Boucher et Montréal (Ville de) (Arrondissement Mercier/Hochelaga-Maisonneuve) |
2010 QCCLP 7338 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 6 juillet 2009, la Ville de Montréal-Arrondissement Mercier/Hochelaga/ Maisonneuve (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation à l’encontre d’une décision rendue par le tribunal le 18 juin 2009.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de monsieur Sylvain Boucher (le travailleur), infirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 26 novembre 2008 à la suite d’une révision administrative et déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 19 juin 2008.
[3] L’employeur est représenté à l’audience tenue à Joliette le 25 novembre 2009. Le travailleur est représenté. L’affaire est mise en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L'employeur invoque l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et demande à la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de révoquer la décision rendue par le tribunal au motif qu’elle contient un vice de fond de nature à l’invalider.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis d’accueillir la requête de l'employeur. Il considère qu’en l’absence d’un formulaire prescrit par la loi spécifiant le diagnostic, le premier juge administratif a commis une erreur manifeste et déterminante en en choisissant un à la place du médecin ayant charge du travailleur.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d'avis contraire. Il est fréquent que le tribunal se réfère aux notes cliniques contemporaines aux événements afin de préciser le diagnostic de la lésion professionnelle.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision doit décider s’il y a lieu de révoquer la décision rendue par le tribunal.
[8] Après avoir pris connaissance de la preuve, entendu les arguments soumis de part et d'autre et reçu l’avis des membres issus des associations syndicales et d'employeurs, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision conclut qu’il y a lieu de réviser la décision rendue par le tribunal. Cette conclusion repose sur les éléments suivants.
[9] Selon l’article 429.49 de la loi, les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel.
[10] Une décision peut toutefois être révisée ou révoquée sous certaines conditions prévues à l’article 429.56 :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[11] Il appartient à la partie qui demande la révision ou la révocation d’une décision de démontrer au moyen d’une preuve prépondérante l’un des motifs prévus par le législateur à l’article 429.56 de la loi, en l’occurrence, un vice de fond de nature à l’invalider.
[12] Depuis les décisions rendues dans les affaires Produits Forestiers Donohue inc. et Franchellini[2], la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision interprète la notion de « vice de fond de nature à invalider la décision » comme faisant référence à une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le sort du litige. C’est donc dire que la révision ou la révocation est une procédure d’exception qui a une portée restreinte.
[13] D’ailleurs, la Cour d’Appel dans les arrêts Fontaine et Touloumi[3] a donné son aval à cette interprétation en disant qu’une requête en révision interne ne peut être accueillie que lorsque la décision rendue est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés.
[14] Ainsi, il y a une erreur manifeste et déterminante lorsqu’une conclusion n’est pas supportée par la preuve et s’appuie plutôt sur des hypothèses, lorsqu’une décision repose sur de fausses prémisses, fait une appréciation manifestement erronée de la preuve ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine[4].
[15] Au soutien de sa requête, l'employeur demande la révocation de la décision rendue par le tribunal.
[16] Cependant, tel qu’exposé dans l’affaire Hôpital Sainte-Justine et Gravel[5], le terme révocation « fait plutôt référence aux situations où l'on doit annuler la décision et l'audience ayant conduit à cette décision afin de remettre les parties dans l'état où elles étaient avant cette audience et cette décision. On pense notamment aux cas où une partie aurait été dans l'impossibilité de se faire entendre. Un manquement à cette règle de justice naturelle pourrait, dépendant du cas particulier, exiger que l'on reprenne l'audience pour permettre au justiciable de faire valoir sa preuve. Les définitions font d'ailleurs état de déclaration de nullité, de mise à néant, de suppression, d'abolition, d'abrogation, de dédit, d'invalidation ».
[17] Toujours selon les enseignements tirés de cette affaire, le mot réviser vise la situation « où l'on veut modifier ou corriger la décision initiale sur la base de la preuve déjà consignée au dossier, en prenant en considération, soit des éléments de preuve nouveaux inconnus au moment de l'audition, soit le vice de fond ou de procédure (l'erreur de fait ou de droit) ayant pu entacher la décision du commissaire initial ou soit le défaut ou la déficience de la décision initiale relative à l'application d'une règle de justice naturelle, lequel défaut ou déficience pourra être corrigé sans que l'on reprenne toute la preuve ».
[18] Dans la mesure où l'employeur invoque un vice de fond de nature à invalider la décision du tribunal, il apparaît opportun de parler de révision plutôt que de révocation.
[19] Le premier juge administratif, saisi d’une contestation déposée par le travailleur, devait décider si celui-ci avait subi une lésion professionnelle. Au départ, la CSST a accepté la réclamation du travailleur à titre d’accident du travail en regard d’un diagnostic de dorsalgie.
[20] La révision administrative de la CSST a toutefois infirmé cette décision en estimant être liée par les diagnostics de dorsalgie et de douleur musculaire au flanc gauche émis par le médecin ayant charge du travailleur, considéré que la présomption de lésion professionnelle prévue à l'article 28 de la loi ne s’appliquait pas, étant donné que ces diagnostics ne sont pas des diagnostics de blessure et conclu que le travailleur n’avait pas subi d’accident du travail.
[21] Aux paragraphes [8] à [10] de sa décision, le premier juge administratif cite les définitions de lésion professionnelle et d’accident du travail contenues à l’article 2 de la loi et ajoute qu’une présomption de lésion professionnelle est prévue à l’article 28.
[22] Puis, aux paragraphes [11] à [13], il résume les faits survenus le 19 juin 2008.
[23] Il écrit ensuite au paragraphe [14] de sa décision que les notes cliniques colligées lors de la visite à l’urgence du centre hospitalier faite le jour même des événements font mention d’un diagnostic d'entorse dorsale et d’un spasme musculaire.
[24] Il indique au paragraphe [18] de sa décision que « les rapports médicaux produits à la CSST suivant la procédure d’évaluation médicale ne sont pas très explicites à propos du diagnostic de la lésion professionnelle du travailleur. Les médecins traitants parlent alors de dorsalgie et de douleur musculaire au flanc gauche. Il s’agit de symptômes plutôt que des diagnostics de blessure au sens donné par la jurisprudence ».
[25] Puis, il répète que dans les notes cliniques de la consultation faite par le travailleur à l’urgence, le diagnostic retenu est une entorse dorsale et il décide que puisqu’il s’agit là du diagnostic posé de façon contemporaine à l’incident du 19 juin 2008, c’est celui qu’il retient aux fins de la réclamation du travailleur.
[26] Le premier juge administratif poursuit son raisonnement en disant que ce diagnostic en est un de blessure et que le travailleur bénéficie de la présomption de lésion professionnelle. Il ajoute que la preuve soumise ne permet pas de renverser cette présomption.
[27] Il rappelle qu’en outre, l’article 353 de la loi prévoit qu’aucune procédure faite en vertu de la loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou de fond. « Bien que les rapports médicaux fournis par les médecins du travailleur ne respectent pas de façon rigoureuse la procédure d'évaluation médicale contenue à la loi, le tribunal estime que cette irrégularité ne doit pas empêcher le travailleur de bénéficier des avantages de la loi », écrit-il en conclusion.
[28] Le vice de fond reproché par l’employeur au premier juge administratif consiste en ce qu’il s’est référé aux notes cliniques écrites lors de la consultation à l’urgence pour conclure que le diagnostic à retenir aux fins de l’analyse de l’admissibilité de la réclamation du travailleur était celui d'entorse dorsale et de spasme musculaire. Or, ce diagnostic d'entorse dorsale n’a jamais été retenu dans les rapports médicaux destinés à la CSST. Le premier juge administratif aurait dû retenir le diagnostic apparaissant dans les formulaires d’attestations médicales destinées à la CSST. La représentante de l'employeur invoque la nécessité d’utiliser les formulaires prescrits par la loi.
[29] À l’audience, la représentante de l'employeur reprend ces arguments. Elle soumet qu’en choisissant un diagnostic qui n’apparaît pas dans les rapports médicaux destinés à la CSST, le premier juge administratif prive l'employeur de son droit de se prévaloir de la procédure d’évaluation médicale et de demander un avis au Bureau d'évaluation médicale, entre autres, au sujet du diagnostic de la lésion professionnelle, tel que prévu à l'article 212 de la loi :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[30] À ce sujet, la représentante de l'employeur soumet que son médecin désigné, la docteure Paquette était d'accord avec le diagnostic de dorsalgie. Dans ces circonstances, l'employeur n'avait pas à demander à ce que le dossier du travailleur soit transmis au Bureau d'évaluation médicale.
[31] La représentante de l’employeur cite la décision rendue dans l'affaire Fortin et Administration portuaire de Montréal[6] qui traite de la question des formulaires prescrits par la loi.
[32] Tel que déjà dit, le premier juge administratif devait décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 19 juin 2008.
[33] La question de savoir si la blessure ou la maladie du travailleur est de nature professionnelle est au cœur même de la définition de lésion professionnelle apparaissant à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[34] La lecture de cette définition indique qu’il faut d’abord décider de quelles blessure ou maladie il s’agit avant d’analyser la question de savoir si celle-ci découle d’un accident du travail, d'une maladie professionnelle ou encore, d’une récidive, rechute ou aggravation.
[35] En procédant à retenir un diagnostic, le premier juge administratif ne commet pas d’erreur. Il exerce simplement ses pouvoirs aux fins de décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle.
[36] Il est vrai que le tribunal peut, dans le cas d’un diagnostic imprécis, tenter de le préciser en ayant recours aux notes de consultation. Cependant, ce pouvoir ne va pas jusqu’à aller piger dans des notes de consultation un diagnostic qui n’a jamais été retenu par le médecin ayant charge du travailleur, cela, au détriment des règles contenues à la procédure d'évaluation médicale.
[37] L’article 199 de la loi impose au médecin, qui le premier prend charge d’un travailleur, de remettre à celui-ci sur le formulaire prescrit par la CSST une attestation comportant un diagnostic.
[38] De plus, l’article 224 de la loi impose au tribunal de retenir le diagnostic émis par le médecin ayant charge du travailleur :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[39] Quant à l’article 224.1, il se lit comme suit :
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
…
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1992, c. 11, a. 27.
[40] Tel que dit dans l’affaire Baril et Brasserie Labatt ltée[7] :
[29] Lorsque la Commission des lésions professionnelles s’apprête à décider de l’existence d’une lésion professionnelle, si elle n’est pas saisie de la contestation d’une décision entérinant le diagnostic retenu par un membre du Bureau d’évaluation médicale, elle est liée, tout comme la CSST, par le diagnostic émis par le médecin qui a charge du travailleur. La loi ne prévoit aucune autre exception et il s’agit, de l’avis de la soussignée, d’un des principes fondamentaux prévus à la loi qui nous gouverne : le respect de l’opinion du médecin choisi par le travailleur. Le premier commissaire ne commet donc aucune erreur. Bien au contraire, il applique la loi.
[41] Dans l’affaire L’Heureux et Commission des écoles catholiques de Montréal[8] qui fait référence à une décision[9] rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, il est indiqué qu’une inscription apparaissant dans les notes du médecin qui a charge ne constitue pas un diagnostic valablement posé et ne s’apparente pas à un rapport médical conforme aux dispositions des articles 199 et 200 de la loi.
[42] L’affaire Centre Hospitalier De Valleyfield[10] est au même effet.
[43] Plus près de nous, ces principes ont été repris dans les décisions rendues dans les affaires Méthot et Venmar Ventilation inc.[11], Veillette Garderie le coffre à jouets inc.[12], Savard et Confiseries J.C.Côté inc.[13].
[44] Ce principe repose sur le fait que ces annotations ne constituent pas un rapport médical visé par les articles 199 et suivant de la loi.
[45] D'ailleurs, la jurisprudence voulant que le tribunal puisse préciser le diagnostic du médecin ayant charge, indique que c’est l'ensemble de la preuve médicale qui doit être considérée aux fins de retenir les constats apparaissant aux notes de consultation.
[46] Or, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision a écouté l’enregistrement de l’audience tenue devant le premier juge administratif. Il en ressort que ce dernier s’étonne du fait que le diagnostic d'entorse dorsale n’ait pas été repris dans les rapports médicaux suivants, ce à quoi la représentante de l'employeur a souligné qu’il fallait vivre avec les diagnostics retenus dans les attestations médicales, remarque à laquelle le juge administratif a répondu en disant qu’il fallait aussi vivre avec les notes de consultations médicales contemporaines.
[47] En retenant à partir des notes de consultation un diagnostic qui n’apparaît pas dans le premier rapport médical liant la CSST, le premier juge administratif commet une erreur de droit puisque cela ne respecte pas les dispositions des articles 199 et suivants de la loi. De plus, en retenant le diagnostic d'entorse dorsale, sans plus d’analyse de l’ensemble de la preuve médicale, le premier juge administratif commet une erreur dans l'appréciation de la preuve. Ces deux erreurs sont déterminantes puisqu’elles ont un effet sur le sort du litige.
[48] Par ailleurs, le premier juge administratif commet une autre erreur de droit en s’appuyant sur l'article 353 de la loi selon lequel aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou de fond. En droit, le terme de procédure fait référence à un ensemble de règles qui gouvernent une instance et il est loin d’être certain qu’un formulaire ou un rapport médical puisse s’assimiler à une procédure.
[49] Ces raisons mises ensemble amènent à conclure qu’il y a lieu de réviser la décision rendue par le tribunal.
L’AVIS DES MEMBRES SUR LA REQUÊTE DU TRAVAILLEUR
[50] Le membre issu des associations syndicales est d’avis de reconnaître que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 19 juin 2008. Compte tenu de ce qui apparaît dans les notes cliniques de l’urgence, il estime que le diagnostic de dorsalgie peut être assimilé à un diagnostic de blessure, ce qui donne ouverture à l’application de la présomption de lésion professionnelle. L'employeur n’a présenté aucune preuve permettant de repousser la présomption.
[51] Le membre issu des associations d’employeurs est d'avis contraire. Le diagnostic de dorsalgie n’est pas un diagnostic de blessure de sorte que la présomption ne s’applique pas. D'autre part, la preuve ne démontre pas qu’un événement imprévu et soudain est survenu.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION PORTANT SUR LA REQUÊTE DU TRAVAILLEUR
[52] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 19 juin 2008.
[53] Après avoir pris connaissance de la preuve et reçu l'avis des membres issus des associations syndicales, la Commission des lésions professionnelles conclut par l’affirmative, cela pour les motifs qui suivent.
[54] Le travailleur est opérateur de machinerie lourde pour le compte de l'employeur.
[55] Le matin du 19 juin 2008, il conduisait un tracteur-chargeur. Il était en forme et n’avait nullement mal au dos au début de son quart de travail. Il descend de son véhicule à reculons, en se tenant à la barre d'appui. Arrivé sur la dernière marche, il ressent une vive douleur au dos, entre les omoplates. Il entre à l’intérieur, se dirige vers la cafétéria puis se rend aux toilettes. La douleur est vive au point de l’empêcher de respirer. Il tombe à genou. Son dos était enflé, dit-il. Des collègues de travail lui viennent en aide, l’étendent sur une table puis il est transporté en ambulance à l’hôpital.
[56] La déclaration d’accident produite par la représentante de l’employeur n’a pas été écrite par lui. Il se souvient avoir eu la visite de son contremaître pendant qu’il était à l’hôpital, mais il était sous forte médication.
[57] Interrogé par la représentante de l'employeur, il convient qu’il faisait son travail régulier et que rien de particulier ne s’est produit. Il ne connaît pas le nom de la médication qu’on lui a administrée, mais on lui a dit que c’était aussi puissant que la « drogue du viol ».
[58] Il a tenté un retour au travail pendant une journée mais il n’allait pas bien. Il a été investigué pour ses douleurs dorsales.
[59] Il convient avoir eu un accident de moto en 1993. Il avait été blessé à la tête. Il n’a aucun antécédent au niveau du dos. Il a déjà eu un problème au niveau lombaire, il y a 10 ou 15 ans. Il pratique plusieurs sports et ne s’est jamais blessé.
[60] Les notes de consultation à l’urgence ne sont pas faciles à lire, mais il y est question de douleurs dorsales sans histoire de trauma, de douleur dorsale transfixiante entre les omoplates, que les antécédents sont négatifs, que le patient présente une légère dyspnée. L’on parle d’éliminer un pneumo-thorax. Une radiographie ne met pas de fracture en évidence. L’impression diagnostique est une entorse dorsale et un spasme musculaire.
[61] Le tribunal a lu la déclaration d'accident et il constate que la description des faits concorde avec le témoignage du travailleur. De plus, un témoin a déclaré être entré dans la salle des cols bleus et y avoir vu le travailleur, couché sur une table, qui semblait souffrant, avait de la difficulté à parler et respirait rapidement.
[62] Le représentant du travailleur a plaidé que le diagnostic de dorsalgie pouvait s’assimiler à un diagnostic de blessure, compte tenu des circonstances de son apparition et de ce qui est indiqué dans les notes de consultation à l’urgence, de sorte que la présomption de lésion professionnelle s’applique. Ou encore, l’on pourrait conclure à un accident du travail par présomption de fait.
[63] La représentante de l'employeur a plaidé que la présomption ne pouvait s’appliquer, étant donné que les rapports médicaux font état de dorsalgie, ce qui ne s’apparente pas à un diagnostic de blessure. Elle réfère à la note de consultation qui indique des douleurs dorsales sans histoire de trauma, au témoignage du travailleur qui dit que rien de particulier ne s'est passé. Elle soumet que la preuve ne démontre pas qu’un événement imprévu et soudain s’est produit et demande au tribunal de maintenir la décision rendue par la révision administrative de la CSST.
[64] La lésion professionnelle et l'accident du travail sont définis comme suit à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[65] Afin de faciliter la preuve dont le fardeau repose sur les épaules du travailleur, le législateur a prévu une présomption de lésion professionnelle :
28. Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 28.
[66] En l’espèce, et eu égard à l’ensemble de la preuve, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le diagnostic de dorsalgie posé par le médecin ayant charge du travailleur s’apparente à un diagnostic de blessure.
[67] D’abord, les faits en eux-mêmes qui sont décrits de façon constante font état d’une douleur dorsale soudaine et vive puisque le travailleur a de la difficulté à respirer, qu’il tombe par terre, que ses collègues lui viennent en aide et qu’il est transporté en ambulance à l’hôpital.
[68] Ensuite, le contenu des notes médicales qui fait mention de spasme musculaire, d’entorse dorsale témoigne de la présence d’une blessure.
[69] Il est vrai, comme le soulignait la représentante de l'employeur, qu’il y est indiqué que la douleur est apparue sans histoire de trauma. Le tribunal n’est pas en mesure d’interpréter les écrits du médecin de l’urgence, mais il peut en déduire que cela confirme les propos du travailleur à l’effet qu’il ne sait rien passé de particulier.
[70] Le diagnostic de dorsalgie qui s’apparente en l'espèce à un diagnostic de blessure, le fait que cette blessure soit apparue sur les lieux du travail et alors que le travailleur était à son travail font en sorte que les trois conditions d’application de la présomption de lésion professionnelle sont rencontrées.
[71] La présomption de l'article 28 fait présumer de l'existence d'une lésion professionnelle[14].
[72] Dans ces circonstances, il appartenait à l'employeur de renverser l’application de la présomption. Cette preuve se fait par la démonstration d’une absence de relation entre la blessure et l’événement allégué. Or, l’employeur n’a pas fait cette preuve puisqu’il était d’avis que la présomption de lésion professionnelle ne pouvait s’appliquer, compte tenu du diagnostic de dorsalgie.
[73] Il a simplement plaidé qu’il n’y avait pas eu d'événement imprévu et soudain. Or, cela ne permet pas de renverser la présomption de lésion professionnelle[15].
[74] L'employeur a invoqué que le travailleur avait été investigué et que sa condition personnelle peut expliquer ses douleurs. Cet argument n'est pas retenu. Si tant est que le travailleur soit porteur d’une condition personnelle asymptomatique, cela n’écarte pas l'application de la présomption, car le travailleur s’est tout de même infligé une blessure[16].
[75] La présomption de lésion professionnelle s’appliquant et n’ayant pas été renversée, il y a lieu de reconnaître que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 19 juin 2008.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision déposée par la Ville de Montréal - Arrondissement/Mercier/Hochelaga/Maisonneuve;
RÉVISE la décision rendue par le tribunal le 18 juin 2009;
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Sylvain Boucher;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 26 novembre 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 19 juin 2008.
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Lise Collin |
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M. Mario Crispin |
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S.C.F.P. (local 301) |
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Représentant de la partie requérante |
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Mme Marie-France Pinard |
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Service du Capital humain |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchenelli et Sousa, [1998] C.L.P. 783
[3] CSST et Fontaine, [2005] C.L.P. 626 ; CSST et Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A.)
[4] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733
[5] [1999] C.L.P. 954 . Voir également Dallaire et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 93683-64-9801, 7 juin 2002, A. Vaillancourt, (02LP-39)
[6] C.L.P. 227007-63-0402, 17 octobre 2005, J.-M. Charrette
[7] C.L.P. 148915-62B-0010, 26 août 2003, L. Boucher
[8] C.L.P. 75123-64-9512, 31 juillet 1998, J.G. Desjardins
[9] Laure et Smith & Nephew inc, C.A.L.P. 36781-60-9202, 4 février 1994, B. Lemay
[10] [1996] C.A.L.P. 228 , décision accueillant une requête en révision
[11] C.L.P. 264475-04B-05-06, 9 août 2006, J.-F.Clément
[12] C.L.P. 240873-04-04-08, 23 novembre 2004, J.-F.Clément
[13] C.L.P. 301034-02-0610, 11 avril 2007, J.-F.Clément, requête en révision rejetée 8 février 2008, G. Marquis
[14] Chaput c. S.T.C.U.M., [1992] C.A.L.P. 1253 (C.A.), requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 4 mars 1993, (23265); Forex inc. et Deschamps, [1987] C.A.L.P. 328 ; Drouin et Miron inc., C.L.P. 25385-60-9011, 25 mars 1993, R. Brassard, (J5-10-09); Houde et Compagnie Price ltée, [1993] C.A.L.P. 540 , requête en révision judiciaire rejetée, [1993] C.A.L.P. 643 (C.S.); C.H.U.S. et Grégoire, [1994] C.A.L.P. 1430 , révision rejetée, C.A.L.P. 41595-05-9207, 15 avril 1995, J. L'Heureux; CAE électronique limitée et Ludwa, C.L.P. 114253-73-9904, 12 août 1999, G. Robichaud; Michaud c. CLP, [2001] C.L.P. 156 (C.S.); Gélinas et Leclair Americana inc., C.L.P. 158159-04B-0104, 25 septembre 2001, P. Simard: Patenaude et Hôtel Vallée des Forts, C.L.P. 288234-62A-0604, 6 février 2008, S. Di Pasquale, (07LP-293) (décision accueillant la requête en révision)
[15] Ouellette et Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont, [1994] C.A.L.P. 1442 ; Hôpital de Montréal pour enfants et David, C.A.L.P. 55800-60-9312, 7 septembre 1995, S. Di Pasquale; Lepage et Imprimerie Québécor Lasalle, C.A.L.P. 58694-64-9405, 13 novembre 1995, P. Capriolo
[16] Super C et Consigny, C.L.P. 92631-03-9712, 3 août 1998, G. Godin; Béton Provincial ltée et Cloutier, C.L.P. 118800-01B-9906, 2 novembre 2001, R. Arseneau