Décision

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Section du territoire et de l'environnement

 

 

Date : 16 mai 2023

Référence neutre : 2023 QCTAQ 05314

Dossier  : STE-M-314054-2203

Devant les juges administratifs :

STÉPHAN F. DULUDE

FRANÇOIS BOUTIN

 

3313045 NOVA SCOTIA COMPANY

Partie requérante

c.

COMMISSION DE PROTECTION DU TERRITOIRE AGRICOLE DU QUÉBEC

Partie intimée

et

FÉDÉRATION DE L'UPA DE LA MONTÉRÉGIE

MRC DE MARGUERITE-D'YOUVILLE

VILLE DE VARENNES

COMMUNAUTÉ MÉTROPOLITAINE DE MONTRÉAL

BROCCOLINI REAL ESTATE GROUP INC.

ALAIN DUBOIS

OLIVIER CÔTÉ

MICHÈLE BARIBEAU

VÉRONIQUE MATHURIN GENDREAU

RAYMOND OUELLET

MARIE-ÈVE DULUDE

STÉPHANE PLANTE

DENISE TESSIER

DIANE YELLE

NICOLE JODOIN

JADE LATRAVERSE ARQUILLA

JOSÉE ARQUILLA

JEAN LATRAVERSE

THIERRY HAMTIAUX

KARL HAMTIAUX

AVISON YOUNG

BROCCOLINI

Parties mises en cause

 


DÉCISION


 


 


Litige

[1]                    La requérante possède une propriété couvrant une superficie de 52,3 hectares (ha) qui supporte deux usines, un petit lac et un vaste espace vacant en friche. La requérante sollicite l’aliénation en faveur de Broccolini Real Estate group inc. d’une superficie de 15,77 ha en vue d’une utilisation à des fins autres qu’agricoles.

[2]                    L’intimée rejette la demande en vertu de l’article 61.1 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles[1] (LPTAA).

[3]                    La requérante demande au Tribunal d’infirmer la décision numéro 428291 de l’intimée et d’autoriser l’utilisation à des fins autres que l’agriculture, soit pour un centre de distribution, et l’aliénation d’une superficie d’environ 15,77 ha correspondant à une partie du lot 6 224 165 du cadastre du Québec.

[4]                    Au début de l’audience, le Tribunal a rejeté la demande de la requérante pour que celui-ci se prononce sur la question de l’aliénation de l’immeuble selon les critères des articles 12 et 62 de la LPTAA. Il est convenu que pour cette question, et suivant l’admission de l’avocate de l’intimée voulant que cet aspect de la décision ne soit pas motivé, le dossier lui est retourné.

[5]                    Le Tribunal, et à la lecture de la jurisprudence en la matière[2], évoque un malaise à se substituer à l’intimée quant à son pouvoir d'appréciation d'opportunité politique, car il est loin d’être convaincu qu’il a l’ensemble des éléments essentiels afin de se prononcer à cet égard vu l’absence de motivation dans la décision de l’intimée.

[6]                    Ainsi, le débat porte sur le test applicable concernant l’existence d’espaces appropriés disponibles aux fins visées par la demande, car cet enjeu a fait l’objet d’une décision de la part de l’intimée.

[7]                    Lors de l’audience, la requérante a explicitement renoncé aux questions liées à son droit à l’équité procédurale devant l’intimée relativement à la signature de la décision d’un commissaire alors qu’il était absent lors de la principale rencontre du 16 septembre 2021 et préfère que le Tribunal aborde, au minimum, la contestation de la décision qui repose sur l’article 61.1 LPTAA. L’intimée ne s’y oppose pas.

Contexte

[8]                    Le Tribunal ne reprend que le nécessaire de la trame factuelle pour la compréhension du dossier[3].

[9]                    Le 25 juin 2021, et après avoir modifié sa demande initiale, la requérante demande une autorisation pour une utilisation à des fins autres qu’agricoles pour une partie des lots 17 et 21 du cadastre de la paroisse de Varennes identifiée au plan présenté par Martin Gascon, arpenteur-géomètre, le 21 janvier 2020, sous le numéro 17 031 de ses minutes (Bloc B) d’une superficie de 15,77 ha.

[10]               Lors de la préparation du dossier, l’intimée reconnaît notamment madame Alexia Lapierre de l’entreprise BC2 comme « témoin expert – urbanisme et article 61.1 de la Loi »[4] (madame Lapierre). 

[11]               Dans le cadre d’une première rencontre publique le 16 septembre 2021, l’intimée relate, entre autres, la présentation d’un descriptif du site visé, des espaces vacants dans la zone agricole, les espaces vacants hors de la zone agricole et les caractéristiques environnementales du site visé.

[12]               Lors d’une deuxième rencontre le 17 janvier 2022, on traite notamment d’une demande d’actualisation du rapport de madame Lapierre et de l’argumentaire de l’avocat de la requérante.

[13]               L’intimée analyse la demande « après examen des documents versés au dossier, avec sa connaissance du milieu en cause et selon les renseignements obtenus de ses services professionnels »[5].

[14]               L’intimée vient à la conclusion qu’il y a des espaces appropriés disponibles aux fins visées par la demande étant donné sa lecture de l’article 61.1 LPTAA.

Question en litige

[15]               Malgré le temps consacré aux plaidoiries, le Tribunal considère que la question en litige se résume en une phrase :

-  Est-ce que l’intimée a commis une erreur de droit ou une erreur de fait déterminante lorsqu’elle conclut qu’il y a des espaces appropriés disponibles aux fins visées par la demande suivant l’article 61.1 LPTAA?

Analyse

[16]               Un portrait de l’état du droit en cette matière pour le moins détaillé et élaboré a amené le Tribunal à examiner la portée de l’article 61.1 LPTAA.

[17]               Dressons d’abord le cadre juridique retenu par le Tribunal à ce sujet pour ensuite analyser la décision de l’intimée dans les paramètres du droit applicable.

1. Compétence du Tribunal

[18]               Il faut rappeler que l’article 15 de la Loi sur la justice administrative[6] ne s’applique pas dans son intégralité et la compétence du Tribunal est limitée par l’article 21.4 de la LPTAA :

21.4. Le tribunal ne peut, à moins d’une erreur de droit ou d’une erreur de fait déterminante dans la décision contestée, réévaluer l’appréciation que la commission a faite de la demande sur la base des critères dont elle devait tenir compte.

Lorsque le Tribunal constate, à l’examen de la requête et de la décision contestée, qu’en raison d’une telle erreur de droit ou de fait, la commission a omis d’apprécier la demande sur la base de ces critères, il peut lui retourner le dossier pour qu’elle y procède.

[19]               Au sein de la décision contestée doit se retrouver une erreur de droit ou une erreur de fait déterminante. Cette première étape franchie amène le Tribunal à se questionner à savoir s’il a la preuve nécessaire au dossier pour réévaluer la décision ou retourner l’affaire à l’intimée[7].

[20]               L’affaire St-Pie[8] précise :

[77]   [] le TAQ peut analyser le raisonnement de la CPTAQ et y déceler une erreur de droit. Quant à l'erreur de fait déterminante, elle peut ressortir de la décision ou des allégations de la requête. Cela signifie que le TAQ pourra, le cas échéant, permettre à la partie qui a initié le recours de faire la preuve requise de l'erreur de fait alléguée à sa requête, si tous les éléments pertinents ne ressortent pas de la décision de la CPTAQ. Par exemple, la découverte subséquente à la décision qu'un des commissaires était en conflit d'intérêts exigera une preuve nouvelle. De même, la réfutation d'un fait déterminant mentionné dans la décision pourra requérir une preuve nouvelle; ainsi, si la CPTAQ dit qu'un autre site est disponible à 5 km d'un endroit alors qu'en réalité celui-ci est à 50 km, la preuve de ce fait sera admissible.

[Soulignements du Tribunal]

2. L’article 61.1 LPTAA

[21]               Le présent litige repose sur les divers éléments des articles 61.1 et 1 (7.1) LPTAA et particulièrement sur le concept d’« espaces appropriés disponibles aux fins visées par la demande » :

61.1. Sur le territoire d’une communauté ou d’une agglomération de recensement ou d’une région métropolitaine de recensement telles que définies par Statistique Canada, lorsqu’une demande porte sur une autorisation d’une nouvelle utilisation à des fins autres que l’agriculture, le demandeur doit d’abord démontrer qu’il n’y a pas, ailleurs dans le territoire de la municipalité locale et hors de la zone agricole, un espace approprié disponible aux fins visées par la demande.

La commission peut rejeter la demande pour le seul motif qu’il y a des espaces appropriés disponibles hors de la zone agricole.

61.1. In the territory of a community, census agglomeration or census metropolitan area as defined by Statistics Canada, where an application concerns an authorization for a new use for purposes other than agriculture, the applicant must first demonstrate that there is no appropriate available area elsewhere in the territory of the local municipality, outside the agricultural zone, that is suitable for the purposes for which the application is made.

The commission may reject an application on the sole ground that there are appropriate available areas outside the agricultural zone.

1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :

[]

7.1° «espace approprié disponible» : une superficie vacante où le type d’utilisation recherchée est permis par le règlement de zonage de la municipalité et, le cas échéant, par les mesures de contrôle intérimaire.

1. In this Act, unless the context requires otherwise,

[]

(7.1)appropriate available area” means a vacant area of land on which the intended use is allowed by the applicable municipal zoning by-law and by the interim control measures, if any;

[Soulignements du Tribunal]

[22]               Lors de l’audience, on présente plusieurs jugements et décisions qui ont amené, au fil des années, différentes couleurs à l’interprétation possible de ces dispositions.

[23]               Comment l’administré peut comprendre concrètement les termes « espace approprié disponible aux fins visées par la demande »? Doit-on retenir des considérations propres à un projet ? Ou en faire complètement abstraction ? Qu’est-ce qui est vraiment « approprié », « disponible » et quelles sont ces « fins visées par la demande » qui restent acceptables ?

2.1 L’essence des prétentions des parties sur l’article 61.1 LPTAA

[24]               Lintimée argue qu’il peut difficilement exister une situation qui répond aux critères desdits articles et qui lui permet de donner raison à un requérant à ce sujet. Selon elle, les demandes présenteront toujours de bonnes raisons pour ne pas être « un espace approprié disponible aux fins visées par une demande » suivant des requérants et, peut-on comprendre, il faut éviter de personnaliser les dossiers aux besoins des administrés.

[25]               Le Tribunal lui demande si elle a des exemples de demande où les critères de l’article 61.1 LPTAA ont été respectés sans égard à la jurisprudence présentée à l’audience.

[26]               Elle n’est pas en mesure d’en nommer.

[27]               Évidemment, l’avocate  de l’intimée ne traite que les dossiers contestés au Tribunal et non l’ensemble des demandes. Il est donc possible qu’une demande puisse respecter les critères de l’article en cause, suivant l’intimée, sans que son avocate en soit informée.

[28]               Le Tribunal s’étonne tout de même qu’on ne puisse nullement relever ne serait-ce qu’un seul exemple, réel ou hypothétique, qui démontre dans quel scénario on respecte les critères de la législation étudiée.

[29]               On peut légitimement s’étonner d’une telle lecture alors que le législateur appert amener des nuances.

[30]               La requérante propose plutôt l’idée que cet article ne doit pas être interprété comme étant un barrage immuable et étanche qui tend à rejeter d’emblée une demande sans l’évaluer suivant des circonstances et des particularités qui se dégagent d’un dossier.

3. De quelques considérations juridiques

[31]               Une abondante jurisprudence est présentée par les parties et des théories quant à la thèse à retenir apportent des notes discordantes.

[32]               Le Tribunal est conscient de sa jurisprudence et de celle de la Cour du Québec pour l’étude de l’article 61.1 LPTAA[9].

[33]               Il est reconnu qu’un tribunal administratif peut s’écarter de sa jurisprudence antérieure[10] et ce principe n’est pas remis en question par l’affaire Vavilov[11]. Les juges administratifs ne sont pas liés par leurs décisions antérieures au même titre que les tribunaux judiciaires[12].

[34]               Cependant, l’idée de déroger à sa jurisprudence ou d’une pratique de longue date ne peut se faire sans explications et sans justifications :

Lorsqu’un décideur s’écarte d’une pratique de longue date ou d’unejurisprudence interne constante, c’est sur ses épaules que repose le fardeau d’expliquer cet écart dans ses motifs. Si le décideur ne s’acquitte pas de ce fardeau, la décision est déraisonnable.[13]

[35]               Un tribunal administratif qui souhaite s’éloigner d’un précédent d’un tribunal judiciaire doit également justifier sa position :

Tout précédent sur la question soumise au décideur administratif ou sur une question semblable aura pour effet de circonscrire l’éventail des issues raisonnables. La décision d’un organisme administratif peut être déraisonnable en raison de l’omission d’expliquer ou de justifier une dérogation à un précédant contraignant dans lequel a été interprétée la même disposition. Si, par exemple, une cour de justice a examiné une disposition législative dans un jugement pertinent, il serait déraisonnable que le décideur administratif interprète ou applique celle-ci sans égard à ce précédent. Le décideur devrait être en mesure d’indiquer pourquoi il est préférable d’adopter une autre interprétation, par exemple en expliquant pourquoi l’interprétation de la cour de justice ne fonctionne pas dans le contexte administratif : M. Biddulph, « Rethinking the Ramification of Reasonableness Review: Stare Decisis and Reasonableness Review on Questions of Law » (2018), 56 Alta. L.R. 119, p. 146. Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles il est tout simplement déraisonnable que le décideur administratif n’applique ou n’interprète pas une disposition législative en conformité avec un précédent contraignant.[14]

[36]               La Cour supérieure retient quatre exceptions tirées de la règle du stare decisis qui permettent à un tribunal administratif de s'écarter de la décision d'un tribunal judiciaire :

Ces extraits du texte de Biddulph sont conformes à l’arrêt Vavilov. Le Tribunal retient donc que le TAQ est lié par un précédent contraignant d’une cour supérieure et qu’il ne peut s’en écarter que s’il explique en quoi :

31.1 Le précédent se distingue de l’affaire dont il est saisi, ou;

31.2 Le précédent a été rendu « per incuriam », ou;

31.3 Une nouvelle question est soulevée en conséquence d’un changement législatif, ou;

31.4 Il y a un changement dans les circonstances ou la preuve qui modifient fondamentalement les paramètres du débat. [15]

[37]               Avec égards, le Tribunal considère qu’il est dans l’obligation de revenir aux principes du stare decisis et de s’inspirer des derniers enseignements de la Cour supérieure quant à l’interprétation à donner à l’article 61.1 LPTAA. En effet, et ce pour l’essentiel, la disposition en cause n’a pas été modifiée et le courant jurisprudentiel tracé par la Cour supérieure à ce sujet ne peut donc que demeurer inchangé.

[38]               Le Tribunal échoue, au surplus, à trouver une exception applicable qui lui permet de ne pas être assujetti aux précédents contraignants de la Cour supérieure qui fait état de l’interprétation à retenir de l’article 61.1 LPTAA.

[39]               L’affaire Girard[16] reste un point de départ pour la compréhension du principe de la disposition en cause. On précise que la définition donnée à l'expression « espace approprié disponible » par le législateur laisse au décideur le soin d'apprécier dans chaque cas si le contexte n'indique pas un sens différent qu'un simple espace vacant parce que cet espace n'est pas, dans les faits, approprié ou disponible[17].

[40]               Il n’est pas inutile de reproduire le raisonnement de la Cour du Québec[18] sur lequel s’appuie ce jugement de la Cour supérieure :

19.   Le législateur a pris la peine de prévoir que dans la loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par “espace approprié disponible”, une surface vacante où le type d'utilisation recherchée est permis par le règlement de zonage de la municipalité.

20.   Le problème dans ce cas-ci vient du fait qu'il existe ailleurs, une superficie vacante où une utilisation résidentielle est permise par le règlement de zonage de la Municipalité, mais une partie de cette superficie est affectée d'une dénivellation importante tandis que l'autre n'offre aucun accès sur la voie publique. Pour devenir accessible à la construction, il faudrait y créer les infrastructures requises, soit une sortie. Le propriétaire de ces terrains n'est pas intéressé à procéder aux investissements requis à cette fin et la Municipalité n'a pas les moyens de les faire compte tenu de sa faible population. La Municipalité a donc formellement conclu par résolution de son conseil, que bien que ces terrains existent et que l'utilisation recherchée est théoriquement permise par son règlement, ces terrains ne sont pas disponibles pour les fins d'une construction résidentielle.

21.   Le Tribunal administratif, invoquant la définition de “espace approprié disponible” a conclu que la seule existence de ces terrains dans la Municipalité où l'utilisation résidentielle est permise par règlement, règle la question et empêche le Tribunal de tenir compte qu'en pratique, ces terrains ne sont pas disponibles pour fins de construction en raison des aménagements et des investissements requis. Le Tribunal administratif mentionne expressément dans sa décision que le paragraphe 7.1 de l'article 1 de la loi ne tient pas compte de ces aménagements requis dans la définition de “espace approprié disponible”.

22.   Or, l'article 61.1 de la loi réfère à un espace “approprié” qui lui, est “disponible” et cela “aux fins visées par la demande”. Le Tribunal administratif a conclu que la seule existence d'une superficie vacante où une utilisation résidentielle est théoriquement permise par le règlement de zonage de la Municipalité suffirait pour faire écarter une demande alors que les circonstances particulières du cas et l'emplacement du terrain rendent cette utilisation impossible à toutes fins pratiques. Cette interprétation est erronée et illégale. Il n'est pas raisonnable de conclure que le législateur visait une existence et une disponibilité de ce terrain qui elles ne pouvaient être que théoriques.

23.   D'autre part, il n'est pas approprié de donner à la définition, l'interprétation restrictive que le Tribunal administratif lui a donnée car le législateur a pris la peine de dire que dans la présente loi, “à moins que le contexte n'indique un sens différent”, on entend par “espace approprié disponible...”.

24.   Vu ces circonstances et vu la preuve non contredite quant à l'impossibilité d'utiliser à toutes fins pratiques ces terrains pour les fins recherchées par madame Girard, la Cour conclut que le Tribunal administratif a erronément et illégalement conclu qu'il existait ailleurs dans la Municipalité et hors de la zone agricole un espace approprié disponible aux fins visées par la demande.

 [Soulignements du Tribunal]

[41]               Le jugement Beauvilier[19] indique :

[90]   Les amendements législatifs ayant conduit à l’adoption de l’article 61.1 se situent dans le cadre de l’abolition des secteurs agricoles exclusifs que la loi reconnaissait avant les amendements.

[91]   Ainsi à la rigueur reliée à l’application des zones, le législateur a préféré la souplesse de l’analyse des situations particulières.

[92]   L’analyse conduisant à déterminer s’il existe des espaces appropriées disponibles aux fins visées par la demande laisse place à la considération de multiples facteurs que le législateur n’a pas cru bon de définir.  Cela peut tout aussi bien être des contraintes topographiques, que celles reliées au fait que les terrains ne sont pas à vendre ou que les coûts d’aménagement soient tellement élevés qu’ils en rendent leur acquisition hors de prix, tout cela en regard des fins visées par la demande.

[Soulignements du Tribunal]

[42]               Cette flexibilité quant à la notion « d’espace approprié disponible » est retenue par le Tribunal dans l’affaire Bénard-Lafrance[20] en soulignant que cette notion doit être évaluée de façon pratique et non théorique, en tenant compte des particularités propres à chaque cas. L’intimée a tenté, en vain, d’en appeler de cette décision, mais, étonnamment, pas sur la question de l’interprétation de l’article 61.1 LPTAA[21]. On présume que l’intimée était d’accord avec le raisonnement avancé par le Tribunal.

[43]               Le Tribunal remarque la version anglaise de l’article 61.1 LPTAA. Elle fait référence à un espace approprié disponible “that is suitable for the purposes for which the application is made”. Le terme “suitable” réfère aux concepts “approprié”, “adéquat”, “qui convient à »[22]. Les mots « for the purposes » impliquent « pour le but », « pour l’objet » ou « pour l’usage »[23].

[44]               La version française de l’article 61.1 LPTAA se limite aux mots « aux fins visées par la demande ».

[45]               L’affaire Daoust[24] nous enseigne qu’il faut en premier lieu s’interroger à savoir s’il y a antinomie entre la version française et anglaise. La question à se poser est d’évaluer si les termes « sont absolument et irréductiblement inconciliables » et, en ce cas, il faut s’en remettre aux autres principes d’interprétation et favoriser une interprétation téléologique et contextuelle.

[46]               La position des versions française et anglaise du texte ne sont pas inconciliables et peuvent s’interpréter dans le même sens soit de considérer les attributs, les caractéristiques d’un projet afin de considérer si l’« espace approprié disponible » est adéquat dans les circonstances présentées et non celles imaginées.

[47]               Ce raisonnement fait écho à la jurisprudence de la Cour supérieure en la matière.

[48]               Dans l’évaluation d’un dossier reposant sur l’article 61.1 LPTAA, l’intimée ne peut considérer des faits postérieurs à sa rencontre publique[25].

[49]               Le cadre conceptuel défini, le Tribunal aborde la décision de l’intimée.

4. La décision de l’intimée

[50]               Il s’agit d’effectuer un travail d’analyse de la décision[26] et particulièrement de ses paragraphes 164 et suivants pour les besoins du litige.

[51]               L’intimée retient, au paragraphe 164 de sa décision, le rapport urbanistique de BC2 (rapport) de madame Lapierre qui, doit-on le rappeler, est considérée comme « témoin expert »[27].

[52]               Au paragraphe 165 de sa décision, l’intimée relève que le terrain no. 3 mentionné au rapport est un terrain approprié disponible aux fins de la demande pour les motifs suivants :

-          Il est vacant et l’usage est permis à la règlementation municipale;

-          Que le terrain est d’une superficie de 32,58 hectares et « est bien supérieure à celle visée par la présente demande »;

-          Malgré la superficie nettement supérieure aux besoins de la requérante, l’intimée considère « qu’une partie de cette superficie pourrait être disponible pour le projet soumis de 15.8 hectares »;

-          Que « seule une partie du terrain est contaminée » et que « les travaux de décontamination sont déjà débutés et seront terminés vers 2023 »;

-          Que l’organisme municipal (ville de Varennes) « s’apprête à se porter acquéreur de ce terrain lorsque les travaux de décontamination seront terminés » et, qu’en conséquence, Pétromont (NDLR propriétaire du terrain numéro 3) « veut vendre ce terrain ». Ne serait-ce que suivant ces dernières observations, l’intimée considère que ce terrain est « disponible pour le projet soumis, du moins pour une superficie équivalente à celle visée par la demande ».

[53]               Le fait que le terrain est vacant et que l’usage est permis suivant la règlementation municipale ne représentent pas, à elles seules, des considérations suffisantes pour répondre aux critères de l’article 61.1 LPTAA[28].

[54]               En venir à une conclusion inverse représente une erreur de droit.

[55]               Contrairement à l’affirmation de l’intimée, le terrain numéro 3 est contaminé dans son entièreté. Qui plus est, l’immeuble est visé par un avis de restriction d’utilisation publié au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Verchères sous le numéro 22 913 235.

[56]               Suivant le rapport de madame Lapierre[29], le terrain numéro 3 est contaminé « autant au niveau des sols que de l’eau souterraine et la réhabilitation a commencé à certains endroits, mais pas sur l’ensemble du site » et « des plans de réhabilitation ont été approuvés par le MELCC ».

[57]               Toujours à la lecture dudit rapport, le terrain numéro 3 n’est pas à vendre. Il existe un engagement de la ville de Varennes à l’acquérir lorsque les opérations de réhabilitation seront complétées par Pétromont et qu’un avis de décontamination sera publié au bureau de publicité des droits.

[58]               Le terrain numéro 3 reste donc indisponible, ce qui est en soi suffisant pour ne pas le considérer comme un « espace approprié disponible » sans même aborder l’utilisation recherchée par la requérante.

[59]               L’intimée commet une autre erreur mixte de droit et de fait en évacuant totalement les représentations faites au rapport quant à la disponibilité du terrain numéro 3 alors qu’elle se devait de l’évaluer à la lumière des critères de l’article 61.1 LPTAA.

[60]               Enfin, l’intimée doit décider à l’égard des faits qui existent en date de la demande et ne pas considérer des faits postérieurs à sa rencontre publique[30] ou supputer sur des événements qui ne transpirent nullement des représentations qui lui ont été faites. Par exemple, de retenir une information que seule une partie du terrain est contaminée et que la ville de Varennes souhaite vendre son terrain à tout acquéreur contrairement aux propos non-contredits de la requérante et sans laisser celle-ci présenter ses observations à cet égard porte ombrage à son devoir d’agir équitablement[31] et il en découle une erreur de droit.

[61]               Au paragraphe 166 de sa décision, l’intimée considère qu’il existe d’autres terrains vacants identifiés le long du boulevard Lionel-Genest et qui permettent, à la lecture de la règlementation municipale, l’usage recherché.

[62]               On rappelle que la règlementation municipale n’est qu’un élément à considérer parmi d’autres « facteurs que le législateur n’a pas cru bon de définir »[32] et qu’il ne peut être que le seul à retenir[33].

[63]               Les terrains mentionnés au paragraphe 166 de la décision de l’intimée ne sont pas à vendre[34] ce qui ne correspond pas au concept d’« espace approprié disponible »[35]. Aussi, et entre autres, ils impliquent parfois une superficie insuffisante pour les fins visées par la demande ou ne sont pas vacants.

[64]               L’intimée commet d’autres erreurs de droit et des erreurs de fait au paragraphe 166 de sa décision qui ne peuvent soutenir les principes dégagés notamment par la Cour supérieure et à la lecture du rapport détaillé de madame Lapierre qu’elle considère comme un « témoin expert ».

[65]               L’intimée récidive aux paragraphes 168 et 169 de sa décision :

-          Elle réitère que les terrains sont disponibles en regard de la réglementation municipale alors qu’il ne s’agit pas d’une considération déterminante dans l’étude de l’affaire[36].

-          Que même en cumulant leurs spécificités et le fait que la majorité des terrains vacants ne sont pas à vendre, cela ne peut justifier d’outrepasser l’application de l’article 61.1 LPTAA.

  • Pourtant, la Cour supérieure indique qu’il faut laisser place à la considération de multiples facteurs que le législateur n’a pas cru bon de définir. Cela peut tout aussi bien être des contraintes topographiques, que celles reliées au fait que les terrains ne sont pas à vendre ou que les coûts d’aménagement soient tellement élevés qu’ils en rendent leur acquisition hors de prix[37]. Il s’agit d’une erreur de droit de la part de l’intimée.

-          Que l’application de l’article 61.1 LPTAA doit faire abstraction du propriétaire de l’emplacement, de ses intentions, des intérêts et besoins privés de la demanderesse, du promoteur ou des futures entreprises et que la définition d’espace approprié disponible ne comporte aucun critère limitatif permettant d’éliminer ou de ne pas retenir certains terrains correspondant à des espaces appropriés disponibles hors de la zone agricole.

  • Ces motifs ne cadrent nullement au texte de la LPTAA et aux enseignements jurisprudentiels de la Cour supérieure tel que définis précédemment à la présente décision. Il s’agit d’une erreur de droit quant à une interprétation beaucoup trop limitative de l’article 61.1 LPTAA.

[66]               Le Tribunal ne peut en venir qu’à la conclusion que la décision de l’intimée qui considère l’existence d’espaces appropriés disponibles pour la demande, et ce par l’article 61.1 LPTAA, est viciée d’erreurs de droit et par un effet cumulatif de différentes erreurs de fait déterminantes.

[67]               Conséquemment, et à la lecture du dossier, le Tribunal peut raisonnablement déduire ce qu'aurait été la décision de l’intimée n’eût été de l’ensemble de ces erreurs[38].

[68]               En faisant abstraction des différents propos de l’intimée, une seule conclusion s’impose soit que la demande d’utilisation à des fins autres qu’agricoles sur une superficie de 15,77 ha répond aux critères de l’article 61.1 LPTAA et, ainsi, il n’existe pas d’espaces appropriés disponibles hors de la zone agricole de la ville de Varennes aux fins visées par ladite demande.

 

PAR CES MOTIFS, le Tribunal :

ACCUEILLE le recours en contestation de la décision de l’intimée numéro 428291 concernant la demande d’utilisation à des fins autres qu’agricoles sur une superficie de 15,77 ha sur une partie des lots 17 et 21 du cadastre de la paroisse de Varennes identifiée au plan présenté par Martin Gascon, arpenteur-géomètre, le 21 janvier 2020, sous le numéro 17 031 de ses minutes;

PREND ACTE de l’admission de l’intimée à l’effet qu’il y a absence de motivation du refus de la demande d’autoriser l’aliénation de l’immeuble selon les critères des articles 12 et 62 de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (RLRQ, chapitre P-41.1) dans la décision numéro 428291 et que le dossier doit être retourné à l’intimée;

INFIRME la décision de l’intimée numéro 428291;

RETOURNE le dossier à l’intimée afin qu’elle apprécie à nouveau la demande de la requérante en considérant qu’il n’y pas ailleurs sur le territoire de la ville de Varennes, et hors de la zone agricole, un espace approprié disponible aux fins visées par ladite demande.


 

STÉPHAN F. DULUDE, j.a.t.a.q.

 

 

FRANÇOIS BOUTIN, j.a.t.a.q.


 

De Grandpré, Chait s.e.n.c.r.l.

Me Marc Beauchemin

Avocat de la partie requérante

 

CPTAQ Avocats

Me Émilie Pelletier

Avocate de la partie intimée


 


[1]  RLRQ, chapitre P-41.1.

[2]  St-Pie (Municipalité de) c. Commission de protection du territoire agricole du Québec, 2009 QCCA 2397aux paragraphes 81 et 82 notamment.

[3]  Sans aborder, comme annoncé, la question de l’aliénation de l’immeuble.

[4]  Paragraphe 36 de la décision de l’intimée. Bien qu’il n’y ait pas de témoins devant un organisme qui exerce une fonction administrative, le Tribunal note l’importance de cette personne pour l’intimée.

[5]  Paragraphe 130 de la décision de l’intimée. Elle réitéra une partie de ces propos au paragraphe 162 de sa décision.

[6]  RLRQ, chapitre J-3.

[7]  St-Pie, supra note 2 au paragraphe 82.

[8]  Supra note 2.

[9]  Notamment Gosselin c. Tribunal administratif du Québec (Section du territoire et de l’environnement) – 2016 QCCQ 7022, René Morin Inc. c. Québec (Commission de protection du territoire agricole) — 2022 QCTAQ 10147 et MRC de Mirabel c. Commission de protection du territoire agricole du Québec – 2018 QCTAQ 0668

[10]  Domtar c. Québec (Commission d'appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756 et Wilson c. Énergie atomique du Canada ltée, 2016 CSC 29.

[11]  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov (C.S. Can., 2019-12-19), 2019 CSC 65, SOQUIJ AZ-51654335, 2020EXP-27, [2019] 4 R.C.S. 653.

[12]  Domtar, supra note 9 aux pages 53 et 54.

[13]  Vavilov supra note 10 au paragraphe 131.

[14]  Idem au paragraphe 112.

[15]  Retraite Québec c. Tribunal administratif du Québec (C.S., 2020-05-11), 2020 QCCS 1592 au paragraphe 31.

[16]  Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Cour du Québec du district de Charlevoix et Lise Girard, 2002 CanLII 3911 (QC CS).

[17]  Idem au paragraphe 18.

[18]  Girard c. Québec (Tribunal administratif), 2001 CanLII 24438 (QC CQ).

[19]  Beauvillier c. Québec (Commission de protection du territoire agricole), 2005 CanLII 28508 (QC CS). Dans le dossier Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Beauvillier 2005 QCCA 1082, la Cour d’appel précise que sans être nécessairement d’accord avec toute l’analyse de la Cour supérieure, elle estime que les questions en litige ne devraient pas être soumises à la Cour et rejette la requête.

[20]  Bénard-Lafrance c. Commission de protection du territoire agricole du Québec* (T.A.Q., 2010-10-13), 2010 QCTAQ 1068

[21]  Commission de protection du territoire agricole du Québec c. Bénard-Lafrance (C.Q., 2011-03-18), 2011 QCCQ 20725 au paragraphe 6. L’intimée conteste le fait que le Tribunal ait disposé de l'opportunité de la demande au lieu de lui retourner le dossier.

[24]  R. c. Daoust, [2004] 1 R.C.S. 217 au paragraphe 27.

[25]  Comtois c. Commission de protection du territoire agricole du Québec, 2006 CanLII 72554 (QC TAQ).

[26]  La décision de l’intimée numéro 428291 déposée au dossier administratif.

[27]  Voir le paragraphe 10 de la présente décision.

[28]  Girard, supra note 18 au paragraphe 22 et le raisonnement est entériné par la Cour supérieure (supra note 16).

[29]  Pièce DuPont 8 - page 27.

[30]  Comtois, supra note 25.

[31]  LJA, article 2. L’intimée est soumise au respect des articles 2 à 8 LJA suivant la liste publiée par le Conseil de la justice administrative conformément à l’article 178 LJA.

[32]  Beauvillier, supra note 19.

[33]  Commission de protection du territoire agricole du Québec, supra note 16.

[34]  Rapport de me Lapierre pour les terrains relevés le long du boulevard Lionel-Goulet.

[35]  Beauvillier, supra note 19, au paragraphe 92.

[36]  Commission de protection du territoire agricole du Québec et Girard, supra notes 16 et 18.

[37]  Beauvillier, supra note 19, paragraphe 92.

[38]  St-Pie, supra note 2 au paragraphe 82.

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