[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district d’Iberville (l’honorable Pierre-C. Gagnon) qui, le 11 avril 2016, a rejeté avec frais de justice sa réclamation de 81 295,51 $ avec intérêts et indemnité additionnelle, fondée sur un cautionnement.
[2] Pour les motifs du juge Morissette, auxquels souscrivent les juges Vauclair et Hogue, LA COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel;
[4] INFIRME le jugement de première instance;
[5] ACCUEILLE la requête introductive d’instance de l’appelante;
[6]
CONDAMNE l’intimé à verser à l’appelante la somme de
81 295,51 $ avec intérêts au taux de 18 % l’an à compter du 5
juin 2015, mais sans l’indemnité additionnelle de l’article
[7] LE TOUT avec frais de justice en faveur de l’appelante en première instance et en appel.
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MOTIFS DU JUGE MORISSETTE |
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[8] L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure[1], district d’Iberville (l’honorable Pierre-C. Gagnon) qui, le 11 avril 2016, a rejeté son action fondée sur un cautionnement. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis qu’il y a lieu de faire droit à l’appel et d’accueillir l’action de l’appelante.
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[9] L’appelante est une grossiste en produits de plomberie et de quincaillerie. L’intimé, qui est plombier de formation, a créée en 1991 une entreprise (« Plomberie D.S. inc. ») dont il était l’actionnaire unique. Selon la déposition de l’intimé, cette entreprise employait à une certaine époque jusqu’à soixante plombiers. Son chiffre d’affaire annuel atteignit huit millions de dollars et, en 1998, année pertinente pour les fins du pourvoi, il oscillait entre trois et cinq millions de dollars.
[10] Le 23 juin 2015, Plomberie D.S. inc. soumet une proposition concordataire à ses créanciers conformément à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[2]. L’appelante vote en faveur de cette proposition qui est acceptée le 8 juillet suivant. Le syndic chiffre la réclamation de l’appelante à 71 250,97 $ et lui verse un dividende de 826 $.
[11] À l’origine, l’entreprise de l’intimé s’approvisionnait auprès d’une autre grossiste. Celle-ci fut acquise par l’appelante en 1997. Dans la foulée de cette acquisition, tous les nouveaux clients qui en étaient issus, dont l’entreprise de l’intimé, furent contactés par l’appelante afin de mettre en place de nouvelles modalités de crédit. C’est ainsi que, le 17 août 1998, l’intimé signait le formulaire produit sous la cote P-1, et sur le fondement duquel l’appelante a intenté son action.
[12] Ce formulaire d’une page s’intitule « demande d’ouverture de crédit ». Il contient les renseignements sollicités au sujet de l’entreprise de l’intimé, de ses coordonnées, de ses propriétaires (l’intimé, on l’a vu, en est le seul actionnaire), de ses autres fournisseurs et de l’institution financière avec laquelle elle traite. Au-dessous de cette partie remplie à la main se trouve un texte de huit paragraphes numérotés, sous le titre « conditions de vente ». Sept de ces huit paragraphes sont coiffés d’une rubrique qui annonce leur teneur. Le principal élément en litige entre les parties concerne la portée du septième paragraphe, mais il est utile de citer quelques autres passages du document car ils permettent de replacer les choses dans leur contexte :
7. Cautionnement. Dans l’hypothèse où le client est une personne morale, ses officiers, administrateurs, actionnaires, ou représentants signataires des présentes déclarent être autorisés à agir pour et au nom de la personne morale et ils s’engagent personnellement, conjointement et solidairement avec la personne morale au paiement de tout compte en souffrance, des intérêts et dommages et intérêts liquidés s’il y a lieu, renonçant au bénéfice de discussion et de division.
8. Le client certifie que toutes les informations susmentionées sont véridiques, déclare avoir lu, compris et reçu du vendeur s’il y a lieu toutes les explications nécessaires relativement aux conditions prévues aux présentes et déclare qu’aucune autre représentation ne lui a été faite.
Signé à_____ce__ième jour de______19__Signature_____________________
Signature_____________________
Autorisation et information de crédit : De plus, le client______________ autorise EMCO Québec à vérifier l’information transmise, et à se procurer en tout temps, par les méthodes usuelles, des renseignements sur son crédit auprès de toute personne avec qui il entretient des relations d’affaires, ainsi qu’avec toute (sic) agence ou bureau de crédit. Enfin, le client autorise son institution financière à divulguer toute information pertinente sur son crédit.
Signé à_____ce__ième jour de______19__Signature_____________________
La signature de l’intimé apparaît dans le premier et le troisième espaces prévus à cette fin, et il est précisé à la main que le formulaire a été signé à St-Jean le 17 août 1998.
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[13] Le 15 juin 2015, quelques jours avant la proposition concordataire de Plomberie DS inc., l’appelante intentait action contre l’intimé, alléguant que « le défendeur a cautionné personnellement, conjointement et solidairement avec Plomberie D.S. inc., les obligations de cette dernière en faveur de la demanderesse ». À cette date, elle lui réclamait 81 295,51 $ en capital, plus les intérêts prévus au contrat et l’indemnité additionnelle.
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[14] Saisi de plusieurs moyens de défense oraux que l’intimé avait dénoncés par écrit le 17 août 2015, le juge de première instance a d’abord rappelé les circonstances dans lesquelles la pièce P-1 avait été signée et il en a scruté les termes. Il examine l’affaire sous trois angles distincts.
[15] En premier lieu, il estime que la pièce P-1 est un contrat d’adhésion; il écarte la déposition d’un témoin cité par l’appelante, témoin selon lequel la signature apparaissant immédiatement après la clause 8 du document dénote l’acceptation expresse par l’intimé de son engagement en qualité de caution. Puis, le juge considère le témoignage de l’intimé, qui n’a qu’un vague souvenir de la pièce P-1, document qu’il prétend ne pas avoir signé à titre personnel et que d’ailleurs il n’a pas lu avant d’y apposer ses deux signatures. Le juge rejette les explications de l’intimé et ajoute que, s’il y a eu erreur de sa part, il s’agit d’une erreur inexcusable : l’intimé a reconnu savoir lire et écrire, c’est à l’époque pertinente un homme d’affaires expérimenté à la tête d’une entreprise d’une envergure non négligeable, et l’appelante était l’un des fournisseurs les plus importants de son entreprise. Le juge se tourne ensuite vers le contenu de la pièce P-1, qu’il analyse attentivement, interprétant la clause 7 à la lumière d’autres éléments figurant dans le contrat. Il livre ensuite sa conclusion en ces termes :
[79] Ici, en ultime analyse, le tribunal statue que les déficiences dans le libellé de la clause 7 et que la façon dont les espaces pour signer sont aménagés pour la signature de la D.O.C. de 1998, font en sorte qu’Emco ne s’est pas procurée le consentement exprès de M. Surprenant, tel qu’exigé par l’article 2335 C.c…
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[16] Dans son mémoire, l’appelante a soulevé trois moyens, dont l’un porte sur l’appréciation par le juge d’une partie de la preuve testimoniale qu’elle a versée au dossier et un autre sur la nature de la pièce P-1 que le juge, selon elle, aurait erronément qualifiée de contrat d’adhésion. À l’audience, cependant, et à l’invitation de la Cour, l’appelante a fait porter l’essentiel de son argumentation sur le moyen qu’elle formulait ainsi : « Le juge […] a-t-il erré en droit en concluant que la demande d’ouverture de crédit [soit la pièce P-1] ne constituait pas un contrat de cautionnement? » À mon avis, ce moyen scelle le sort du pourvoi car sur ce point la prétention de l’appelante est fondée.
[18] L’attention doit alors se reporter sur les déficiences mentionnées par le juge dans le paragraphe 79, précité, de ses motifs. Quelles sont-elles? Il y en a deux.
[19] Premièrement, le juge considère que la clause 7, sous la rubrique « Cautionnement », est « objectivement intelligible », mais qu’elle souffre néanmoins d’une faille, qu’elle comporte un « élément fatalement équivoque ». Voici comment il exprime sa pensée sur ce dernier point :
[70] Ainsi, le formulaire requiert la signature d’une personne (peut-être d’une deuxième, vu la deuxième ligne pour signature), tout en référant au pluriel à diverses catégories de personnes physiques.
[71] La signature d’une seule personne physique fait-elle d’elle la seule caution ou engage-t-elle aussi tous les officiers, administrateurs et actionnaires de la personne morale (étant donné que les signataires se déclarent « être autorisés à agir pour et au nom de la personne morale »)? Et faut-il que plusieurs personnes physiques signent conjointement pour que l’utilisation du pluriel trouve son sens?
[72] Qu’en est-il par ailleurs quand le signataire n’est ni officier, administrateur ou actionnaire (par exemple, un commis de bureau)?
[73] La réponse à ces questions doit être évidente sans devoir consulter un conseiller juridique ou obtenir un jugement d’un tribunal judiciaire.
[20] Deuxièmement, le juge s’arrête sur les lignes qui suivent immédiatement la clause 8 et il y voit une autre source d’ambiguïté. Il le fait en ces termes :
[78] […] il se peut qu’une seule signature vaille pour lier à la fois la personne morale et personne physique. Il se peut que, dans un autre contexte, l’omission de se procurer deux signatures distinctes soit fatale.
[79] Ici, en ultime analyse, le tribunal statue
que les déficiences dans le libellé de la clause 7 et que la façon dont
les espaces pour signer sont aménagés pour la signature de la D.O.C. de 1998,
font en sorte qu’Emco ne s’est pas procurée le consentement exprès de
M. Surprenant, tel qu’exigé par l’article
Poursuivant dans cette logique, le juge conclut son analyse en statuant que la pièce P-1 est inopposable à l’intimé.
[21] Doit-on suivre le raisonnement qui précède? Avant d’aborder cette question, je rappelle certaines données du droit commun, d’ailleurs reprises par le juge de première instance dans ses motifs, et qui sont plus particulièrement associées au contrat de cautionnement.
[22]
Le cautionnement est un contrat nommé dont la formation est assujettie à
une règle prescrite par l’article
2335. Le cautionnement ne se présume pas; il doit être exprès. |
2335. Suretyship is not presumed; it is effected only if it is express. |
Commentant cette règle, l’auteure Édith Lambert écrit[3]:
Le consentement de la caution doit donc être manifeste, non équivoque et formulé d’une façon certaine. En effet, il ne peut résulter de présomptions ou de déduire des circonstances ou de certains comportements. Il n’est toutefois pas obligatoire d’utiliser le terme « cautionnement » ou une autre formule sacramentelle.
Ainsi, la formation de ce contrat nécessite une manifestation expresse du consentement de la caution à garantir les dettes d’un débiteur auprès de son créancier. En revanche, et c’est un tempérament qui a son importance, la forme écrite n’est pas requise, quoique, cela va de soi, l’absence d’un écrit authentique ou sous-seing privé peut engendrer de sérieuses difficultés de preuve[4].
[23] À mon avis, c’est à bon droit que le juge a qualifié d’inexcusable l’erreur qu’a pu commettre l’intimé si, comme il en a témoigné, il n’a pas lu la pièce P-1, et si l’on tient cette circonstance pour prouvée. Ce document, je le répète, est compact et de lecture facile. Il suffit de quelques minutes pour le lire en entier. Le contrat qu’il recèle intervient entre, d’une part, une entreprise à l’époque en pleine croissance, représentée par son seul actionnaire, et d’autre part, l’un des principaux fournisseurs de cette entreprise. La conclusion d’une telle entente exige un minimum d’attention de la part des parties et un minimum d’attention pouvait suffire ici pour en saisir toutes les implications, à la condition, bien entendu, que la pièce P-1 ne comportait rien d’ambigu. C’est la prochaine question à trancher.
[24] Une fois acquis que le comportement de l’intimé rendait potentiellement inexcusable toute erreur de sa part sur la nature du contrat qu’il avait signé, on doit s’interroger, pour reprendre l’expression du juge de première instance, sur le caractère « objectivement intelligible » de la clause 7. L’est-elle du début à la fin, comme le prétend l’appelante? Ou comporte-t-elle, malgré une apparence initiale en sens contraire, l’ « élément fatalement équivoque » qu’y a vu le juge? J’estime qu’il faut répondre par la négative à cette dernière question.
[25]
Revenons sur la clause 7. Le juge de première instance et l’appelante en
font deux lectures incompatibles entre elles. Cette incompatibilité tient au
sens que doit revêtir le mot « signataires » dans l’énumération
« ses officiers, administrateurs, actionnaires, ou représentants
signataires ». Mais la question que formule le juge au paragraphe 71 de
ses motifs se résout d’elle-même si l’on en mesure toutes les implications. Y
répondre comme le fait le juge implique que cette clause ferait gravement entorse
au principe de la relativité des contrats - hypothèse que l’on doit écarter si
l’on accepte la lecture proposée par l’appelante. Celle-ci évoque d’abord
l’article
[26] Enfin, je note que l’intimé est la caution poursuivie par l’appelante et qu’au moment pertinent, il était simultanément le seul actionnaire de Plomberie D.S. inc. et, en qualité de représentant de cette dernière le seul signataire de la pièce P-1. Cela clôt cette partie du débat.
[27] Reste la question des deux signatures immédiatement au-dessous de la clause huit. J’ai déjà mentionné au paragraphe [17] que je partageais l’opinion du juge de première instance lorsqu’il dit que ces signatures ne se rattachent pas spécifiquement à la clause 7 mais plutôt à l’ensemble du contrat. Quiconque appartient à l’une des catégories énumérées de personnes et signe au pied de la clause 8 devient caution du simple fait qu’il est signataire. Et comme la possibilité existe qu’il y ait plus d’une caution appartenant à ces catégories de personnes, la faculté est donnée à au moins deux d’entre elles de se lier en signant la pièce P-1.
[28] Cette analyse force à conclure que l’appelante aurait dû avoir gain de cause en première instance. Et rien dans la jurisprudence citée par les parties ne justifie que l’on déroge à cette analyse, aucune des causes citées ne découlant d’un contrat de caution identique à celui qui est en cause ici.
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[29]
Un dernier point mérite mention. Par la principale conclusion de son
mémoire, l’appelante demande à la Cour de condamner « l’intimé à verser à l’appelante la somme de
81 295,51 $ avec intérêts au taux de 18 % l’an à compter du 5
juin 2015, en plus de l’indemnité additionnelle de l’article
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[30] Pour les motifs qui précèdent, je ferais droit à pourvoi selon ses conclusions, mais en retranchant l’indemnité additionnelle du dispositif.
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YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
[1] 2016 QCCS 1809.
[2] L.R.C. (1985), c. B-3.
[3] É. LAMBERT, Le cautionnement, coll. « Commentaires sur le Code civil du Québec », Cowansville, Yvon Blais, 2011, paragr. 2335-555, p. 52-53.
[4]
Cherchali c. Lessard,
[5] Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012, p. 1865, no. 2994 (notes de bas de page omises).
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du plumitif s'avère une précaution utile.