Ville de Thurso c. Devcore Construction (QC) inc. |
2019 QCCS 4273 |
||||||
COUR SUPÉRIEURE |
|||||||
|
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
GATINEAU |
||||||
|
|
||||||
|
|||||||
N° : |
550-17-009848-175 |
||||||
|
|
||||||
|
|||||||
DATE : |
Le 15 octobre 2019 |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
MARIE-JOSÉE BÉDARD, J.C.S. |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
VILLE DE THURSO,
Demanderesse
-c.-
DEVCORE CONSTRUCTION (QC) INC.,
Défenderesse
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
DEMANDE EN REJET (ART. |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
[1] La Ville de Thurso (« la Ville ») a entrepris un recours hypothécaire contre Devcore Construction (QC) inc. (« Devcore »). Devcore y a répondu en déposant une défense et une demande reconventionnelle. La Ville demande le rejet de la défense et de la demande reconventionnelle de Devcore au motif qu’elle n’a aucune chance de succès et qu’elle est abusive.
1. LE CONTEXTE
1.1 La trame factuelle
[2] Le contexte factuel qui a mené au présent litige est important pour comprendre les positions de chaque partie. Plusieurs faits essentiels ne sont d’ailleurs pas contestés.
[3] En 2003, la Ville conclut un bail emphytéotique concernant un immeuble qui lui appartient avec un promoteur, Les Jardins Thurso Inc. (« Les Jardins Thurso »). Au terme de cette entente, Les Jardins Thurso doit développer un projet immobilier sur le terrain en cause qui est situé au 153, rue Fraser à Thurso (« l’immeuble »). En cours de projet, Les Jardins Thurso éprouve des difficultés financières qui culminent par une vente sous contrôle de justice des droits découlant du bail emphytéotique, lesquels sont acquis par 9105-6234 Québec inc. le 11 septembre 2009.
[4] Le 28 février 2012, 9105-6234 Québec inc. vend ses droits dans le bail emphytéotique à 8095701 Canada inc. qui envisage développer un projet immobilier commercial et résidentiel sur l’immeuble.
[5] Cette vente se conclut en parallèle d’un protocole d’entente qui intervient le 31 janvier 2012 entre l’actionnaire de 8095701 Canada inc. et la Ville (« le Protocole »), dans le cadre duquel la Ville consent à lui céder la propriété de l’immeuble et à radier le bail emphytéotique sans contrepartie financière, mais avec l’engagement précis de l’acquéreur de développer l’immeuble avant le 31 mars 2017.
[6] De façon plus précise, le Protocole prévoit que l’acquéreur s’engage à réaliser divers travaux de construction, de rénovation et d’amélioration qui sont énumérés et qui doivent augmenter la valeur de l’immeuble d’au moins 5 millions de dollars. Les travaux doivent être terminés au plus tard le 31 mars 2017. Le Protocole prévoit aussi que l’acte de cession contiendra une clause pénale au montant de 357 000 $ qui deviendra exigible si l’acquéreur fait défaut d’exécuter son obligation de construction avant le 31 mars 2017. Une hypothèque immobilière est également consentie à la Ville sur l’immeuble afin de garantir le paiement du montant de la clause pénale.
[7] La Ville intervient donc à l’acte de vente entre 9105-6234 Québec inc. et 8095701 Canada inc. afin de céder la propriété de l’immeuble à 8095701 Canada inc. en contrepartie de l’engagement de cette dernière de se lier aux obligations prévues au Protocole. L’immeuble est aussi grevé d’une hypothèque pour garantir le paiement du montant prévu à la clause pénale.
[8] En 2013, Devcore, qui œuvre comme promoteur immobilier, est approchée par Nicole Gratton qui agit comme consultante pour l’Office municipal d’habitation sur le territoire de Thurso (« l’OMH »), afin de développer sur l’immeuble un projet immobilier de 36 logements sociaux pour personnes âgées autonomes (« le projet »). L’OMH considère que le projet pourrait bénéficier d’une subvention de la Société d’habitation du Québec (« SHQ ») dans le cadre du programme Accès Logis, soit un programme de subventions destiné à financer en partie la construction de logements sociaux.
[9] Un tel projet doit se faire en partenariat avec la Ville. Il est utile de noter que le maire de la Ville, Benoit Lauzon, et le secrétaire-trésorier et directeur général de la Ville, Mario Boyer, qui est également le directeur de l’OMH, s’impliquent de façon importante dans le dossier. La Ville et l’OMH souhaitent ardemment que le projet se réalise.
[10] S’en suivent des discussions entre l’OMH, la Ville et Devcore.
[11] Le projet envisagé comporte deux phases : une première phase comprenant la construction de 36 logements subventionnés, suivie d’une deuxième phase comprenant 24 logements non subventionnés.
[12] Pour être admissible à des subventions de la SHQ, le promoteur, et non l’OMH, doit être propriétaire de l’immeuble sur lequel les logements seraient construits, et ce, depuis au moins 6 mois. Devcore doit donc acheter l’immeuble pour que le projet puisse aller de l’avant. Le plan envisagé consiste à céder l’immeuble à l’OMH une fois le projet complété.
[13] Le 8 janvier 2014, la Ville adopte une résolution au terme de laquelle elle note que l’OMH désire présenter un projet de 36 logements à la SHQ. La Ville s’engage alors, dans la mesure où le projet reçoit l’engagement financier de la SHQ, à verser une subvention sous forme de crédit de taxes foncières pour une période de 35 ans. La Ville consent également à subventionner 10% du supplément de revenu pour 18 des 36 logements pour une période de 5 ans.
[14] Le 13 janvier 2014, le conseil d’administration de l’OMH adopte une résolution qui confirme son intention de se prévaloir des avantages du programme Accès Logis de la SHQ et d’acquérir du promoteur immobilier (Devcore) un projet immobilier à vocation résidentielle de 36 unités de logement pour personnes âgées autonomes.
[15] Si Devcore achète l’immeuble en cause, elle sait qu’elle sera liée par les termes du Protocole conclu entre la Ville et 8095701 Canada inc. et par l’hypothèque qui garantit le paiement du montant prévu à la clause pénale.
[16] Avant d’acheter l’immeuble, Devcore veut se rassurer concernant les intentions de la Ville relativement à l’application de la clause pénale.
[17] Devcore allègue qu’elle obtient l’assurance du maire et du directeur général que le projet se réaliserait. Lors de son interrogatoire préalable, Jean-Pierre Poulin qui est le président de Devcore, affirme que ses rencontres avec la Ville étaient très positives et que M. Lauzon et M. Boyer lui ont assuré qu’ils s’organiseraient pour que le projet fonctionne.
[18] Le 5 février 2014, à la demande de Devcore, le maire écrit une lettre à M. Poulin dont la teneur peut se résumer comme suit :
· Le projet comprend une première phase prévoyant la construction de 36 unités de logement pour personnes âgées autonomes qui serait réalisée en collaboration avec l’OMH afin qu’il puisse bénéficier du financement du programme Accès Logis de la SHQ. Ultimement, l’immeuble serait cédé à l’OMH;
· La valeur estimée du projet est de 5 570 059 $ et la première phase serait complétée au plus tard le 31 mars 2017;
· Une deuxième phase au projet est envisagée dans la cadre de laquelle 24 unités non subventionnées et destinées à une clientèle générale seraient construites;
· L’acquisition du terrain obligera Devcore à respecter les conditions de l’acte d’acquisition de 8095701 Canada inc. et Devcore désire connaître les intentions de la Ville en regard des conditions qui sont énoncées au Protocole.
· Conditionnellement à ce que Devcore réalise la phase 1 du projet, il recommanderait que la Ville adopte une résolution confirmant que les conditions énoncées au Protocole ont été réalisées et donc qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la clause pénale et qu’elle accepte de radier l’hypothèque une fois les travaux prévus à la phase 1 complétés;
· Il est prêt à recommander, entre-temps, que l’hypothèque de premier rang s’applique uniquement sur le terrain qui serait développé lors d’une deuxième phase et que l’hypothèque sur le terrain retenu pour la première phase soit transformée en hypothèque de deuxième rang.
[19] Devcore se dit rassurée par cette lettre relativement aux intentions de la Ville et aux obligations qu’elle assumera. Elle accepte donc d’acheter l’immeuble, sachant que du même coup, elle se lie aux obligations prévues au Protocole et que l’immeuble est grevé d’une hypothèque pour garantir les obligations qui y sont prévues.
[20] Il est utile de noter que la lettre envoyée par le maire le 5 février 2014 n’est suivie d’aucune résolution adoptée par le conseil municipal. Le Tribunal y reviendra.
[21] Le 14 mars 2014, Devcore achète l’immeuble de 8095701 Canada inc. pour un montant de 250 000 $ et elle s’engage à respecter les conditions prévues au Protocole et à assumer l’obligation hypothécaire de 357 000 $ en faveur de la Ville.
[22] Les choses ne se passent toutefois pas comme anticipées et la SHQ n’approuve pas le financement du projet. Une première indication que le projet ne sera pas retenu par la SHQ est donnée le 1er avril 2015. Tous les intervenants poursuivent toutefois leurs efforts pour obtenir le financement.
[23] Le 1er juin 2016, la SHQ confirme de façon définitive que le projet n’est pas retenu pour deux motifs : d’une part, elle juge que les besoins du milieu ne justifient pas la construction de nouvelles unités, pour l’instant. D’autre part, l’ampleur du manque à gagner du montage financier compromet sérieusement les chances de viabilité du projet. La SHQ indique toutefois qu’un autre projet viable pourrait être déposé à nouveau dans 12 mois.
[24] Le dossier révèle que le projet ne respecte pas les critères d’admissibilité de la SHQ notamment parce que les loyers médians des logements sur le territoire de la Ville ne sont pas suffisamment élevés pour compenser les coûts de construction, malgré l’octroi d’une subvention. La lettre du 1er juin 2016 met donc un terme au projet qui n’est clairement pas viable sans l’apport de financement public.
[25] Devcore reconnaît que toutes les personnes impliquées dans le projet, dont le maire et le directeur général de la Ville et de l’OMH, ont déployé des efforts importants auprès de la SHQ et des autorités politiques pour que le financement du projet soit approuvé. Lors de son interrogatoire préalable, M. Poulin confirme à plus d’une reprise qu’il n’a aucun reproche à formuler à l’endroit de la Ville avant mars 2017.
[26] Il est toutefois clair qu’en mars 2017, alors que l’échéance du 31 mars 2017 arrive à grands pas, le projet ne peut pas se réaliser et aucun autre projet concernant l’immeuble de Devcore n’est sur la table.
[27] Consciente des obligations qu’elle a contractées, Devcore cherche une solution pour que la Ville accepte de reporter l’échéance du 31 mars 2017 et/ou renonce à l’application de la clause pénale prévue au Protocole.
[28] Devcore sait qu’un possible regroupement de l’OMH de Thurso avec celui de Gatineau fait l’objet de discussions et elle espère que dans une telle éventualité, le projet pourrait être relancé. Un tel regroupement pourrait entraîner une augmentation des loyers médians sur le territoire de Thurso - s’ils étaient calculés en considérant le bassin élargi du territoire de la ville de Gatineau - ce qui pourrait possiblement permettre au projet de respecter les critères du programme Accès Logis. Dans un tel contexte, le projet de construction des 36 unités de logement pourrait peut-être avoir une seconde chance d’être retenu par la SHQ.
[29] Devcore est bien consciente qu’une nouvelle demande de financement du projet ne pourrait toutefois pas être déposée avant le regroupement des OMH. Dans les faits, l’OMH de Thurso ne sera regroupé à l’OMH de Gatineau qu’en janvier 2018. Dans son interrogatoire, M. Poulin indique qu’elle aurait eu besoin d’une extension de deux ou trois ans pour réaliser le projet.
[30] Devcore allègue qu’en mars 2017, soit juste avant l’échéance prévue au Protocole, M. Poulin a des discussions avec les représentants de l’OMH de Gatineau pour voir si une relance du projet pourrait être envisagée après le regroupement des OMH. Devcore allègue que M. Boyer informe alors l’OMH de Gatineau que la Ville n’est plus intéressée à travailler avec Devcore et qu’elle a d’autres projets en tête. Cette allégation n’est pas admise par la Ville.
[31] Devcore perçoit cette information comme une volte-face de la Ville : dans son interrogatoire, M. Poulin affirme que la Ville a alors décidé de « mettre la hache dans le projet » et que ce faisant, elle a agi de mauvaise foi en empêchant qu’un projet alternatif puisse se réaliser sur l’immeuble.
[32] Le 10 avril 2017, la Ville adopte la résolution 2017-04-12 au terme de laquelle elle confie à ses procureurs le mandat d’instituer des procédures judiciaires afin d’obtenir le paiement du montant de 357 000 $ prévu à la clause pénale qui est incluse au Protocole.
[33] Le 24 avril 2017, la Ville publie un préavis d’exercice d’un recours hypothécaire qu’elle signifie à Devcore le 25 avril 2017. La Ville réclame que Devcore paye le montant de la clause pénale parce que les engagements de construire prévus au Protocole n’ont pas été respectés et que l’échéance pour la réalisation des travaux est expirée. Un deuxième préavis d’exercice d’un recours hypothécaire sera ensuite publié le 7 mai 2018, dans la cadre duquel la Ville envisage une prise en paiement de l’immeuble.
[34] Devcore allègue qu’après la publication du premier préavis, elle demande une rencontre avec le maire et le directeur général. Cette rencontre a lieu le 25 avril 2017.
[35] Lors de son interrogatoire préalable, M. Poulin affirme que pendant cette rencontre, il apprend que la Ville envisage la construction d’un centre communautaire multifonctionnel avec une piscine, une bibliothèque et une salle communautaire et des logements locatifs, et qu’elle a amorcé à cet égard des discussions avec d’autres promoteurs. Il affirme qu’un tel projet qui est complètement différent du projet initial est possiblement viable sous diverses formes de partenariat avec la Ville. Devcore signifie alors à la Ville son intérêt de développer elle-même ce projet en partenariat avec la Ville sur son immeuble.
[36] Dès le départ, Devcore se questionne sur le pouvoir de la Ville de négocier de gré à gré avec elle un partenariat en vue de la construction d’un centre communautaire multifonctionnel, tel qu’il ressort des courriels que M. Boyer et M. Poulin ont échangés le 26 avril 2017. M. Boyer indique alors qu’en principe la Ville doit obtenir une autorisation ministérielle et qu’il en discutera avec les conseillers juridiques de la Ville.
[37] Le 2 mai 2017, l’avocate de Devcore envoie une lettre au directeur général de la Ville dans laquelle elle signifie formellement l’intention de Devcore de déposer un nouveau projet et demande à la Ville de retirer le préavis d’exercice d’un recours hypothécaire.
[38] Au départ, le maire et le directeur général se disent ouverts à cette initiative et ils invitent Devcore à soumettre un projet. Il n’est jamais question toutefois que la Ville radie son préavis d’exercice d’un recours hypothécaire.
[39] Des discussions se poursuivent entre Devcore et des représentants de la Ville et Devcore élabore des plans préliminaires pour la construction d’un centre communautaire multifonctionnel qui comprendrait notamment des unités de logement, une piscine, une bibliothèque et une salle communautaire. Pour réaliser le projet, Devcore se dit ouverte à envisager diverses formes de partenariat avec la Ville. Des échanges informels ont lieu et il est même question que le projet soit présenté aux membres du conseil en mai 2017.
[40] En prévision d’une présentation du projet au conseil, le directeur général envoie un courriel à M. Poulin le 2 mai 2017 et indique « qu’il serait opportun d’obtenir le coût pour la municipalité. Les élus auraient plus d’informations pour prendre une décision ».
[41] M. Poulin répond que Devcore ne peut donner un coût pour l’instant puisque tout dépend du type de partenariat envisagé avec la Ville. Afin de faire une évaluation des coûts, M. Poulin demande par ailleurs à la Ville de préciser ses intentions. Il demande du même coup si la Ville peut négocier avec Devcore de gré à gré. La lettre que M. Poulin envoie au directeur général à cet égard démontre le caractère préliminaire des discussions :
Nous ne pouvons donner un coût à ce moment précis. Il y a 20 manière de faire une entente qui vont jouer un rôle primordiale dans la fixation du prix et la rentabilité. Des locaux et infrastructures comme ceux proposés coutent entre $ 200 et $ 325 du pied carré pour la construction excluant les infra et le terrain. Le tarif de location régulier pour ce type de projet est entre $ $ 20 et $ 30 le pied carré. Il est entendu que nous sommes prêt à travailler à moindre coûts pour les besoins de la cause.
Afin de nous aider à mettre un chiffrier en place indiquant les différents scénarios, cela nous aiderais si vous pouviez-répondre à ces questions :
EST-CE QUE :
La ville a le droit de faire une entente avec nous sans passer par un processus d’appel d’offre?
La ville pourrait participer ou exécuter certains travaux d’aménagement à l’extérieur ou à l’intérieur de manière à sauver des coûts d’aménagement?
La ville pourrait participer aux frais communs ou déneigements ou coupe de gazon à l’extérieur de la partie commerciale?
Vous pouvez prendre en charge après construction de la gestion de la piscine, de la bibliothèque et de la salle communautaire? Il serait plus facile que nos locataires paient leur quote part pour l’utilisation avec des frais mensuels de copropriété par le biais d’une carte de membre spéciale.
Vous êtes ouverts à avoir 3 baux différant un pour chaque composante pour une période minimale de 15 ans?
Vous êtes d’accord avec des compteurs différant pour chaque adresses avec des services séparés par entité? (sic)
Structure Financière.
Seriez-vous ouvert à une formule PPP? Participation Devcore, Le Ville et la province?
Avez-vous accès ou possibilité de faire financer les infrastructures sur 30 ans?
Avez-vous une somme en tête pour participation à l’équité ou aucun argent n’est disponible?
Pouvons-nous considérer un programme d’extension ou de crédit de taxe au moins pour la partie commerciale de la bâtisse?
Comment voyez-vous le partage des frais généraux?
Suivant les réponses à ces questions, nous pourrons ajuster notre modèle et fournir des projections plus près de vos besoin et de la réalité.
[sic] pour l’ensemble de a citation
[42] Les discussions se poursuivent entre les représentants de Devcore et ceux de la Ville.
[43] Le 8 mai 2017, M. Lanthier, un représentant de Devcore envoie un courriel au maire lui demandant si le projet de centre communautaire est à l’ordre du jour de la réunion du conseil municipal prévu le soir même.
[44] Le maire lui répond ceci :
[…]
Il est beaucoup trop tôt pour le conseil de se prononcer sur un potentiel projet, le conseil sera informé ce soir lors du caucus de notre rencontre, mais aucune décision ne sera prise lors de la séance régulière de ce mois-ci, car aucun projet n’est présentement déposé officiellement.
De plus ce projet est le vôtre et non un projet de la municipalité……nous avons discutés ensembles des possibilités ou des projets d’infrastructures qui pourraient être intéressants pour notre communauté et ce dans des développements futurs et nous vous avons donnés l’info. (sic)
Maintenant il vous appartient de le travailler ou non et de déposé un vrai projet afin de voir par la suite l’intérêt de la ville dans l’utilisation de vos infrastructures. Il est certain que nous sommes ouverts à discuter avec vous sur une entente concernant l’utilisation de plateau pour nos citoyens si un futur projet est déposé.
[…]
[45] Le 12 juin 2017, la Ville adopte la résolution 2017-06-292 par le biais de laquelle elle informe Devcore que toutes discussions concernant le 153 Fraser sont considérées sans préjudice aux droits de la Ville et ne constituent pas une renonciation à ses droits hypothécaires.
[46] Le 27 juin 2017, le directeur général de la Ville écrit à M. Poulin pour l’informer que les conseillers juridiques de la Ville l’ont informé que la Ville ne peut négocier de gré à gré avec Devcore et qu’elle entend poursuivre le recours judiciaire intenté. Les discussions entre Devcore et des représentants de la Ville cessent à ce moment-là.
1.2 Le recours entrepris par la Ville
[47] Le 25 juillet 2017, la Ville signifie son recours hypothécaire. Elle modifie ensuite sa demande introductive d’instance pour demander la prise en paiement de l’immeuble. Il s’agit d’un recours hypothécaire sans particularités. La Ville allègue que Devcore n’a pas respecté ses obligations au terme du Protocole et elle réclame le délaissement et la prise en paiement de l’immeuble.
1.3 La défense et la demande reconventionnelle de Devcore
[48] Devcore allègue que la Ville ne peut pas réclamer l’application de la clause pénale.
[49] Devcore reconnaît que le projet n’a pu se réaliser en raison du refus de la SHQ d’accepter de le financer. Elle prétend toutefois que ces circonstances étaient hors de son contrôle et qu’elle ne doit pas être la seule à en subir les conséquences financières puisque le maire et le directeur général lui avaient laissé croire que le projet se réaliserait ou qu’une solution de rechange serait trouvée. Il est dès lors abusif que la Ville réclame le paiement du montant de 357 000 $ prévu à la clause pénale, d’autant qu’elle a déjà payé la somme de 250 000 $ pour acquérir le terrain.
[50] Dans ce contexte, Devcore soutient que la Ville avait l’obligation de collaborer avec elle pour trouver un projet de rechange et qu’elle a manqué de bonne foi en faisant achopper les deux projets alternatifs envisagés, soit celui relatif à une relance du projet dans le contexte des OMH regroupés et celui relatif à la construction d’un centre communautaire.
[51] Comme moyen subsidiaire, Devcore allègue que la clause pénale est abusive et que le montant de 357 000 $ doit être réduit en tenant compte de l’ensemble des circonstances et des coûts importants qu’elle a assumés.
[52] Se portant demanderesse reconventionnelle, Devcore réclame le remboursement des frais qu’elle a engagés dans le cadre de la planification du projet, mais également ceux encourus pour la planification du projet du centre communautaire et la préparation des plans préliminaires. Elle réclame aussi des dommages-intérêts.
[53] Devcore réclame que la ville lui verse un montant de 286 278,36 $, soit 136 278,36$ représentant les frais et honoraires qu’elle a encourus dans le cadre des deux projets, 50 000 $ pour troubles et inconvénients et 100 000 $ à titre de perte de profits. Elle fonde sa réclamation sur l’allégation que la ville avait l’obligation de collaborer avec elle dans sa recherche d’une solution de rechange et qu’elle a manqué à son obligation en refusant de s’engager à relancer le projet lorsque l’OMH de Thurso serait regroupé avec celui de Gatineau ou à s’engager dans un partenariat avec elle pour construire un centre communautaire.
2. LE CADRE JURIDIQUE
[54]
Les paramètres applicables à une demande en rejet fondée sur les
articles
[58] Les principes applicables à une demande en
rejet fondée sur l’article
a) en présence d’un recours qui ne présente pas de chance de succès, le Tribunal peut déclarer le recours abusif et rejeter le recours préliminairement[12];
b) lorsqu’un abus est sommairement établi, il y a renversement du fardeau de la preuve et il appartient à la partie qui a introduit l’acte de procédure attaqué de démontrer prima facie qu’elle n’agit pas de façon excessive ou déraisonnable et que sa procédure se justifie en droit;
c) le Tribunal doit faire montre de prudence et ne rejeter une action que si un examen méticuleux du dossier le mène à conclure que le recours est manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire;
d) dans le cadre de son examen, le Tribunal peut utiliser l’ensemble du dossier incluant les procédures, les pièces et les interrogatoires;
e) le Tribunal n’a pas à apprécier le degré de difficulté qu’aura le demandeur à prouver ses allégations;
f) le Tribunal peut conclure à l’abus sans égard à l'intention d'abuser et il n'est pas requis de démontrer la malveillance ou la mauvaise foi de l’auteur de l’abus;
g) un acte de procédure intenté de façon téméraire peut constituer un abus;
h) avant de rejeter préliminairement un recours, le cas doit être clair; et
i) si la situation est claire, le Tribunal doit statuer sans reporter inutilement l’analyse de la problématique à une étape judiciaire ultérieure.
[55] Dans 9105-3975 Québec inc. c. Andritz Canada inc.[2], la Cour d’appel a rappelé la prudence dont doit faire preuve le Tribunal saisi d’une demande en rejet pour abus et du critère exigeant qui doit être établi :
[11] Au stade préliminaire, il n’est pas question de faire un « procès dans le procès »[12] et les tribunaux doivent agir avec circonspection avant de conclure à l’abus, particulièrement lorsqu’ils ne disposent que d’une preuve sommaire, alors que le juge du fond serait mieux placé pour trancher une question à la lumière de l’ensemble de la preuve déposée[13].
3. ANALYSE
[56] La Ville prétend que la défense et la demande reconventionnelle sont non fondées en droit et qu’elles n’ont aucune chance de succès et qu’elles devraient donc être rejetées parce qu’abusives. Elle soutient aussi que la demande reconventionnelle est prescrite.
[57] Pour analyser la demande en rejet, le Tribunal a examiné les procédures, les pièces déposées par les parties et la transcription des interrogatoires préalables de M. Poulin, de M. Lauzon et de M. Boyer.
[58]
Le Tribunal traitera dans un premier temps de la demande de rejet qui
vise la demande reconventionnelle. Bien qu’elle découle du même contexte
factuel que sa défense à l’encontre de la demande de la Ville, la demande
reconventionnelle déposée par Devcore constitue un recours distinct comme il en
ressort de l’article
3.1 La demande reconventionnelle a-t-elle une chance raisonnable de succès?
3.1.1 La prescription de la demande reconventionnelle
Ø La position de la Ville
[59] La Ville allègue qu’elle n’était pas une partie contractante à l’entente intervenue entre Devcore et l’OMH concernant le projet et que son rôle se limitait à accorder une subvention sous forme de crédit de taxe, à assumer 10% du supplément de loyer pour un certain nombre de logements pendant 5 ans et à appuyer le projet au plan politique. Elle insiste sur le fait que l’OMH est un organisme indépendant de la Ville et qu’elle n’a pas de lien de droit avec Devcore concernant ce projet.
[60] La Ville prétend donc que la demande reconventionnelle de Devcore constitue un recours extracontractuel assujetti au délai de prescription de six mois prévu à l’article 586 de la Loi sur les cités et villes[3]. Ainsi la demande reconventionnelle déposée le 21 juin 2018 est prescrite puisque les fautes alléguées remontent au printemps 2017, soit environ un an avant son dépôt.
Ø La position de Devcore
[61] Devcore soutient que sa demande reconventionnelle n’est pas prescrite puisque le fondement de son recours prend sa source dans le Protocole qui la lie à la Ville et qu’il s’agit donc d’un recours de nature contractuelle assujetti à la prescription générale de trois ans.
Ø Appréciation
[62]
L’article
[63] En l’espèce, bien que la Ville et Devcore n’ont pas signé d’entente spécifique au projet mais il est clair et non contesté que Devcore a accepté de se lier aux obligations prévues au Protocole dans le contexte de la réalisation du projet et des discussions qu’elle avait à cet égard avec des représentants de la Ville et de l’OMH.
[64] La Ville est intervenue à l’acte de vente entre 8095701 Canada inc. et Devcore, et au terme de cette transaction, Devcore s’est engagée à respecter les conditions du Protocole et son immeuble est grevé d’une hypothèque en faveur de la Ville pour garantir le paiement de la clause pénale prévue au Protocole.
[65] Le recours institué par la Ville contre Devcore est de nature contractuelle, alors qu’elle demande le paiement du montant prévu à la clause pénale prévue au Protocole et, à défaut, la prise en paiement de l’immeuble.
[66] Dans sa demande reconventionnelle, Devcore allègue que la Ville a omis de respecter les engagements qu’elle a contractés à son égard lorsqu’elle a accepté d’acheter l’immeuble et par le fait même, de s’assujettir aux obligations prévues au Protocole. Le fondement du recours de Devcore prend sa source dans son interprétation des engagements respectifs des parties eu égard au Protocole et aux ententes convenues lorsqu’elle a acheté l’immeuble.
[67] Dans ce contexte, il est difficile de conclure que le recours de Devcore n’a aucun lien avec le Protocole qui lie la Ville à Devcore. Sa demande reconventionnelle a donc, à tout le moins en partie, un fondement contractuel et il n’y a donc pas lieu de déclarer de façon préliminaire, que la demande reconventionnelle est prescrite.
3.1.2 La responsabilité de la Ville
Ø La position de la Ville
[68] La Ville soutient qu’aucune faute ne peut lui être reprochée et que les faits allégués par Devcore, même s’ils étaient tous prouvés dans le cadre d’une audition au mérite, ne pourraient être générateurs de responsabilité.
[69] La Ville invoque que Devcore elle-même reconnaît que le projet n’a pu se réaliser en raison du refus de la SHQ d’accorder le financement sollicité et qu’elle n’a aucune responsabilité à cet égard; au contraire elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour que le projet soit retenu par la SHQ. Elle souligne que M. Poulin admet lui-même dans son interrogatoire préalable qu’il n’a aucun reproche à formuler à l’endroit de la Ville avant le mois de mars 2017.
[70] La Ville allègue également, ce qui n’est pas contesté, qu’avant d’acheter l’immeuble, Devcore n’a jamais demandé que le Protocole soit modifié pour y changer la date butoir ou y retirer la clause pénale.
[71] Elle invoque aussi qu’elle n’avait aucune obligation de reporter la date butoir du 31 mars 2017 lorsque le financement du projet a été refusé et qu’elle ne s’est jamais engagée à repousser cette échéance, pas plus qu’elle n’a renoncé à exiger le paiement du montant de la clause pénale et à exercer ses recours hypothécaires. La Ville allègue également que ni le maire ni le directeur de la Ville n’ont promis à Devcore que la Ville renoncerait à l’application de la clause pénale.
[72] La Ville soutient également qu’elle n’avait aucune obligation d’accepter un projet alternatif en partenariat avec Devcore et qu’elle n’a fait aucune promesse en ce sens à Devcore. Aucune résolution en ce sens n’a été adoptée par le conseil et ni le maire ni le directeur général de la Ville n’ont fait de promesse relativement aux projets alternatifs envisagés.
[73] À tout événement, la Ville soutient que même si le Tribunal prenait pour avérées les allégations de promesses ou autre engagement du maire ou du directeur général, ces engagements ne pourraient la lier en l’absence d’une résolution adoptée par le conseil municipal. Ainsi, le recours est voué à l’échec, et ce, même si un Tribunal en venait à la conclusion, après avoir entendu l’ensemble de la preuve que le maire et/ou le directeur général ont promis à Devcore que la Ville trouverait un moyen pour que le projet se réalise ou pour trouver un projet alternatif et qu’elle n’exigerait pas l’application de la clause pénale.
[74] Elle allègue aussi qu’il est incontestable, à la lumière des interrogatoires préalables, que la relance du projet dans l’éventualité d’un regroupement des OMH était, en mars 2017, purement hypothétique et très éloignée dans le temps. À la date butoir du 31 mars 2017, aucun projet n’était envisageable à brève échéance.
[75] Quant aux discussions concernant une implication de Devcore dans le projet du centre communautaire, la Ville allègue qu’elles ont été initiées par Devcore qui cherchait un partenariat de rechange pour éviter l’application de la clause pénale et étaient embryonnaires et qu’aucun engagement n’a été pris de part et d’autre. Elle soutient d’ailleurs que c’est ce qui ressort même de l’interrogatoire de M. Poulin et des échanges de correspondance qui ont été produits.
[76] Elle soutient aussi que ces discussions ont eu lieu après la date butoir du 31 mars 2017 et la Ville n’a fait aucune promesse à Devcore ni pris à son endroit quelque engagement que ce soit. Le maire et le directeur général se sont dits ouverts à discuter d’un éventuel partenariat, mais aucun engagement n’a été pris.
[77] De plus, même si le maire et le directeur général avaient pris des engagements, ils ne pouvaient lier la ville en l’absence d’une résolution adoptée par le conseil. L’acceptation d’un nouveau partenariat relève du pouvoir discrétionnaire de la Ville et en l’espèce, le conseil ne s’est jamais prononcé sur un partenariat avec Devcore concernant une éventuelle relance du projet ou d’un projet lié au centre communautaire. En tout état de cause, le maire et le directeur général n’avaient pas l’autorité décisionnelle requise pour engager la Ville et ils n’ont jamais prétendu prendre des engagements au nom de la Ville.
[78] De plus, il est admis que les discussions entre les représentants de Devcore et ceux de la Ville se sont terminées dès que les conseillers juridiques de la Ville ont indiqué que la Ville ne pouvait pas négocier de gré à gré un partenariat en vue de la construction d’un centre communautaire ou de la location de blocs de temps dans un centre communautaire. Ainsi, la Ville n’aurait même pas eu le pouvoir de conclure une entente contractuelle avec Devcore concernant le projet du centre communautaire, sans passer par un processus d’appel de propositions ou d’appel d’offres.
[79] La Ville soutient donc que la demande reconventionnelle de Devcore n’a aucun fondement juridique parce qu’aucune obligation n’a été contractée par la Ville. Le recours entrepris par Devcore n’a donc aucune chance de succès, et ce, même si le Tribunal retenait en totalité sa version des faits. Le Tribunal doit donc rejeter la demande reconventionnelle au motif qu’elle est abusive.
Ø La position de Devcore
[80] Devcore soutient qu’il serait prématuré de rejeter sa demande reconventionnelle de façon préliminaire avant que toute la preuve soit entendue.
[81] Elle allègue que le maire et le directeur général de la Ville lui ont bel et bien laissé entendre que le projet ou un projet alternatif serait réalisé sur l’immeuble qu’elle a acquis. C’est dans ce contexte et sur la foi de ces représentations, et parce que la SHQ exigeait que le promoteur du projet soit propriétaire de l’immeuble, qu’elle a accepté d’acheter l’immeuble avant que la demande de financement du projet ne soit déposée auprès de la SHQ.
[82] Devcore soutient que si elle n’avait pas été approchée par l’OMH pour réaliser ce projet et si elle n’avait pas été rassurée par le maire quant aux intentions de la Ville concernant l’application de la clause pénale, elle n’aurait jamais acheté l’immeuble avant de savoir si le projet pouvait aller de l’avant.
[83] Elle soutient donc que dans ce contexte, la Ville avait l’obligation de collaborer avec elle pour trouver un projet alternatif.
[84] De plus, elle soutient que la trame factuelle est importante pour établir la mauvaise foi de la Ville.
[85] Devcore soutient avoir engagé des frais importants pour planifier le projet et le projet du centre communautaire sur la foi des représentations du maire et du directeur général et qu’elle a le droit de réclamer que la Ville lui rembourse ces montants. Elle soutient aussi avoir droit à des dommages-intérêts en raison de la volte-face de la Ville qui a empêché la réalisation des projets alternatifs. Elle soutient qu’il serait prématuré de rejeter sa réclamation sans lui permettre de faire la preuve des faits qu’elle allègue au soutien de ses prétentions.
[86] Devcore affirme de plus que la preuve qu’elle entend administrer au soutien de sa demande reconventionnelle est essentiellement la même que celle relative à ses moyens de défense et notamment à son allégation concernant le caractère abusif de la clause pénale. Ainsi, un rejet au stade préliminaire de sa demande reconventionnelle n’aurait pas pour effet de réduire la durée de l’audition au fond.
Ø Appréciation
[87] Dans sa demande reconventionnelle, Devcore réclame des dommages qui découleraient des fautes alléguées de la Ville qui aurait refusé de donner suite aux projets de rechange envisagés par Devcore. La réclamation de Devcore est basée sur l’allégation que la Ville s’est engagée à réaliser un projet avec elle, quitte à reporter l’échéance du 31 mars 2017 prévue au Protocole ou à ne pas exiger l’application de la clause pénale. Elle soutient que la ville a commis une faute en faisant volte-face en mars 2017 en refusant d’envisager une relance éventuelle du projet lorsque les OMH seraient regroupés et en refusant d’aller de l’avant avec le projet centre communautaire.
[88] Dans sa demande d’inscription par déclaration commune, Devcore pose la question comme suit : « La défenderesse est-elle bien fondée de réclamer des dommages de l’ordre de 286 278,36$ considérant le refus de donner suite à ses engagements contractuels? »
[89] Les allégations de Devcore doivent être examinées à l’aulne de certains principes spécifiques au droit municipal.
[90] D’abord, La Loi sur les cités et villes exige que certaines formalités soient respectées préalablement à la conclusion d’un contrat ou à tout engagement de nature contractuel. Il est aussi bien établi en jurisprudence que, règle générale, une ville ne s’exprime que par résolution ou règlement dûment adopté par son conseil[4].
[91] La décision de conclure une entente contractuelle relève par ailleurs de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Ville, laquelle ne peut être liée par les engagements d’un membre du conseil ou d’un de ses employés en l’absence d’une délégation de pouvoir prévue dans un règlement ou d’une ratification postérieure par le conseil d’engagements qu’ils auraient pris à l’égard de tiers.[5] Il est utile à cet égard de citer certains des propos de la Cour d’appel dans Beloeil (Ville de) c. Gestion Gabriel Borduas inc. [6] concernant les règles applicables aux engagements contractuels d’une ville :
[67] Or, l’article
47. La municipalité est représentée et ses affaires sont administrées par son conseil. |
47. The municipality shall be represented and its affairs administered by its council. |
[68] En se fondant sur cette disposition, les auteurs Jean Hétu et Yvon Duplessis écrivent :
La municipalité est une personne morale qui ne peut s’exprimer que par
règlement ou résolution adoptée en séance du conseil et l’intention des membres
du conseil importe peu. Exceptionnellement, une municipalité peut s’exprimer
« tacitement » et ratifier, par exemple, les engagements pris par son
maire et son avocat (Guy Dubois et associés inc. c. Ville de Granby,
[69] La même idée est reprise par les auteurs Pierre Giroux et Denis Lemieux qui, traitant de la question du mandat apparent, déclarent :
Si au niveau gouvernemental ce sont les ministres qui détiennent le
pouvoir contractuel inhérent de la Couronne et l’exercent en son nom, il
demeure que la règle posée par la Cour suprême, dans l’arrêt Verreault
concernant l’application du mandat apparent aux ministres de la Couronne, ne
s’applique cependant pas aux agents et officiers des corporations publiques,
telles les corporations municipales ou toute autre autorité exerçant un pouvoir
délégué qui demeurent soumises à la nécessité de l’habilitation expresse de
contracter prévue dans les lois constitutives [Isolation Sept-Îles inc. c. Bande des Montagnais de Sept-Îles,
Toutefois, les pouvoirs généraux de contracter prévus par ces
dispositions doivent être exercés selon les prescriptions de lois particulières
qui viendront les compléter ou y déroger. Ainsi, un contrat administratif qui
constitue l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par une municipalité devra
être conclu par voie de résolution du conseil municipal [Aylmer (Ville d’) c. 174736 Canada inc.,
[Soulignés ajoutés]
[92] Dans une affaire récente, Groupe TRRIA/Towers Development Inc. c. Ville de Montréal[7], la juge Carole Hallée, j.c.s., était saisi d’un dossier dans le cadre duquel, une partie alléguait que des représentants de la Ville avaient pris des engagements qui la liaient. La juge Hallé a rappelé comme suit les principes applicables en matière d’engagement contractuel d’une Ville :
[81] Conformément aux lois et la réglementation applicable précédemment exposées, et en l’absence de délégation de pouvoir, seule une résolution dûment adoptée par le Conseil municipal pouvait lier la Ville.
[…]
[83] La Ville n’a jamais exprimé explicitement, soit par résolution adoptée en bonne et due forme, qu’elle acceptait la promesse d’achat des demandeurs.
IV. Est-ce que les préposés de la défenderesse ont commis une faute, et dans l’affirmative, est-elle causale?
[84] La recommandation favorable des fonctionnaires quant au projet des demandeurs ne liait pas la Ville[52].
[…]
[92] Enfin, la jurisprudence est constante voulant qu’il incombe à ceux qui transigent avec une municipalité, soit les demandeurs en l’instance, de s’assurer que cette dernière et ses préposés agissent dans les limites de leur pouvoir et que toutes les conditions requises par la loi ont été observées[57].
Le pouvoir discrétionnaire de la Ville et la présomption de bonne foi
[94] La décision de ne pas accepter la promesse d’achat de la demanderesse est un acte administratif discrétionnaire de la Ville qui ne peut être décidé que par résolution :
« Avec égards pour son opinion, je suis d’avis que la Ville était en droit d’agir ainsi sans que pour autant être taxée de faire volte-face et de manquer à ses engagements contractuels. »[58]
[95] La Cour d’appel écrit qu’ « il n’appartient pas aux tribunaux judiciaires de décider de l’opportunité des décisions relevant du pouvoir discrétionnaire d’un Conseil municipal[59] ». Elle ajoute que La Ville bénéficie d’une présomption de bonne foi dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire[60].
[96] Qui plus est, « les motifs des décisions d’un conseil municipal ne sont pas susceptibles d’une enquête judiciaire[61] ».
[…]
[99] Tel qu’exprimé par la Cour d’appel, « la négociation d’une entente est une étape, la conclusion en est une autre[63] ». La seule rupture des négociations ou un changement de cap ne suffisent pas en soi à engendrer une responsabilité civile[64][8].
[Soulignés ajoutée]
[93] Il est aussi utile de noter que dans Aylmer (Ville) c. 174736 Canada Inc.[9], la Cour d’appel a précisé que la signature d’un bail à long terme est un acte administratif qui relève du pouvoir discrétionnaire du conseil qui doit se prononcer par le biais d’une résolution de son conseil. La Cour a également souligné « que la négociation d’une entente est une étape, la conclusion en est une autre » et que chacune des étapes doit avoir été valablement autorisée par une résolution du conseil[10].
[94] À la lumière de ce cadre juridique, le Tribunal ne voit pas comment, soit dit avec beaucoup d’égards, les allégations de fautes formulées par Devcore à l’endroit de la Ville pourraient être génératrices de responsabilité, et ce, même si le Tribunal devait retenir l’entièreté de la version présentée par Devcore.
[95] Les éléments suivants ne sont pas contestés :
Ø Devcore est liée par les engagements prévus au Protocole, notamment les engagements de réaliser un projet de construction d’une valeur d’au moins 5 millions de dollars sur son immeuble avant la date butoir du 31 mars 2017;
Ø Devcore est aussi liée par la clause pénale prévue au Protocole qui devient exigible si son obligation de construire n’est pas satisfaite au 31 mars 2017;
Ø La Ville n’a jamais adopté de résolution ayant pour effet de retarder l’échéance du 31 mars 2017 ou d’y renoncer;
Ø Avant d’acheter l’immeuble, Devcore s’est fiée aux représentations que lui auraient faites verbalement le maire et le directeur général de la Ville et sur la lettre que le maire a écrite à M. Poulin le 5 février 2014;
Ø Le projet n’a pas été réalisé parce que la SHQ a refusé la demande de subvention et en l’absence de financement, le projet n’est pas viable;
Ø En date du 31 mars 2017, les engagements de construction prévus au Protocole n’avaient pas été réalisés;
Ø Après le refus de la SHQ, la Ville ne s’est jamais engagée par résolution à réaliser un autre projet de construction avec Devcore ni à reporter l’échéance du 31 mars 2017 pour lui permettre de proposer un projet alternatif;
Ø La Ville n’a jamais adopté une résolution au terme de laquelle elle aurait pris un quelconque engagement envers Devcore concernant une relance du projet dans l’éventualité où l’OMH de Thurso serait regroupé avec celui de Gatineau;
Ø La Ville n’a jamais adopté une résolution au terme de laquelle elle aurait pris un quelconque engagement envers Devcore relativement au projet du centre communautaire;
Ø Devcore ne formule aucun reproche à la Ville avant mars 2017;
Ø Aucun élément au dossier ne permet de penser que le maire ou le directeur général disposait d’une délégation de pouvoir leur permettant d’engager la Ville pour soit : modifier les termes du Protocole d’entente; s’engager à réaliser un projet alternatif en partenariat avec Devcore; consentir à repousser la date butoir du 31 mars 2017 pour permettre une relance du projet après le regroupement des OMH de Thurso et de Gatineau; ou pour permettre la réalisation d’un projet concernant la construction d’un centre communautaire multifonctionnel.
[96] Devcore reconnaît qu’elle appuie ses prétentions uniquement sur les représentations qui lui auraient été faites par le maire et le directeur général de la Ville. Ses représentations auraient été faites verbalement et par le biais de la lettre que le maire a envoyée à M. Poulin le 5 février 2014, comme le reconnaît M. Poulin lors de son interrogatoire dont les extraits pertinents sont joints en annexe au présent jugement.
[97] D’une part, il ressort clairement des propos du maire dans la lettre du 5 février 2014 qu’il n’engage pas la Ville, mais qu’il informe Devcore concernant les recommandations qu’il est prêt à faire au conseil.
[98] D’autre part, et en tenant pour acquis que Devcore serait en mesure d’établir que le maire et le directeur général ont fait des promesses verbales à Devcore, le Tribunal ne voit pas sur quelle base, à la lumière des principes bien établis en jurisprudence, leurs représentations pourraient lier la Ville et générer des obligations envers Devcore.
[99] La Ville n’a adopté aucune résolution, avant ou après la date butoir prévue au Protocole, dans laquelle elle s’est engagée à reporter la date d’échéance du 31 mars 2017, à renoncer à l’application de la clause pénale ou à trouver un projet de rechange avec Devcore. Or, de tels engagements relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Ville et ils ne peuvent être contractés par le maire ou le directeur général de la Ville. Ces derniers n’avaient pas l’autorité décisionnelle pour lier la Ville et encore moins pour exercer son pouvoir discrétionnaire à la place du conseil.
[100] Ainsi, les seuls droits et obligations qui lient la Ville sont ceux qui découlent du Protocole, dont les termes ne sont pas contestés par Devcore.
[101] La Ville n’avait donc pas l’obligation de réaliser un autre projet en partenariat avec Devcore et elle ne s’est pas engagée à développer ou à accepter un projet alternatif et à reporter la date butoir du 31 mars 2017 ou à renoncer à l’application de la clause pénale.
[102] De plus aucun projet de relance du projet n’a été déposé par Devcore auprès de la Ville. À toute époque pertinente, une éventuelle relance du projet suite à un éventuel regroupement des OMH était purement hypothétique.
[103] Quant au projet de centre communautaire, il ressort tant de l’interrogatoire de M. Poulin que des pièces déposées, que les discussions ont été amorcées à l’initiative de Devcore, après la date butoir prévue au Protocole et après la signification du premier avis d’exercice d’un recours hypothécaire. Il ressort également clairement des échanges entre Devcore et le directeur général, et notamment de la lettre que M. Poulin lui a écrite le 2 mai 2017, que les discussions étaient préliminaires et qu’aucun engagement ferme n’a été pris de part et d’autre. De plus, aucun projet formel n’a été déposé par Devcore auprès de la Ville.
[104] De plus, lorsqu’elle a engagé des frais pour préparer le projet, Devcore savait très bien, M. Poulin l’admet d’ailleurs, qu’il n’y avait aucune garantie que la SHQ accepterait le projet. De plus, lorsqu’elle a préparé des plans concernant un projet de centre communautaire, Devcore savait que le projet était embryonnaire et qu’il n’y avait aucune garantie qu’un partenariat serait conclu avec la Ville. Devcore savait aussi, et c’est elle qui a soulevé la question, qu’une incertitude existait quant au pouvoir de la Ville de négocier de gré à gré avec elle dans le cadre d’un tel projet. Dans un tel contexte, la question du lien de causalité entre les dommages réclamés et les fautes alléguées pose aussi problème.
[105] La Ville a donc établi sommairement que la demande reconventionnelle de Devcore n’a aucune chance raisonnable de succès et Devcore n’a pas réussi à convaincre le Tribunal que son recours a, prima facie, un possible fondement juridique. Le Tribunal considère, avec respect, que les faits allégués par Devcore, même s’ils étaient tous prouvés, ne peuvent pas mener à la conclusion que la Ville a omis de respecter ses engagements contractuels à l’égard de Devcore. Le Tribunal considère donc que la demande reconventionnelle déposée par Devcore n’a pas de chance de succès et donc qu’elle est abusive.
[106] Dès lors, et même en conservant à l’esprit le principe de la précaution lorsqu’il est question de rejeter un recours à un stade préliminaire, le Tribunal considère que la demande en rejet doit être accueillie à l’égard de la demande reconventionnelle et qu’il serait inutile de reporter l’analyse de la responsabilité contractuelle de la Ville au mérite.
3.2 La défense de Devcore est-elle abusive?
[107] La Ville demande aussi le rejet de la défense de Devcore au motif qu’elle est, elle aussi, sans fondement et que les moyens de défense qu’elle y avance n’ont aucune chance de succès. Lors de l’audition, le procureur de la Ville a toutefois nuancé sa position en reconnaissant que le moyen de défense subsidiaire de Devcore concernant le caractère abusif de la clause pénale pourrait faire l’objet d’un débat au mérite.
[108] La Ville soutient toutefois que le Tribunal doit accueillir partiellement sa demande en rejet afin de rejeter les moyens principaux de défense de Devcore et limiter le débat à ceux qui ne sont pas abusifs.
[109] Devcore invoque en défense divers moyens que l’on peut résumer comme suit :
Ø La Ville ne peut pas exiger l’application de la clause pénale prévue au Protocole alors que l’objet du contrat qui lie les parties a changé et qu’en plus, la Ville, par ses faits et gestes, a empêché Devcore d’entreprendre un projet alternatif;
Ø Il est abusif pour la Ville de réclamer le montant de la clause pénale alors que Devcore a engagé des sommes importantes pour mener à terme le projet de la Ville;
Ø Il y a une disproportion importante entre les dommages réels et les dommages liquidés; la clause pénale est abusive et doit donc être réduite;
Ø Une réduction du montant prévu à la clause pénale pourrait amener Devcore à réévaluer ses options et à décider de payer le montant déterminé par le Tribunal pour éviter la prise en paiement de l’immeuble.
[110] Bien que certaines des allégations de Devcore recoupent en partie celles contenues dans sa demande reconventionnelle, il n’y pas lieu de rejeter la défense au stade préliminaire et ainsi priver Devcore du droit de se défendre à l’encontre du recours hypothécaire entrepris par la Ville.
[111] D’une part, même si le Tribunal a conclu que les faits allégués ne pouvaient entraîner la responsabilité de la Ville, ils sont pertinents pour apprécier l’ensemble des circonstances de l’affaire. Ces circonstances sont pertinentes pour apprécier les moyens de défense avancés par Devcore, notamment qu’il serait abusif de permettre à la Ville de réclamer le montant prévu à la clause pénale dans le contexte de la présente affaire, et subsidiairement, que la clause pénale est abusive et que le montant qui y est prévu doit être réduit.
[112] L’article
1622. La clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n’exécuterait pas son obligation.
Elle donne au créancier le droit de se prévaloir de cette clause au lieu de poursuivre, dans les cas qui le permettent, l’exécution en nature de l’obligation; mais il ne peut en aucun cas demander en même temps l’exécution et la peine, à moins que celle-ci n’ait été stipulée que pour le seul retard dans l’exécution de l’obligation.
[113] Il est admis par les parties que la clause qui prévoit que Devcore doit payer un montant de 357 000 $ si l’obligation de construire prévue au Protocole n’est pas satisfaite au 31 mars 2017, constitue bel et bien une clause pénale.
[114] Or, le
débiteur d’une obligation assujettie à une clause pénale peut demander la
réduction du montant qui y est prévu s’il établit que la clause est abusive
comme le prévoit le deuxième alinéa de l’article
1623. Le créancier qui se prévaut de la clause pénale a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi.
Cependant, le montant de la peine stipulée peut être réduit si l’exécution partielle de l’obligation a profité au créancier ou si la clause est abusive.
[115] La jurisprudence et la doctrine reconnaissent que le caractère abusif d’une clause pénale peut découler d’une disproportion entre la pénalité prévue et l’importance de l’obligation qu’elle a pour objet de sanctionner, ou encore, du contexte particulier dans le cadre de laquelle son application est réclamée. La Cour d’appel a traité comme suit de cette question dans Robitaille c. Gestion L. Jalbert inc.[11] :
[51] Il ressort de la jurisprudence qu’une clause pénale peut avoir un caractère abusif intrinsèque, lorsqu'il y a disproportion entre la pénalité prévue et la contrepartie ou l’importance de l’obligation qu’elle sanctionne[12]. Le caractère abusif peut aussi être circonstanciel, lorsque la pénalité, qui est raisonnable dans certaines circonstances d’inexécution de l’obligation, ne l’est pas dans d’autres, parce qu’elle est disproportionnée au préjudice réellement subi[13]. On peut penser, par exemple, à la violation d’une clause de non-concurrence qui survient peu avant l’échéance de l’interdiction[14].
[52] Les auteurs Pineau et Gaudet[15] reconnaissent qu’en « certaines circonstances, l’application d’une clause pénale objectivement raisonnable peut s’avérer excessive ».
[53] Selon Vincent Karim, « Est abusive la clause pénale qui, au moment de l’inexécution de l’obligation par le débiteur, apparaît déraisonnable et son application va à l’encontre de la bonne foi »[16], et « la détermination du caractère excessif ou dérisoire de la peine se fait par la comparaison de celle-ci avec la valeur du préjudice au jour où le juge statue »[17]. Dans cette évaluation circonstancielle du caractère abusif d’une clause pénale, le même auteur écrit : « il appartient au débiteur de prouver que la perte du créancier ou les gains manqués sont bien inférieurs au montant de la pénalité, rendant celle-ci disproportionnée par rapport au préjudice subi »[18]. (Je souligne).
[116] À la lumière de la jurisprudence et de la doctrine, le moyen de défense invoqué par Devcore n’est pas à priori frivole ou sans aucun fondement. Pour déterminer si la clause pénale est abusive, dans les circonstances de l’affaire, le Tribunal devra apprécier le contexte et toutes les circonstances alléguées par Devcore, ce qui requiert une analyse de l’ensemble de la preuve. La Ville n’a donc pas établi sommairement que la défense de Devcore n’a aucune chance raisonnable de succès.
[117] Le Tribunal en arrive à la même conclusion à l’égard des autres moyens de défense avancés par Devcore, d’autant plus qu’il n’est pas question, comme le demande la Ville de décortiquer la défense aux fins d’écarter, au stade préliminaire, certains des moyens avancés par Devcore.
[118] À cet égard, la Ville demande au Tribunal de faire le procès dans le procès alors que rien ne permet de conclure, à ce stade-ci de l’instance, que les moyens de défense de Devcore sont farfelus ou qu’ils n’ont aucune chance raisonnable de succès. Le juge au mérite qui aura l’occasion d’entendre l’ensemble de la preuve et d’apprécier l’ensemble des circonstances sera en meilleure position pour trancher le débat.
[119] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[120] ACCUEILLE EN PARTIE la demande de rejet;
[121] REJETTE la demande reconventionnelle au motif qu’elle ne présente aucune chance raisonnable de succès et donc qu’elle est abusive;
[122] LE TOUT avec frais de justice à suivre;
|
||
|
MARIE-JOSÉE BÉDARD, j.c.s. |
|
|
||
Me Jean-Philippe Asselin Deveau, Gagné, Lefebvre, Tremblay & Associés, s.e.n.c.r.l. Procureurs de la demanderesse
Me Michel Savonitto Savonitto & Ass. inc. Procureurs de la défenderesse
|
||
Date d’audience : |
Le 20 septembre 2019
|
|
ANNEXE
Extraits de l’interrogatoire préalable de M. Poulin tenu le 12 juillet 2018
Première séquence (extraits des pages 25 à 28 de la transcription de l’interrogatoire)
Q. Quand vous achetez le terrain, vous êtes conscient qu’il y a une clause pénale, c’est-à-dire que dans le fond, Devcore a l’obligation de construire un immeuble d’une valeur minimale de cinq millions de dollars (5 M $)?
R. Oui.
[…]
Q. O.K. Peu importe ce qui arrive avec le projet de la SHQ, il y avait pas d’obligation. Si la SHQ fonctionnait pas, je comprends que vous aviez quand même l’obligation de construire un immeuble d’une valeur de cinq millions de dollars (5 M $)?
C’est exact?
R. Absolument. Mais on s’est fait dire par la ville qu’on va trouver une solution puis on va le faire construire.
Q. O.K. Ça c’est à quel moment qu’on vous fait ces représentations-là?
R. Juste avant le closing du terrain.
Q. O.K.
R. On a été rassurés au closing du terrain de pas s’en faire avec les taxes puis la clause pénale, que t’sé, on va s’arranger pour que le projet fonctionne, puis go.
[…]
Q. O.K. Alors je crois comprendre, donc vous dites qu’il y a des représentations qui vous sont faites. Alors première chose : qui vous fait ces représentations-là?
R. Monsieur le maire puis Mario Boyer.
Q. O.K. M. Boyer il est là à quel titre?
R. Il porte deux chapeaux.
Q. O.K.
R. Il porte le chapeau de la ville et le chapeau de l’OMH, l’OMH de Thurso.
Q. O.K. À quel titre qu’il porte ces chapeaux là?
R. Il était directeur de l’OMH dans ce temps-là.
Q. O.K. Puis il est directeur également de la Ville de Thurso?
R. Directeur général, oui.
Q. O.K. bon. Alors je comprends que M. Boyer et M. Lauzon sont là. Donc je veux bien comprendre la nature exacte des représentations qu’on vous fait. Donc vous m’avez dit qu’ils vous disent de procéder avec la clause pénale?
R. Um-hum.
Q. Alors, c’est quoi qu’on vous dit pas rapport à la clause pénale?
R. Ben, qu’on va trouver une façon de faire fonctionner le projet, qu’ils ont besoin de logements locatifs à Thurso, puis « On va faire marcher le projet ».
Q. O.K. Est-ce qu’il y a des écrits qui existent à cet effet-là?
R. C’était verbal.
Q. C’était uniquement du verbal?
R. Oui.
Q. O.K. Je vais vous montrer …Je vous réfère à la pièce D-11. C’est une lettre du cinq février deux mille quatorze (05-02-2014) de la Ville de Thurso.
(LE TÉMOIN PREND CONNAISSANCE DU DOCUMENT).
Est-ce que ça représente la teneur de vos conversations avec M. Lauzon puis M. Boyer cette lettre-là?
R. Je pourrais dire que c’était plus positif verbalement que ce qu’on peut voir sur la lettre, là.
Q. O.K. Mais ça cette lettre-là […] est-ce que vous en avez pris connaissance le ou vers le vingt février deux mille quatorze (20-02-2014)?
R. Oui.
Q. Donc avant d’acheter le terrain, vous connaissez la position de la ville?
R. c’est nous qui avons demandé une lettre de la ville, de toute façon.
Q. O.K.
R. Et eux me décrivaient leurs intentions.
Q. O.K. Puis quand vous dites que c’était plus positif verbalement que par écrit, c’était quoi qui était à ce point plus positif?
R. Oui, c’était la collaboration. La collaboration était pour être beaucoup plus amicale, puis il était pour y avoir plus de collaboration au niveau de la ville que ce qu’on a vu par la suite.
[…]
Q. O.K. Donc quand vous acheté le terrain, vous ce que vous aviez entre les mains, l’engagement de la ville c’était représenté par la pièce D-11, la lettre du cinq février deux mille quatorze (05-02-2014)? C’est tout ce que vous aviez de la ville?
R. Oui.
Deuxième séquence : Sujet traité - la relance éventuelle du projet dans le contexte d’un regroupement des OMH - (extraits des pages 64 à 66 de la transcription de l’interrogatoire)
R. Ça prenait absolument la consolidation des OMH pour que le projet puisse être qualifié par l’OMH à Québec. C’était impossible avant la consolidation à cause de l’évaluation des revenus locatifs moyens.
Q. O.K. Donc vous avez besoin d’une extension.
R. On aurait besoin d’une extension.
Q. Est-ce qu’il y avait une obligation pour la Ville de Thurso de vous accorder une telle prolongation du délai?
[…]
R. En réalité, la ville aurait dû accorder un délai, mais à la place, la ville a téléphoné pour tuer le projet, avec l’OMH qui aurait pu parrainer ce projet-là.
Q. O.K.
R. Fait que le projet en deux mille dix-sept (2017),en mars, on aurait pu demander une extension. Mais la ville a appelé l’OMH qui aurait dû prendre le lead du projet, le futur OMH consolidé, puis elle dit : « Faites pas ça, enlevez-vous du dossier, on fait pas affaire avec Devcore. »
O.K. Je repose ma question. Est-ce que la ville s’était engagée à vous accorder ce délai-là dont vous aviez besoin?
R. Verbalement, tout le long des processus la ville nous a dit : « L’hypothèque est juste là, écoute regarde, on va s’organiser puis on va finir par trouver une façon de faire le projet, pas de troubles ». Regarde, ça va bien la collaboration, on avait un petit gars de Thurso qui était technologue avec nous, la collaboration c’était vraiment amical.
Q. O.K.
R. Fait que dans ce temps-là, on n’aurait jamais cru être obligés de recourir aux tribunaux pour avoir des extensions, t’sé?
Q. O.K.
R. Ça se faisait de bonne foi.
Q. Qui vous fait ces représentations-là à l’effet que l’hypothèque est là juste pour le paraître puis que les délais que vous avez demandés vont nécessairement être accordés? C’est qui qui vous fait ces représentations-là?
R. Monsieur le maire puis M. Boyer.
Q. O.K. À quelle époque qu’on est à ce moment-là?
R. Tout au long de la conversation. Avant l’achat du terrain, à l’achat du terrain, après l’achat du terrain, quand ça a mal été avec la SHQ.
Q. O.K.
R. Trouver une façon.
Troisième séquence : Sujet traité - le projet du centre communautaire (extrait de la page 97 de la transcription de l’interrogatoire)
Q. Il y a pas de garantie. La ville s’est pas engagée à signer un contrat à n’importe quelle condition avec vous. Je comprends qu’ils vous ont parlé des besoins de la ville, vous avez déposé un projet. Mais ils se sont pas engagés à signer avec vous puis à vous dire oui-oui-oui, puis à répondre à vos quatre volontés, puis à signer n’importe quoi avec vous, là.
R. La seule garantie que la ville nous a toujours faite avant qu’on devienne propriétaire du terrain puis l’année d’après, c’était qu’ils étaient pour collaborer avec nous autres pour que ça marche.
[1] 2016 QCCS 1647, par. 58.
[2]
[3] RLRQ, c. C-19.
[4]
Perez c. Dollard-des-Ormeaux (Ville de),
[5]
Ville de Saguenay c. Construction Unibec inc.,
[6]
[7]
[8] Id., par. 81,83,84,92,94-96,99.
[9]
[10] Id., p.7.
[11]
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.