Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Nettoyeur Clin d'Oeil

2012 QCCLP 5185

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Sherbrooke

6 août 2012

 

Région :

Estrie

 

Dossier :

460147-05-1201

 

Dossier CSST :

136797206

 

Commissaire :

Annie Beaudin, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Nettoyeur Clin d’oeil

 

Partie requérante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 18 mai 2012, Nettoyeur Clin d’œil (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste la décision rendue le 21 décembre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 21 octobre 2011 et qui déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité du coût des prestations liées à la lésion professionnelle du 5 octobre 2010 de monsieur Richard Julien (le travailleur).

[3]           L’audience a eu lieu à Sherbrooke le 18 mai 2012, en la seule présence de la représentante de l’employeur et le dossier a été mis en délibéré à la même date.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Par le biais de sa représentante, l’employeur demande que les prestations représentant l’indemnité de remplacement du revenu découlant d’un accident antérieur soient imputées aux employeurs de toutes les unités.

LA PREUVE

[5]           Le travailleur occupe un emploi de livreur et de commis à la buanderie chez l’employeur depuis novembre 1995 lorsque, le 5 octobre 2010, il subit un accident du travail alors qu’il ressent une douleur irradiant sa jambe gauche de la cuisse aux orteils en soulevant une poche de linge.

[6]           L’emploi qu’il occupe chez l’employeur au moment de sa lésion en octobre 2010 constitue un emploi convenable à la suite d’une lésion professionnelle survenue en 1991 et ayant entraîné une hernie discale L4-L5 et une discoïdectomie L4-L5 droite, des limitations fonctionnelles ainsi qu’une atteinte permanente de 6 %.

[7]           Le travailleur reçoit à ce moment une indemnité de remplacement du revenu réduite et un salaire annuel de 20 748,00 $.

[8]           Le 2 décembre 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle accepte la réclamation du travailleur à titre d’accident du travail pour les diagnostics de lombosciatalgie gauche et de radiculopathie L5.

[9]           Depuis janvier 2011, le travailleur occupe un poste de contremaître chez l’employeur à la suite de la détermination d’un emploi convenable au même salaire qu’antérieurement à la lésion professionnelle de 2010.

[10]        Le 14 mars 2011, la CSST confirme sa décision du 2 décembre 2010 à la suite d’une révision administrative. L’employeur a d’abord contesté cette décision, mais il par la suite produit un désistement.

[11]        Le 27 septembre 2011, l’employeur, par le biais de sa représentante, demande un transfert de coût en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), en précisant qu’il est obéré injustement par l’imputation du coût des prestations liées à l’accident du travail subi par le travailleur.

[12]        Le 21 octobre 2011, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la demande de transfert de l’imputation de l’employeur et décide de lui imputer la totalité du coût des prestations liées à la lésion professionnelle du travailleur, d’où la présente contestation.

[13]        Aux notes évolutives du 31 octobre 2011, on lit que la base salariale à la suite de la nouvelle lésion est de 61 088,34 $ en raison de l’indemnité de remplacement du revenu réduite de 1991.

[14]        Le 21 décembre 2011, la CSST confirme sa décision du 21 octobre 2011 et déclare que le coût des prestations doit être imputé au dossier de l’employeur. Elle considère que par sa demande de transfert, l’employeur remet en question la base de salaire pour le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu. Elle précise que c’est au moment du premier avis de paiement émis par la CSST, lequel constitue une décision sur la question de la base de salaire retenue aux fins du calcul, que l’employeur peut demander la révision de cette question. Comme l’employeur est informé de cette base de salaire au moyen du relevé des sommes portées à son dossier ou par la réception du sommaire des sommes imputées, la CSST est d’avis que l’employeur ne peut remettre en question la base de salaire ayant servi à déterminer l’indemnité de remplacement du revenu au moment de l’imputation des coûts. Elle ajoute que l’employeur n’a pas démontré être obéré injustement par l’imputation du coût des prestations liées à l’accident du travail subi par le travailleur.

[15]        À l’audience, la représentante de l’employeur dépose divers documents au soutien de ses prétentions. Le portrait du travailleur (E-1) indique une base salariale de 64 627,97 $ et un dernier jour d’indemnité de remplacement du revenu autorisé au 30 octobre 2013 avec une indemnité versée aux deux semaines de 908,32 $.

[16]        Ainsi, depuis qu’il occupe un emploi convenable chez l’employeur, soit depuis janvier 2011, le travailleur reçoit une indemnité de remplacement du revenu réduite de 908,32 $ aux deux semaines.

[17]        Le document Base d’indemnisation de l’événement (E-2) mentionne un revenu brut déterminé de 62 126,84 $ et que 90 % du revenu net retenu est de 42 942,19 $. Le IRR/ITT- Cumulatif d’IRR/ITT (E-3) au dossier rapporte un total de 576 jours et un montant de 42 843,44 $. Enfin, le document intitulé Liste des lésions professionnelles imputées à l’employeur pour fins de tarification (E-4) reprend le total de 42 843,44 $ en remplacement de revenu. Il fait état d’un grand total de 64 381,76 $.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[18]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si le coût des prestations représentant l’indemnité de remplacement du revenu découlant d’une lésion professionnelle antérieure doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

[19]        L’employeur prétend que la CSST ne doit imputer à son dossier financier que la partie de l’indemnité de remplacement du revenu correspondant au salaire gagné par le travailleur lorsqu’il a subi sa lésion professionnelle le 5 octobre 2010, soit 20 748,00 $. La représentante de l’employeur soutient qu’il est inéquitable que son client supporte la proportion des indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur basée sur un salaire plus élevé que celui réellement gagné lorsque survient sa lésion professionnelle.

[20]        La représentante de l’employeur présente de plus qu’à compter du 1er février 2011, tout le coût des indemnités de remplacement du revenu doit être imputé aux employeurs de toutes les unités. Elle explique la date du 1er février 2011 par le fait que le travailleur occupe un emploi convenable chez l’employeur depuis janvier 2011 et que l’indemnité de remplacement du revenu réduite qu’il reçoit à compter de ce moment découle de son accident antérieur qui remonte à 1991.

[21]        Dans le présent dossier, au moment de la survenance de la lésion professionnelle chez l’employeur le 5 octobre 2010, le travailleur reçoit une indemnité de remplacement du revenu réduite découlant d’une lésion professionnelle antérieure.

[22]        Comme prévu à l’article 73 de la loi, la CSST détermine que la base salariale du travailleur pour sa lésion professionnelle du 5 octobre 2010 est celle revalorisée de sa lésion professionnelle antérieure survenue chez un autre employeur. Elle détermine donc un salaire gagné de 62 126,84 $ (E-2).

[23]        L’article 73 de la loi énonce :

73.  Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.

 

L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 73.

 

 

[24]        Expliquant le but de cette disposition, la Commission des lésions professionnelles écrit dans la décision J.M. Bouchard & Fils inc.[2] soumise par la représentante de l’employeur :

[42]      En procédant de la sorte, le législateur s’assure que le travailleur n’obtient jamais une indemnité inférieure à celle à laquelle il avait droit en raison de la lésion initiale. En même temps, il lui permet de recevoir une indemnité supérieure s’il occupe un emploi plus rémunérateur au moment de sa nouvelle lésion.

[43]      L’application de l’article 73 entraîne, dans une certaine mesure, la fusion de l’indemnité de remplacement réduite que le travailleur reçoit déjà et de celle à laquelle il a droit en conséquence de sa nouvelle lésion professionnelle. Nous disons dans une certaine mesure, puisque le salaire gagné par le travailleur dans le cadre de son nouvel emploi ne correspond pas nécessairement à celui de l’emploi convenable déterminé par la CSST.

 

 

[25]        S’exprimant également quant à la portée de l’article 73, la Commission des lésions professionnelles dans Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse)[3] expose :

[25]      Cette façon de calculer vise à permettre au travailleur de recevoir une seule indemnité de remplacement du revenu qui tient cependant compte des conséquences de la lésion professionnelle survenue chez l’employeur précédent dont fait partie l’indemnité de remplacement du revenu réduite.

 

[26]      Cette disposition vise également à protéger le travailleur en lui permettant d’avoir droit à une indemnité de remplacement du revenu supérieure s’il occupe un emploi plus rémunérateur au moment de sa lésion  ou de protéger le droit à l’indemnité de remplacement du revenu lorsque survient un nouvel événement pour l’intégrer dans la nouvelle base salariale.

 

[27]      Le montant de 60 844,96 $ correspond à la base du salaire brut revalorisé qui a servi au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu réduite du travailleur à la suite de sa lésion professionnelle survenue chez son employeur précédent.

 

[28]      L’employeur ne pouvait pas contester cette décision puisqu’elle est rendue en application de l’article 73 de la loi et que le cas du travailleur rencontre les conditions qui y sont prévues.

 

 

[26]        La Commission des lésions professionnelles adhère à ces affirmations et considère que l’employeur ne pouvait remettre en question la base de salaire servant au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur puisque cette base est déterminée en application de l’article 73 de la loi.

[27]        Reste maintenant à déterminer si l’employeur a droit à un transfert de coût en vertu de l’article 326 de la loi :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[28]        La jurisprudence est constante quant au fait que l’application conforme de l’article 73 de la loi ne peut constituer une injustice permettant de rencontrer les critères du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.

[29]        En ce sens, une première approche veut qu’il ne puisse y avoir un transfert de l’imputation du coût des prestations relié au fait que le travailleur reçoive une indemnité de remplacement du revenu réduite au moment de la survenance de la lésion[4].

[30]        Par ailleurs, suivant une autre approche plus récente[5], un transfert d’imputation de tel coût serait possible sur la base du premier alinéa de l’article 326 de la loi.

[31]        Pour les motifs qui suivent, le tribunal retient cette deuxième approche.

[32]        Il s’agit donc d’interpréter le premier alinéa de l’article 326 de la loi, et plus particulièrement les mots « le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail ».

[33]        Le législateur, par les termes qu’il choisit et particulièrement l’expression « en raison », a voulu qu’il existe un lien entre le coût des prestations imputé et l’accident du travail qui survient chez l’employeur.

[34]        Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a rappelé dans plusieurs décisions que la méthode contextuelle moderne est désormais celle qui doit guider les tribunaux dans leur interprétation des lois, notamment dans l’arrêt Verdun c. Banque Toronto-Dominion[6]:

2. Les tribunaux doivent généralement utiliser la « méthode contextuelle moderne » comme méthode normative standard d’interprétation des lois et ils peuvent exceptionnellement recourir à l’ancienne règle du « sens ordinaire » quand les circonstances s’y prêtent. […]

 

6. En conséquence, la méthodologie exposée dans Driedger on the Construction of Status (3e éd. 1994) à la p. 131, est appropriée :

 

[TRADUCTION] Il n’existe qu’une seule règle d’interprétation moderne : les tribunaux sont tenus d’interpréter un texte législatif dans son contexte global, en tenant compte de l’objet du texte en question, des conséquences des interprétations proposées, des présomptions et des règles spéciales d’interprétation, ainsi que des sources acceptables d’aide extérieure. Autrement dit, les tribunaux doivent tenir compte de tous les indices pertinents et acceptables du sens d’un texte législatif. Cela fait, ils doivent ensuite adopter l'interprétation qui est appropriée. L’interprétation appropriée est celle qui peut être justifiée en raison a) de sa plausibilité, c’est-à-dire sa conformité avec le texte législatif, b) de son efficacité, dans le sens où elle favorise la réalisation de l’objet du texte législatif, et c) de son acceptabilité, dans le sens où le résultat est raisonnable et juste. [Les soulignés sont dans le texte.]

 

[nos soulignements]

 

 

[35]        De plus, dans l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd[7], le juge Iacobucci note que :

21. Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après «Construction of Statutes); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :

 

[TRADUCTION] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

27. (…) Selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D’après Côté, op. cit., on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif (aux pp. 430 à 4232). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu’on peut qualifier d’absurdes les interprétations qui vont à l’encontre de la fin d’une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile. 

 

[nos soulignements]

 

 

[36]        Enfin, la Cour suprême énonçait également dans l’arrêt Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec inc.[8] :

Comme notre Cour l’a maintes fois répété : [traduction] « Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit  de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 , par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87; voir aussi Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559 , 2002 CSC 42 , par. 26). Cela signifie que, comme on le reconnaît dans Rizzo & Rizzo Shoes, « l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi » (par. 21).

 

Des mots en apparence clairs et exempts d’ambiguïté peuvent, en fait, se révéler ambigus une fois placés dans leur contexte. La possibilité que le contexte révèle une telle ambiguïté latente découle logiquement de la méthode  moderne d’interprétation.

 

 

[37]        Cette méthode d’interprétation rejoint la règle élaborée à l’article 41 de la Loi d’interprétation[9] :

41. Toute disposition d'une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d'imposer des obligations ou de favoriser l'exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

 

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

 

S. R. 1964, c. 1, a. 41; 1992, c. 57, a. 602.

 

 

[38]        La Commission des lésions professionnelles estime que la méthode contextuelle moderne commande d’interpréter les termes « le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail » comme excluant le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail qui survient chez un autre employeur.

[39]        Le régime de financement instauré par la loi, dont les règles d’imputation, repose essentiellement sur une notion particulière de « justice », celle étant propre à un système de mutuelle d’assurance. Une formation de trois juges administratifs[10] a rappelé à ce sujet :

[283]    La responsabilité collective des employeurs participant au régime n’implique pas qu’ils contribuent tous également ou que chacun soit imputable des coûts résultant de tous les accidents.

 

[284]    En statuant que le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur doit être imputé à l’employeur auquel il était alors lié, le premier alinéa de l’article 326 applique une règle de « justice » distincte de celle ayant cours en droit civil, celle que le législateur a spécifiquement retenue comme étant équitable pour les fins particulières du régime d’assurance qu’il a instauré.

 

[285]    En effet, le mode de financement choisi (la cotisation) ne commande pas de répartir le coût total de toutes les prestations versées également entre tous les employeurs, ou même entre ceux regroupés au sein d’une ou de plusieurs unités.  La loi prévoit expressément, au contraire, que dans la détermination de la cotisation, la CSST doit tenir « compte de l’expérience associée au risque de lésions professionnelles qu’elle assure » (article 284.1).

 

[…]

 

[309]    Le financement du régime mis en place par la loi s’articule autour de concepts d’assurance mutuelle, tels le risque assuré (les travailleurs étant les « assurés »), l’expérience, la classification des employeurs (« les preneurs ») et la cotisation (« la prime ») appropriée pour couvrir le risque associé aux activités qu’ils exercent.

 

[…]     

 

[314]    La règle générale d’imputation énoncée au premier alinéa de l’article 326 de la loi n’est que le reflet des dispositions précitées, lesquelles exigent qu’il soit tenu compte de l’expérience dans la détermination de la cotisation payable par chaque employeur au financement du régime.

 

[315]    L’imputation cumulative du coût des prestations versées en raison des accidents du travail subis par les travailleurs alors qu’ils étaient à son emploi bâtit graduellement le dossier d’expérience d’un employeur.

 

[…]

 

[338]    L’équité du système instauré par la loi réside dans l’équilibre qu’il faut maintenir entre le risque assuré et la cotisation de chacun des employeurs. Avantager indûment un employeur, c’est par le fait même désavantager tous les autres.  Bien sûr, l’inverse est aussi vrai.

 

[nos soulignements]

 

 

[40]        À cet égard, le tribunal écrit dans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc.[11] :

[54]      Ces dispositions démontrent l’objectif clair et compréhensif du législateur de s’assurer que la CSST impute les coûts en fonction du critère de l’imputabilité réelle. Elles ont aussi pour objectif d'assurer l'équité entre les employeurs.

 

 

[41]        Le tribunal cite également avec approbation un extrait de l’affaire Groupe C.D.P. inc.[12] mentionnée par la représentante de l’employeur :

[21]      La règle d’imputation dégagée par le premier alinéa de l’article 326 de la loi est que l’employeur est responsable du coût des prestations attribuables à un accident de travail survenu à un travailleur alors que ce dernier est à son emploi. D’ailleurs comme l’explique le tribunal dans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc., toutes les dispositions en matière d’imputation que ce soit l’accident attribuable à un tiers à l’article 326 alinéa 2 ou encore, les articles 327, 328 et 329 de la loi, visent que les coûts des prestations imputés au dossier d’un employeur correspondent à ceux découlant de la lésion professionnelle survenue alors que le travailleur est à son emploi et non pas à ceux attribuables à une lésion professionnelle survenue chez un autre employeur.

 

 

[42]        Par ailleurs, le tribunal partage aussi les propos tenus dans Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse)[13] quant à l’effet pervers que peut avoir une interprétation différente en regard d’un autre objectif de la loi, soit celui de la réadaptation du travailleur :

[36]      Les dispositions ayant trait au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu font partie d’un objectif distinct de la loi visant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle. Les dispositions quant au financement visent plutôt à imputer les prestations qui sont attribuables aux lésions professionnelles au dossier de l’employeur responsable.

 

[37]      À l’instar de la décision dans l’affaire J.M. Bouchard et Fils , le présent tribunal se distingue également de la thèse majoritaire en ce qu’une telle interprétation ne tient pas compte du contexte global des dispositions relativement au financement du régime dans son interprétation de la notion de prestations à l’alinéa 1 de l’article 326 de la loi.

 

[38]      Au surplus, une telle interprétation entraîne un effet pervers allant à l’encontre de l’objectif de réadaptation prévu à la loi. En effet, il est déjà difficile pour un travailleur de se trouver un emploi convenable lorsqu’il a des limitations fonctionnelles. Si on impose un possible fardeau financier à un employeur subséquent en lui imputant les indemnités de remplacement du revenu réduites résultant d’un accident du travail dont il n’est pas responsable, on ne facilitera pas la tâche du travailleur dans la recherche d’un emploi sur le marché du travail.

 

[39]      Cette façon de faire peut entraîner des craintes chez un employeur éventuel qu’elles soient expressément manifestées ou non.

 

[43]        En somme, la Commission des lésions professionnelles considère que l’interprétation qu’elle retient concilie davantage l’ensemble des objectifs de la loi, l’esprit de celle-ci et le contexte du régime d’indemnisation et du régime de financement qu’elle crée.

[44]        En l’espèce, la revalorisation du revenu brut du travailleur, parce qu’il reçoit une indemnité réduite de remplacement du revenu au moment de la lésion professionnelle, et incidemment le coût des prestations qui en découle ne sont pas dûs en raison de l’accident du 5 octobre 2010 mais bien en raison d’un accident antérieur.

[45]        D’ailleurs, avant l’accident du travail du 5 octobre 2010, le coût des prestations relié à l’indemnité réduite de remplacement du revenu à la suite de l’accident antérieur a été imputé à l’employeur précédent ou aux employeurs de toutes les unités.

[46]        En l’occurrence, la Commission des lésions professionnelles considère que l’employeur recherche en fait l’application du principe énoncé au premier alinéa de l’article 326 de la loi en demandant que le coût des prestations relié aux indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur basé sur un salaire plus élevé que celui réellement gagné chez l’employeur ne lui soit pas imputé.

[47]        Le tribunal est d’avis que l’application du premier alinéa de l’article 326 de la loi ne nécessite aucunement la démonstration d’une situation correspondant à la notion d’injustice que l’on retrouve au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Il suffit à l’employeur de démontrer que les prestations découlant de l’indemnité revalorisée par l’application de l’article 73 de la loi ne sont pas « dues en raison » de l’accident du travail survenu chez l’employeur.

[48]        Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur a rencontré son fardeau de preuve et a démontré que le coût des prestations excédant le revenu qu’il gagnait chez l’employeur n’est pas dû en raison de l’accident du travail survenu chez l’employeur le 5 octobre 2010.

[49]        En somme, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur a démontré par preuve prépondérante qu’il a droit à un transfert de coût en vertu de l’article 326 de la loi.

[50]        Ainsi, la Commission des lésions professionnelles considère qu’en vertu du principe général d’imputation édicté au premier alinéa de l’article 326 de la loi, l’employeur ne doit être imputé que des seuls coûts attribuables à la lésion professionnelle du travailleur survenue le 5 octobre 2010 alors qu’il est à son emploi. Ainsi, seuls les coûts basés sur un revenu brut de 20 748,00 $, soit le salaire annuel du travailleur chez l’employeur, doivent être imputés au dossier financier de l’employeur, ce qui, en conséquence, a pour effet d’exclure notamment de l’imputation au dossier de l’employeur, le coût de l’indemnité de remplacement de revenu versée au travailleur pour la période postérieure au 1er février 2011.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Nettoyeur Clin d’œil, l’employeur;

INFIRME la décision rendue le 21 décembre 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la CSST ne doit imputer au dossier financier de l’employeur que la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Richard Julien, le travailleur, qui correspond au salaire que celui-ci gagnait lorsqu’il a subi un accident du travail le 5 octobre 2010, c’est-à-dire 20 748,00 $, excluant notamment de l’imputation au dossier de l’employeur, le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur pour la période postérieure au 1er février 2011.

 

 

 

__________________________________

 

Annie Beaudin

 

 

 

 

Me Linda Lauzon

MONETTE, BARAKETT & ASSOCIÉS

Représentante de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001.

[2]           2010 QCCLP 3746 .

[3]           2011 QCCLP 1741 .

[4]           Nettoyeurs Pellican inc., C.L.P. 372145-31-0903, 4 août 2009, S. Sénéchal; Ressource de réinsertion Le Phare, C.L.P. 366109-09-0812, 29 septembre 2009, Y. Vigneault; Fernand Harvey & Fils inc., C.L.P. 382751-31-0907, 17 décembre 2009, R. Hudon; Services de sécurité Alain St-Germain inc. et Sécuritas Canada Ltée, C.L.P. 373674-64-0903, 19 février 2010, M. Lalonde; J. Albert Cormier & Fils inc., C.L.P. 377217-01C-0904, 17 mars 2010, R. Arseneau; Fermes Rivest Bourgeois Inc, C.L.P. 377627-63-0905, 23 mars 2010, J.-P. Arsenault; Services Kelly (Canada) ltée, C.L.P. 387474-71-0908, 31 mars 2010, C. Racine; Remises du Fjord, C.L.P. 378414-02-0905, 15 avril 2010, R. Bernard; Centre d’insémination porcine du Québec inc., C.L.P 382383-03B-0907, 27 avril 2010, M. Cusson; Carquest Canada ltée, C.L.P. 389155-03B-0909, 29 avril 2010, M.-A. Jobidon; Centre universitaire de santé McGill, C.L.P. 388006-71-0909, 30 septembre 2010, F. Juteau; Comfort Inn par Journey’s end, C.L.P. 406452-07-1003, 19 octobre 2010, M. Gagnon-Grégoire.

[5]           J.M. Bouchard & Fils inc., précitée, note 2; Comfort Inn par Journey’s end, précitée, note 4; Groupe C.D.P. inc., 2010 QCCLP 7887 ; 2M Ressources inc., 2011 QCCLP 684 ; Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse), précitée, note 3; Groupe C.D.P. inc., 2011 QCCLP 2207 ; Transport École-Bec Montréal (EBM) inc., 2011 QCCLP 3322 ; Ébénisterie St-Urbain ltée, 2011 QCCLP 4231 ; Les Entreprises Cafection inc., 2012 QCCLP 3578 .

[6]           [1996] 3 R.C.S. 550 .

[7]           [1998] 1 R.C.S. 27 .

[8]          [2003] 3 R.C.S. 141, par. 9-10.

[9]          L.R.Q. c. I-16.

[10]         Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 288809-03B-0605, 28 mars 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie et J.-F. Martel.

[11]         Précitée, note 2.

[12]         Précitée, note 5.

[13]         Précitée, note 3.

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