Décision

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Société en commandite Jacques De Labadie c. Tribunal administratif du Québec

2022 QCCS 2441

 

 

 

COUR SUPÉRIEURE

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TROIS-RIVIÈRES

 

N°:

400-17-005574-211

 

DATE :

28 juin 2022

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE JOCELYN GEOFFROY, J.C.S. (JG0688)

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SOCIÉTÉ EN COMMANDITE

JACQUES DE LABADIE

Demanderesse

c.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

et

VILLE DE TROIS-RIVIÈRES

Défenderesses

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Pourvoi en contrôle judiciaire)

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L’APERÇU

[1]                La demanderesse, Société en commandite Jacques De Labadie (« De Labadie ») se pourvoit en contrôle d’une décision judiciaire du Tribunal administratif du Québec (TAQ), section immobilière, rendue par le juge administratif, Sébastien Caron, le 10 décembre 2020.

[2]                Par cette décision, le TAQ rejette la demande de « De Labadie » d’homologuer et de rendre exécutoire la recommandation convenue entre les parties le 21 mars 2019, visant la modification de la valeur inscrite et de la mention relative au nombre de logements de son unité d’évaluation, et, subsidiairement, d’adjudiquer les données proposées comme étant ladite recommandation.

[3]                La Ville de Trois-Rivières (« la Ville »), conteste cette demande en pourvoi.

LE CONTEXTE

[4]                De Labadie exploite un immeuble aux fins de résidence pour personnes âgées. En avril 2016 et avril 2019, elle dépose des demandes en révision pour modifier la valeur de son immeuble pour les rôles 2016-2017-2018 ainsi que 2019-2020-2021 afin de modifier la valeur de son immeuble à la baisse et diminuer le nombre de logements inscrits audit rôle.

[5]                Le 21 mars 2019, l’évaluateur de la Ville informe l’évaluateur retenu par De Labadie qu’il a « le OK de la Ville pour considérer les 2½ comme des chambres vu le type de cuisine »[1]. Des discussions s’en suivent et les parties conviennent qu’elles présenteront une recommandation acceptée au TAQ afin de régler les dossiers pendants.

[6]                Le 9 août 2019, la Ville informe la demanderesse qu’elle revient sur sa position et mentionne que certains logements ne pourront être reconnus comme des chambres.

[7]                De Labadie introduit alors une requête en adjudication sommaire au TAQ afin qu’il homologue et rendre exécutoire ce qu’elle considère être une entente intervenue entre les parties le 21 mars 2019.

[8]                Suite à la réception de la décision rejetant sa requête en adjudication sommaire, De Labadie a produit une demande de permission d’en appeler auprès de la Cour du Québec, en vertu de l’article 159 de la Loi sur la justice administrative.

[9]                Cette demande pour permission d’appeler est rejetée par monsieur le juge Pierre Labbé, j.c.q. notamment aux motifs suivants :

[38] La question soumise, même si elle devait être reformulée comme le suggère l’intimée, porte fondamentalement sur l’appréciation de la preuve par le TAQ. La requérante n’est pas d’accord avec l’analyse de la preuve faite par le TAQ qui conclut que la recommandation n’était qu’un projet de recommandation, car elle ne comportait pas assez de précisions pour être qualifiée de recommandation qui aurait pu faire l’objet d’une audition en vertu de l’article 141 LFM. De plus, l’évaluateur municipal de l’intimée n’approuvait pas ce projet de recommandation. La demanderesse n’a pas établi que la question met en jeu des principes juridiques qui mériteraient l’éclairage d’une Cour d’appel.

[10]           Ayant épuisé ses recours, De Labadie demande à notre Cour de réviser judiciairement la décision P-1.


LA NORME DE CONTRÔLE

[11]           À la lumière de l’enseignement de l’arrêt Vavilov[2], les parties reconnaissent que c’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique au présent contrôle judiciaire.

LA POSITION DES PARTIES

  1. La demanderesse

[12]           La demanderesse plaide ainsi que la décision du 10 décembre 2020 ne possède pas les attributs de la raisonnabilité et que la seule issue possible pour le TAQ était d’accueillir la requête en adjudication sommaire. Elle soumet que le fait que le TAQ ait rejeté sa requête rend inéluctablement sa décision déraisonnable, ce qui nécessite, selon elle, l’intervention de notre Cour.

2. La défenderesse

[13]           Quant à la Ville, elle plaide évidemment que la décision est raisonnable et elle rappelle que le Tribunal de révision ne doit pas substituer son opinion à celle de l’arbitre lorsqu’il applique la norme de la raisonnabilité.

L’ANALYSE ET DÉCISION

[14]           En matière de contrôle judiciaire d’une décision d’un Tribunal spécialisé découlant de ses compétences, le juge de révision doit effectivement faire preuve de déférence et éviter de substituer sa propre analyse ainsi que les conclusions qu’il en tire, au lieu et à la place du décideur administratif.[3]

LA RAISONNABILITÉ DE LA DÉCISION DU TAQ

[15]           Après avoir relaté le contexte mentionné ci-avant, le juge de première instance formule la question suivante : « le courriel de Louis Garant du 21 mars 2019 constitue-t-il une recommandation de l’évaluateur au sens de l’article 141 LFM (Loi sur la fiscalité municipale) ou un aveu judiciaire des termes de la recommandation.[4]

[16]           Dans son analyse, le TAQ retient que « lorsque M. Garant écrit son courriel, informant Me St-Martin qu’il a accord de la Ville pour considérer les 2½ comme des chambres et non des logements, il s’agit d’une information pouvant laisser croire qu’une entente est intervenue entre les parties.[5] De plus, il ajoute que l’avocat de la demanderesse « avait toutes les raisons de croire qu’il s’agissait d’une recommandation[6] ». Cette conclusion est d’autant plus valable que cette entente intervenue a été reprise le lendemain, lors de l’appel du rôle avec le Tribunal, en présence du procureur de la Ville.[7]

[17]           Néanmoins, le TAQ rejette la requête de la demanderesse, car « le dénombrement précis de logements et de chambres ainsi que la nouvelle valeur convenue »[8] n’aurait jamais été validée par la Ville.

[21] La preuve révèle que le dénombrement précis de logements et chambres(6), ainsi que les nouvelles valeurs convenues(7) se trouvent dans les notes personnelles de M. St-Martin et n’a jamais fait l’objet d’une validation par la Ville, son avocat M. Béland ou son expert M. Garant.

[18]           Et il ajoute :

[23] Ainsi, même si le Tribunal adhère à l’argument (De Labadie), à l’effet qu’au stade du recours, la recommandation n’a pas besoin d’être écrite ou sous la forme d’un 142.1 pour être entérinée, encore faut-il constater une manifestation claire d’une telle recommandation et le détail de celle-ci.

[24] Dans son courriel, M. Garant rapporte avoir reçu l’accord de la Ville, mais M. Béland n’est même pas en copie à ce courriel et on apprendra quelques jours plus tard que le chef de service de la Ville, M. Hamelin, s’oppose à cette proposition.

[25] Le Tribunal considère que le courriel n’était, à la limite, qu’un projet de recommandation. Celui-ci n’était ni finalisé, ni approuvé par M. Béland, ni détaillé de manière à indiquer les éléments essentiels pour le qualifier de recommandation, soit, dans ce cas-ci, les valeurs modifiées, le nombre de logements à inscrire et les périodes visées par ces changements.

[19]           Il justifie notamment sa décision comme suit :

[26] La LFM ne prévoit pas de forme particulière pour constater et entériner une recommandation à l’étape du recours au TAQ. Toutefois, celle-ci doit minimalement être approuvée par le Tribunal, qui doit s’assurer du consentement des parties et qu’elle ne soit pas contraire à l’ordre public.

[27] Cela peut signifier, par exemple, de refuser d’entériner une entente entre les parties qui prévoit que l’évaluateur s’autorise à modifier des valeurs inscrites afin d’éviter l’augmentation des taxes payées par un contribuable(8). L’objectif demeure de s’assurer que les inscriptions au rôle d’une municipalité respectent l’application générale de la LFM, au bénéfice de l’ensemble des contribuables.

[20]           Le jugement rejetant la demande de permission d’appeler rendu le 26 mars 2021 tend à démontrer une forte apparence de raisonnabilité de la décision du TAQ, les critères ayant été examinés pour autoriser ou non l’appel sont ainsi décrit :

[33] Les critères que le Tribunal doit examiner sont bien connus : la question proposée doit être sérieuse, controversée, nouvelle ou d’intérêt général. La faiblesse apparente de la décision ou le respect des règles de justice naturelle, dont l’équité procédurale et la motivation suffisante, sont des aspects que le Tribunal peut aussi prendre en compte.[9]

[21]           Relativement aux critères portant sur la permission d’appel devant la Cour du Québec, dans l’affaire Lamarche McGuinty inc. c. Bristol (Municipalité)[10] portant, comme dans le présent cas, sur la capacité juridique de l’évaluateur municipal de lier un corps public par une transaction au sens de l’article 2631 C.c.Q., il a été décidé que l’évaluateur municipal ne peut lier juridiquement les municipalités[11].

[22]           D’ailleurs, dans un arrêt plus récent, soit dans 8109796 Canada inc. (ArcelorMittal Exploitation minière) c. Ville de Port-Cartier[12], le TAQ réitère que les matières d’ordre public, telles la fiscalité municipale et l’évaluation foncière, ne peuvent faire l’objet de transaction.

[23]           En ce qui concerne justement le critère de « transaction » plaidé par la demanderesse, le TAQ précise :

[28] Même si les procureurs à l’instruction plaident que l’article 2631 du Code civil du Québec, qui définit ce qu’est une transaction, ne s’applique pas dans un cas comme celui-ci, pour un motif d’ordre public, il est intéressant de constater que la jurisprudence y prévoit néanmoins l’obligation de prévoir dans l’entente les éléments essentiels du règlement envisagé(9) ainsi que les éléments constitutifs prévus dans la loi(10).

[29] Or, on ne retrouve pas les éléments essentiels d’une recommandation dans le courriel de M. Garant. Il aurait été pourtant facile de les identifier en demandant des précisions, par exemple, auprès de l’avocat de la Ville, M. Béland.

[30] Il aurait également été possible de cristalliser les termes de l’entente, incluant les valeurs convenues, les inscriptions au niveau des logements et les périodes visées, lors de l’appel du rôle tenu avec le Tribunal, le 22 mars 2019, mais cela n’a pas été fait.

[31] De l’avis du Tribunal, les commentaires formulés les 21 et 22 mars 2019 par les représentants de la Ville ne peuvent se qualifier de recommandation de l’évaluateur, au sens de la loi. Par ailleurs, les valeurs qui faisaient l’objet de l’entente, selon M. St-Martin(11), ne concordent pas avec la conclusion de la requête en adjudication sommaire(12). Soumis ainsi à une formation du Tribunal afin d’en obtenir une décision, ce dernier serait dans l’impossibilité d’y donner suite.

[32] Il en va de même de l’argument subsidiaire à l’effet de qualifier d’aveu judiciaire les termes de la recommandation convenue. Pour être opposé à une partie, l’aveu doit être clair, sans ambiguïté et non équivoque(13). Ce n’est pas le cas ici, la recommandation ne contenant pas les éléments essentiels pour être définie ainsi.

[24]           La jurisprudence est constante à l’effet que la détermination du contenu d’une unité d’évaluation, fait partie des compétences exclusives du Tribunal administratif[13]. Ainsi, il appartient au TAQ de trancher à savoir si les logements de type 2½ sont bien des logements et non des chambres.

[25]           Comme le rappelle le TAQ, « l’objectif demeure de s’assurer que les inscriptions au rôle d’une municipalité respectent l’application générale de la LFM[14] au bénéfice de l’ensemble des contribuables.[15]

[26]           En l’espèce, le Tribunal considère que le raisonnement du TAQ vis-à-vis des 2½ est tout à fait raisonnable. Selon le TAQ, le fait que les chambres et les logements n’aient pas été « dénombrés » fait en sorte que l’entente était trop « embryonnaire ».

[27]           Le Tribunal considère que le TAQ a rendu une décision intelligible, pouvant se justifier en regard des contraintes juridiques et factuelles du dossier. Sa décision est fondée sur un raisonnement cohérent et réfère à des autorités la supportant.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[28]           REJETTE le pourvoi en contrôle judiciaire de la partie demanderesse;

[29]           LE TOUT, avec frais de justice.

 

 

__________________________________

JOCELYN GEOFFROY, J.C.S.

Me Julien Sapinho

Therrien Couture Joli-Coeur s.e.n.c.r.l.

Avocat de la demanderesse

 

Me Louis Béland

DHC Avocats inc.

Avocat de la Ville de Trois-Rivières

 

Date d’audience :

12 mai 2022

 


[1]  Pièce P-8.

[2]  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65.

[3]  Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale Nationale (Centre de réadaptation en dépendance de Québec) c. Syndicat des Professionnelles en soins de Québec (SPSQ)(FIQ), 2017 QCCA 1254.

[4]  Paragraphe 17 de la décision du 10 décembre 2020.

[5]  Id par.18.

[6]  Id par. 19.

[7]  Id par. 21.

[8]  Id par. 21.

[9]  Décision de l’Honorable Pierre Labbé, j.c.q., no 400-80-002311-219, par. 33.

[10]  [1999] CanLII 10748 (QC CQ).

[11]  Paragraphe 31 de la décision précitée.

[12]  2017, QCTAQ 08329.

[13]  Société en commandite Sommet Bleu c. Ville de St-Adèle, 2012 QCTAQ 06377 (2012 CanLII 38442) (QC TAQ); Costco Canada inc. c. Sherbrooke (Ville de), [2000] TAQ428 (Requête pour permission d’appeler rejetée : D.E.2000 BE-1037 (C.Q.); IPL inc. c. Saint-Damien-de-Buckland (Paroisse de), 2013 QCTAQ 06425.

[14]  Loi sur la fiscalité municipale, RLRQ, c.F-2.1.

[15]  Décision du 10 décembre 2020, paragraphe 25.

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