Décision

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Cayer et Produits d'acier Stelbec ltée

2009 QCCLP 852

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

9 février 2009

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

313631-71-0703-R

 

Dossier CSST :

118399641

 

Commissaire :

Lucie Nadeau, juge administratif

 

Membres :

Alain Allaire, associations d’employeurs

 

Michelle Desfonds, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Normand Cayer

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Produits d’acier Stelbec ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 30 septembre 2008, monsieur Normand Cayer (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 17 septembre 2008 par la Commission des lésions professionnelles.

[2]                Par cette décision[1], la Commission des lésions professionnelles rejette la requête du travailleur, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 12 mars 2007 à la suite d’une révision administrative et déclare que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente additionnelle à son intégrité physique et qu’il est capable d’effectuer l’emploi convenable d’assembleur de petits objets à compter du 8 février 2007.

[3]                Aucune partie ayant demandé d’être entendue, la présente décision est rendue sur dossier conformément à l’article 429.57 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                Le travailleur demande de réviser la décision rendue le 17 septembre 2008 en ce qui concerne le préjudice esthétique résultant de la rechute, récidive ou aggravation du 15 octobre 2004 et de lui reconnaître 1,75% à ce titre.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête en révision du travailleur. Ils considèrent que le premier juge a commis une erreur manifeste et déterminante en retenant deux évaluations médicales dans lesquelles il n’y a pas d’évaluation du préjudice esthétique résultant de la pose d’un neurostimulateur.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 17 septembre 2008.

[7]                Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la loi :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[8]                Dans le présent dossier, le travailleur allègue que la décision est entachée d’un vice de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. La notion de «vice de fond (...) de nature à invalider la décision» a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Donohue et Franchellini[3]. comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été reprises de manière constante par la jurisprudence.

[9]                En 2003, dans l’affaire Bourassa[4], la Cour d'appel a rappelé la règle applicable en ces termes:

[21]      La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

_______________

(4)     Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y.  Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[10]           La Cour d’appel a de nouveau analysé cette notion dans l’affaire CSST c. Fontaine[5] alors qu’elle était appelée à se prononcer sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision. Procédant à une analyse fouillée, le juge Morissette rappelle les propos du juge Fish dans l’arrêt Godin[6], et réitère qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

[11]           Quelques semaines plus tard, dans l’affaire Touloumi[7], la Cour d’appel qualifiait de la même manière la notion de vice de fond :

[5]        Il ressort nettement de l’arrêt Fontaine qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

 

 

[12]           La soussignée estime que le critère du vice de fond, défini dans les affaires Donohue et Franchellini comme signifiant une erreur manifeste et déterminante, n’est pas remis en question par les récents arrêts de la Cour d’appel. Lorsque la Cour d’appel écrit que «la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire «un vice de fond de nature à invalider une décision», elle décrit la notion en des termes à peu près identiques. L’ajout du qualificatif «grave» n’apporte rien de nouveau dans la mesure où la Commission des lésions professionnelles a toujours recherché cet élément aux fins d’établir le caractère déterminant ou non de l’erreur.

[13]           Qu’en est-il dans le présent dossier?

[14]           Rappelons les faits nécessaires à la compréhension du présent litige.

[15]           Le 23 mars 2000, le travailleur a subi une lésion professionnelle qui a entraîné une déchirure méniscale au genou droit et une dépression. Le travailleur s’est vu reconnaître une atteinte permanente à l’intégrité physique et à l’intégrité psychique de même que des limitations fonctionnelles pour sa lésion au genou.

[16]           Le 15 octobre 2004, le travailleur subit une rechute, récidive ou aggravation  en raison de la résection du névrome du nerf saphène droit. De plus, en mai 2006, la Dre Jacques met en place un neurostimulateur interne au niveau du rachis dorsolombaire, utilisé par le travailleur avec un contrôle à distance, pour ses douleurs chroniques au membre inférieur droit. Ce traitement a été reconnu et payé par la CSST.

[17]           Il faut savoir que le neurostimulateur est installé au niveau de la colonne dorsale et une composante (la batterie) est placée à la région abdominale droite.

[18]           Un avis est rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale, le Dr Robert Duchesne, sur quatre questions médicales relatives à cette rechute : la consolidation, la nécessité de traitements, l’atteinte permanente à l’intégrité physique et les limitations fonctionnelles. Cet avis est rendu en raison des opinions contradictoires de la Dre Jacques, médecin traitant du travailleur, et du Dr Pierre Major, médecin désigné de la CSST. La décision de la CSST donnant suite à l’avis du Bureau d’évaluation médicale a été contestée par le travailleur jusqu’à la Commission des lésions professionnelles.

[19]           Au soutien de sa contestation, le travailleur dépose une expertise médicale effectuée par le Dr Normand Taillefer le 3 octobre 2007. Comme le signale le premier juge, l’expertise du Dr Taillefer confirme en tous points les examens des Drs Major et Duchesne «hormis un ajout comme préjudice esthétique de 1,75 % pour une cicatrice chirurgicale de l’abdomen»[8]. C’est précisément ce que le travailleur demandait de lui accorder.

[20]           Dans sa décision du 17 septembre 2008, le premier juge rejette cette demande pour les motifs suivants :

[37]      Finalement, le tribunal conclut que la preuve médicale prépondérante réside dans les expertises médicales complètes et détaillées des docteurs Major et Duchesne et ne peut retenir l’atteinte permanente à l’intégrité physique additionnelle de 1,75 %.

 

 

[21]           Or il commet une erreur en tirant cette conclusion qui ne repose pas sur la preuve. Le Dr Major, dans son examen du 16 octobre 2006, et le Dr Duchesne, dans son examen du 15 décembre 2006, ne procèdent pas à un examen de l’abdomen. Les deux médecins rapportent la pose du neurostimulateur mais ils ne font aucune mention des cicatrices découlant de cette chirurgie. Leurs expertises sont muettes au sujet d’un préjudice esthétique découlant de cette chirurgie.

[22]           Le Dr Taillefer est le seul médecin à examiner les cicatrices reliées à l’intervention chirurgicale pour l’installation du neurostimulateur. Au niveau de la colonne dorsale, il décrit une cicatrice linéaire au niveau D11-D12 qui n’est pas vicieuse. Il n’attribue aucun préjudice esthétique pour cette cicatrice.

[23]           Cependant il en attribue un pour la cicatrice au niveau abdominal. Il observe une cicatrice, en para-ombilical droit, rosée et apparente mesurant 7 x 0,5 cm. Conformément au Règlement sur le barème des dommages corporels[9] (le barème), il attribue un préjudice esthétique pour une cicatrice vicieuse de 3,5 cm2,  ce qui donne droit à 1,75 % soit 0,5 % par cm2 (code 224386 du barème annoté).

[24]           La Commission des lésions professionnelles constate donc que le premier juge a conclu contrairement à la preuve. Il ne pouvait pas rejeter la demande du travailleur au motif qu’il retient comme preuve prépondérante les expertises des Drs Major et Duchesne puisque ceux-ci n’ont pas procédé à un examen ni émis d’opinion au sujet des cicatrices découlant de l’installation du neurostimulateur.

[25]           Le premier juge n’était pas lié par l’expertise du Dr Taillefer. Il peut l’écarter en autant qu’il s’explique[10]. Cependant dans le présent dossier, le seul motif qu’il fournit pour écarter l’évaluation du Dr Taillefer, est de privilégier deux autres opinions qui ne traitent pas de cette question. Sa conclusion ne repose pas sur la preuve.

[26]           La Commission des lésions professionnelles constate donc que le premier juge a écarté une preuve pertinente sans s’expliquer et, par le fait même, statué contrairement à la preuve. Il s’agit là d’une erreur manifeste et déterminante donnant ouverture à la révision.

[27]           Procédant à rendre la décision qui aurait dû être rendue, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve prépondérante démontre que le travailleur a un préjudice esthétique supplémentaire de 1,75 % et retient l’examen du Dr Taillefer. C’est la seule évaluation à ce sujet, elle n’est pas contredite et rien ne permet de mettre en doute sa valeur probante. L’examen du Dr Taillefer est détaillé et son évaluation est conforme au barème.

[28]           Au pourcentage de 1,75 % pour le préjudice esthétique, s’ajoute conformément au barème 0,1 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie. Le travailleur conserve ainsi une atteinte permanente supplémentaire à l’intégrité physique de 1,85 % à la suite de la rechute, récidive ou aggravation du 15 octobre 2004.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision de monsieur Normand Cayer, le travailleur;

RÉVISE en partie la décision rendue le 17 septembre 2008 par la Commission des lésions professionnelles;

 

DÉCLARE que le travailleur conserve une atteinte permanente supplémentaire à l’intégrité physique de 1,85 % à la suite de la rechute, récidive ou aggravation du 15 octobre 2004.

 

 

__________________________________

 

Lucie Nadeau

 

 

 

 

Me Claude Bovet

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Mélisande Blais

PANNETON LESSARD

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           Cette décision statue également sur une autre contestation concernant la détermination d’un emploi convenable (dossier 259213-71-0504) mais la présente requête ne vise pas ce volet de la décision.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001

[3]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ;  Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783

[4]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.)

[5]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.)

[6]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.)

[7]           CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A)

[8]           Paragraphe 16 de la décision.

[9]           (1987) 119 G.O. II, 5576

[10]         Pelletier c. Commission des lésions professionnelles, C.S. Montréal 500-17-035647, 18 décembre 2007, j. Léger, 2007LP-240; Solaris Québec inc. c. Commission des lésions professionnelles, [2006] C.L.P. 295 (C.S.)

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