Gagné et Ross Finlay 2000 inc. |
2008 QCCLP 1579 |
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[1] Le 11 janvier 2008, monsieur Bertin Gagné (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue le 20 décembre 2007 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la contestation du travailleur du 27 août 2007 relative à la décision rendue le 23 août 2007 reconnaissant une atteinte permanente de l’ordre de 5,75 % sur le plan psychique. La CSST confirme également la décision du 7 septembre 2007, laquelle déclare que le travailleur demeure capable d’exercer l’emploi convenable de préposé aux bénéficiaires à compter de cette date, et ce, au motif de l’absence de limitations fonctionnelles supplémentaires.
[3] Le 10 mars 2008, la Commission des lésions professionnelles tient une audience, à Lévis, en présence du travailleur. Ross Finlay 2000 inc. (l’employeur) est absent quoique dûment convoqué.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le pourcentage accordé pour sa lésion d’ordre psychique n’est pas représentatif de la réalité et que sa condition médicale ne lui permet pas d’exercer la fonction de préposé aux bénéficiaires.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations des employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la preuve disponible milite en faveur de l’annulation des décisions de la CSST relatives à l’attribution de l’atteinte permanente et de la capacité de travail. Le rapport complémentaire du 13 août 2007 n’est pas valide. La CSST doit en obtenir un nouveau qui respecte les prescriptions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Il y a lieu de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle s’enquière, auprès du médecin ayant charge, d’un nouveau rapport complémentaire et, s’il y a lieu, qu’elle soumette le tout au Bureau d'évaluation médicale (le BEM). Elle devra ensuite rendre les décisions qui s’imposent. La requête du travailleur doit être accueillie mais pour d’autres motifs.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST a raison de déclarer irrecevable la contestation du travailleur du 27 août 2007, relative à la décision du 23 août 2007 l’informant qu’il est porteur d’une atteinte permanente de 5,75 % en regard du trouble de l’adaptation. Elle doit aussi décider si la CSST a raison de déclarer que le travailleur demeure capable d’exercer l’emploi convenable préalablement déterminé, et ce, au motif qu’il n’y a pas de limitations fonctionnelles supplémentaires.
[7] D’abord, la Commission des lésions professionnelles rappelle que le travailleur a été victime d’un accident du travail le 29 mai 2003 affectant son oreille droite. Il a été suivi à la clinique d’oto-rhino-laryngologie, sous les soins du docteur Daniel Lévesque, puis il a été vu en neurologie par le docteur Patrice Drouin. Le 7 juillet 2003, le docteur Lévesque émettait un rapport d’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il retenait un déficit anatomo-physiologique de 8,80 % pour une perte auditive à l’oreille droite. Le 27 octobre 2003, il recommandait que le travailleur ne soit pas exposé à un milieu bruyant. Il sera question, par la suite, d’éviter le travail en hauteur. Le 17 novembre 2003, le docteur Drouin indiquait, quant à lui, qu’il ne subsistait aucune atteinte ni limitation fonctionnelle en regard de la sphère neurologique.
[8] Rappelons, ensuite, qu’à compter du mois de novembre 2003, le médecin ayant charge s’est questionné sur le besoin d’aide en psychologie. Le travailleur sera vu par les psychologues Valérie Desharnais et Chantal Leblanc au cours de l’année 2004. Chacun des rapports de suivi en psychologie sera acheminé à la CSST. En octobre 2004, la CSST convient qu’il est impossible pour le travailleur de reprendre son emploi de mineur et une démarche en réadaptation est entreprise pour déterminer un emploi convenable. À compter du mois de janvier 2005, le travailleur est intégré à une formation pour l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles à titre de préposé aux bénéficiaires. Le 15 juillet 2007, la formation se termine. Le travailleur l’a réussie avec succès. Le 21 juillet 2005, la CSST retient l’emploi de préposé aux bénéficiaires à titre d’emploi convenable. Le travailleur est en démarche de recherche d’emploi depuis le 16 juillet 2005.
[9] Rappelons enfin que, parallèlement à la démarche de formation, le travailleur a consulté le docteur Lapointe en avril et mai 2005. Ce dernier a émis un diagnostic de trouble de l’humeur ou de trouble de l’adaptation. Il en sera ainsi jusqu’à la fin de l’année 2005. Le 5 avril 2006, le travailleur est pris en charge par un nouveau médecin, soit le docteur Éric Labrecque, lequel le réfère en psychologie le 7 septembre 2006. Le 13 octobre 2006, une rencontre au bureau du docteur Labrecque a lieu à la demande de la CSST. Sont présents, outre le médecin, la conseillère en réadaptation, la psychologue Mercédès Morin et la docteure Claire Gosselin de la CSST. Le rapport de cette rencontre fait état, entre autres, des données suivantes :
Vous avez ensuite un questionnement sur le fait qu’aucun diagnostic psychologique n’ait été émis dans l’événement d’origine. L’on vous confirme que le diagnostic psychologique n’est apparu sur les rapports médicaux qu’en 2005. Toutefois, en relevant les notes d’intervention en psychologique dans le dossier datant de la fin 2003 et de 2004, on note que la réaction anxieuse présentée par le travailleur suite à ses acouphènes et à ses troubles d’équilibre est d’abord jugée normale et présence d’un nouveau déficit physique. Par la suite, les éléments anxieux soutenus et certains éléments dépressifs sont notés.
Vous questionnez également le rapport de 2006 de M. Mathieu neuropsychologue. En effet, des déficits cognitifs notamment au niveau de la mémoire y sont rapportés et une certaine incohérence notée. Vous questionnez le fait que des éléments dépressifs ou psychiques autres aient pu interférer dans ces résultats lors de cette évaluation étant donné le stress de performance du travailleur. Cela semblait peu probable selon Mme Morin psychologue. L’on constate toutefois que les anomalies notées par cette évaluation demeurent difficiles à expliquer.
Vous indiquez avoir rencontré ce travailleur à 5-6 reprises. Il vous a d’abord consulté pour des troubles de sommeil secondaires à des acouphènes résiduels de son accident du travail de 2003. Vous avez alors identifié un trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse. Vous avez également remarqué un stress de performance. Le traitement a consisté en une médication sous forme de Paxil. Vous avez également référé le travailleur en psychologie auprès de Mme Morin.
Lors de rencontres subséquentes, le travailleur rapportait des difficultés érectiles découvertes dans le cadre d’une nouvelle relation sentimentale. Vous attribuez le tout du moins en partie à sa médication et avez ajouté du Wellbutrin pour tenter d’améliorer la situation.
Vous confirmez que la situation de trouble d’adaptation n’est pas consolidée et que les traitements déjà en cours doivent se poursuivre. Votre prochaine étape sera d’introduire du Risperdal ou du Zyprexa pour aider au sommeil.
Le travailleur ne vous a pas fait part de ses troubles d’équilibre de façon particulière.
Quant au pronostic, vous trouvez qu’il est trop tôt pour exclure la possibilité de limitations fonctionnelles sur le plan psychologique.
Vous reconnaissez que le travailleur a une capacité de travail actuellement dans le domaine de préposé aux bénéficiaires. Vous croyez que la réintroduction sur le marché du travail devrait être faite très progressivement. Vous croyez que le contexte de soins de longue durée serait le plus favorable ainsi que des heures de travail autour du repas du soir.
[10] Le 2 novembre 2006, le docteur Éric Labrecque maintient le diagnostic de trouble de l’adaptation. Il en est ainsi le 4 décembre 2006 alors que le travailleur est toujours suivi par la psychologue. Le 10 avril 2007, la docteure Claire Gosselin de la CSST s’entretient à nouveau avec le docteur Labrecque. Elle apprend que ce dernier n’a pas vu le travailleur depuis le 10 janvier 2007. Les passages pertinents, rapportant cette conversation, se lisent comme suit :
[...]
Vous indiquez d’entrée de jeu que le travailleur ne vous a pas consulté depuis le 10 janvier dernier. Vous précisez que jusqu’à cette date, les consultations étaient régulières, environ à intervalles de 1 mois. Par contre, lors de cette dernière rencontre, vous étiez un peu pessimiste, en raison de l’attitude du travailleur, quant au succès du stage.
Je vous indique que le stage débuté à 2 jours/semaine a été abaissé à 2 demi-journées par semaine dès la deuxième semaine pour accommoder le travailleur. Je vous apprends que le travailleur a soumis un rapport médical daté du 3 avril de la main du Dr Carpentier et prescrivant un arrêt de travail jusqu’au 10 avril. Vous êtes surpris qu’il ait dû être arrêté et l’état objectif constaté en janvier le rendait certainement capable selon vous de faire 2 périodes de 4 heures par semaine de stage.
Je vous indique que les commentaires des superviseurs suite aux quelques périodes faites étaient favorables.
Vous tenterez de revoir ce travailleur le plus tôt possible mais doutez en être capable cette semaine. Je vous indique que ce stage est important pour nous et pour le dossier du travailleur.
Vous pensez que sa condition est possiblement stabilisée, en raison de l’absence de consultation durant plusieurs semaines. Vous envisagez une possible conclusion dans les prochaines rencontres.
Je vous indique que dans le contexte d’incertitude, la CSST fera expertiser le travailleur en psychiatrie.
[11] Le 11 avril 2007, le docteur Éric Labrecque confirme le diagnostic de trouble de l’adaptation. Le 25 avril 2007, c’est au tour de la docteure Marie-Hélène Poulin de se prononcer en ce sens. Le 31 avril 2007, la psychologue Mercédès Morin achemine un nouveau rapport de suivi à la CSST. Le 7 mai 2007, le docteur Labrecque se prononce encore en faveur du diagnostic de trouble de l’adaptation. Le 5 juin 2007, le travailleur se présente pour une entrevue auprès de la psychologue Annie Chamberland à la demande de la CSST. Le 27 juin 2007, cette dernière produit son rapport. Sa conclusion et recommandations se lisent comme suit :
IV CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Ce mandat d’évaluation psychologique, demandé par madame Louisette Poulin de la CSST, consistait à dresser une compréhension du fonctionnement psychique de monsieur Bertin Gagné, dans le but de mieux comprendre les motifs qui ont contribué à rendre son stage comme préposé aux bénéficiaires si difficile et à évaluer si la poursuite de cet emploi est réaliste et adaptée aux besoins de monsieur Gagné.
À la lumière de nos constats cliniques, il s’avère évident que monsieur Gagné ne possède pas les ressources ni les dispositions intérieures pour poursuivre ce travail. Son état psychologique et beaucoup trop fragile pour qu’il puisse apporter une aide soutenue à d’autres personnes, selon un horaire préétabli et régulier. Monsieur a certes besoin de travailler pour augmenter son sentiment de compétence, son estime de lui et retrouver un niveau d’activité satisfaisant, mais il a aussi besoin d’un rythme de travail adapté à sa condition physique et psychologique limitée, consécutive à son accident survenu en 2003. Tel que mentionné au travers notre analyse, monsieur possédait déjà une structure de personnalité fragilisée, mais son fonctionnement était bien compensé par des mécanismes de défense fonctionnels et solides. Or, son accident semble avoir contribué à augmenter très considérablement son niveau d’angoisse et avoir grandement perturbé son système de défense, au point qu’il est devenu dysfonctionnel au plan professionnel, voire dépressif au plan psychologique.
Nous recommandons que monsieur poursuive le suivi thérapeutique déjà entamé, si possible selon une fréquence très soutenue, compte tenu des risques suicidaires identifiés, qui ressortent tant en entrevue clinique qu’aux trois épreuves psychologiques que nous lui avons administrées. Monsieur nous a mentionné qu’il prenait une médication d’antidépresseurs. Nous laissons au psychiatre qui l’évaluera sous peu le soin de faire des recommandations sur la médication qui convient le mieux à monsieur. Nous demeurons disponible à discuter avec le psychiatre et le psychologue traitant de monsieur, si le besoin se manifeste et, bien entendu, si monsieur nous y autorise toujours.
[12] Le 16 juillet 2007, le travailleur est examiné, cette fois, par le psychiatre Alain Sirois à la demande de la CSST. Il doit émettre un avis relatif à la date de consolidation, la nécessité des soins et l’existence ou non d’une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles. Il consolide la lésion à ce jour, sans nécessité de soins supplémentaires, et accorde un déficit anatomo-physiologique de 5 % pour une névrose mineure de groupe I mais sans limitations fonctionnelles. Le 13 août 2007, le docteur Éric Labrecque complète un rapport complémentaire dans les termes suivants : « Je suis d’accord en tout point avec le rapport du Dr Alain Sirois ».
[13] Le 10 septembre 2007, le docteur Éric Labrecque produit un second rapport complémentaire dans les termes suivants :
Amendement à mes conclusions du rapport du 2007/08/13. Vu les discordances entre les rapports des psychologues et la mise à jour de plusieurs points contradictoires par le docteur Alain Sirois, j’aimerais faire évaluer le patient en psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de Montmagny mercredi le 12 septembre afin d’avoir une opinion « d’expert » pour analyser le dossier. Je vous remercie.
[14] Les 12 et 25 septembre 2007 puis les 9 et 24 octobre 2007, le psychiatre Jacques Morin rencontre le travailleur, tel que souhaité par le médecin ayant charge. Ce dernier précise ce qui suit le 14 septembre 2007 :
Conduite : Nous allons clarifier un peu l’histoire de ce monsieur et les besoins qu’il a en venant ici. En ce qui concerne l’expertise faite par le Dr Sirois, nous ne pouvons faire autre que de lui dire de demander une révision de son dossier, il me semble qu’à la CSST on peut toujours avoir recours à une nouvelle révision, mais je n’en suis pas sûr.
[15] Le 24 octobre 2007, le docteur Jacques Morin écrit ce qui suit :
Nous avons revu M. Gagné à trois reprises pour continuer l’évaluation de l’état de M. et se tenir au courant de l’évolution de ses démarches faites auprès de la CSST.
M. demeure anxieux et incapable de participer à une activité continue où il y a du bruit, ce qui amène chez lui des comportements d’évitement pour faire ce qu’il aurait à faire. En fait, il ne semble pas qu’il ait eu possibilité de changer la décision de la CSST avec la recommandation du Dr Labrecque. En conclusion, il a donc un an pour se trouver un emploi adapté, sinon il devra avoir recours à une autre solution, telle une inaptitude au travail si la situation ne s’améliore pas.
[16] Il est clair, dans le contexte du présent dossier, que tout tourne autour de l’opinion du docteur Alain Sirois du 16 juillet 2007. En effet, la CSST a retenu cette opinion comme liante aux fins de l’attribution de l’atteinte permanente et la détermination de la capacité de travail, et ce, au motif que le médecin ayant charge a endossé l’opinion du docteur Sirois.
[17] La question à laquelle doit maintenant répondre la Commission des lésions professionnelles est de savoir si l’opinion du docteur Alain Sirois doit être reconnue comme étant liante pour la CSST, au motif que le docteur Éric Labrecque a déclaré être en accord avec celle-ci le 13 août 2007. Autrement dit, est-ce que le rapport complémentaire du 13 août 2007 est conforme à ce que prévoit la loi à l’article 205.1? Cet article se lit comme suit :
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
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1997, c. 27, a. 3.
[18] La jurisprudence en matière d’application de l’article 205.1 de la loi fait part de certaines balises pour nous aider à prendre position quant à la validité d’un rapport complémentaire émis par le médecin ayant charge suite à l’obtention d’une opinion en vertu de l’article 204 de la loi libellé comme suit :
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
[19] À la lecture de cette jurisprudence, on y apprend, entre autres, qu’un avis doit être motivé ou étayé[2], qu’il faut que le médecin ayant charge ait une connaissance personnelle suffisante de la condition du travailleur à l’époque pertinente de son rapport complémentaire[3], que le fait de répondre uniquement positivement à la question de la CSST ne constitue pas une opinion étayée[4], qu’il faut comprendre pourquoi le médecin ayant charge a changé d’avis[5], que le médecin ayant charge n’a pas l’obligation d’examiner le travailleur s’il a une bonne connaissance du dossier et s’il a suivi régulièrement ce dernier[6], et que le médecin ayant charge a l’obligation d’informer le travailleur de sa position[7]. En contre partie, une des décisions dont a pris connaissance la Commission des lésions professionnelles indique que, lorsque le médecin ayant charge se rallie au médecin désigné, il n’est pas dans l’obligation d’étayer son rapport ou son opinion puisqu’il épouse les motivations de ce dernier[8].
[20] Dans le cas qui nous occupe, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le rapport complémentaire, daté du 13 août 2007, n’est pas conforme aux exigences de la loi. En conséquence, il ne doit pas servir à valider l’opinion du docteur Alain Sirois, et ce, pour les raisons suivantes :
.1) Quoique le docteur Éric Labrecque ait pris en charge le travailleur en avril 2006 et qu’il l’ait suivi à quelques reprises au cours de l’année 2006, il a procédé à une référence en psychologie, le 7 septembre 2006, auprès de la psychologue Mercédès Morin. Il a donc confié à quelqu’un d’autre la problématique psychique se contentant d’émettre des rapports médicaux confirmant le diagnostic de trouble de l’adaptation. Il faut dès lors se questionner sur la véritable connaissance qu’a le docteur Labrecque de la composante psychique du travailleur.
.2) Quoiqu’il y ait eu une rencontre au bureau du docteur Éric Labrecque le 10 octobre 2006, où étaient présentes la docteure Claire Gosselin de la CSST, la conseillère en réadaptation et la psychologue Mercédès Morin, le rapport écrit, faisant état de cette rencontre, nous montre l’ampleur du questionnement du docteur Labrecque quant à l’état psychologique du travailleur. La Commission des lésions professionnelles estime que ce questionnement, de la part du docteur Labrecque, confirme que ce n’est pas lui le principal intervenant en regard de l’évolution de la condition psychique du travailleur. D’ailleurs, celui-ci continuera d’être suivi en psychologie auprès de madame Morin et les rapports seront acheminés à la CSST.
.3) L’échange téléphonique entre la docteure Claire Gosselin de la CSST et le docteur Éric Labrecque, en date du 10 avril 2007, nous apprend que ce dernier n’a pas vu le travailleur depuis le 10 janvier 2007. Il y a donc un suivi moins serré de la part du docteur Labrecque alors que le travailleur continue d’être suivi par la psychologue. Cela démontre, encore une fois, que ce n’est pas le docteur Labrecque qui a la meilleure connaissance de la condition psychique du travailleur.
.4) Suivant les notes évolutives au dossier, le rapport de la psychologue Annie Chamberland, soit celle qui a évalué le travailleur le 5 juin 2007 à la demande de la CSST, a été acheminé à la psychologue Mercédès Morin le 12 juillet 2007. Cela démontre, une fois de plus, que le véritable suivi, pour la condition psychologique, ne se faisait pas par le docteur Éric Labrecque.
.5) Quoique le travailleur ait demandé à la CSST, le 16 juillet 2007, d’acheminer à son médecin ayant charge le rapport de la psychologue Annie Chamberland, aucune note au dossier ne nous permet de conclure que l’envoi a été fait. Contrairement aux autres fois où l’on précise que tel acheminement a été fait à telle personne, les notes évolutives sont muettes quant à la demande spécifique du travailleur. On peut dès lors se questionner à savoir si le docteur Éric Labrecque a véritablement pris connaissance de l’opinion de la psychologue Chamberland avant de compléter son rapport complémentaire du 13 août 2007.
.6) Le fait pour le docteur Éric Labrecque d’indiquer sur le second rapport complémentaire daté du 10 septembre 2007 qu’il s’agit là d’un amendement à son premier rapport du 13 août 2007, au motif de l’existence de discordances entre les avis des psychologues et celui du docteur Alain Sirois, démontre, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, que celui-ci n’avait pas pris connaissance des rapports des psychologues au moment de compléter son rapport le 13 août 2007. Il a émis une opinion sans véritable connaissance de la condition du travailleur. Il n’avait donc pas cette connaissance personnelle suffisante de la condition de ce dernier à l’époque pertinente, ce qui justifie d’invalider le rapport complémentaire du 13 août 2007.
.7) Suivant les notes évolutives au dossier en date du 22 août 2007, le travailleur n’était pas au courant de la prise de position du docteur Éric Labrecque relative au rapport du docteur Alain Sirois. C’est donc dire que le médecin ayant charge n’a pas avisé le travailleur avant d’émettre son avis le 13 août 2007. Il n’a donc pu bénéficier de l’éclairage de ce dernier avant de compléter le rapport complémentaire.
.8) Suivant les notes évolutives en date du 6 septembre 2007, le travailleur a discuté avec le docteur Éric Labrecque, lequel l’a informé ne pas avoir lu attentivement le rapport du docteur Alain Sirois avant de compléter le rapport du 13 août 2007. Cela revient à dire, encore une fois, que le docteur Labrecque a complété le rapport complémentaire sans avoir pris connaissance des données pertinentes. La Commission des lésions professionnelles estime que le travailleur n’a pas à faire les frais de l’opinion du médecin ayant charge qui repose sur une mauvaise connaissance de la condition décrite par le docteur Sirois.
.9) Le fait pour le docteur Éric Labrecque de référer le travailleur à un psychiatre au mois de septembre 2007 en précisant vouloir obtenir une opinion d’expert en vue d’analyser le dossier confirme, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, que son accord inscrit au rapport complémentaire du 13 août 2007 ne repose aucunement sur des données éclairées. Cela est d’autant plus vrai qu’il s’agit d’un domaine qui n’est pas le sien.
.10) Le fait pour le docteur Éric Labrecque de simplement déclarer, le 13 août 2007, être en accord avec l’opinion du docteur Alain Sirois ne constitue nullement un avis motivé. On ne comprend pas pourquoi il change d’idée. Cela est suffisant, en soi, pour déclarer invalide le rapport complémentaire du 13 août 2007.
[21] En conséquence de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le rapport complémentaire du 13 août 2007 n’est pas valide. Il ne permet pas de retenir l’opinion du docteur Alain Sirois, du 16 juillet 2007, comme s’il s’agissait de l’opinion du médecin ayant charge. C’est à tort que la CSST s’est déclarée liée par les conclusions du docteur Sirois.
[22] Enfin, puisque l’article 205.1 de la loi prévoit que c’est le médecin ayant charge qui peut donner son avis en complétant correctement un rapport complémentaire, la Commission des lésions professionnelles estime que la CSST doit obtenir un nouveau rapport complémentaire auprès du docteur Éric Labrecque maintenant que ce dernier a reçu l’éclairage d’un expert en matière psychiatrique. C’est ce nouveau rapport qui permettra de décider si l’opinion du docteur Alain Sirois, au 16 juillet 2007, doit être retenue comme étant celle du médecin ayant charge ou si la CSST devra faire une demande au BEM. Devant un tel état de fait, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que les décisions faisant suite à l’expertise du docteur Alain Sirois doivent être annulées puisque prématurées.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE, mais pour d’autres motifs, la requête de monsieur Bertin Gagné (le travailleur);
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 20 décembre 2007, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE prématurées la décision de la CSST du 23 août 2007, concernant l’atteinte permanente, ainsi que celle du 7 septembre 2007, concernant la capacité de travail;
RETOURNE le dossier à la CSST afin qu’elle obtienne un nouveau rapport complémentaire du médecin ayant charge et qu’elle y donne suite suivant les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).
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Marielle Cusson |
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Commissaire |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Blanchet et Ferme RNB inc., C.L.P. 239411-03B-0407, le 17 février 2005, G. Marquis.
[3] Leclaire et Constructions Enfab inc., C.L.P. 199237-62C-0302, le 28 mai 2003, R. Hudon; Ally et Atelier d’usinage Guy Côté, C.L.P. 252742-04B-0501, le 15 juin 2005, L. Collin.
[4] Gagné et Entreprises Cuisine-Or, C.L.P. 231454-03B-0404, le 13 juin 2005, M. Cusson.
[5] Clermont et Broderie Rive-Sud, C.L.P. 254081-62B-0501, le 15 décembre 2005, A. Vaillancourt.
[6] Paquette et Aménagement forestier LF, C.L.P. 246976-08-0410, le 6 juillet 2005, J.F. Clément.
[7] Idem à note 5.
[8] Idem à note 6.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.