Décision

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Bilodeau c. Chabot

2021 QCCQ 2955

COUR DU QUÉBEC

Division administrative et d’appel

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

N° :

200-80-009418-193

 

DATE :

12 mars 2021

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

JACQUES TREMBLAY, J.C.Q. JT-1474

 

 

MARC BILODEAU, en sa qualité de fiduciaire de la Fiducie André Bilodeau

 

            Appelant-locateur / Partie demanderesse

-ET-

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE GRANDE-ALLÉE, aux droits de Marc Bilodeau, en sa qualité de fiduciaire de la Fiducie André Bilodeau en vertu d’un acte de vente du 4 février 2019

 

Appelante en reprise d’instance

 

c.

 

MICHEL CHABOT

 

Intimé-locataire / Partie défenderesse

 

 

JUGEMENT

 

 

[1]           Le Tribunal est saisi d’un appel d’une décision de la Régie du logement (maintenant appelée Tribunal administratif du logement (TAL))[1] qui rejette[2] la demande de l’appelante-locatrice (locatrice) d’enjoindre à l’intimé-locataire (locataire) de respecter la clause du bail qui nie « le droit du locataire de garder un ou des animaux » (P-1).

[2]           En 2007[3], la locatrice avait demandé la résiliation du bail et l’éviction du locataire en raison de la présence de deux chiens, en contravention de l’interdiction, portant ainsi préjudice à d’autres locataires (P-4).

[3]           Le 14 février 2008, la Régie avait rejeté cette demande et complété son analyse détaillée par ces considérants :

CONSIDÉRANT la preuve faite par le locataire, relativement à sa situation personnelle;

CONSIDÉRANT l’absence de preuve de préjudices sérieux par le locateur;

CONSIDÉRANT l’article 1901 C.c.Q.;

CONSIDÉRANT que la preuve du locataire justifie la suspension de l’application de la clause du bail qui interdit la présence d’animaux dans sa situation particulière;[4]

[4]           Le 7 mars 2019, la Régie, à l’égard de la deuxième demande de la locatrice, justifie son rejet de celle-ci en affirmant :

[25] En conclusion, le Tribunal considère qu’il y a chose jugée, car l’objet en litige et la cause d’action sont implicitement les mêmes. En effet, dans les deux cas, le remède juridique recherché est le respect par le locataire de la clause d’interdiction de garder un animal. Or, la validité de cette clause et son application au locataire selon dans (sic) les circonstances particulières en l’espèce sont toujours d’actualité et tranchées lors de la première décision.

[26] Dans les circonstances, le Tribunal est lié par les conclusions de cette précédente décision, laquelle n’a pas été porté (sic) en appel. Cette décision doit être suivie aussi longtemps que l’état et la situation du locataire sont les mêmes.

LES FAITS

[5]           Lors de la signature du bail en 2001, le locataire n’avait pas la garde quotidienne d’un chien[5].

[6]           Quelques années plus tard, après la vente de sa résidence principale, son épouse lui demande de prendre en charge ses deux chiens de chasse[6].

[7]           Ensuite, ces chiens seront euthanasiés en raison de leur âge[7] et remplacés par un seul. Ce chien de remplacement est légèrement différent des deux précédents par sa taille qui résulte d’un croisement entre un labrador et un caniche royal. Ce chien a cependant reçu un dressage par un maître-chien et n’a pas de propension à japper.

[8]           Lors de la deuxième tentative judiciaire, la locatrice n’invoque pas un préjudice particulier en raison de la présence du chien[8]. Elle affirme que l’interdiction de garder des animaux est plus difficile à expliquer aux autres locataires de l’immeuble auxquels elle s’applique aussi et d’obtenir leur adhésion.

[9]           Lors de la deuxième instance, il est mis en preuve que M. Chabot a 75 ans, qu’il vit seul et que son chien est très important comme compagnon de vie[9]. Il s’assure d’être discret avec lui dans les espaces communs[10], bien qu’il ne cherche pas à cacher sa présence tant à l’égard du portier, gardien de l’édifice,[11] que par ses sorties sur le balcon[12].

[10]        Aucune preuve médicale ou expertise n’est fournie par le locataire devant la Régie pour justifier la garde d’un chien.

[11]        Pour déterminer l’erreur manifeste de la Régie, il convient de tenir compte de paramètres définis, notamment par le juge Pierre Lortie[13] :

[33]            Dans une deuxième étape, la locataire attaque le fondement même de la décision, la qualifiant d'erronée.

[…]

[79]            Dans les circonstances, la clause d'interdiction est-elle déraisonnable au sens de l'article 1901 C.c.Q.?

[80]            D'une part, le Tribunal considère que l'analyse doit être faite au moment de l'application de la clause litigieuseabout:blank - _ftn41. L'article 1901 mentionne d'ailleurs qu'il faut tenir compte des circonstances, ce qui permet de se situer au cœur de l'action.

(Référence omise)

LES NORMES D’INTERVENTION EN APPEL

[12]        Le 20 décembre 2019, la Cour suprême du Canada a rendu un arrêt de principe selon lequel il y a désormais une présomption voulant que la norme de contrôle applicable à une décision quasi judiciaire ou administrative soit la « norme de la décision raisonnable »[14].

[13]        Cependant, lorsqu’un droit d’appel est prévu par le législateur, ce n’est pas la norme de la décision raisonnable qui est applicable, mais plutôt les critères d’intervention en matière d’appel, tels qu’énoncés dans l’arrêt Housen[15]. Dans notre cas, un droit d’appel est prévu par l’article 91 de la Loi sur la Régie du logement[16] :

91. Les décisions du Tribunal administratif du logement peuvent faire l’objet d’un appel sur permission d’un juge de la Cour du Québec, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec.

Toutefois, il n’y a pas d’appel des décisions du Tribunal portant sur une demande:

1°  dont l’objet est la fixation de loyer, la modification d’une autre condition du bail ou la révision de loyer;

2°  dont le seul objet est le recouvrement d’une créance visée dans l’article 73;

3°  visée dans la section II du chapitre III, sauf celles visées dans les articles 39 et 54.10;

4°  d’autorisation de déposer le loyer faite par demande en vertu des articles 1907 et 1908 du Code civil.

[14]        Ainsi, les critères d’intervention de la Cour du Québec dans la présente instance sont les suivants :

i)     La décision correcte : pour les questions de droit;

ii)    L’erreur manifeste et déterminante : pour les questions de fait ainsi que les questions mixtes de fait et de droit en l’absence d’une question juridique facilement isolable[17].

[15]        L’erreur manifeste et déterminante se définit par ailleurs ainsi :

[9]         Il est utile de rappeler les caractéristiques que doit présenter une erreur pour être qualifiée de « manifeste et déterminante » : il doit s’agir d’« une erreur évidente », d’« une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire », d’une erreur qui « tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil », d’une erreur qui ne se contente pas « de tirer sur les feuilles et les branches » en laissant « l’arbre debout », mais d’une erreur qui fait « tomber l’arbre tout entier ».[18]

(Référence omise)

[41]       La norme d’intervention de l’erreur manifeste et déterminante implique le principe fondamental qu’une cour d’appel doit une « déférence particulière […] aux conclusions factuelles que le juge du procès tire d’une preuve contradictoire et à l’appréciation qu’il fait de la crédibilité des témoins (profanes et experts), puisqu’il est celui qui les entend et les voit, avantage que n’a pas une cour d’appel.»[notre soulignement]. Comme le rappelait notre collègue le juge Kasirer dans ses motifs dans l’arrêt Francoeur c. 4417186 Canada inc. :

[55] It is often said, and quite rightly so, that a court of appeal should tread cautiously before disturbing the findings of fact by a trial judge, especially when those findings are comforted by determinations bearing on the credibility of witnesses. (…)[19]

(Nos soulignements)

(Référence omise)

[16]        Il convient maintenant de faire état de la décision de la Régie en 2019.

LES QUESTIONS AUTORISÉES EN APPEL

[17]        La Cour du Québec a déjà identifié les questions qui doivent être analysées en appel en les énonçant de la façon suivante :

1re question :      La Régie a-t-elle erré en fait et en droit en appliquant les critères relatifs à la chose jugée pour rejeter la demande portant le numéro 2225774 introduite le 19 avril 2017 dans le dossier portant le numéro 331964 18 20170419 G?

2e question :       La Régie a-t-elle erré en fait et en droit en ce qui concerne le fardeau et la qualité de la preuve qui incombe au locataire pour démontrer que la présence de son animal est nécessaire dans le cadre d’un traitement de zoothérapie?

LA DÉCISION DE 2019 DE LA RÉGIE

[18]        La Régie conclut à l’existence d’une présomption de chose jugée implicite avec sa décision de 2008. Elle considère que les circonstances particulières de l’espèce sont toujours d’actualité malgré le passage du temps et la non-identité des chiens visés par les demandes.

[19]        La chose jugée implicite étend, selon elle, le caractère irrévocable d’un jugement aux motifs énoncés en support et non seulement à sa conclusion.

Tout comme le droit civil québécois, la Common Law reconnaît la force obligatoire de la chose jugée fondée sur la cause d’action (Case of action estoppel). Elle va cependant plus loin en accordant la même protection à toute question déjà tranchée lors d’un procès entre les mêmes parties (issue estoppel). Le droit civil a partiellement gommé cette différence en adoptant la notion de chose jugée implicite.[20]

[20]        La Régie considère donc que la portée de l’interdiction s’appliquant au locataire, M. Chabot, a été jugée en 2008.

[21]        Elle s’estime liée par sa décision antérieure « aussi longtemps que l’état et la situation du locataire seront les mêmes »[21].

[22]        La locatrice reconnaît le caractère nuancé de la position de la Régie lorsqu’elle inscrit dans la formulation de la première question en appel que son erreur proviendrait de l’application des critères relatifs à la chose jugée pour rejeter sa demande. Elle n’affirme pas directement l’inexistence de la chose jugée. Elle le fera cependant à l’audience.

ANALYSE ET DÉCISION

1re question :   La Régie a-t-elle erré en fait et en droit en appliquant les critères relatifs à la chose jugée pour rejeter la demande portant le numéro 2225774 introduite le 19 avril 2017 dans le dossier portant le numéro 331964 18 20170419 G?

[23]        En matière de chose jugée, les critères sont énumérés à l’article 2848 du Code civil du Québec[22] (C.c.Q.) :

2848. L’autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et que la chose demandée est la même.

Cependant, le jugement qui dispose d’une action collective a l’autorité de la chose jugée à l’égard des parties et des membres du groupe qui ne s’en sont pas exclus.

                                                                                                     (Le Tribunal souligne)

[24]        L’autorité de la chose jugée se rattache à ce qui a fait l’objet du jugement.

[25]        En 2007, la Régie refuse de prononcer la résiliation du bail, car la preuve d’un préjudice sérieux pour la locatrice n’a pas été faite en lien avec la présence des deux chiens.

[26]        La décision porte aussi sur la reconnaissance d’une « situation particulière » pour le locataire justifiant la suspension de l’interdiction de garder des chiens dans son logement.

[27]        L’autorité de la chose jugée, si elle existe dans notre cas, porte sur ces deux aspects qui sont distincts, mais qui déterminent l’étendue de l’objet du jugement rendu par la Régie en 2008.

[28]        L’objet de la demande en 2017, c’est l’obtention d’une déclaration de contravention à l’obligation interdisant de garder des animaux et non plus la résiliation du bail. L’objet du jugement de 2008, qui devient pertinent alors, est celui de considérer que la clause a été suspendue en raison de la situation intrinsèquement personnelle du locataire et du caractère déraisonnable de l’interdiction dans les circonstances.

[29]        La juge Marois a raison de voir que la demande qui lui est présentée en 2018 a déjà été décidée douze ans auparavant entre les mêmes parties et sur une cause identique, soit l’interdiction de garder des animaux dans le logement.

[30]        Sommes-nous cependant en présence d’un objet identique entre le jugement antérieur et le recours pour interdire la présence du chien de remplacement?

[31]        La locatrice nie qu’il y a identité de cause et d’objet entre la demande de 2007 et celle de 2017.

[32]        Dans la deuxième, elle se limite à exiger le respect de l’interdiction d’avoir des animaux. La première fois, elle demandait la résiliation du bail, nécessitant une preuve de préjudice sérieux à son égard.

[33]        La Régie considère cependant qu’il y a identité de cause et d’objet :

[15] Bien que le remède juridique recherché diverge, l’objectif est le même : reconnaître la validité de cette clause et forcer le locataire à la respecter[23].

[34]        Trois décisions de notre Cour semblent appuyer la position de la locatrice voulant qu’il y ait différence d’objet entre les recours qu’elle a exercés. Ces décisions sont cependant rendues au stade de l’octroi d’une permission d’en appeler par la Cour du Québec.

Office municipal d'habitation c. Luce, 2012 QCCQ 15422

[40] Quoiqu'on ait déjà pu affirmer qu'il y avait un flottement jurisprudentiel et une certaine incertitude, faisant en sorte que les décisions étaient parfois en faveur du locateur et parfois en faveur du locataire, l'état du droit nous apparaît maintenant considérablement clarifié[14].

[…]

[42] Ainsi, il est maintenant bien établi que la clause d'interdiction de posséder un animal n'est pas en soi déraisonnable (Art. 1901 C.c.Q.) ni contraire à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

J.L.  c. Coopérative de l'Ébène, [2005] R.J.Q. 267

[68] Les clauses interdisant les animaux dans les logements ont à plusieurs reprises été soumises aux tribunaux[32]. La doctrine s'est de plus intéressée au sujet, parfois dans le cadre d'analyses plus générales[33].

[69] Il est reconnu que ce type de clause n'est pas en soi abusive. Le locateur qui demande l'exécution en nature de l'obligation n'a pas à prouver l'existence d'un préjudice. Il lui suffit de démontrer la violation au contrat. Ultimement, si la violation persiste, le locateur peut obtenir la résiliation du bail.

Bernigué c. Office municipal d'habitation de Salaberrv-de-Vallevfield, 2019, QCCQ 5779

[20] La question de la validité des clauses interdisant de posséder des animaux est bien établie en jurisprudence, plusieurs décisions ayant été rendues sur le sujet. Il en est de même de la distinction entre la demande de résiliation d’un bail, laquelle nécessite une preuve de préjudice par le locateur, et la demande d’exécution en nature selon l’article 1863 du Code civil du Québec qui nécessite seulement la preuve d’une contravention au bail.

[35]        Cependant, le Tribunal n’est pas convaincu que toute considération de l’existence d’un préjudice à l’égard de la locatrice doit être évacuée lorsqu’elle se limite à demander le respect pur et simple de l’obligation de ne pas garder un animal dans les lieux loués.

[36]        Il est vrai que l’article 1683 C.c.Q. exige spécifiquement une preuve de préjudice sérieux lorsqu’on demande la résiliation du bail, mais la formulation de cet article n’exclut pas la pertinence d’une telle considération lorsque l’exécution en nature est réclamée.

[37]        L’article 1901 C.c.Q., dans une section spécifique du Code civil qui traite du bail, énonce :

1901. Est abusive la clause qui stipule une peine dont le montant excède la valeur du préjudice réellement subi par le locateur, ainsi que celle qui impose au locataire une obligation qui est, en tenant compte des circonstances, déraisonnable.

Cette clause est nulle ou l’obligation qui en découle, réductible.

[38]        Or, puisque la Régie s’estime liée par l’une de ses décisions antérieures et qu’elle s’appuie sur le principe de la chose jugée implicite, il convient de faire état du raisonnement qui a prévalu en 2008 pour vérifier son actualité en 2017.

[39]        Déjà les « considérant » déjà cités[24] font état que la Régie se place clairement dans le cadre de l’application de l’article 1901 C.c.Q. précité.

[40]        Elle invoque également l’article 1437 C.c.Q. :

1437. La clause abusive d’un contrat de consommation ou d’adhésion est nulle ou l’obligation qui en découle, réductible.

Est abusive toute clause qui désavantage le consommateur ou l’adhérent d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre de ce qu’exige la bonne foi; est abusive, notamment, la clause si éloignée des obligations essentielles qui découlent des règles gouvernant habituellement le contrat qu’elle dénature celui-ci.

[41]        En 2008, la Régie tient compte du décès récent du fils du locataire et de la solitude qui l’afflige. Elle note l’absence de préjudice sérieux pour la locatrice du non-respect de l’interdiction. Elle conclut donc « qu’il serait déraisonnable, en l’absence de preuve sérieuse de préjudices de la part du locateur, de priver M. Chabot du réconfort et de l’affection que lui procurent ses animaux de compagnie puisque ces derniers l’aident à traverser les épreuves qu’il a vécues, à rompre la solitude et à se maintenir en santé ».

[42]        Le Tribunal est d’avis qu’il y a effectivement chose jugée avec la décision de 2008, cependant il demeure possible de réévaluer cette décision suivant l'évolution des circonstances dans le temps et l’apparition d’un préjudice sérieux pour la locatrice résultant du comportement du locataire ou de son animal.

[43]        Autrement dit, pour que la présomption de la chose jugée ou de préclusion s’applique de façon absolue, il faut que le jugement soit définitif[25].

[44]        Or, le jugement de la Régie de 2008 n’est pas définitif, car il suspend une obligation en raison de son caractère déraisonnable à une époque donnée pour tenir compte de la situation personnelle du locataire et de l’absence de préjudice sérieux pour la locatrice découlant de la présence d’un animal.[26]

[45]        Des faits nouveaux peuvent entraîner la révision de cette suspension de l’obligation et l’application pour l’avenir de l’interdiction de garder un animal.

[46]        La juge administrative Marois ne commet pas d’erreur de droit lorsqu’elle conclut que la décision de 2008 « doit être suivie aussi longtemps que l’état et la situation du locataire sont les mêmes ». La survenance d’un préjudice sérieux pour la locatrice permettrait à la Régie d’appliquer, dans une décision en 2019, l’interdiction de garder des animaux qui existe depuis la signature du bail.

2e question :    La Régie a-t-elle erré en fait et en droit en ce qui concerne le fardeau et la qualité de la preuve qui incombe au locataire pour démontrer que la présence de son animal est nécessaire dans le cadre d’un traitement de zoothérapie?

[47]        La Régie a décidé que « la validité de la clause et son application au locataire selon les circonstances particulières en l’espèce sont toujours d’actualité et tranchées lors de la première décision ».

[48]        Elle conclut aussi que l’état et la situation du locataire qui ont entraîné la suspension de l’interdiction « sont les mêmes ».

[49]        L’appel pose donc une question mixte de fait et de droit et une erreur manifeste et déterminante doit être démontrée par l’appelante pour permettre notre intervention.

[50]        Le fardeau de la preuve repose sur la locatrice, car elle est en demande et elle est en face d’une présomption de chose jugée à portée relative.

[51]        La locatrice invoque que la Régie aurait dû tenir compte :

-       que les chiens concernés en 2008 ne sont plus là;

-       que douze années se sont écoulées depuis la décision précédente de la Régie;

-       que la locatrice éprouve de la difficulté à appliquer l’interdiction de garder des animaux dans l’ensemble de son édifice en raison du privilège conféré au locataire;

-       que le locataire n’a plus un besoin pressant d’un chien pour son confort personnel;

-       que l’on exige maintenant, selon la jurisprudence, une preuve médicale pour entraîner la suspension de l’interdiction de garder des animaux.

a)     Le changement des chiens

[52]        La décision de la Régie de 2008 n’est pas attachée à l’identité des chiens, mais plutôt aux besoins que leur présence permettait au locataire de combler. Le changement des chiens n’a pas un impact déterminant pour réduire la portée de la décision de 2008. La preuve n’a pas été faite de la survenance d’un préjudice particulier pour la locatrice en raison du remplacement des chiens.

b)     Le passage du temps

[53]        Le locataire s’est fait réentendre devant la Régie. Il invoque avoir toujours eu des chiens[27] qui lui apportent un réconfort et lui permettent de se mettre en forme. Il traite de sa solitude et de son âge. Il n’a pas oublié non plus le décès de son fils.

[54]        La Régie n’a pas estimé que le passage du temps puisse mettre de côté les motifs au soutien de la suspension de l’interdiction. Elle refuse même une preuve plus élaborée proposée par le locataire sur l’impact du décès de son fils. [28]

[55]        Le Tribunal ne voit pas une erreur manifeste dans son raisonnement et ses constats liés au temps écoulé depuis 2008.

c)    Absence d’un préjudice sérieux pour la locatrice et la difficulté à faire comprendre et d’appliquer l’interdiction auprès des autres locataires

[56]        Cette question avait été soulevée en 2008 et rien de nouveau n’a été apporté à ce sujet à l’audience devant la Régie.

[57]        La nature différente des recours intentés (résiliation du bail ou respect de l’obligation) n’exempte pas la locatrice de prouver les impacts négatifs de la contravention du locataire s’il continue à prétendre que la clause est déraisonnable et abusive à son égard. Le caractère raisonnable de l’interdiction de garder des animaux pourrait découler d’une preuve précise d’incidents perturbateurs ou de dégradation aux lieux loués entraînés par l’animal. La Régie ne commet pas une erreur manifeste en maintenant la suspension en l’absence de toute preuve de préjudice sérieux.

d)   Que les besoins du locataire pour un chien de compagnie ont changé

[58]        La situation de solitude, les échecs matrimoniaux ou amoureux et le décès dans un cadre tragique du fils du locataire sont des éléments restés inchangés et toujours présents. L’absence de préjudice sérieux découlant du non-respect de l’obligation s’avère également un élément toujours présent.

[59]        La Régie n’a pas commis une erreur manifeste et déterminante sur ce sujet.

e)    L’absence d’expertise au soutien d’une allégation de zoothérapie

[60]        Le locataire ne fonde pas sa position sur la nécessité pour lui d’avoir un animal dans le cadre d’une thérapie particulière.

[61]        Tant en 2008 qu’en 2017, il s’abstient de toute preuve faite par l’obtention d’un certificat médical ou d’une expertise à ce sujet.

[62]        Il invoque tout simplement que dans les circonstances, et en l’absence de préjudice sérieux devant également être considéré, il en éprouve un besoin impérieux et qu’en ce sens, l’interdiction contenue à son bail est déraisonnable à son égard.

[63]        La lecture conjointe des décisions de la Régie explique les raisons qui fondent sa décision de suspendre l’interdiction réclamée par le locateur.

[64]        En 2008, la Régie note que les chiens ne causent aucun préjudice aux voisins et ne jappent pas. Les événements difficiles qu’a vécus M. Chabot sont expliqués (décès tragique de son fils, liens entre une séparation et la garde des chiens). M. Chabot convainc la Régie de l’importance des chiens pour lui compte tenu de sa solitude et de la motivation qu’il en retire pour s’adonner à des marches quotidiennes. La Régie note que M. Chabot garde ses chiens depuis plusieurs années malgré l’interdiction contenue à son bail. Elle est consciente que la décision de suspendre l’interdiction aurait été différente si une « preuve sérieuse de préjudices » avait été faite.

[65]        En 2019, la Régie se place clairement, par les questions en litige qu’elle énonce, être « dans la recherche d’un fait nouveau » par rapport au contenu et à la portée de la décision de 2008. Elle considère que « les faits qui amènent » la décision de 2008 « sont toujours présents ». Le seul fait nouveau est l’identité du chien. Elle considère que cette identité en 2008 n’a pas eu un caractère déterminant ou n’a pas été intégrée à la conclusion de suspendre l’interdiction. Elle considère donc que la suspension doit être maintenue tant et aussi longtemps « que l’état et la situation du locataire sont les mêmes ».

[66]        Dans le cadre de l’article 1901 C.c.Q, la possibilité pour un tribunal de juger une obligation déraisonnable pour un locataire ne se limite pas au cas où il existe une preuve médicale. La Régie pouvait tenir compte de l’ensemble des circonstances qui étaient mises en preuve devant elle. Ainsi, en 2008, elle a jugé cette preuve suffisante pour suspendre l’interdiction de garder des animaux dans le logement et elle considère les circonstances inchangées en 2018 pour rejeter la demande de la locatrice formulée autrement.

[67]        Il n’y a pas là erreur manifeste et déterminante de la part de la Régie[29].

[55] La cour d’appel ne peut infirmer une conclusion de fait que « lorsqu’il est établi que le juge de première instance a commis une erreur manifeste et dominante ou tiré des conclusions de fait manifestement erronées, déraisonnables ou non étayées par la preuve » (H.L. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 401, 2005 CSC 25, par. 4.

[68]        L’article 1901 C.c.Q., dans la section sur le bail, permet à un tribunal, « en tenant compte des circonstances », de réduire l’obligation du locataire.

[69]        L’appelante-locatrice n’a pas démontré que la Régie se trompait en 2019 en refusant de considérer que les circonstances avaient changé depuis 2008, date d’une première décision suspendant l’obligation.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

REJETTE l’appel;

CONFIRME la décision rendue par la Régie du logement le 7 mars 2019, sous la signature de la juge administrative Mélanie Marois, sur la demande portant le numéro 2225774 introduite le 19 avril 2017 dans le dossier portant le numéro 331964 18 201704 19G;

CONDAMNE Société en commandite Grande-Allée aux frais de justice.

 

 

 

__________________________________

JACQUES TREMBLAY, J.C.Q.

 

 

 

 

Me David Ferland

Stein Monast, s.e.n.c.r.l.

Casier : 14

Avocats des Appelantes

 

Me Michel Chabot

Gravel Bernier Vaillancourt

Casier : 95

Intimé-Locataire - défendeur

 

 

 

 

Date d’audience :

21 octobre 2020

 



[1]     RLRQ c  T-15.01.

[2]     Bilodeau en sa qualité de fiduciaire (Fiducie André Bilodeau) c. Chabot, 2019 QCRDL 6959.

[3]     Bilodeau c. Chabot, dossier no. 18 070806 005G.

[4]     Id., p. 11.

[5]     Avis de communication des dépositions du 11 février 2020 de la transcription de l’audition du 11 décembre 2018 devant la Régie du logement, p. 101.

[6]     Id., p. 89.

[7]     Id., p. 89

[8]     Id., p. 84, 85 et 87.

[9]     Id., p. 90, 93 et 97.

[10]    Id., p. 98.

[11]    Id., p. 98.

[12]    Id., p. 86 et 87.

[13]    J.L c. Coopérative de l'Ébène, [2005] R.J.Q. 267 ; Benoît MOORE, Les clauses abusives : dix ans après, (2003, 63 RduB, p. 71.

[14]    Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 10, 16 et 25.

[15]    Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235.

[16]    RLRQ c R-8.1.

[17]    Housen c. Nikolaisen, précité, note 15, par. 8, 10, 19, 26 à 37; voir également : FPI Boardwalk Québec inc. c. Isik, 2020 QCCQ 2875, par. 31, 33, 35 et 38.

[18]    Audet c. Payette, 2018 QCCA 309.

[19]    Gercotech inc. c. Kruger inc. Master Trust (CIBC Mellon Trust Company) 2019 QCCA 1168.

[20]    JuriBistro, Introduction au droit canadien, section 3.1, Force reconnue à la chose jugée (res judicata), par. 3.1.2.2; Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, p. 254; Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422, par. 25.

[21]    Précité, note 2.

[22]    RLRQ c. C-1991.

[23]    Précité, note 2.

[24]    Par. 3 du présent jugement.

[25]    Roberge c. Bolduc, 1991 CanLII 83 (CSC); Construction S.Y.L. Tremblay inc. c. Agence du revenu du Québec, 2018 QCCA 552, par. 20, 37 et 38; Sophie LAVALLÉE; L’autorité de la chose jugée dans Preuve civile, 4 éd. Éditions Cowansville, Éd. Yvon Blais 2008; Paul-Émile Genest & Fils inc. c. Pineau, 2010 QCCS 2921; Plomp c. Cournoyer-Proulx, 2016 QCTP 83, par. 60.

[26]    Construction S.Y.L. Tremblay inc. c. Agence du revenu du Québec, précité note 25, par. 37 et 38.

[27]    Transcription des notes sténographiques de l’audition devant la Régie, p. 89.

[28]    Id., p. 95.

[29]    F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 (CanLII).

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