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JC 1615 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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N° : |
705-05-006305-026 |
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DATE : |
23 SEPTEMBRE 2002 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
PAUL CHAPUT, j.c.s. |
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LUC LEFRANÇOIS |
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Requérant |
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c. |
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COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL |
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Intimée |
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Et |
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CONSTRUCTION ROBERT LEFRANÇOIS LTÉE Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Il s’agit d’une requête en mandamus pour qu’il soit ordonné à la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) de rendre une décision relativement à une réclamation faite par Luc Lefrançois pour une lésion survenue le 2 décembre 1999.
[2] Les conclusions se lisent :
«ACCUEILLIR la présente requête;
ORDONNER à l'intimée, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, de rendre une décision écrite et motivée statuant sur son droit aux indemnités de remplacement du revenu, sur les séquelles et les limitations fonctionnelles relatives à la rechute, récidive ou aggravation du 2 décembre 1999 et ce, dans les 10 jours du jugement à intervenir.»
[3] La CSST demande le rejet de la requête. Elle plaide que la Direction de révision administrative (DRA) de la CSST a déjà statué sur la réclamation pour cette lésion
[4] Les faits, allégués à la requête, ne sont pas contestés.
[5] En juillet 1997, la CSST accepte la réclamation de Lefrançois pour une lésion diagnostiquée comme un syndrome du canal carpien bi-latéral.
[6] En janvier 1998, la CSST rend deux décisions; la première établit le pourcentage de l’atteinte et la seconde déclare Lefrançois apte à reprendre son travail habituel.
[7] En octobre, la DRA maintient ces décisions et, en novembre 1999, la Commission des lésions professionnelles (CLP) les confirme.
[8] Au début de décembre 1999, Lefrançois dépose une nouvelle réclamation à la suite d’une attestation médicale qui fait état d’une rechute et aggravation du tunnel carpien droit et d’une augmentation de la limitation fonctionnelle depuis la reprise du travail.
[9] Le 9 février 2000, la CSST refuse cette réclamation.
[10] Le 4 mai suivant, Lefrançois dépose une réclamation pour récidive, rechute et aggravation de la condition du tunnel carpien gauche.
[11] Le 16 suivant, la CSST accepte cette dernière réclamation.
[12] Le 29 novembre 2000, la DRA confirme la décision du 9 février et celle du 16 mai, modifiant cette dernière pour faire remonter la lésion au 2 mars plutôt qu’au 2 mai.
[13] En mars 2001, Dr P. Legendre dépose un rapport d’évaluation médicale relativement à l’atteinte permanente à l’intégrité physique et les limitations fonctionnelles suite à la lésion de mai 2000. Il écrit ce qui suit :
«Considérant le diagnostic de tunnel carpien bilatéral. Considérant que de ces tunnels carpiens il ne persiste pas de symptôme. Considérant l'examen neurologique normal. Considérant l'absence d'atrophie musculaire au niveau du membre supérieur gauche. Nous n'accordons aucune limitation fonctionnelle permanente.»
[14] Par deux décisions du 14 mai 2001, la CSST déclare qu’il n’y a pas d’atteinte physique supplémentaire et que Lefrançois peut reprendre ses activités normales; elle met donc fin aux indemnités.
[15] Le 10 septembre 2001, la CLP rend la décision suivante :
«ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Luc Lefrançois du 5 décembre 2000;
INFIRME la décision de la révision administrative du 29 novembre 2000;
DÉCLARE que monsieur Luc Lefrançois a subi une rechute, récidive ou aggravation, soit un tunnel carpien gauche diagnostiqué le 19 janvier 2000 et qui le rend incapable d'exercer l'emploi occupé à cette date;
DÉCLARE que l'épicondylite du coude droit n'a pas été aggravée le 2 décembre 1999; et
DÉCLARE que l'accrochage sous-acromial de l'épaule droite n'est pas une lésion professionnelle. Il ne découle pas de la lésion professionnelle du 2 juin 1997 ni du travail effectué par le travailleur depuis cette lésion.»
[16] Le 1er novembre suivant, la DRA confirme les décisions de la CSST du 14 mars 2001; elle écrit :
«Le 29 mars 2001, le travailleur demande la révision d'une décision rendue le 14 mars 2001. La Direction de la révision administrative constate qu'il y a deux décisions rendues par la CSST le 14 mars 2001. L'une portant sur l'atteinte permanente attribuée par le médecin traitant et l'autre sur la capacité du travailleur à exécuter son emploi à partir du 13 mars 2001.
La DRA n'a pas reçu d'observation concernant les présentes demandes. Nous avons communiqué avec le représentant du travailleur, Me Laporte, pour l'aviser que nous rendrions une décision sur dossier.
D'abord précisons que la lésion professionnelle reconnue à compter du 2 juin 1997 est un tunnel carpien bilatéral et une épicondylite externe du coude droit.
Le travailleur a subi une décompression de son tunnel carpien droit le 22 août 1997. L'épicondylite du coude droit est traitée par infiltration.
Toutefois, il est possible que le travailleur soit opéré pour le tunnel carpien gauche éventuellement, s'il y a aggravation de sa symptomatologie.
Le médecin traitant consolide la lésion en date du 3 décembre 1997 et accorde 3% d'atteinte permanente mais aucune limitation fonctionnelle.
La CSST a établi la capacité du travailleur à refaire son emploi à compter du 6 janvier 1998, compte tenu de conclusions médicales de son médecin traitant. La Commission des lésions professionnelles (CLP) a confirmé cette date de capacité dans une décision du 23 décembre 1999.
La CLP, le 10 septembre 2001, déclare que le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation (RRA), le 2 décembre 1999, pour une récidive de tunnel carpien droit et qui le rend incapable d'occuper son emploi à cette date.
Déclare que le travailleur a subi une RRA soit un tunnel carpien gauche diagnostiqué le 19 janvier 2000 et qui le rend incapable d'exercer l'emploi occupé à cette date.
Déclare que l'épicondylite du coude droit n'a pas été aggravée le 2 décembre 1999, et
Déclare que l'accrochage sous-acromial de l'épaule droite n'est pas une lésion professionnelle et ne découle pas de l'événement initial de 1997.
Considérant que le travailleur est consolidé le 14 décembre 2000 par son médecin traitant, le Dr Boucher, pour la condition du tunnel carpien bilatéral et réfère au Dr Pierre Legendre, pour l'évaluation des séquelles permanentes et des limitations fonctionnelles;
Considérant que le Dr Legendre, le 14 février 2001, conclut que le travailleur ne garde aucune atteinte permanente supplémentaire à la condition de tunnel carpien bilatéral et aucune limitation fonctionnelle;
Considérant que la DRA est liée aux décisions de la CLP concernant la condition reconnue de tunnel carpien bilatéral mais aussi liée aux conclusions de l'avis du médecin traitant et ne peut les modifier;
La DRA confirme les décisions de la CSST rendues le 14 mars 2001. Déclare que le travailleur ne garde aucune atteinte permanente supplémentaire et aucune limitation fonctionnelle de la condition reconnue, suite à la décision de la CLP du 10 septembre 2001 et en conséquence, le travailleur est capable d'exercer son emploi à partir du 13 mars 2001.
Si vous êtes en désaccord avec cette décision, vous pouvez la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours suivant la réception de la présente lettre. Les adresses des bureaux régionaux de la Commission des lésions professionnelles sont inscrites à l'endos du formulaire de contestation ci-joint.»
[17] Le 16 suivant, Lefrançois en appelle devant la CLP.
[18] Un nouveau rapport de Dr G. R. Tremblay, orthopédiste, établit que Lefrançois a subi des séquelles au tunnel carpien droit qui doivent être établies à 5 %.
[19] Le 18 avril 2002, la CLP remet l’audition de l’appel en raison de l’absence de décision concernant la lésion de décembre 1999. On peut lire au procès-verbal d’audience :
«Attendre les décisions et contestations du travailleur concernant la lésion professionnelle subie le 2 décembre 1999 (syndrome du tunnel carpien droit) avant de refixer l'audience pour le dossier 172772 qui concerne l'évaluation des séquelles permanentes de la lésion subie le 19/01/2001 (syndrome du tunnel carpien gauche) uniquement.»
[20] La C.S.S.T. est une personne morale, tel qu’en dispose l’article 138 de la. Loi sur la santé et la sécurité au travail.
138. La Commission est une personne morale
[21] À ce titre, elle est visée par la disposition de l’article 844 C.p.c.
844. Tout intéressé peut s'adresser au tribunal pour obtenir une ordonnance enjoignant à une personne d'accomplir un devoir ou un acte qui n'est pas de nature purement privée, notamment:
1. lorsqu'une personne morale, un organisme public ou une association au sens du Code civil du Québec omet, néglige ou refuse d'accomplir un devoir que la loi impose ou un acte auquel la loi l'oblige;
(…)
[22] Mais, la procédure de mandamus étant un recours extraordinaire, l’article 350 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en interdit l’application à la C.S.S.T.
350. Sauf sur une question de compétence, une action en vertu de l'article 33 du Code de procédure civile ou un recours extraordinaire au sens de ce code ne peut être exercé, et une mesure provisionnelle ne peut être ordonnée contre la Commission pour un acte fait ou une décision rendue en vertu d'une loi qu'elle administre.
[23] Cependant, cette interdiction ne vaut que pour un acte fait ou une décision rendue par la C.S.S.T.
[24] Le 10 septembre 2002, la CLP infirme la décision de la DRA qui confirmait le refus de la réclamation du 3 décembre 1999 pour la récidive du tunnel carpien droit.
[25] Il y a bien la décision de la DRA du 1er novembre 2001, rendue à la suite de la décision de la CLP du 10 septembre 2001 et du rapport du rapport de Dr Legendre qui traite du tunnel carpien bi-latéral.
[26] Mais, la révision de la DRA du 1er novembre 2001 porte sur les décisions de la CSST du 14 mars 2001 rendue sur la lésion du 2 mars 2001. Et la récidive de cette lésion, ramenée au 19 janvier 2000 par la décision de la CLP du 10 septembre 2001, ne concerne que le tunnel carpien gauche.
[27] Ainsi, la CSST n’a pas encore rendu de décision sur la réclamation pour la lésion du 2 décembre 1999.
[28] Et elle doit rendre une telle décision.
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[29] Dans la décision de la C.A.L.P. du 24 mars 1992, dans l’affaire de Commission de la santé et de la sécurité du travail et Jean Richard et Lithographie Montréal, la commissaire écrit :
«Le pouvoir du Bureau de révision se limite à l'examen d'une décision en seconde instance, ce qui implique nécessairement qu'une décision ait été prise au premier niveau. Quant au contrôle strict de la légalité d'une décision de la Commission, le Bureau de révision a le pouvoir d'examiner cette question lorsque celle-ci est soulevée, de façon incidente, soit à l'intérieur d'une demande de révision valablement logée devant le Bureau de révision.
À cet égard, la Commission d'appel réfère à la décision rendue par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Gauthier c. Pagé (9). Saisi de l'appel d'une décision fixant le quantum de l'incapacité partielle permanente, le Bureau de révision s'était prononcé sur le droit du travailleur à une indemnisation. La Cour d'appel a interprété cette décision comme une reconsidération de la prise de position antérieure de l'agent d'indemnisation sur la question de l'existence d'un accident du travail et du droit à une compensation. M. le juge Lebel s'exprime comme suit (10) :
L'exercice d'un pouvoir d'examen en seconde instance suppose qu'une décision a été prise à un premier niveau. Dans la présente affaire, son objet aurait été normalement à être reconsidération de la reconnaissance d'un droit à l'indemnité et de l'existence d'un accident de travail. Pour que le Bureau de révision puise intervenir, il eût fallu d'abord une décision de première instance portant sur la demande de reconsidération. S'il accorde une compétence d'examen en appel au Bureau de révision, l'article 64 de la Loi sur les accidents du travail n'attribue pas à celui-ci un pouvoir de reconsidération, en l'absence d'intervention préalable de l'organisme ou du fonctionnaire chargé, à l'origine de la prise de décision.[1]
(9) [1988] R.J.Q. 650 (C.A.).
(10) Id., 656-657.»
[30] De même, dans Norman Dupont et Alpha-Vico Canada Inc., les membres du bureau paritaire écrivent :
«Nous soulignons que le Bureau de révision ne peut se substituer à l'agent de première instance pour se prononcer sur un objet décisionnel qui n'a pas fait l'objet de sa décision. Dès lors, dans un tel contexte, le Bureau de révision n'a pas d'autre choix que de retourner le présent dossier à l'agent responsable, afin qu'il se prononce sur les conséquences de la récidive du 21 octobre 1985 et, tout particulièrement, sur la capacité du travailleur à reprendre son emploi, sur l'existence d'une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles ainsi que sur tout autre droit pouvant résulter de l'application de la loi.»[2]
[31] La décision de la DRA ne peut être considérée comme la décision que le premier palier de la CSST aurait dû rendre. Cette décision ne porte que sur la récidive de la lésion du bras gauche; elle ne peut valoir comme décision que la CSST doit rendre sur la réclamation pour la lésion du 2 décembre 1999.
[32] Certes, il y a appel à la CLP de la décision de la DRA du 1er novembre 2001. Et, aux termes de l’article 377 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la CLP peut rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu.
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
[33] Mais, le 18 avril 2002, lors de l’appel de la décision de la DRA du 1er novembre 2001, la CLP a statué que le dossier ne serait pas état tant qu’une décision de la CSST ne serait pas rendue sur la lésion du 2 décembre 1999.
[34] Enfin, il convient de rappeler les articles 351 et 354 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matière qui lui sont attribuées.
354. Une décision de la Commission doit être écrite, motivée et notifiée aux intéressés dans les plus brefs délais.
[35] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[36] ACCUEILLE la requête;
[37] ORDONNE à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, de rendre une décision écrite et motivée statuant sur le droit de Luc Lefrançois aux indemnités de remplacement du revenu, sur les séquelles et les limitations fonctionnelles relatives à la rechute, récidive ou aggravation du 2 décembre 1999 et ce, dans les 30 jours du présent jugement;
[38] AVEC DÉPENS.
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__________________________________ PAUL CHAPUT, j.c.s. |
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Me André Laporte |
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LAPORTE & LAVALLÉE |
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Pour le Requérant |
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Me Lucille Giard |
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PANNETON, LESSARD |
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Pour l'Intimée |
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Date d’audience : |
17 septembre 2002 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.