 juillet 2008 et de rétablir la décision initiale du 13 février 2008. À cette décision, la juge administrative, à sa section « Les faits et les motifs », procède initialement à un résumé complet des règles et principes juridiques s’appliquant en la matière.
[52] D’autre part, dans le cadre de la requête en révision pour cause que l’on soumet, elle souligne, à bon droit, qu’il convient de déterminer si la décision rendue par le deuxième juge administratif comporte un vice de fond de nature à l’invalider.
[53] Faisant état des allégations devant le deuxième juge administratif, la juge administrative rapporte, au long, la motivation sur laquelle se fonde le deuxième juge administratif pour réviser la décision initiale.
[54] Elle souligne que la CSST plaide que le deuxième juge administratif n’aurait pas dû intervenir, puisque la première juge administrative n’avait commis aucune erreur manifeste et déterminante en rejetant la requête du travailleur sur le fond.
[55] Bien plus, elle ajoute que la CSST prétend plus particulièrement que le deuxième juge administratif ne devait pas simplement se demander s’il aurait rendu la même décision, puisque la primauté doit être accordée à la décision de la formation initiale. Plutôt, il devait trouver un vice de fond dans la première décision.
[56] Sur ce sujet, la juge administrative, à ses paragraphes 28 à 31, s’énonce comme suit :
« […]
[28] Or, elle estime que la première commissaire n’a commis aucune erreur d’appréciation de la preuve en concluant que l’absence d’atrophie entrait en contradiction avec l’allégation du travailleur à l’effet qu’il n’utilisait pas son membre inférieur.
[29] Elle est d’avis que la première commissaire a pris tous les éléments pertinents en compte, qu’elle en a discuté, qu’elle a motivé sa décision et que son raisonnement est rationnel.
[30] Puisque selon la jurisprudence, il faut rechercher la preuve d’un changement significatif dans l’état du travailleur et qu’une augmentation de l’ankylose ne constitue pas en soi un tel changement8, la procureure de la CSST argumente qu’il n’y avait aucun vice de fond justifiant l’intervention du deuxième commissaire.
[31] Ceci étant, elle considère que le deuxième commissaire a simplement substitué son opinion à celle de la première commissaire, commettant lui-même un vice de fond de nature à invalider la décision qu’il a rendue.
______________
8 Vallée et Confiserie Maison Ste-Julie inc., 227172-62B-0402, 14 juin 2005, N. Blanchard.
[…] »
[57] Ainsi donc, la juge administrative a bien compris la question qui lui était posée, les motifs allégués par la CSST, motifs qui prenaient naissance dans la seconde décision, c’est-à-dire celle émise en révision pour cause.
[58] Conformément aux principes énoncés initialement, le tribunal constate que la juge administrative a bien établi sa compétence, sa juridiction, le tout dans le contexte même de contestation multiple, de révision pour cause subséquente. D’ailleurs, la juge administrative a bien rapporté la position du travailleur, a pris en considération tous les arguments soulevés, ainsi que la jurisprudence pertinente.
[59] Dans les motifs de sa décision qu’elle émet à partir du paragraphe 38, la juge administrative s’intéresse donc à ces arguments replacés dans le contexte de la décision attaquée.
[60] Dans un premier temps, elle fait état de la preuve dont disposait la juge administrative initiale (CLP 1) et le fait indéniable qu’il y avait absence d’atrophie au moment de la récidive, rechute ou aggravation alléguée du 14 mai 2007, élément qui fut reconnu d’ailleurs par l’expert du travailleur comme on l’a vu à la présente décision.
[61] Dans son paragraphe 46, elle énonce :
« […]
[46] L’expert du travailleur avançait deux motifs au soutien de son opinion à l’effet que la condition du travailleur s’était aggravée. En l’absence de changement au niveau du patron de marche depuis la rechute, récidive ou aggravation précédente, il ne restait à la première commissaire qu’à apprécier le deuxième motif avancé par le docteur Tremblay, soit l’augmentation de l’ankylose.
[…] »
[62] Elle poursuit aux paragraphes 48 et suivants de la façon suivante :
[48] Le raisonnement tenu par le docteur Des Marchais pouvait rationnellement s’appliquer à l’appréciation de l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation peu importe le moment où elle se serait manifestée. Le médecin l’utilisait d’ailleurs lui-même explicitement pour conclure à l’absence de rechute, récidive ou aggravation en 2002.
[49] Ceci étant, le deuxième commissaire a commis une erreur manifeste en concluant qu’il « n’avait pas été démontré qu’il (le raisonnement du docteur Des Marchais) était médicalement pertinent ».
[50] Qui plus est, il n’y avait rien de juridiquement erroné dans la transposition par la première commissaire de cette opinion médicale à une réclamation ultérieure. En effet, par sa nature même, l’argument pouvait être repris dans l’étude de toutes réclamations ultérieures si l’absence d’atrophie se maintenait, ce qui est le cas en l’espèce. Il ne s’agissait pas d’un élément spécifique à l’analyse de réclamation de 2002.
[51] Par ailleurs, vu la jurisprudence sur la question11, la première commissaire n’a commis aucune erreur manifeste en rejetant la requête du travailleur en dépit de l’augmentation de l’ankylose de la cheville.
[52] La Commission des lésions professionnelles ne voit pas d’illogisme dans le raisonnement de la première commissaire. Elle a utilisé l’absence d’atrophie à titre de preuve indirecte de l’utilisation du membre inférieur pour rejeter l’allégation du travailleur qui était à l’effet contraire. Elle a donc en réalité opposé deux éléments appartenant à l’évaluation du système musculo-squelettique. L’argument du travailleur selon lequel la première commissaire a opposé l’absence d’atrophie en tant que signe neurologique à un signe musculo-squelettique ne peut être retenu.
[53] Ainsi que la jurisprudence l’énonce de façon constante, il appartenait à la première commissaire d’apprécier la preuve qui lui a été présentée. Dans l’exercice de sa compétence, elle pouvait choisir la preuve qui lui paraissait convaincante, ce qu’elle a fait en prenant appui sur la preuve et en adoptant un raisonnement rationnel et motivé.
[54] Incidemment, ainsi que la jurisprudence l’a établi depuis longtemps12, en matière de rechute, récidive ou aggravation, aucun des critères servant de guide à l’analyse n’est décisif en lui-même et chaque cas doit être apprécié suivant ses faits particuliers. Autrement dit, les critères ont un poids relatif qui varie selon les faits propres à chaque dossier. C’est pourquoi, même s’il était vrai que la première commissaire a fait reposer sa décision sur un seul élément, on ne peut pour autant en conclure que ce serait une erreur manifeste et déterminante de l’avoir fait.
[55] Comme dans d’autres affaires semblables13, la Commission des lésions professionnelles conclut que le deuxième commissaire ne devait pas intervenir, qu’il a réapprécié la preuve et, ce faisant, qu’il a rendu une décision comportant une erreur manifeste et déterminante sur l’issue du litige.
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11 Vallée et Confiserie Maison Ste-Julie inc., précitée, note 8.
12 Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P.19.
13 Gaumond et Centre d’hébergement St-Rédempteur inc., [2000] C.L.P. 346 ; Commission scolaire des Phares c. CLP, C.S. Rimouski, 100-17-000616-062, 23 avril 2007, j. Blanchet, (07LP-14).
[63] Ainsi donc, de façon motivée, la juge administrative a conclut que le second juge administratif, à sa décision CLP 2, avait commis une erreur manifeste et déterminante en réappréciant la preuve qui fut soumise à la juge initiale.
[64] Aujourd’hui, par le biais de sa requête en révision, on reproche à la dernière juge administrative d’avoir agi sans droit, dans le contexte qu’il s’agissait d’une seconde requête en révision, soulignant qu’il n’y avait pas de motif pour réviser cette seconde décision.
[65] Le présent tribunal rejette d’emblée cet argument, puisque la juge administrative Tardif s’est clairement exprimée sur ce sujet, a motivé sa décision sur une erreur manifeste et déterminante qu’a omise le second juge administratif alors qu’il agissait en révision pour cause. Il était clairement de son mandat, de son pouvoir, conformément aux dispositions de notre loi de procéder ainsi.
[66] Rappelons que le motif d’intervention prend sa source dans cette seconde décision et résulte d’une application erronée des mêmes principes que tous les juges administratifs ont énoncés à leurs décisions.
[67] En effet, la conclusion de la juge administrative Tardif portant sur la réinterprétation de la preuve qu’a faite le second juge administratif est fondée.
[68] En second lieu, on reproche à la juge administrative Tardif d’avoir ajouté à la preuve.
[69] Or, pour justifier une telle allégation, on reprend l’opinion émise par le docteur Tremblay, la preuve qui était déjà disponible au dossier.
[70] Sur ce sujet, le tribunal ne peut retenir cet argument, la juge administrative Tardif n’ayant rien ajouté à la preuve dont elle disposait devant elle, à la preuve qui était contenue au dossier, ainsi qu’aux enregistrements effectués.
[71] Le tribunal constate qu’à sa requête en révision écrite, les représentants du travailleur reprennent substantiellement les éléments de cette preuve, au soutien de leurs prétentions, on discute du poids de cette preuve. Demandant au présent tribunal, à tout escient, de substituer son opinion à celle déjà émise.
[72] Comme on l’a dit, il ne nous appartient pas de réapprécier la preuve, de décider entre différentes interprétations.
[73] Plutôt, comme on l’a dit, il était nécessaire de décider si la juge administrative Tardif avait commis une erreur manifeste et déterminante lorsqu’elle a décidé d’intervenir pour les motifs qu’elle a soulignés à sa décision, de façon claire et non équivoque.
[74] Sur ce sujet, le tribunal constate que la juge administrative Tardif n’a pas commis d’erreurs dans sa compétence, dans ses pouvoirs, a motivé sa décision de façon spécifique et conformément aux principes juridiques usuels s’appliquant à une telle demande et, finalement, disposer du litige.
[75] Le tribunal conclut qu’il n’y a aucune erreur manifeste et déterminante dans cette décision.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision pour cause déposée par monsieur Pierre Lacerte, le travailleur, le 12 janvier 2009, la requête étant datée du 9 janvier 2009.
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PIERRE SIMARD |
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Me Michel Cyr |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Annie Veillette |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Produits forestiers Donohue et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P 783 .
[3] CSST et Jean-Guy Simard et fils inc., C.A.L.P 85891-02-9702, 21 janvier 1999, J.-L. Rivard.
[4] Bourassa et Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P 601 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoi à la Cour Suprême rejetée le 22 janvier 2004, dossier 30009.
[5] CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P 626 (C.A.); CSST c. Toulouni, C.A. Montréal 500-09-0105132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette et Bich (05LP-659).
[6] Rivard et CLSC des Trois-Vallées, 137750-64-0005, 31 juillet 2001, S. Di Pasquale.
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