Mabe Canada inc. (F) et Lévesque |
2015 QCCLP 663 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Gatineau |
4 février 2015 |
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Région : |
Lanaudière |
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437017-63-1104 438908-63-1105 439055-63-1105 469035-63-1204 474144-63-1206 483188-63-1209 |
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Dossier CSST : |
137150561 |
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Commissaire : |
Suzanne Séguin, juge administrative |
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Membres : |
Conrad Lavoie, associations d’employeurs |
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Richard Morin, associations syndicales |
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474144 483188 |
439055 |
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Mabe Canada inc. (F) |
Mabe Canada inc. (F) |
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Partie requérante |
Partie requérante |
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et |
et |
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Johanne Lévesque Partie intéressée |
Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 28 novembre 2013, madame Johanne Lévesque (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision et en révocation d’une décision rendue le 29 octobre 2013 par la Commission des lésions professionnelles. Par la suite, la travailleuse fait parvenir au tribunal des précisions quant à ses motifs de révision les 10 décembre 2013, 7 janvier 2014 et 30 juillet 2014. La requête en révision et en révocation est traitée à cette dernière date.
[2] Par sa décision rendue le 29 octobre 2013, la Commission des lésions professionnelles déclare sans objet la requête de Mabec Canada inc. (l’employeur) et déclare que la décision rendue le 19 avril 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) est devenue sans effet. Par ailleurs, elle accueille la requête de l’employeur dans le dossier portant le numéro 438908-63-1105, infirme la décision rendue par la CSST le 11 mai 2011 à la suite d’une révision administrative et déclare que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 18 octobre 2010. Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles déclare que les décisions rendues par la CSST à la suite d’une révision administrative les 12 mai 2011, 17 avril 2012, 25 mai 2012 et 21 septembre 2012 sont devenues sans effet.
[3] L’audience sur la présente requête s’est tenue le 26 janvier 2015 à Joliette en présence de la travailleuse qui n’est pas représentée. L’employeur est en faillite et le syndic de faillite n’est pas représenté à l’audience. Quant à la CSST, elle a informé la Commission des lésions professionnelles qu’elle n’y serait pas représentée. La cause est mise en délibéré à la date de l’audience.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 octobre 2013, de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle le 18 octobre 2010 et de confirmer l’ensemble des décisions rendues par la CSST à la suite d’une révision administrative.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales rejetteraient la requête de la travailleuse, car ils sont d’avis, d’une part, que le registre des accidents ne constitue pas un fait nouveau et, d’autre part, que la décision rendue par le premier juge administratif n’est pas entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[6] En effet, ils estiment que la stratégie adoptée par le représentant de la travailleuse ne peut être modifiée par le recours en révision. De plus, ils considèrent que le premier juge administratif a bien évalué la preuve médicale et que sa décision est motivée; le lecteur en comprend le raisonnement.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Dans la présente affaire, le premier juge administratif doit déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 18 octobre 2010 et il doit se prononcer sur le diagnostic de la lésion professionnelle, sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique, sur le droit de la travailleuse à la réadaptation, sur la détermination de l’emploi convenable de préposé à l’accueil et aux renseignements ainsi que sur l’imputation du coût de cette lésion professionnelle au dossier de l’employeur, s’il y a lieu.
[8] Dans sa décision, le premier juge administratif décide que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 18 octobre 2010. Dès lors, les autres décisions deviennent sans effet.
[9] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la décision rendue le 29 octobre 2013 doit être révisée.
[10] L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu’une affaire est entendue par plus d’un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l’ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[11] Par ailleurs, une décision de la Commission des lésions professionnelles pourra être révisée ou révoquée selon les conditions strictes de l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu’elle a rendu :
1° lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l’ordre ou l’ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l’a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[12] Cet article permettant la révision ou la révocation d’une décision a une portée restreinte et doit être interprété restrictivement en tenant compte des objectifs visés à l’article 429.49 de la loi afin d’assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le tribunal[2].
[13] Donc, afin de réussir dans son recours en révision ou en révocation, la partie devra démontrer, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs énumérés à l’article 429.56 de la loi.
[14] Dans la présente affaire, la travailleuse invoque le premier paragraphe de l’article 249.56 de la loi, soit la découverte d’un fait nouveau, ainsi que le troisième paragraphe de cet article, soit un vice de fond de nature à invalider la décision.
La découverte d’un fait nouveau
[15] Selon la jurisprudence, la travailleuse devra démontrer les trois éléments suivants afin de réussir dans sa demande[3] :
1. La découverte postérieure à la décision d’un fait qui existait au moment de l’audience;
2. La non-disponibilité de cet élément de preuve au moment où s’est tenue l’audience initiale;
3. Le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eut été connu en temps utile.
[16] Devant le présent tribunal siégeant en révision, la travailleuse allègue que le registre des accidents constitue un fait nouveau. Elle témoigne qu’après l’audience, le vice-président du syndicat l’a appelée pour lui dire qu’il avait entre les mains un document qui pourrait l’aider dans sa cause.
[17] La travailleuse prétend avoir subi une lésion professionnelle le 18 octobre 2010 dans les circonstances rapportées par le premier juge administratif aux paragraphes 20 à 24 de sa décision :
[20] Le 18 octobre 2010, la travailleuse occupe un emploi d’assembleuse chez son employeur depuis le 15 novembre 1999. Depuis cette date, elle a travaillé dans divers départements.
[21] Le jour de l’événement, elle déclare être victime d’un accident du travail. Elle rédige une Déclaration d’événement chez son employeur. Elle relate que depuis ce matin, elle a une douleur plus intense au bras droit et à l’épaule droite. Elle précise que les tuyaux de gaz rentrent mal et qu’elle doit appuyer plus fort pour visser la vis du moteur. Elle en a avisé son chef de groupe et le superviseur. En raison de son état, elle utilise de la glace.
[22] À cette date, la travailleuse occupe un poste à l’assemblage des sécheuses depuis quelques mois. Son quart de travail est de 7 h à 15 h 25. Ce poste de travail se situe sur la ligne principale d’assemblage des sécheuses. Cela comporte l’installation d’un tuyau de métal à l’intérieur de la sécheuse. Elle dispose d’une série de tuyaux près d’elle placés sur plusieurs tablettes. Elle estime que la partie supérieure des tablettes se trouve à 80 pouces du sol. Elle décrit les gestes requis pour insérer le tuyau de la sécheuse. Il s’agit de gestes effectués à l’aide des deux mains avec les bras près du corps. Elle insère le tuyau à l’intérieur de la sécheuse alors que celle-ci est située devant elle. Elle installe également une vis pour retenir cette pièce, laquelle était difficile à insérer. Lorsqu’elle installe le tuyau, son poignet est en position neutre. Elle doit également extraire les fils se trouvant à l’intérieur de la sécheuse afin qu’ils soient accessibles. La dernière étape de cette séquence consiste à brancher une série de fils. L’ensemble de ces tâches s’effectue au niveau du panneau arrière de la sécheuse. Une séquence de travail dure entre 28 et 32 secondes. Elle répète cette séquence pendant son quart de travail.
[23] À l’audience la travailleuse déclare que le 18 octobre 2010, elle a constaté que les tuyaux étaient difficiles à insérer dans la sécheuse. Elle en fait part à sa chef d’équipe, madame Line Villemare. Cette dernière a logé un appel afin de remplacer la série de tuyaux par une nouvelle, ce qui fut fait au poste de la travailleuse. Or, cette nouvelle série de tuyaux présentait la même défectuosité, ce qu’elle a signalé à madame Villemare. Cette dernière a fait intervenir le superviseur, monsieur Patrick Séguin, lequel s’est présenté au poste de travail. Il a suggéré que soit apportée une troisième série de tuyaux. Or malgré tout, le problème a persisté.
[24] À la pause du midi, la travailleuse fait part de sa situation à ses collègues de travail, lesquelles affirment avoir vécu le même problème. À la fin de cette pause, le contremaître recherche une solution au problème de la travailleuse étant donné qu’elle ressent des douleurs à l’épaule et au poignet. Il la maintient à son poste de travail, mais lui assigne une collègue afin qu’ensemble elles effectuent toutes les étapes requises. C’est ainsi qu’au cours de l’après-midi, elle travaille à son poste de travail en compagnie d’une collègue. Malgré cette situation, elle déclare que le problème a persisté jusqu’à la fin de son quart de travail.
[18] Lors de l’audience devant le premier juge administratif, monsieur Yann Bertrand, leader soutien aux opérations, témoigne à la demande de l’employeur. Concernant le fait accidentel allégué, ses propos sont rapportés aux paragraphes 84 à 86 de la décision :
[84] Il commente les propos de la travailleuse voulant que le 18 octobre 2010 une des extrémités des tuyaux était effilochée, ce qui rendait leur installation plus exigeante. Il déclare n’avoir jamais eu connaissance d’un tel problème et qu’aucun membre de son équipe n’a complété de document à ce sujet. Il souligne qu’en raison du volume de tuyaux impliqués, cela ne serait pas passé inaperçu.
[85] D’ailleurs, il souligne que lorsqu’il survient un problème de l’ampleur décrit par la travailleuse et qui implique donc une grande quantité de tuyaux, un inspecteur responsable de la qualité des composantes des sécheuses intervient afin d’identifier le problème et recommander une solution. Il peut aussi arriver qu’un chef d’équipe identifie une solution sans que n’intervienne un inspecteur. Si lors de telles démarches, il s’avère que les tuyaux doivent être écartés de la chaîne de montage, un document intitulé « Directives supplémentaires d’ingénierie » est rédigé. Ce document identifie la défectuosité et fait mention du fait que la pièce est non conforme. L’équipe de la qualité détermine alors le correctif à apporter afin d’être en mesure d’utiliser les pièces comme prévu. Il réitère n’avoir retracé aucune directive quant à un problème concernant les tuyaux utilisés sur la chaîne de montage à la période du 18 octobre 2010.
[86] Il estime presque impossible qu’une telle situation soit survenue sans qu’aucun document ait été rédigé. Cela ne serait pas conforme au mode de fabrication. Il ne peut pas concevoir qu’une telle défectuosité survienne étant donné que les tuyaux sont fabriqués à l’aide de matrice en acier.
[19] La travailleuse prétend, devant le présent tribunal, que le document qu’elle entend déposer démontre que monsieur Bertrand s’est parjuré et que les tuyaux étaient bel et bien défectueux. Elle croit que ce document est le Registre des accidents tenu par l’employeur et dans lequel on retrouve une mention d’un événement du 14 janvier 2010 alors qu’une travailleuse déclare une lésion au poignet à cause de problème de qualité. Il en est de même le 5 octobre 2010. On y retrouve aussi la déclaration de la travailleuse pour l’événement allégué du 18 octobre 2010 et dont le siège de la lésion serait l’épaule.
[20] La travailleuse prétend que ce registre constitue un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente. La soussignée estime que tel n’est pas le cas.
[21] D’une part, si ce document constitue effectivement le Registre des accidents selon l’article 280 de la loi, ce registre était disponible au moment où s’est tenue l’audience devant le premier juge administratif puisque cet article édicte que :
280. L’employeur inscrit dans un registre les accidents du travail qui surviennent dans son établissement et qui ne rendent pas le travailleur incapable d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa lésion professionnelle; il présente ce registre au travailleur afin que celui-ci y appose sa signature pour confirmer qu’il a été victime de l’accident et la date de celui-ci.
Le registre des premiers secours et des premiers soins prévu par règlement peut servir à cette fin.
L’employeur met ce registre à la disposition de la Commission et d’une association syndicale représentative des travailleurs de son établissement ou leur en transmet copie, selon qu’elles le requièrent, et il transmet, sur demande, au travailleur ou à son représentant copie de l’extrait qui le concerne.
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1985, c. 6, a. 280.
[soulignement ajouté]
[22] D’autre part, cet élément n’aurait pas eu un caractère déterminant sur le sort du litige, car il fait état de la version de la travailleuse selon laquelle elle s’est blessée à cause d’un problème de qualité des tuyaux. Il s’agit de la même version que celle qui apparait à la Déclaration d’événement chez l’employeur et celle que la travailleuse a relatée lors de témoignage. Le premier juge administratif a analysé cette preuve et n’a pas retenu les prétentions de la travailleuse. Il s’exprime ainsi :
[122] Le tribunal constate que ces tâches étaient principalement exécutées à l’aide des deux membres supérieurs. Ainsi, la travailleuse manipulait les tuyaux de ses deux mains afin de les insérer à l’intérieur des sécheuses. Or, la lésion se situe uniquement du côté droit, soit le même que celui où il a été identifié une condition personnelle préexistante à l’épaule.
[123] Le tribunal ne retient donc pas les prétentions de la travailleuse quant à une série d’efforts inhabituels. Elle n’a pas établi avoir été exposée à une situation différente au cours de ce quart de travail. Ainsi, il n’a pas été démontré par une preuve prépondérante qu’il est survenu une défectuosité au niveau des tuyaux, ce qui les aurait rendus plus difficiles à installer.
[124] En effet, l’employeur a soumis des éléments de preuve probants qui ne supportent pas cette affirmation de la travailleuse. L’employeur n’a répertorié aucune défectuosité des tuyaux qui serait survenue le 18 octobre 2010. D’ailleurs, la travailleuse a soutenu que ce problème impliquait un grand nombre de tuyaux et aurait même été constaté par des collègues de travail, ce qui n’est aucunement corroboré par d’autres éléments de preuve. Au contraire, la preuve révèle l’existence d’un système de contrôle de la qualité des pièces utilisées sur les chaînes d’assemblage. Lorsque survient une défectuosité quant à de nombreuses pièces, cela ne peut pas passer inaperçu. Il existe alors une procédure qui permet d’identifier la nature de la défectuosité et le correctif à apporter de façon à utiliser les pièces déjà fabriquées.
[125] Ainsi, le tribunal retient le témoignage de monsieur Bertrand, lequel est responsable de la qualité chez l’employeur. Ce dernier a confirmé que, s’il était survenu une situation comme celle invoquée par la travailleuse, cela aurait nécessairement été répertorié dans les documents de l’employeur. Il a effectué des recherches et n’a rien retracé quant à l’existence d’un problème avec les tuyaux au cours de la période rapportée par la travailleuse.
[23] Que le registre fasse état d’autres travailleuses ayant subi des lésions qu’elles attribuent à des problèmes de qualité ne permet pas d’en inférer qu’il y a un problème avec les tuyaux au cours de la période pertinente. Cela ne démontre pas que le témoin Bertrand s’est parjuré ni que la travailleuse a subi une lésion professionnelle dans les circonstances qu’elle décrit.
[24] Au surplus, le premier juge administratif écrit au paragraphe 126 de sa décision que « même si le tribunal retenait que la travailleuse a pu avoir certaines difficultés à installer les tuyaux pendant son quart de travail du 18 octobre 2010, une telle situation ne supporte pas la conclusion quant à un lien causal entre cet événement et les diagnostics retenus ». Force est de conclure que cet élément n’est pas déterminant.
[25] Dès lors, la soussignée estime que le document faisant état de lésions alléguées ne constitue pas un fait nouveau.
Les vices de fond de nature à invalider la décision
[26] Dans l’affaire Bourassa[4], la Cour d’appel rappelle que la notion de vice de fond peut englober une pluralité de situations. Elle ajoute que :
[21] La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d’une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.
[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments (4).
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(4) Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508; Jean-Pierre Villagi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.
[27] Le vice de fond de nature à invalider une décision a été interprété par la Commission des lésions professionnelles comme étant une erreur manifeste de fait ou de droit ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation. Il peut s’agir, entre autres, d’une absence de motivation, d’une erreur manifeste dans l’interprétation des faits lorsque cette erreur constitue le motif de la décision ou qu’elle joue un rôle déterminant, du fait d’écarter une règle de droit qui est claire ou du fait de ne pas tenir compte d’une preuve pertinente[5].
[28] Dans l’affaire Franchellini précitée, la Commission des lésions professionnelles précisait que « la révision pour cause n’est pas un appel et il n’est pas permis à un commissaire qui siège en révision de substituer son appréciation de la preuve à celle qui a été faite par le premier commissaire »; ce recours ne peut constituer un appel déguisé étant donné le caractère final des décisions du tribunal.
[29] La jurisprudence énonce aussi que ce recours en révision pour vice de fond ne doit pas être l’occasion pour une partie de compléter ou de bonifier la preuve ou l’argumentation déjà soumise[6].
[30] La Cour d’appel souligne que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision[7]. Elle invite donc la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue, c’est ce que souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation[8] alors qu’elle s’exprime ainsi :
[22] Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin16, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.
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16 Précitée, note 8
[31] Par ailleurs, une divergence d’opinions quant à l’interprétation du droit ne constitue pas un motif de révision[9].
[32] Devant le présent tribunal siégeant en révision, la travailleuse allègue qu’elle n’a pu faire valoir son point de vue quant à la blessure alléguée au poignet parce que son avocat n’a pas déposé des documents faisant état de sa description de tâches et qu’il ne lui a pas permis de témoigner en contre-preuve afin de contredire le témoignage de monsieur Bertrand.
[33] Concernant les documents faisant état de la tâche de la travailleuse, quoique son procureur ne les ait pas déposés à l’audience, ils apparaissent au dossier de la Commission des lésions professionnelles, car ils font partie des notes évolutives de réadaptation; la travailleuse n’a donc pas été empêchée de produire ses documents.
[34] Concernant le fait qu’elle n’a pu témoigner en contre-preuve afin de contredire le témoignage de monsieur Bertrand, le présent tribunal s’étonne de cette affirmation alors que le premier juge administratif écrit au paragraphe 87 de sa décision ce qui suit :
[87] À la suite du témoignage de monsieur Bertrand, la travailleuse réitère avoir vécu au jour de l’événement un problème avec l’installation des tuyaux. Elle précise que l’extrémité des tuyaux, soit celle qui est insérée dans la sécheuse, était effilochée et qu’en plus les tuyaux avaient une forme ovale. Cette situation nécessitait qu’elle exerce davantage de pression afin de réussir à les installer.
[35] La soussignée procède donc à l’écoute d’une partie de l’enregistrement de l’audience devant le premier juge administratif le 14 août 2013 alors qu’entre 10 h 18 et 10 h 47, la travailleuse témoigne après le témoignage de monsieur Bertrand. Elle décrit les tuyaux qu’elle utilise et les gestes qu’elle doit faire pour les installer. Par la suite, son procureur lui demande si elle a d’autres commentaires à faire au sujet du témoignage de monsieur Bertrand et elle fait alors quelques remarques supplémentaires.
[36] Il est donc erroné de prétendre qu’elle n’a pu se faire entendre à cet égard. Mais, à tout événement, cela aurait été une question de stratégie et, comme l’enseigne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Milette et Produits forestiers Bellerive Ka’n’enda inc.[10], une partie ne peut utiliser le recours en révision pour modifier rétroactivement la stratégie adoptée, car cela équivaudrait à lui permettre de bonifier sa preuve, allant ainsi à l’encontre du principe de stabilité juridique des décisions.
[37] Dès lors, le présent tribunal siégeant en révision estime que la travailleuse n’a pas démontré qu’elle a été empêchée de produire une preuve et qu’ainsi la décision du premier juge administratif serait entachée d’un vice de fond à cet égard.
[38] Finalement, la travailleuse reproche au premier juge administratif de ne pas avoir pris en considération les opinions médicales du docteur David G. Wiltshire, chirurgien orthopédiste, membre du Bureau d’évaluation médicale, du docteur Jules Boivin, chirurgien orthopédiste désigné par la CSST, et du docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste mandaté par son procureur, pour retenir celle du docteur Éric Renaud, expert mandaté par l’employeur, et ce, sans motiver son choix.
[39] Rappelons que, comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Romano et Services d’entretien Distinction (1989) inc.[11], « c’est l’absence totale de motivation qui peut, lorsqu’elle est évidente à la lecture même, donner lieu à une révision et non, […] un manque de motivation, même si un tel manque était prouvé ».
[40] Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de commenter tous les faits mis en preuve ni de trancher tous les arguments que les parties ont présentés, mais il faut que la lecture de la décision permette de comprendre le processus décisionnel du juge administratif et le raisonnement qui la sous-tend; il faut que le lecteur comprenne les fondements de la décision[12].
[41] En fait, il s’agit du test de l’intelligibilité dont il est fait mention dans l’affaire Hamel et EMCO ltée (Div. Distribution)[13] :
[36] Le test à appliquer consiste à se demander si les motifs de la décision sont suffisamment intelligibles et permettent à une personne raisonnablement informée de comprendre les fondements de la décision.
[42] Dans la présente affaire, étant saisi de la survenance de la lésion professionnelle et du diagnostic, le premier juge administratif se prononce, dans un premier temps, sur le diagnostic de la lésion de la travailleuse.
[43] Le docteur René Morel, omnipraticien ayant pris charge de la travailleuse, pose les diagnostics d’entorse cervicale sur discopathie avec irradiation au membre supérieur droit, d’entorse à l’épaule et au poignet droit et de déchirure à l’épaule droite et au poignet droit alors que le docteur Renaud retient les diagnostics d’arthropathie symptomatique et d’arthralgie cubitale du poignet droit.
[44] Cette divergence d’opinions donne lieu à l’avis du docteur Wiltshire, membre du Bureau d’évaluation médicale, qui estime que les diagnostics sont une myosite du trapèze droit, une arthropathie symptomatique acromioclaviculaire droite, une bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne à l’épaule droite et une tendinite du tendon extensor carpi ulnaris du poignet droit.
[45] Par la suite, la CSST étant liée par l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale, le docteur Boivin qu’elle désigne ne se prononce pas sur les diagnostics, mais sur les soins et traitements, sur la date de consolidation ainsi que sur la présence et la nature de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique et des limitations fonctionnelles.
[46] À la suite de l’audience devant le premier juge administratif, la travailleuse dépose l’expertise du docteur Tremblay qui se prononce sur la relation entre le travail et les problèmes à l’épaule droite ainsi qu’au poignet droit. Il fait état d’une tendinopathie de l’épaule droite et d’une tendinite de l’extenseur carpi ulnaris au niveau du poignet droit.
[47] Le premier juge administratif relate l’ensemble des rapports d’expertise médicale et le témoignage du docteur Renaud. Il retient les conclusions du docteur Renaud quant aux diagnostics et s’en explique au paragraphe 106 à 109 :
[106] Après analyse de l’ensemble de la preuve, le tribunal est d’avis de retenir les conclusions du docteur Renaud quant au diagnostic, soit celui d’arthropathie symptomatique acromioclaviculaire droite, tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et arthralgie cubitale du poignet droit.
[107] En effet, le tribunal constate que cette conclusion du docteur Renaud est supportée par une preuve médicale prépondérante. Ce dernier a procédé à une analyse de tous les éléments au dossier. Il a commenté les divers examens cliniques et les résultats de l’investigation médicale. Il a également décrit l’étiologie des maladies dont souffre la travailleuse.
[108] Sur cet aspect, le tribunal constate que la travailleuse a connu un premier épisode de douleur à l’épaule droite en lien avec une condition personnelle, ce qui a nécessité un arrêt de travail et des traitements. De plus, l’investigation a révélé que la travailleuse présentait une condition dégénérative à l’épaule droite. Les docteurs Renaud et Tremblay ont d’ailleurs retenu un diagnostic de tendinopathie à l’épaule droite d’origine personnelle. Ces médecins ont écarté les diagnostics de myosite du trapèze droit et de bursite sous-acromiale.
[109] Plus particulièrement, le tribunal note qu’en décembre 2010, le docteur Renaud ne retrouvait aucun signe inflammatoire justifiant de conclure à une myosite du trapèze. De plus, les circonstances entourant la manifestation des symptômes tout comme leur évolution ne militent pas en faveur du maintien des diagnostics émis par le Bureau d’évaluation médicale.
[48] Il faut lire la décision dans son ensemble et le présent tribunal constate que le premier juge administratif a pris en considération l’ensemble de la preuve médicale afin de se prononcer sur les diagnostics à retenir et qu’il explique pourquoi il privilégie l’opinion du docteur Renaud à cet égard.
[49] Par la suite, le premier juge administratif analyse la preuve factuelle et conclut, en s’appuyant sur la jurisprudence en la matière, que la présomption de l’article 28 de la loi s’applique, mais que l’employeur a renversé cette présomption en démontrant, par une preuve médicale prépondérante, que les symptômes ressentis par la travailleuse à compter du 18 octobre 2010 n’étaient pas engendrés par l’exécution de ses tâches. Il motive cette conclusion aux paragraphes 127 à 138.
[50] Concernant les problèmes à l’épaule, il écrit, entre autres, que :
[132] Le tribunal retient les opinions émises par les docteurs Renaud et Tremblay quant à l’absence de lien causal entre le travail et les problèmes à l’épaule droite. Ces deux médecins ont analysé une vidéo du poste de travail et obtenu la version de la travailleuse. Ils ont considéré que la nature des tâches n’était pas susceptible de léser l’articulation de l’épaule droite. De plus, le docteur Renaud a eu l’occasion d’assister au témoignage de la travailleuse et a maintenu sa conclusion.
[133] Le tribunal est donc d’avis que l’arthropathie symptomatique acromioclaviculaire droite ainsi que la tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite ne sont pas en relation avec les tâches exécutées par la travailleuse le 18 octobre 2010.
[51] Concernant la lésion au poignet droit, il écarte l’opinion du docteur Tremblay pour les motifs suivants :
[137] Or, la preuve n’établit nullement que cette maladie est caractéristique du travail exercé à l’assemblage. Ainsi, il n’a pas été démontré que d’autres travailleurs qui exécutaient le même type de tâches que la travailleuse aient développé une maladie au poignet droit. Aucune étude épidémiologique ne démontre un lien causal entre les tâches décrites au dossier et l’arthralgie cubitale du poignet droit. Enfin, le docteur Tremblay fonde sa conclusion sur des faits qui ne sont pas considérés comme étant avérés au dossier. Il retient entre autres que le travail impliquait l’exécution inhabituelle de mouvements de pronation et de supination contre résistance, et ce, en raison d’une défectuosité des tuyaux, ce qui n’a pas été démontré. Enfin, il n’explique pas comment une courte période d’exposition peut avoir engendré le problème au poignet droit.
[52] Donc, le premier juge administratif a analysé le rapport d’expertise médicale du docteur Tremblay et motive pourquoi il ne retient pas son opinion. Par ailleurs, la travailleuse ne peut lui reprocher de ne pas avoir retenu les opinions des docteurs Wiltshire et Boivin alors que le docteur Wiltshire ne se prononce pas sur la relation entre les diagnostics retenus et l’événement du 18 octobre 2010 et que le docteur Boivin se prononce seulement sur les soins et traitements, la date de consolidation, l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique et les limitations fonctionnelles.
[53] Le présent tribunal estime que le premier juge administratif a motivé sa décision dont la lecture permet de comprendre son processus décisionnel et le raisonnement qui la sous-tend; le lecteur comprend les fondements de cette décision.
[54] Dès lors, la soussignée estime que les arguments de la travailleuse ne peuvent donner ouverture à la révision ou à la révocation de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 23 octobre 2013, la travailleuse n’ayant pas démontré la découverte d’un fait nouveau ni que la décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[55] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que la requête en révision doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision de madame Johanne Lévesque, la travailleuse.
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Suzanne Séguin |
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Me Geoffroy H. Lamarche |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.
[3] Bourdon c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, C.L.P. 107558-73-9811, 17 mars 2000, Anne Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., C.L.P. 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, (00LP - 165), révision rejetée, 14 décembre 2001, N. Lacroix; Soucy et Groupe RCM inc., C.L.P. 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, (01LP-64); Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, C.L.P. 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, C.L.P. 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque; Toitures P.L.M. et Carrier, C.L.P. 331688-64-0711, 15 juillet 2009, P. Perron; Succession Marius Deschamps et Unimin Canada ltée, C.L.P. 170843-6401001, 15 septembre 2009, Alain Vaillancourt, (09LP-116); Jacques et CSSS de Bécancour-Nicolet-Yamaska, C.L.P. 338991-04-0801, 5 janvier 2010, L. Boudreault.
[4] Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).
[5] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733.
[6] Voir notamment : Moschin et Communauté Urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860; Lamarre et Day & Ross inc., [1991] C.A.L.P. 729; Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P.180; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix; Pétrin c. C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de Gracefield, C.S. Montréal 550-05-008239-991, 15 novembre 1999, j. Dagenais.
[7] Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. (C.A.).
[8] C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau, (05LP-220).
[9] Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.).
[10] C.L.P. 877886-64-9704, 29 mars 1999, L. Couture.
[11] C.L.P. 94865-72-9803, 7 février 2000, S. Mathieu.
[12] Manufacture Lingerie Château c. Gonzalez, C.S. Montréal, 500-05-065039-016, 1er octobre 2001, j. Poulin; Emballage Workman inc. (Multisac) et Martinez, C.L.P. 141500-72-0006, 2 mai 2002, L. Landriault.
[13] C.L.P. 202914-63-0303-R, 15 décembre 2004, L. Boudreault.
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