Décision

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Ordre des psychologues du Québec c. Corbin

2018 QCCQ 565

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

540-61-076469-169

 

DATE :

9 février 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE MADAME LUCIE MARIER, JUGE DE PAIX MAGISTRAT

 

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ORDRE DES PSYCHOLOGUES DU QUÉBEC

Poursuivante

 

c.

 

MARIE-MICHELINE CORBIN

Défenderesse

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JUGEMENT

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[1]   L’Ordre des psychologues du Québec (l’Ordre) reproche à la défenderesse d’exercer illégalement la psychothérapie et d’usurper le titre de psychothérapeute, contrevenant ainsi à l’article 187.1 du Code des professions[1].

La poursuite présente sa preuve en l’absence de la défenderesse.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]   La défenderesse exerce-t-elle la psychothérapie alors qu’une personne la consulte à deux reprises pour une dépression?

Dans l’affirmative;

[3]   Usurpe-t-elle le titre de psychothérapeute en l’inscrivant sur sa page Facebook et en se présentant comme tel lors d’une rencontre avec cette personne à sa résidence?

 

CONTEXTE

[4]    Une personne du public signale à l’Ordre que la défenderesse s’annonce via Facebook à titre de psychothérapeute alors qu’elle ne semble pas avoir la formation.

[5]   L’Ordre mandate une agente d’investigation (l’agente) pour vérifier les activités et le travail de la défenderesse.

[6]    L’agente, se faisant passer pour une cliente, se présente les 21 et 27 avril 2015 au domicile de la défenderesse pour se renseigner concernant l’aide qu’elle peut recevoir pour son problème (fictif) de dépression. Elle enregistre le contenu des deux rencontres.

[7]   Lors de la première rencontre avec la défenderesse, celle-ci lui déclare être psychothérapeute et naturopathe. Elle explique travailler avec l’énergie, le respirateur, l’ancrage et qu’elle débloque les émotions.

[8]   Après avoir pris connaissance des symptômes de la prétendue dépression de l’agente, la défenderesse lui demande de lui parler en général de sa vie passée, incluant son rang dans la famille et de sa relation avec ses parents et ses enfants.

[9]   La deuxième rencontre se déroule sous forme de discussion, de questions, de commentaires et d’hypothèses concernant des solutions ou des traitements à entreprendre pour sa guérison.

[10]        À la suite de la réception du rapport d’enquête de l’agente, l’Ordre mandate Lorraine Beauchemin, psychologue, afin qu’elle détermine si la défenderesse exerce la psychothérapie. Lors de l’audience, le Tribunal la déclare témoin expert.

 

L’EXERCICE DE LA PSYCHOTHÉRAPIE.

[11]        La psychothérapie est définie à l’article 187.1 alinéa 1 de la Loi[2] :

La psychothérapie est un traitement psychologique pour un trouble mental, pour des perturbations comportementales ou pour tout autre problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique qui a pour but de favoriser chez le client des changements significatifs dans son fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental, dans son système interpersonnel, dans sa personnalité ou dans son état de santé. Ce traitement va au-delà d’une aide visant à faire face aux difficultés courantes ou d’un rapport de conseils ou de soutien.

[12]        Pour déterminer si la défenderesse pratique la psychothérapie, l’expert indique que trois éléments de la définition doivent se retrouver simultanément dans l’intervention effectuée, à savoir :

a) sa nature (un traitement psychologique);

b) son objet (un trouble mental, une perturbation comportementale ou un problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique) ;

c) sa finalité (les changements significatifs dans le fonctionnement cognitif, émotionnel, comportemental, dans le système relationnel, dans la personnalité ou dans l’état de santé du client).

[13]        À contrario, cette définition indique clairement que la psychothérapie se situe au-delà d’une aide visant à faire face aux difficultés courantes ou un rapport de conseils et de soutien.

a)    NATURE : UN TRAITEMENT PSYCHOLOGIQUE

[14]        L’expert précise que le traitement psychologique peut être défini comme étant une intervention qui cible les mécanismes sous-jacents, organisent et structurent le fonctionnement psychologique ou l’état mental d’une personne.

[15]        Pour exercer la psychothérapie, il existe plusieurs approches théoriques pour expliquer et conceptualiser le fonctionnement mental des individus. De ces approches découlent des traitements psychologiques diversifiés qui visent tous des changements significatifs sur ces mécanismes.

[16]        En analysant les interventions de la défenderesse, l’expert constate qu’elle utilise des principes clinico-théoriques propres aux psychothérapies psychodynamiques. Cette approche part du principe que les symptômes ou problèmes d’un client sont la conséquence de conflits intrapsychiques inconscients.

[17]        Une autre caractéristique propre aux psychothérapies psychodynamiques est l’importance accordée aux expériences passées.

[18]        En l’espèce, l’expert remarque que très rapidement après le début de la première rencontre et à la suite de quelques questions exploratoires posées à l’agente, la défenderesse lui explique l’origine de ses difficultés et de ses souffrances en recourant aux principes explicatifs du fonctionnement psychologique.

[19]        La défenderesse aborde le thème des blessures liées au passé ou à sa relation avec ses figures d’attachement telles sa mère et son père; elle vise ainsi à entreprendre un travail sur ce qui seraient les mécanismes psychiques responsables de l’état mental actuel de l’agente et de sa souffrance.

[20]        L’expert explique que ce niveau d’exploration du monde intrapsychique de l’agente, au-delà de ce qui lui est accessible consciemment, est dans un but avoué de modifier son fonctionnement psychologique, ce qui correspond à un traitement psychologique.

[21]        L’intention du traitement par la défenderesse et sa conception du travail à accomplir avec l’agente se retrouvent, entre autres, dans l’extrait suivant :

« Tu t’es comme protégée de quelque chose […] Là tu t’interroges, « comment ça se fait que je me suis laissée aller? ». Ça on appelle ça les patterns répétitifs […] Toi le travail à faire, c’est d’aller ouvrir tout ça […] Il faut aller gratter ça un peu […] Quand un parent te fait vivre ça tu penses que ça peut-être normal […] tu ne vois pas la blessure profonde que ça peut te faire […] les peurs que tu disais tantôt, il y a une partie de ces peurs qui viennent de là […] »

[22]        L’expert constate de plus que la défenderesse utilise une technique psychodynamique en interprétant le sentiment de solitude actuel de l’agente. Au même moment, elle utilise la confrontation afin de lui souligner un comportement qui serait contradictoire à ses besoins affectifs.

[23]        Elle formule également qu’elle est dans une conduite d’évitement de sentiments ou de pensées pénibles, ce qui, pour l’expert, représente une autre caractéristique commune des psychothérapies psychodynamiques.

[24]        Lorsque la défenderesse la questionne sur sa place dans sa fratrie, statue sur son fonctionnement psychologique et sur des aspects de sa personnalité à partir de sa position au sein de sa fratrie, cela constitue un traitement psychologique.

[25]        La défenderesse utilise de plus une quatrième particularité commune aux psychothérapies psychodynamiques, soit de focaliser l’intervention sur l’affect. Cette expérience a pour nom le retour du refoulé.

[26]        Elle informe l’agente que l’un des objectifs de son travail est de lui permettre de se libérer de « ses blocages » émotionnels, en focalisant l’attention sur ses émotions, et ce, de différentes façons.

[27]        Pour l’expert, il est clair que la défenderesse réfère au principe du retour du refoulé. Son intention est d’accéder à des aspects inconscients de son expérience affective pour favoriser une transformation, un changement qui permet de résorber sa souffrance et son humeur dépressive, ce qui relève encore d’un traitement psychologique.

[28]        La défenderesse lui présente d’ailleurs dès la première rencontre son intention psychothérapique ainsi :

« Ça se peut que je te fasse respirer les pieds un peu écartés, faire de l’ancrage pour savoir ou t’es bloqué dans tes émotions […] Aujourd’hui on en fera pas, et je ne veux pas que ça te fasse peur non plus, mais si on en a de besoin on va le faire […] pour faire sortir quelque chose qui est vraiment ancré en nous je vais faire faire des respirations guidées, je peux faire faire des visualisations aussi […] » (expliquant ensuite cette technique).


 

b)    L’OBJET DE L’INTERVENTION

[29]        À plusieurs reprises l’agente exprime à la défenderesse qu’elle la consulte pour une dépression. Elle lui mentionne avoir souffert de dépression post-partum il y a de cela 15 ans et que l’état dépressif ressurgit depuis de façon récurrente.

[30]        Elle la questionne alors sur les symptômes et lui indique qu’elle investigue par ses interventions le tableau clinique de la dépression.

[31]        Elle admet que son intervention est dirigée vers la dépression lorsqu’elle lui mentionne qu’il faut aller « à la base, les racines, pourquoi la dépression est là? ». Elle reconnaît la souffrance et les difficultés de fonctionnement de l’agente et explique que le travail vise les problèmes qui, selon sa compréhension clinique, sont à l’origine de cette souffrance.

[32]        Bien que son évaluation du tableau clinique et sa compréhension de la dépression ne correspondent en rien avec les données actuelles sur une dépression majeure, l’expert est d’avis que la défenderesse est pleinement consciente que l’objet de l’intervention est l’analyse d’un trouble mental des perturbations comportementales, ou d’un problème entraînant une souffrance ou une détresse psychologique.

c)    LA FINALITÉ DE L’INTERVENTION

[33]        Selon l’expert, les interventions de la défenderesse visent des changements significatifs dans le fonctionnement cognitif, émotionnel ou comportemental dans le système interpersonnel, dans la personnalité ou dans l’état de santé de la personne.

[34]        Par exemple, la défenderesse tente d’expliquer à l’agente ce qui lui cause son manque de motivation et d’intérêt pour ses activités et ses relations avec ses proches, ce manque qu’elle associe à la dépression. Elle évoque ensuite les changements cognitifs, émotionnels et comportementaux attendus :

« Il faut te consoler en te disant que tu fais ce que tu peux […] Il ne faut pas que tu te tapes sur la tête en te disant que tu fais ce que tu peux […] Il ne faut pas que tu te tapes sur la tête en te disant « pourquoi je suis comme ça? » […] Il ne faut pas que tu t’en demandes trop, il ne faut pas que tu sois exigeante envers toi […] Il faut que tu te fasses plaisir […] Après quand on a le goût de se faire plaisir et qu’on est bien avec nous-même, après ça on a le goût petit peu par petit peu de lui faire plaisir à lui aussi […] » faisant référence au fait de faire plaisir à son conjoint. « C’est mieux de rester à zéro et monter à 1 tranquillement […] » expliquant le processus de changement progressif « […] tu vas voir la vie différente aussi, ça va être plus agréable. Il a des journées ou tu vas avoir plus de joie, plus le goût de vivre. C’est petit pas par petit pas [...] »

[35]        Un autre passage de l’intervention de la défenderesse, lorsqu’elle fait à nouveau référence aux changements visés par le traitement offert, illustre la finalité de son intervention :

« Il ne faut pas se sentir coupable […] se taper sur la tête […] c’est sans jugement […] Il faut que tu assumes ça […] Il va falloir que tu t’avoues que tu n’es plus aussi performante qu’avant, que la Nathalie d’avant n’existe plus […] la superwoman […] et d’y aller avec ta capacité. »

[36]        L’expert dénote qu’à plusieurs reprises, la défenderesse fait référence à un processus de « guérison » psychique lorsqu’elle lui parle du travail qu’elles feront ensemble. Cela suggère que le but du traitement est un changement significatif de l’état mental de l’agente.

[37]        La preuve de la poursuite démontre donc hors de tout doute que la défenderesse exerce la psychothérapie au cours des deux rencontres des 21 et 27 avril 2015.

 

L’USURPATION DU TITRE DE PSYCHOTHÉRAPEUTE

[38]        La responsable de la pratique illégale des psychologues du Québec (la responsable) relate les recherches qu’elle effectue pour connaître la situation professionnelle de la défenderesse.

[39]        Elle constate sur le réseau Internet que la défenderesse s’identifie sur sa page Facebook les 24 décembre 2014 et 20 novembre 2015 en tant que psychothérapeute.

[40]        De même, Lors de la première rencontre avec l’agente le 21 avril 2015, elle déclare qu’elle est psychothérapeute.

[41]        La responsable atteste que la défenderesse n’a jamais été inscrite au tableau de l’Ordre.[3]

[42]        L’Article 187.1 du Code des professions relate comme suit :

À l’exception du médecin et du psychologue, nul ne peut exercer la psychothérapie, ni utiliser le titre de psychothérapeute ni un titre ou une abréviation pouvant laisser croire qu’il l’est, s’il n’est membre de l’Ordre professionnel des conseillers et conseillères d’orientation et des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec, de l’Ordre professionnel des ergothérapeutes du Québec, de l’Ordre professionnel des infirmières et infirmiers du Québec ou de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec et s’il n’est titulaire du permis de psychothérapeute.[4] 

[43]        La défenderesse n’a pas démontré qu’elle pouvait se prévaloir des exceptions prévues à l’article 187.1 de la Loi, ni qu’elle était titulaire du permis de psychothérapeute.

[44]        Le Tribunal conclut que la défenderesse usurpe le titre de psychothérapeute en l’inscrivant sur sa page Facebook et lorsqu’elle s’identifie comme tel auprès de l’agente dans son bureau.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL

[45]        DÉCLARE coupable la défenderesse des chefs 1 à 4 inclusivement.

[46]        Le Tribunal entendra les arguments sur la peine à une date à déterminer.

 

 

 

 

 

 

LUCIE MARIER,

JUGE DE PAIX MAGISTRAT

 

Me Louis Gélinas

Procureur de la poursuite.

 

La défenderesse est non-représentée par avocat.

 

 

Date d’audience :

16 octobre 2017

 



[1] L.R.Q. chapitre C-26

[2] Idem note 1

[3] Attestation du secrétaire général de l’Ordre des psychologues du Québec (P-21)

[4] Voir notes 1 et 2

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