Décision

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Gabarit EDJ

Protection de la jeunesse — 2023

2020 QCCQ 61

JG2072

 
 COUR DU QUÉBEC

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE [...]

 

 

« Chambre de la jeunesse »

N° :

460-41-001722-172

 

 

DATE :

14 janvier 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE : MONSIEUR LE

 JUGE MARIO GERVAIS

______________________________________________________________________

 

[INTERVENANTE 1], en sa qualité de personne autorisée par la Directrice de la protection de la jeunesse du CIUSSS A,

Demanderesse

— et —

X, né le [...] 2014

           Enfant-intimé

— et —

D

Mère-intimée

— et —

E

Père-intimé

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFIÉ [1]

Articles 95 (1) et (2) de la Loi sur la protection de la jeunesse

______________________________________________________________________

 

MISE EN GARDE : La Loi sur la protection de la jeunesse interdit la publication ou la diffusion de toute information permettant d’identifier un enfant ou ses parents. Quiconque contrevient à cette disposition est passible d’une amende. (articles 11.2.1 et 135 L.P.J.)

Nous avons l’intention de retourner toutes les pierres et d’entendre un maximum de personnes afin de formuler des recommandations à la fois concrètes, applicables, rigoureuses et en phase avec les attentes et les valeurs de la population.

 

[…]

 

Ma chérie, je le fais pour toi. Dès ton décès, je t’ai donné un prénom [Tililly]. Tu aurais pu être ma petite-fille.

 

-       Déclaration d’ouverture de Mme Régine Laurent, Présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse

 

I.              INTRODUCTION

[1]           Dans la nuit du 28 au 29 avril 2019, un drame effroyable se produit. Appelés d’urgence à la maison, des ambulanciers retrouvent Y dans un état critique. Y décède à l’hôpital le 30 avril 2019.

[2]         Une enquête policière sur les circonstances du décès de Y mène au dépôt d’accusations, contre le père, de négligence criminelle ayant causé la mort, et, contre sa conjointe, de meurtre au deuxième degré. Les accusés sont en attente de leur procès.

[3]           Cette tragédie cause un vif émoi et sème la consternation à la grandeur du Québec. Une enquête publique du Coroner est ordonnée par le gouvernement. Une Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse est mise sur pied. Une enquête interne du CIUSSS A est déclenchée.

[4]           La présente instance ne constitue pas un prologue ou une réponse à l’un ou l’autre de ces processus qui ont pour mission, à différents niveaux, de faire la lumière sur cette horrible tragédie, d’en identifier les responsables ou d’émettre des recommandations de modifications législatives, systémiques ou structurelles.

[5]           Pour le Tribunal, il ne s’agit pas pour autant de détourner le regard sur la situation de Y, bien au contraire. Cette enfant est demeurée présente à l’esprit et dans le cœur de tous ceux qui ont participé à l’instruction de l’affaire à l’étude.

[6]           La présente instance a pour mission d’étudier la situation de X, âgé de 5 ans, et Z, âgé de 14 ans, en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse[2] (LPJ) afin de rendre des mesures visant à assurer leur sécurité, leur développement et leur épanouissement.

[7]           X et Z ont une personnalité qui leur est propre et des besoins qui leur sont spécifiques. Au-delà de leur lien avec Y, ces enfants sont des personnes uniques, singulières et sujets de droit à part entière dont l’intérêt supérieur ne fera l’objet d’aucun compromis.

II.         LES DEMANDES    

[8]         La Directrice de la protection de la jeunesse (Directrice[3]) présente une demande en révision et prolongation d’une ordonnance concernant X et une demande en protection concernant Z.

[9]         Les demandes de la Directrice sont entendues séparément, bien que plusieurs des faits révélés par la preuve s’avèrent pertinents aux deux affaires, ce que les jugements reflèteront.

[10]         D’autre part, l’avocate des deux enfants présente, dans la situation de X, une demande en déclaration de lésion de droits. Elle allègue de graves lacunes et manquements de la Directrice dans l’exécution de la dernière ordonnance et de ses obligations corolaires qui lui sont dévolues par la LPJ.

[11]        Enfin, dans les affaires des deux enfants, Média QMI inc. et Groupe TVA inc. présentent une demande afin d’autoriser la présence des journalistes Antoine Lacroix et Yves Poirier lors des audiences du Tribunal, ce à quoi les parties consentent.

[12]        Par contre, la Directrice réplique en présentant une demande afin que le Tribunal rende une ordonnance interdisant la publication ou la diffusion d’informations relatives à ses audiences.

III.        LE CONTEXTE

[13]        Le 30 mai 2018, le Tribunal rend une ordonnance déclarant la sécurité et le développement de X compromis pour les motifs suivants[4] :

-     38 (c) : mauvais traitements psychologiques ;

-   38 (e) 2° : risque sérieux d’abus physiques de la part de la conjointe du père.

[14]        À cette même date, le Tribunal rend une ordonnance déclarant la sécurité et le développement de la sœur aînée de X, Y (7 ans), compromis pour les motifs suivants :

-       38 (e) 1° : abus physiques de la part de la conjointe du père ;

-       38 (c) : mauvais traitements psychologiques ;

-       38 (b) 1°) iii) : négligence sur le plan éducatif.

[15]        À titre de mesures principales, le Tribunal ordonne le maintien de X et de Y au sein de leur milieu paternel, le suivi social de la Directrice, la participation active des parents aux mesures ordonnées et l’obligation pour les parents de faire rapport périodiquement à la Directrice ; le tout, pour une année.

[16]        L’ordonnance prévoit également la suspension des contacts entre la mère et Y tandis que les contacts entre la mère et X sont autorisés à une fréquence — à défaut d’entente entre les parties — d’une fois aux deux semaines, en présence d’une tierce personne autorisée par la Directrice. La levée de la supervision est également permise selon l’évolution de la situation.

[17]        Le milieu de vie paternel est alors constitué du père, de ses deux enfants X et Y, de la conjointe du père (conjointe) et du fils de celle-ci, Z.

[18]        À cette époque, Z ne fait pas l’objet d’une intervention de la Directrice.

[19]        Le 29 avril 2019, la Directrice retient un signalement concernant X et Z. Des mesures de protection immédiate sont appliquées par la Directrice. Elles sont suivies de mesures provisoires rendues par le Tribunal prévoyant, pendant l’instance, le placement de X en famille d’accueil et confiant Z à une personne significative. Au surplus, X reçoit divers soins et services de santé alors que Z bénéficiera d’un suivi psychologique au moment opportun, ne le souhaitant pas dans l’immédiat. Enfin, les contacts entre les enfants et leurs parents respectifs sont suspendus.

[20]        Par ailleurs, le Tribunal a pris connaissance des ordonnances antérieures à celle rendue le 30 mai 2018, en matière de protection de la jeunesse, concernant X et Y qui se sont, à l’époque, soldées par la fin de l’intervention de la Directrice le 17 juin 2016. Elles constituent une source d’informations pertinentes et utiles, particulièrement en ce qui concerne les conclusions de faits et de droit qu’elles comportent, et permettent de mettre en perspective l’historique familial. Toutefois, ces ordonnances ne sont pas sujettes à débat sur leur fondement, la présente instance n’étant pas un appel.

[21]        Parallèlement aux ordonnances rendues à ce jour par la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, la Cour supérieure a rendu le [...] 2015 et le [...] 2017 des jugements confiant la garde de X et de Y à leur père et attribuant à la mère des droits d’accès supervisés par l’organisme A. Le plus récent de ces jugements est toujours en vigueur.

IV.        LES QUESTIONS EN LITIGE

1°        X a-t-il été victime d’abus physiques de la part de son père et de sa conjointe ?

2°        La reprise des contacts entre la mère et l’enfant doit-elle être autorisée et, dans l’affirmative, à quelles conditions et dans quel but ?

3°        La recommandation de la Directrice d’interdire les contacts entre l’enfant et son père est-elle fondée ? 

4°        Quelles sont les tierces personnes avec qui il y a lieu de permettre ou interdire les contacts avec l’enfant pour les 6 prochains mois ?

5°         La Directrice a-t-elle lésé les droits de l’enfant ?

6°        Le Tribunal doit-il interdire la publication ou la diffusion des informations relatives à ses audiences dans les affaires de X et Z ?

V.         SITUATION ET ANALYSE

Première question en litige :        X a-t-il été victime d’abus physiques de la part de son père et de sa conjointe ?

[22]       La Directrice allègue, d’une part, la persistance des mauvais traitements psychologiques subis par l’enfant. Les parties reconnaissent que la sécurité et le développement de l’enfant sont toujours compromis pour ce motif, position commune à laquelle le Tribunal souscrit.

[23]       D’autre part, la Directrice allègue que X, depuis la dernière ordonnance, a été victime d’abus physiques de la part de son père et de sa conjointe. Le père conteste ces allégations à son égard. Les autres parties partagent la position de la Directrice.

[24]       La LPJ édicte que la sécurité et le développement d’un enfant peuvent être déclarés compromis lorsqu’il subit des abus physiques. Ce motif de compromission est ainsi libellé :

38 (e) 1°. Lorsque l’enfant subit des sévices corporels ou est soumis à des méthodes éducatives déraisonnables de la part de ses parents ou de la part d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation ;

[25]       Dans Protection de la jeunesse — 09179[5], la juge Carole Brosseau définit la notion d’abus physiques comme suit :

[92] Mais qu’est-ce qu’un abus physique, quels en sont les éléments constitutifs essentiels ? La jurisprudence en a déjà parlé à cet égard. Les mauvais traitements consistent en un emploi de moyens démesurés, immodérés et déraisonnables pour éduquer et prendre soin d’un enfant. Les mauvais traitements doivent être évalués en tenant compte de l’âge de l’enfant, de sa taille, de sa robustesse, de son état de santé et de leur fréquence.

[26]       L’article 38.2 LPJ énumère les facteurs à prendre en considération afin de déterminer si la sécurité ou le développement d’un enfant sont compromis. Ces facteurs sont :

Ø  La nature, la gravité, la chronicité et la fréquence des faits signalés ;

Ø  L’âge et les caractéristiques personnelles de l’enfant ;

Ø  La capacité et la volonté des parents de mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant ;

Ø  Les ressources du milieu pour venir en aide à l’enfant et à ses parents.

[27]        La charge de la preuve incombe à la Directrice qui doit faire la démonstration, par prépondérance de preuve[6], de ses allégations. Cette norme est satisfaite lorsque l’existence d’un fait est plus probable que son inexistence.

[28]       En l’occurrence, X est la seule personne susceptible d’informer le Tribunal des sévices qu’il aurait subis.

[29]         X n’a pas témoigné lors des audiences. Les parties ont convenu de la nécessité de dispenser l’enfant de témoigner afin de le prémunir contre le préjudice sur le plan psychologique qui pourrait en découler.

[30]        Tenant compte de la position commune des parties, du jeune âge de l’enfant, des événements auxquels il a été exposé le 29 avril 2019 et du décès de sa sœur Y, le Tribunal a dispensé l’enfant de témoigner en application de l’article 85.2 de la LPJ.

[31]        Cette dispense a pour conséquence de rendre admissible en preuve les déclarations de X à des tierces personnes. Ces déclarations valent dorénavant témoignage en ce qu’elles sont « recevable [s] pour faire preuve de l’existence des faits qui y sont allégués »[7].

[32]        Il est permis au Tribunal de conclure à une situation de compromission sur la foi de ces déclarations à la stricte condition qu’elles « présente[nt] des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier »[8]. Ces garanties peuvent être intrinsèques ou extrinsèques à la déclaration et doivent être évaluées dans le contexte de l’ensemble de la preuve. Toutefois, la corroboration n’est pas exigée.

[33]        L’évaluation de la crédibilité et de la fiabilité des déclarations de X doit être faite en tenant compte de ses caractéristiques personnelles, de sa perspective particulière d’enfant de 5 ans, de son degré de maturité et de son niveau de développement. Une telle approche ne change toutefois pas la norme de preuve qui demeure celle de la prépondérance. À cet égard, dans R. c. (B.) G.[9], la Cour suprême mentionne :

[…] les juges devraient adopter une position fondée sur le bon sens lorsqu’ils traitent du témoignage de jeunes enfants et éviter de leur imposer les mêmes normes exigeantes qui sont applicables aux adultes.  Toutefois, cela ne veut pas dire que les tribunaux ne devraient pas apprécier soigneusement la crédibilité des témoins enfants […] je n’interprète pas ses motifs comme suggérant que la norme de preuve doive être réduite à l’égard des enfants. […]  [U]ne faille, comme une contradiction, dans le témoignage d’un enfant ne devrait pas avoir le même effet qu’une faille semblable dans le témoignage d’un adulte. […]. Il se peut que les enfants ne soient pas en mesure de relater des détails précis et de décrire le moment ou l’endroit avec exactitude, mais cela ne signifie pas qu’ils se méprennent sur ce qui leur est arrivé et qui l’a fait. Ces dernières années, nous avons adopté une attitude beaucoup plus bienveillante à l’égard du témoignage des enfants, réduisant les normes strictes du serment et de la corroboration et, à mon avis, il s’agit d’une amélioration souhaitable. Évidemment, il faut apprécier soigneusement la crédibilité de chaque témoin qui dépose devant la Cour, mais la norme de "l’adulte raisonnable" ne convient pas nécessairement à l’appréciation de la crédibilité de jeunes enfants.

[34]        Dans R. c. W. (R)[10], la Cour suprême reprend les propos précités. Elle ajoute qu’elle favorise une évaluation de la crédibilité et de la fiabilité du témoignage de l’enfant en préconisant une approche souple et individualisée :

[O]n estime maintenant qu’il est peut-être erroné de leur appliquer les mêmes critères qu’à ceux des adultes en matière de crédibilité. On porte maintenant plus attention aux perspectives particulières aux enfants. Les enfants peuvent voir le monde différemment des adultes : il n’est donc guère surprenant qu’ils puissent oublier des détails qui, comme le moment et l’endroit, sont importants aux yeux de l’adulte.

[…]

[N]ous abordons les témoignages d’enfants non pas en nous fondant sur des stéréotypes rigides, mais sur ce que le juge Wilson a appelé la règle du "bon sens", en tenant compte des forces et des faiblesses qui caractérisent les témoignages rendus dans une affaire donnée.

Il n’est ni souhaitable ni possible d’établir des règles inflexibles sur les situations où il y a lieu d’évaluer les témoignages selon des normes applicables soit aux adultes, soit aux enfants, car on rétablirait ainsi des stéréotypes aussi rigides et injustes que ceux que visaient à dissiper les récents changements apportés en droit relativement aux témoignages des enfants. Quiconque témoigne devant un tribunal, quel que soit son âge, est une personne dont il faut évaluer la crédibilité et le témoignage selon les critères pertinents compte tenu de son développement mental, de sa compréhension et de sa facilité de communiquer. 

[35]        En l’occurrence, la preuve des abus physiques repose sur les déclarations sous enregistrement vidéo de l’enfant faites à un enquêteur de la Sureté du Québec et les déclarations spontanées de l’enfant recueillies par la famille d’accueil. 

[36]        Le 29 avril 2019, X rencontre l’enquêteur Simon Guérard de la Sûreté du Québec au poste de police de Ville A. L’interrogatoire de X vise uniquement à obtenir une description des événements survenus à sa résidence, la nuit précédente, qui ont mené au décès de Y.

[37]        Le 6 mai 2019, la Directrice reçoit un signalement selon lequel X aurait été victime d’abus physiques de la part de son père et de sa conjointe.

[38]        L’entente multisectorielle est enclenchée de telle sorte que le 10 mai 2019, X rencontre à nouveau l’enquêteur Guérard qui est cette fois chargé de recueillir la déclaration de l’enfant en lien avec ce signalement.

[39]        Au départ, l’enquêteur s’identifie personnellement puis ajoute, pour les fins de l’enregistrement, qu’il rencontre X en précisant la date, l’heure et l’endroit. Immédiatement, l’enfant corrige spontanément l’enquêteur en lui disant qu’il se nomme X [nom de famille composé du nom du père et de sa conjointe]. Dans la même veine, l’enfant réfèrera par la suite à la conjointe de son père en la désignant « maman » ou « maman F ».

[40]        L’enquêteur explique à l’enfant qu’il cherche à connaître la vérité. Il lui donne quelques consignes pour faciliter leurs échanges qu’il illustre à l’aide d’exemples concrets. L’enquêteur fait ensuite des mises en situation pour s’assurer de la compréhension de l’enfant.

[41]        L’enquêteur mène par la suite l’interrogatoire de l’enfant. Les questions sont posées sous forme ouverte et ne s’avèrent jamais suggestives.

[42]        Les éléments saillants de la déclaration de l’enfant sont :

Ø  Quand je fais des crises […], il me donne des douches froides ;

Ø  Je n’aime pas les douches froides, j’aime juste les douches chaudes, ça me fait du bien ;

Ø  Il mettait dans ma face la douche froide, je pouvais pas parler, il l’enlevait, la mettait, il l’enlevait, il la mettait [l’enfant simule le déplacement répétitif du pommeau de douche de son visage à son ventre] ;

Ø  C’est mon papa […] et ma maman, elle s’appelle F, qui faisaient ça ;

Ø  Il m’attachait ;

Ø  C’est arrivé une fois [l’enfant pointe les parties de son corps où il a été attaché] ;

Ø  Ça avait commencé par la douche froide ;

 

Ø  Il la mettait, il l’enlevait [l’enfant simule le déplacement répétitif du pommeau de douche de son visage à son ventre] ;

 

Ø  C’était les deux [père et conjointe comme étant les auteurs] ;

 

Ø  C’était avec la ceinture à papa […] rouge ;

 

Ø  J’étais pas capable de bouger ;

 

Ø  Parce que j’écoutais pas les consignes ;

 

Ø  Je suis fâché contre papa.

[43]        Par ailleurs, en ce qui a trait aux déclarations de l’enfant en famille d’accueil, elles sont toutes faites spontanément dans le contexte du quotidien.

[44]        Ainsi, peu après son arrivée en famille d’accueil, celle-ci constate que l’étape du bain et de la douche génère une crainte chez l’enfant. X s’informe de la température de l’eau et lui dit « Est-ce que tu vas m’arroser avec la hose dans face » en référant à ce que ses « parents » lui faisaient subir lorsqu’il était en crise ou n’écoutait pas les consignes.

[45]        Le lendemain de son arrivée, X renverse accidentellement la tasse de café de la famille d’accueil en jouant avec une trottinette. Apeuré, l’enfant lui demande si elle va lui tirer les cheveux. La famille d’accueil le rassure en lui disant que rien de tel ne va se produire et qu’il est en sécurité auprès d’eux.

[46]        Dans les jours qui suivent, l’enfant se fait couper les cheveux. La famille d’accueil constate une petite surface sans cheveux sur sa tête. En consultation médicale avec l’enfant, le 10 mai 2019, le pédiatre [pédiatre 1] fait le même constat, soit des « pertes de cheveux en plaques »[11].

[47]        Le père d’accueil est ambulancier de profession. Le 6 mai 2019, X aperçoit l’uniforme qui se trouve dans la salle de bain. Il demande à la famille d’accueil s’il s’agit d’un uniforme de policier ou d’ambulancier, puis lui confie « Moi aussi ça m’est arrivé, j’ai eu du scotch tape ». À une autre occasion, X verbalisera de but en blanc « J’me fais taper[12] sa yeule par papa, pis Y aussi ».

[48]        Quelques jours plus tard, lors d’un déplacement en automobile en vue de l’achat d’une ceinture, l’enfant déclare à la famille d’accueil « Moi, des fois, mon papa m’attachait avec une ceinture sur mon lit ».

[49]        Des déclarations de l’enfant à l’enquêteur de la Sureté du Québec et à la famille d’accueil, le Tribunal retient les garanties de fiabilité suivantes :

Ø  Les interrogatoires de l’enfant sont menés de manière non suggestive par l’enquêteur ;

Ø  Les déclarations de l’enfant à la famille d’accueil sont faites spontanément. Diverses situations vécues au quotidien en famille d’accueil deviennent les éléments déclencheurs de ses verbalisations ;

Ø  Les déclarations de l’enfant à l’enquêteur et à la famille d’accueil sont cohérentes en elles-mêmes et entre elles ;

Ø  La description des douches froides que l’enfant subit en représailles est détaillée. L’enfant décrit la scène et mime les gestes qui ont été posés par le père et sa conjointe. Il fait mention de l’impact de la douche froide, soit son incapacité de parler lorsqu’il reçoit le jet d’eau au visage. Il précise les raisons pour lesquels il est puni de la sorte, reliant les douches froides à une crise de sa part ou à une désobéissance à une consigne ;

Ø  L’enfant a un affect congruent avec ses déclarations :

·        Il craint le bain et la douche en famille d’accueil ;

·        Il est apeuré après avoir renversé accidentellement une tasse de café devant la conséquence qu’il anticipe ;

·        Il craint de se faire tirer les cheveux ;

·        L’achat d’une ceinture évoque immédiatement le souvenir de l’enfant d’avoir ainsi été attaché sur son lit.

Ø  La perte de cheveux de l’enfant sur une petite surface est compatible, sans être déterminante, avec les propos de l’enfant selon lesquels la conjointe du père lui aurait tiré les cheveux ;

Ø  L’enfant identifie les auteurs des abus physiques comme étant son « papa » et sa « maman — F ». Il prend de surcroît le soin de distinguer les abus physiques sous forme de s’être fait tirés les cheveux en attribuant ce geste uniquement à la conjointe du père ;

Ø  L’ordonnance d’origine fait état d’abus physiques de la part de la conjointe du père envers Y, notamment pour lui avoir tiré les cheveux.

[50]        En outre, l’évaluation psychologique de l’enfant « fait ressortir des indices de trauma complexe. On relève les manifestations d’une hypervigilance aux bruits et des propos qui relatent l’expérience de méthodes éducatives anxiogènes »[13]. Sans pour autant corroborer de manière spécifique les abus physiques décrits par l’enfant, cette évaluation fait néanmoins ressortir les répercussions négatives qu’ont eues sur lui les méthodes éducatives inappropriées des personnes qui en avaient la garde.

[51]        Tenant compte du cumul des garanties de fiabilité qui précèdent, le Tribunal considère que les déclarations de X présentent des garanties de fiabilité suffisamment sérieuses pour pouvoir s’y fier.

[52]        À l’encontre de cette preuve, le père oppose ce qui suit.

[53]        En entrevue avec la Directrice, le père nie toute forme de violence envers l’enfant. Il va même jusqu’à sous-entendre que la Directrice pouvait avoir « par des questions tendancieuses, mis des mots dans la bouche de X quant à d’éventuels abus »[14].

[54]        Le Tribunal écarte d’emblée cette hypothèse soulevée par le père en rencontre individuelle avec la Directrice. Cette supposition ne prend aucunement appui sur la preuve et n’est que pure spéculation.

[55]        À l’audience, le père a choisi de ne pas témoigner. Il a toutefois été contraint de le faire à l’initiative de l’avocate de la mère.

[56]        Le père a alors éludé les questions au sujet des événements survenus dans la nuit du 28 au 29 avril 2019 concernant Y.

[57]        Le père a réitéré sa négation de toute forme de violence ou de méthodes éducatives déraisonnables envers X.

[58]        Le père se déclare incapable d’expliquer ce qui pourrait avoir mené X à tenir les propos qu’il a exprimés et qui ont été rapportés au Tribunal.

[59]        Le père a reconnu que tant sa conjointe que lui-même pouvaient donner le bain à X, mais que depuis quelque temps, l’enfant se lavait seul, sans assistance.

[60]        En rétrospective, le père déclare avoir été aveuglé par l’amour. Il a eu foi en la capacité de changement de sa conjointe et a cru à sa volonté de le faire à travers les démarches qu’elle a entreprises à cette fin.

[61]        Le Tribunal accorde peu de valeur probante au témoignage du père. Hormis la dénégation générale, son témoignage n’apporte aucun éclaircissement sur la situation et, surtout, aucun élément de preuve susceptible de remettre en question la fiabilité et la validité des déclarations de l’enfant.

[62]        Le Tribunal conclut que les déclarations de X, en elles-mêmes et en regard de l’ensemble de la preuve, comportent des garanties sérieuses de fiabilité qui les rendent probantes et convaincantes. Conséquemment, le Tribunal les considère comme avérées.

[63]        Le Tribunal conclut que les sévices corporels subis par l’enfant sont graves. L’infliction de tels sévices à un enfant en bas âge et si vulnérable a non seulement compromis sa sécurité immédiate, mais aussi son développement. L’enfant est aux prises avec des séquelles sur le plan psychologique qui ne pourront que requérir des soins professionnels, selon toute vraisemblance, à plus long terme.

[64]        Enfin, la volonté du père de mettre fin à la situation de compromission est inexistante en ce moment, compte tenu de sa négation et de sa déresponsabilisation. Quant à une réelle capacité chez lui d’y mettre fin, la preuve est muette à cet égard.

[65]        Le Tribunal conclut que la sécurité et le développement de X sont compromis au motif qu’il a été victime d’abus physiques de la part de son père et de sa conjointe.

Deuxième question en litige :      La reprise des contacts entre la mère et l’enfant doit-elle être autorisée et, dans l’affirmative, à quelles conditions et dans quel but ?

[66]        La Directrice recommande le placement de l’enfant en famille d’accueil pour une période de 6 mois et le rétablissement progressif des contacts entre la mère et son enfant. Au terme de cette période, une orientation à plus long terme serait proposée, notamment concernant le rôle et les responsabilités que la mère pourrait assumer auprès de l’enfant à plus long terme. À cet égard, toutes les hypothèses seraient envisagées, incluant l’enclenchement d’un processus d’intégration progressive de l’enfant auprès de sa mère.

[67]        La mère consent au placement de son enfant en famille d’accueil. Toutefois, elle souhaite que la reprise de contacts, bien que progressive, soit établie à un rythme plus soutenu de façon à lui permettre de reprendre la charge de son enfant vers la fin ou, au plus tard, à l’expiration de la période de 6 mois.

[68]        Le père et l’avocate de l’enfant partagent la position de la Directrice.

A.         Le Droit

1.         Droit international

[69]         La notion de l’intérêt supérieur de l’enfant apparait pour la première fois en droit international par l’adoption en 1959, à l’assemblée générale des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’enfant [15]:   

2. L’enfant doit bénéficier d’une protection spéciale et se voir accorder des possibilités et des facilités par l’effet de la loi et par d’autres moyens, afin d’être en mesure de se développer d’une façon saine et normale sur le plan physique, intellectuel, moral, spirituel et social, dans des conditions de liberté et de dignité. Dans l’adoption de lois à cette fin, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération déterminante.

[70]        Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant en droit international est repris avec davantage de force et rigueur dans la Convention relative aux droits de l’enfant[16] (Convention), dont il constitue un principe phare. Les dispositions pertinentes de la Convention à cet égard sont :

3.   Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. […]

9. Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.

[…]

Les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

18. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant.

[71]        L’article 3 de la Convention accorde le statut de « considération primordiale » au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’emploi de ces termes signifie que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être priorisé et l’emporter sur toute autre principe ou considération[17].

[72]        L’article 9 de la Convention énonce le principe du maintien de l’enfant au sein de son milieu familial, sous réserve de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[73]        L’article 18 de la Convention expose le principe de la responsabilité première des parents d’élever un enfant et d’assurer son développement; ce devoir devant s’exercer en recherchant son intérêt supérieur.

[74]        La notion de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas définie dans la Convention. Toutefois, dans son Observation générale n14[18] datée du 29 mai 2013, le Comité des droits de l’enfant (Comité) en précise la portée.

[75]        D’abord, le Comité mentionne qu’il s’agit d’une obligation juridique stricte de mise en œuvre, et non d’un pouvoir discrétionnaire des États parties[19]. Le Comité souligne également que ce principe se décline en trois volets, à savoir qu’il s’agit d’un droit de fond, d’un principe juridique interprétatif fondamental et d’une règle de procédure[20].

[76]        Ainsi, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être considéré de manière autonome et distincte. Il doit servir de principe d’interprétation lorsqu’il y a lieu d’interpréter le sens et la portée d’autres dispositions. Enfin, il entraîne des obligations procédurales lorsqu’il doit être statué à ce sujet dans une affaire donnée.

[77]        Le Comité mentionne que l’intérêt supérieur de l’enfant est un « concept dynamique qui embrasse diverses questions »[21] et est « en constante évolution »[22]. Celui-ci doit conséquemment être ajusté et défini en prenant en considération la situation particulière de chaque enfant concerné[23].

[78]        Le Comité énumère certaines caractéristiques devant être prises en compte dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant dans une affaire donnée[24] :

Ces circonstances sont liées aux caractéristiques de l’enfant ou des enfants concernés, dont l’âge, le sexe, le degré de maturité, l’expérience, l’appartenance à un groupe minoritaire et le fait de présenter un handicap physique, sensoriel ou intellectuel, ainsi qu’au milieu social et culturel auquel appartient l’enfant, notamment la présence ou l’absence de ses parents, le fait que l’enfant vit ou non avec eux, la qualité de la relation entre l’enfant et sa famille ou ses pourvoyeurs de soins, la sécurité de son environnement et l’existence de solutions de remplacement de qualité à la disposition de la famille, de la famille élargie ou des pourvoyeurs de soins.

[79]        Le Comité est d’avis que la prépondérance du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant se justifie en raison des caractéristiques inhérentes au statut d’enfant[25]. Puisque les enfants sont moins en mesure de défendre pleinement leurs propres droits, ceux-ci tendent à être négligés s’ils ne sont pas mis en évidence et priorisés[26]. En conséquence, lorsque les intérêts de l’enfant entrent en conflit avec ceux d’autres personnes, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant implique que les siens doivent se voir accorder un plus grand poids. Cette approche s’insère d’ailleurs dans une optique du droit international des droits de la personne, puisqu’elle permet de reconnaître et de promouvoir la dignité humaine de l’enfant[27].

[80]        La Convention a été ratifiée par le Canada le 13 décembre 1991 et par le Québec le 9 décembre 1991. Il ne s’agit toutefois pas d’une incorporation directe et explicite en droit interne, mais d’un engagement pour le Canada et pour le Québec de mettre en œuvre la Convention dans l’ensemble de ses actions, notamment dans sa législation, ses politiques et ses divers programmes.

2.         Droit interne

[81]         Les dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse pertinentes à la résolution de ce litige sont :

2.2. La responsabilité d’assumer le soin, l’entretien et l’éducation d’un enfant et d’en assurer la surveillance incombe en premier lieu à ses parents.

3. Les décisions prises en vertu de la présente loi doivent l’être dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits.

 

Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation. Dans le cas d’un enfant autochtone, est également prise en considération la préservation de son identité culturelle.

 

4. Toute décision prise en vertu de la présente loi doit tendre à maintenir l’enfant dans son milieu familial.

 

Lorsque, dans l’intérêt de l’enfant, un tel maintien dans son milieu familial n’est pas possible, la décision doit tendre à lui assurer, dans la mesure du possible auprès des personnes qui lui sont les plus significatives, notamment les grands-parents et les autres membres de la famille élargie, la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins et à son âge et se rapprochant le plus d’un milieu familial. De plus, l’implication des parents doit toujours être favorisée dans la perspective de les amener et de les aider à exercer leurs responsabilités parentales.

 

Lorsque, dans l’intérêt de l’enfant, le retour dans son milieu familial n’est pas possible, la décision doit tendre à lui assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie appropriées à ses besoins et à son âge de façon permanente.

 

[…].

[82]        L’article 2.2 de la LPJ édicte le principe de la primauté de la responsabilité parentale.

[83]        L’article 3 de la LPJ promulgue le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant et du respect de ses droits. Cet article reprend en cela la formulation de l’article 33 du Code civil du Québec. L’article 3 LPJ comporte toutefois une dimension supplémentaire dans son énumération des facteurs à prendre en compte, soit la préservation de l’identité culturelle dans l’évaluation de l’intérêt supérieur d’un enfant autochtone.

[84]        L’article 4 de la LPJ édicte le principe du maintien de l’enfant dans son milieu familial.

[85]        L’interrelation, voire dans certains cas l’opposition entre ces divers principes établis par la LPJ, ont fait l’objet d’une abondante jurisprudence.

[86]        Dans Protection de la jeunesse — 12249[28], le juge Robert Proulx reprend la position souvent exprimée en jurisprudence selon laquelle l’intérêt de l’enfant et le respect de ses droits édicté à l’article 3 de la LPJ « constitue le principe fondamental de la Loi sur la protection de la jeunesse »[29].

[87]        Dans Re : X[30], la juge Ginette Durand-Brault étudie plus spécifiquement l’interrelation entre les principes énoncés aux articles 2.2, 3 et 4 de la LPJ en examinant deux avenues. La première étant que ces principes soient sur un pied d’égalité, auquel cas les mesures ordonnées doivent chercher à les concilier. La deuxième étant que l’intérêt de l’enfant et le respect de ses droits constituent le principe fondamental de la LPJ de telle sorte qu’il ait préséance sur les autres principes de cette loi.

[88]        La juge Durand-Brault, après avoir entrepris une revue de la jurisprudence de la Cour suprême, résout ce « dilemme cornélien »[31] en tranchant en faveur de la prédominance du principe de l’intérêt de l’enfant et du respect de ses droits :

[66] Sans l’ombre d’un doute, il résulte de ce jugement comme des autres qu’à chaque fois que le sort d’un enfant est concerné, qu’il s’agisse d’un conflit privé entre les parents ou d’un recours initié dans le cadre d’une loi d’ordre public comme la Loi sur la Protection de la jeunesse, l’intérêt de l’enfant est maintenant indiscutablement reconnu comme le critère ultime à l’aulne duquel tous les autres principes doivent se mesurer. Et parmi les éléments à considérer pour appliquer ce critère, la notion d’attachement se trouve au premier rang.

[89]        Dans Protection de la jeunesse — 0856[32], le juge Gilbert Lanthier se penche sur la reformulation, en 2007, de l’article 4 de la LPJ favorisant le maintien de l’enfant au sein de son milieu familial. Au terme de son analyse, il conclut que le nouvel article 4 de la LPJ ne remet nullement en question la considération primordiale à octroyer au principe de l’intérêt supérieur de l’enfant prévu à l’article 3 LPJ :

[86] D’aucuns prétendront que ces nouvelles dispositions ont relégué le critère de l’intérêt de l’enfant au second rang devant l’obligation qu’a le Tribunal de privilégier dans un premier temps le maintien et/ou le retour de l’enfant dans son milieu familial.

 

[87] Le Tribunal considère que les décisions rendues notamment par la Cour Suprême du Canada en ce qui concerne l’application au premier plan, du critère de l’intérêt de l’enfant, reçoivent toujours application malgré l’entrée en vigueur du nouvel article 4 de la Loi sur la protection de la jeunesse le 9 juillet dernier [2007].

                                                                                                  (Références omises)

[90]        Dans Protection de la jeunesse — 10 174[33], la Cour d’appel doit statuer sur l’étendue de la discrétion dévolue au Tribunal à l’expiration des délais maximaux de placement édictés à l’article 91.1 de la LPJ. Ce faisant, la juge France Thibault lie l’interprétation de cette disposition aux articles 3 et 4 de la LPJ. Elle qualifie alors le principe de l’intérêt de l’enfant et le respect de ses droits comme étant le « critère déterminant » :

[77] L’économie générale de la Loi sur la protection de la jeunesse vise à tout mettre en œuvre afin d’assurer la sécurité ou le développement de l’enfant (articles 2 et 2.3 de la Loi) selon un critère déterminant en l’occurrence son intérêt (article 3 de la Loi).

[91]        La Cour d’appel conclut alors que la LPJ ne prévoit aucun automatisme faisant en sorte que le Tribunal doive rendre une mesure permanente à l’expiration des délais maximaux de placement. La discrétion judiciaire dévolue au Tribunal à cette étape, balisée par la LPJ, est jugée essentielle à la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[92]        Saisie de la même question de droit dans Protection de la jeunesse — 0922417[34], la juge Danielle Richer de la Cour supérieure adopte une approche similaire en interprétant l’article 91.1 de la LPJ en corrélation avec les principes énoncés aux articles 3 et 4 de la LPJ. La juge Richer règle le litige en mettant à l’avant-plan la prédominance de l’intérêt de l’enfant :

[41] Quant à l’article 91.1, le Tribunal est d’avis qu’il faut en faire une interprétation suffisamment souple, de manière à favoriser à la fois les grandes orientations de la loi découlant des articles 3 et 4, tout en favorisant la discrétion du juge dans l’appréciation des faits de l’espèce, de façon à faire prédominer l’intérêt de l’enfant.

[93]        Au terme de l’analyse, la juge Richer rejette l’appel de la Directrice contestant le refus du Tribunal, à l’expiration du délai maximal de placement, de rendre une ordonnance de placement de l’enfant en famille d’accueil jusqu’à sa majorité.

[94]        En ce qui a trait à l’article 33 du Code civil du Québec, plus récemment, la Cour d’appel, dans Droit de la famille — 191265[35], réitère que « l’intérêt de l’enfant est le critère primordial qui doit être considéré ».

[95]        À la lumière de la jurisprudence précitée, le Tribunal entend accorder toute la considération et l’importance que méritent les principes de la responsabilité dévolue en premier lieu aux parents de répondre aux besoins fondamentaux de l’enfant et du maintien de l’enfant au sein de son milieu familial. Toutefois, en cas de conflit entre ces deux principes et celui de l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de ses droits, ils y seront subordonnés.

B.        La situation de la mère

1.         Court historique

[96]        La mère a vécu avec X de la naissance de son enfant le [...] 2014 jusqu’au 17 juillet 2014. La mère n’a jamais assumé seule la charge de son enfant.

[97]        Le 10 mars 2014, X et sa mère intègrent la ressource A, au sein du programme Mère/enfant, afin de recevoir des services visant le développement de ses habiletés parentales.

[98]        Dans le bilan d’intervention de cette ressource, la conclusion se lit comme suit[36] :

Nous sommes d’avis que Madame possède les compétences minimales pour répondre aux besoins de base de son enfant à court terme. Par contre, nous sommes préoccupés par sa capacité limitée à comprendre l’évolution du développement ainsi que des besoins de son fils qui changent en grandissant. Madame a une pensée rigide qui s’adapte difficilement aux changements et qui nécessite un suivi constant et des explications détaillées et simplifiées. Son anxiété demeure un défi au quotidien qu’elle doit apprendre à gérer de façon plus autonome, car présentement, face à une situation de stress, elle a besoin d’une aide extérieure pour tenter de la rassurer. Madame est capable d’acquérir de nouvelles compétences, cependant, elle a besoin d’être accompagnée à tous les jours dans le faire avec, et ce, de façon répétée. Il en est de même pour tout ce qui a trait à ses démarches personnelles et ses papiers importants. Malgré toutes les difficultés rencontrées, Madame demeure persistante et déterminée à rester auprès de son fils et à faire tout ce qu’il faut pour atteindre son objectif.

[99]        Le 5 juin 2014, X et sa mère intègrent la [ressource B]. Cette ressource accueille des jeunes mères avec leur enfant en bas âge. Elle offre un milieu de vie encadré et des services visant le développement des habiletés parentales, l’accompagnement pour les soins physiques et affectifs à donner à l’enfant et le développement de l’autonomie. X et sa mère y résident jusqu’au 17 juillet 2014.

[100]     Somme toute, les intervenants de la [ressource B] relèvent des lacunes similaires à celles observées à la [ressource A]. Des difficultés d’organisation et à décoder les besoins de l’enfant sont présentes. Au surplus, l’anxiété de la mère peut s’avérer envahissante. En dépit de la bonne volonté de la mère, les intervenants de cette ressource concluent « que la mère n’est pas dotée de capacités parentales pour poursuivre son développement »[37].

[101]     En outre, une évaluation psychiatrique de la mère effectuée le 5 février 2014 conclut aux diagnostics suivants [38]:

Ø  Trouble de personnalité limite probable, actuellement bien compensé ;

Ø  Trouble de déficit de l’attention symptomatique, notamment avec une diminution de l’attention (secondaire à hémodilution de la médication en lien avec la grossesse ?) ;

Ø  Connue pour une déficience intellectuelle légère ;

Ø  Nous n’avons vu aujourd’hui aucun symptôme compatible avec un syndrome de Gilles de la Tourette.

[102]     La condition psychiatrique de la mère est toutefois considérée comme étant stable, la psychiatre écrivant que « la patiente actuellement ne présente pas de condition nécessitant un suivi en psychiatrie »[39].

[103]     Le […] 2014, le Tribunal confie l’enfant à son père pour une période de 6 mois et ordonne que les contacts entre la mère et son enfant s’effectuent sous la supervision d’une tierce personne.

[104]     À compter de cette date, l’enfant résidera avec son père jusqu’au 29 avril 2019 en exécution d’ordonnances du Tribunal et de la Cour supérieure lui confiant la garde de l’enfant et qui reconduiront la supervision des contacts entre la mère et l’enfant.

[105]     Par ailleurs, le [...] 2017, la Cour supérieure rejette une demande de la mère afin que ses droits d’accès à ses enfants Y et X soient plutôt supervisés par son conjoint. 

[106]     Dans son jugement, le juge A conclut que « […]»[40] et […] »[41].

2.         La mère, son conjoint et ses autres enfants

[107]     Qu’en est-il maintenant de l’évolution de la situation de la mère depuis la dernière ordonnance rendue en matière de protection de la jeunesse par le Tribunal, le 30 mai 2018 ?

[108]     En toile de fond, soulignons que dans cette ordonnance, le Tribunal relève l’inconstance de la mère dans l’exercice de ses droits d’accès supervisés avec ses enfants[42] :

[67] À l’automne 2017, elle [la mère] a même cessé ses contacts durant un mois et demi.

[68] Depuis le 12 décembre 2017, sur une possibilité de 21 contacts, 11 contacts ont été actualisés avec les deux enfants.

[69] À compter du 28 février 2018 jusqu’à ce jour, X a bénéficié de contacts seul avec sa mère. Ces contacts se passent généralement bien. Toutefois, lors de plus de la moitié des contacts, X manifeste le désir de quitter la visite avant la fin. Dans les autres cas, il souhaite qu’il se continue.

[70] La mère annulera ses contacts à 4 reprises, souvent à la dernière minute. X réagit fortement. Il est alors inconsolable

[109]     Le dernier contact entre X et sa mère a lieu le 28 mai 2018.

[110]     Au cours des 6 mois qui suivent l’ordonnance du 30 mai 2018, la mère décide de suspendre ses contacts avec X.

[111]     La mère justifie sa décision en invoquant son désaccord profond avec l’ordonnance du 30 mai 2018 prévoyant, d’une part, le maintien sous supervision de ses relations personnelles avec X, et, d’autre part, lui interdisant dorénavant toute forme de contact avec Y.

[112]     La mère craignait qu’en maintenant des contacts avec X sans qu’il n’en soit ainsi avec Y, sa fille interprète cette situation comme un abandon ou une préférence de la part de la mère envers X.

[113]     En somme, la position de la mère était que ses enfants devaient recevoir le même traitement. Ainsi, soit elle exerçait des contacts avec ses deux enfants, soit elle n’en exerçait aucun à leur égard. Compte tenu de l’ordonnance du 30 mai 2018, la dernière option devenait, à son avis, la seule qu’elle pouvait envisager.

[114]     En rétrospective, la mère reconnaît que sa réflexion et sa prise de position ne faisaient que peu de cas des besoins de X et des impacts qui pouvaient en découler auprès de lui.

[115]     D’autre part, la mère invoque ses propres limites et son épuisement circonstanciel pour justifier son retrait de la vie de X pendant cette période :

Ø Elle est sous le choc et abattue par l’ordonnance du 30 mai 2018 lui interdisant tout contact avec Y ;

Ø Elle assume la responsabilité première de répondre aux besoins fondamentaux de son enfant A, âgée de deux ans ;

Ø Elle est enceinte d’une autre enfant, B, qui naîtra en [...] 2018

[116]      La combinaison de ces facteurs conduit la mère à vivre une période de dépassement et de détresse au cours de laquelle elle a des idéations suicidaires. Elle est souvent en pleurs et inconsolable de longues heures, étendue en position fœtale sur son lit.

[117]     Voulant se ressaisir, la mère, après avoir consulté des personnes en qui elle a confiance, décide de consacrer toutes ses ressources personnelles pour se reprendre en main, recouvrer un certain bien-être, mener à terme sa grossesse et assumer au meilleur de ses capacités les soins, l’entretien et l’éducation de A, puis de B, à compter de sa naissance. À cette fin, la mère conclut, à regret, qu’elle devait suspendre temporairement ses contacts avec X.

[118]     En novembre 2018, la mère considère avoir suffisamment cheminé et être en mesure de renouer les liens avec X. Le 20 novembre 2018, elle téléphone au nouvel intervenant assigné par la Directrice à la prise en charge de la famille, M. [intervenant 2], lui laissant un message de la rappeler.

[119]     Le 29 novembre 2018, M. [intervenant 2] tente de joindre la mère, sans succès.

[120]     Également, les 21 et 29 novembre 2018, la mère communique avec une responsable de l’organisme A chargé de la supervision de ses contacts avec X afin de les réinstaurer.

[121]     La mère est informée qu’elle a une dette de 40 $ envers [l’organisme A] et que la reprise des services est conditionnelle au remboursement de cette somme. La mère convient de se rendre à l’organisme le 5 décembre pour acquitter cette dette.

[122]     Lors de la communication téléphonique du 29 novembre 2018, la mère informe [l’organisme A] qu’elle n’est pas en mesure de recevoir d’appel. Ce fait est d’importance dans le contexte où la mère soutient ne jamais avoir reçu de retour d’appel de la part de M. [intervenant 2] à la suite de son appel du 20 novembre 2018.

[123]     Bien que le Tribunal croit la mère, il ne peut en conclure que M. [intervenant 2], qui n’a pas témoigné[43], n’a pas tenté de la rappeler, vu l’incapacité contemporaine de la mère à recevoir des appels.

[124]     En outre, la possibilité pour la Directrice de communiquer avec la mère par téléphone ou autrement, de la fin de l’automne 2018 jusqu’au printemps 2019, est complexifiée par l’instabilité résidentielle de la mère, que nous verrons plus loin, et par le fait que la Directrice ne dispose que de l’ancien numéro de cellulaire de la mère. Bien que ce numéro de téléphone ait été et demeure toujours en vigueur, le cellulaire est en possession d’une connaissance de la mère, G, depuis environ le mois de janvier 2019. Encore là, cette affirmation a un aspect bien approximatif qui n’exclut pas l’hypothèse selon laquelle ledit cellulaire bien avant.

[125]     Le 5 décembre 2018, la mère ne se présente pas à l’organisme A, tel que convenu, afin de rembourser sa dette de 40 $. La mère ne dispose pas de cette somme à ce moment, vu sa situation financière très précaire.

[126]     En décembre 2019, la mère et son conjoint se séparent. Ils conviennent alors d’une garde partagée de leurs enfants A et de B. Notons que le conjoint de la mère et le père de X et de Y sont des frères.

[127]     Fin mars/début avril 2019 jusqu’en juin 2019, la mère confie les enfants à son conjoint. Celui-ci réside chez sa propre mère, Mme H (grand-mère paternelle de X, Y, A et de B).

[128]     Pendant cette période, le conjoint de la mère assume la responsabilité première de veilleurs aux soins, à l’entretien et à l’éducation de ses enfants non sans difficulté, notamment sur le plan de l’hygiène.

[129]     La mère demeure toutefois impliquée auprès de ses enfants en les visitant régulièrement. Il arrive que la mère séjourne une fin de semaine complète chez la grand-mère paternelle afin de bénéficier d’un contact prolongé avec ses enfants. La mère en profite alors pour donner aux enfants les soins requis.

[130]     Au soutien de sa décision de confier les enfants à son conjoint pour la quasi-totalité du printemps 2019, la mère invoque en témoignage les motifs suivants :

Ø  Elle est ébranlée par sa séparation et se sent fragile sur le plan psychologique, ce qui affecte sa capacité à répondre aux besoins fondamentaux de A et de B ;

Ø  Elle vit de l’instabilité résidentielle :

·        En décembre 2018 et en janvier 2019, la mère s’installe chez son frère à Ville B ;

·        En février 2019, elle se procure un logement à Ville C qu’elle partage avec une connaissance ;

·        L’immeuble de Ville C étant devenu insalubre, la mère retourne chez son frère à Ville B en mai 2019. Celui-ci l’accueille pour un court dépannage ;

·        Au cours de ce même mois, la mère trouve refuge auprès de la mère d’un ami à Ville C ;

·        En juin 2019, la mère s’installe temporairement chez la grand-mère paternelle ;

·        À la fin du mois de juillet 2019, la mère emménage dans son propre logement.

[131]     Soulignons que la mère n’informe pas la Directrice de ses multiples déplacements. Conséquemment, la correspondance de la Directrice adressée à la mère demeure sans suite.

[132]     Or, cette correspondance de la Directrice vise des sujets de première importance :

Ø  Dans une lettre datée du 3 décembre 2018, Mme [intervenante 3] invite la mère à prendre contact avec elle afin de discuter de la situation de Y qui fait l’objet d’un nouveau signalement. Mme [intervenante 3] informe également la mère avoir tenté de la joindre par téléphone sans succès ;

La lettre est retournée à l’expéditrice avec la mention « déménagée, adresse inconnue ».

Ø  Le 22 mars 2019, M. [intervenant 2] expédie à la mère une lettre la convoquant à un comité de révision devant avoir lieu le 9 avril 2019 concernant la situation de ses enfants Y et X ;

La mère est absente au comité de révision ;

En témoignage, la mère affirme ne pas avoir reçu cette lettre et que si tel avait été le cas, elle s’y serait assurément présentée ;

Le Tribunal croit la mère dans son affirmation, mais attribue ce quiproquo à son l’instabilité résidentielle et à son défaut d’informer la Directrice de ses nombreux changements d’adresse.

[133]     De fait, la reprise des communications entre la mère et de la Directrice s’effectue à l’hôpital le 30 avril 2019, alors que la mère est au chevet de Y et qu’une intervenante sociale vient voir l’enfant.

[134]     Du début du mois de juin 2019 à la fin du mois de juillet 2019, le conjoint de la mère quitte le domicile de la grand-mère paternelle afin de permettre à la mère de s’y établir et de reprendre la charge de A et de B.

[135]     À partir du moment où la mère intègre avec A et B son logement à la fin du mois de juillet 2019, la mère et son conjoint conviennent d’une nouvelle entente prévoyant une garde partagée des enfants. La mère s’est retrouvée dès lors le parent le plus présent auprès de ses enfants.

[136]     Le [...] 2019, la mère donne naissance à une fille prénommée C. Il s’agit de la troisième enfant issue de l’union de la mère et de son conjoint.

[137]     En septembre 2019, la mère et son conjoint reprennent la vie commune. La mère et les trois enfants rejoignent le conjoint à son logement.

[138]     En octobre 2019, la famille s’établit de manière plus définitive au logement de la mère et y réside à ce jour.

3.         Les suivis de la mère

[139]     Au cours des années, la mère participe à divers suivis visant à améliorer ses habiletés parentales et à cheminer positivement sur le plan personnel. Le Tribunal mentionnera les plus contemporains et pertinents.

[140]     Du mois d’octobre 2016 au mois de mai 2017, la Directrice offre un suivi social à la mère et à son conjoint pour mettre fin à une situation de risque sérieux de négligence parentale envers A.

[141]     La mère et son conjoint assistent alors à des rencontres dans le cadre du programme « A » offert par le CLSC. Il s’agit d’un programme d’intervention en prévention pour les familles qui vivent dans un contexte à plus grand risque de négligence.

[142]     De surcroît, les parents bénéficient du soutien d’un éducateur en milieu familial et d’une intervenante sociale, tous deux relevant de la prise en charge de la famille par la Directrice.

[143]     Dans le cadre de ces suivis, la mère et son conjoint reconnaissent leurs lacunes respectives et participent activement aux mesures visant à améliorer leurs habiletés parentales. La mère et son conjoint accomplissent des progrès significatifs à cet égard.

[144]     Plus particulièrement en ce qui concerne la mère, celle-ci « s’est grandement impliquée »[44] dans les suivis offerts afin de mieux comprendre les besoins de A et d’y répondre adéquatement. La mère déploie des efforts « pour travailler ses lacunes »[45] et fait de nombreuses lectures pour améliorer ses connaissances.

[145]     Satisfaite du cheminement de la mère et de son conjoint et considérant la sécurité et le développement de A comme n’étant plus compromis, la Directrice met fin à son intervention en mai 2017.

[146]     Les parents intègrent volontairement par la suite le programme SIPPE du CLSC (Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance) pour y recevoir des services pluridisciplinaires.

[147]     Hormis une interruption de novembre 2017 à mars 2018 en raison du déménagement de la famille, les services du programme SIPPE demeurent en vigueur à ce jour.

[148]     Ainsi, Mme [infirmière 1], infirmière au CIUSSS A, intervient auprès de la mère, notamment pendant ses grossesses relatives à B et C, en application du programme d’aide alimentaire pour femmes enceintes (OLO). Avec le temps, le suivi de Mme [infirmière 1] excède largement son mandat initial et offre à la mère un suivi plus personnel.

[149]     Au départ, Mme [infirmière 1] se rend au domicile des parents chaque semaine. Peu après la naissance de C, ce suivi s’effectue à une fréquence d’une fois aux deux semaines.

[150]     La mère a établi un lien de confiance avec Mme [infirmière 1]. La mère lui est reconnaissante pour la qualité et l’étendue des services qu’elle lui procure, tant sur le plan personnel qu’en tant que mère, de même qu’à sa famille.

[151]     Dans le cadre du programme SIPPE, la famille bénéficie également des services de Mme [intervenante 6], spécialiste en activité clinique et psychoéducatrice au CIUSSS A. Mme [intervenante 6] offre un suivi social à divers volets. Elle intervient auprès des parents pour traiter d’enjeux personnels, de couple de même que le développement des habiletés parentales.

[152]     Mme [intervenante 6] nous dresse le portrait de la mère comme étant « une bonne cliente ». Mme [intervenante 6] est bien accueillie au domicile de la mère qui démontre de l’intérêt pour ses services. La mère écoute, pose des questions et cherche à appliquer les enseignements et les conseils prodigués.

[153]     Bien que la progression de la mère ne soit pas linéaire, le portrait global révèle des apprentissages favorisant le développement de ses habiletés parentales. En revanche, l’impulsivité de la mère demeure une préoccupation.

[154]     Mme [intervenante 6] mentionne que la séparation de la mère de son conjoint a conduit à une désorganisation de la famille qui a eu des impacts sur les enfants, notamment sur le plan de l’hygiène et de la tenue vestimentaire au printemps 2019.

[155]     En outre, au moment du décès de Y, la mère est devenue temporairement moins disponible sur le plan de la présence et sur le plan affectif auprès de ses filles ; ce que le Tribunal conçoit aisément.

[156]     De son côté, le père de A et B, à lui seul ou avec l’aide d’une nouvelle conjointe de courte relation, s’est rapidement retrouvé dans un état de dépassement devant l’ampleur de la charge parentale. Pris au dépourvu, le père a négligé l’hygiène et la stimulation des enfants.

[157]     À partir du moment où la mère est redevenue la principale donneuse de soins, la situation s’est résorbée. La mère et son conjoint ayant repris la vie commune, celui-ci assure un soutien et assume certaines tâches parentales auprès de ses enfants.

[158]     Enfin, la mère et son conjoint bénéficient des services d’une technicienne en éducation spécialisée dans le domaine de la petite enfance, Mme [intervenante 7]. Celle-ci œuvre auprès des parents et des enfants, particulièrement en ce qui concerne la stimulation.

[159]     Des démarches entreprises par Mme [intervenante 7], de concert avec ses collègues et en collaboration avec le Centre de la petite enfance fréquentée par les enfants, ont fait en sorte que B puisse bénéficier plus récemment d’un suivi en ergothérapie.

[160]     Depuis l’instauration des suivis précités, la mère est généralement assidue aux rencontres qui sont planifiées, hormis la période correspondant à son instabilité résidentielle et pendant laquelle elle a été plus profondément affligée par le décès de Y.

[161]     Les résultats des apprentissages de la mère, découlant de ses nombreux suivis, ont été dans une large mesure constatés par Mme [intervenante 4] et M. [intervenant 5]. En juin et juillet 2019, ceux-ci ont été chargés d’évaluer un signalement de négligence parentale concernant A. Notons qu’ils œuvrent au sein d’un établissement distinct et indépendant, soit le CISSS B.

[162]     Dans le cadre de leur évaluation, Mme [intervenante 4] et M. [intervenant 5] ont rencontré de nombreuses personnes, dont la mère et son conjoint qui ont été assidus lors des 5 entrevues, ont visité les milieux de vie des enfants et ont consulté une abondante documentation.

[163]     La reproduction de la nomenclature des personnes rencontrées est pertinente, tant elle est complète :

Ø A, l’enfant ;

Ø B, l’enfant ;

Ø La mère ;

Ø Le conjoint de la mère ;

Ø Mme I, directrice, C.P.E. A ;

Ø Mme [intervenante 6] ;

Ø Madame [intervenante 7] ;

Ø Madame [infirmière 1] ;

Ø La grand-mère paternelle ;

Ø Madame [intervenante 8], directrice générale de l’organisme A ([organisme B]).

[164]     Le rapport de Mme [intervenante 4] et de M. [intervenant 5] relève les principaux constats suivants :

Ø  La mère est active et centrée sur les intérêts de ses enfants ;

Ø  Les enfants se réfèrent à leurs parents ;

Ø  La mère et son conjoint sont chaleureux et affectueux envers leurs enfants ;

Ø  Le logement du conjoint est relativement propre, convenablement meublé et organisé en fonction des besoins des enfants ;

Ø  Le logement de la mère est propre, bien ordonné et adéquat ;

Ø  La mère est en mesure d’organiser la famille au quotidien ;

Ø  Hormis la période de crise plus aigüe au printemps 2019, la mère parvient à maintenir une stabilité familiale favorisant le bon développement de ses enfants ;

Ø  La mère est « énergique […] débrouillarde et se montre proactive face à ses difficultés et face aux besoins de ses enfants » [46];

[165]     Mme [intervenante 4] et M. [intervenant 5] sont aussi d’avis que si la mère et son conjoint peuvent avoir encore certaines lacunes, les qualités de l’un pallient les difficultés de l’autre, ce qu’ils considèrent comme étant un facteur d’équilibre de la famille.

[166]     Mme [intervenante 4] et M. [intervenant 5] relèvent également que la reconnaissance de la mère et de son conjoint de ce qu’ils doivent améliorer et leur mobilisation dans les nombreux services déjà en place constituent un important facteur de protection.

[167]     Conséquemment, Mme [intervenante 4] et M. [intervenant 5] concluent que la sécurité et le développement de A ne sont pas compromis et qu’aucune intervention de la Directrice n’est requise auprès de la famille de la mère, de son conjoint et de leurs enfants A et B[47].

[168]     L’évolution de cette famille demeure positive depuis la rédaction du rapport de Mme [intervenante 4] et de M. [intervenant 5] à la fin juillet 2019.

4.         Conclusion sur l’évolution de la mère

[169]     Le Tribunal conclut que la mère a amélioré de manière significative ses habiletés parentales et a effectué un cheminement positif sur le plan personnel. À cet égard, force est de constater que les accomplissements de la mère excèdent les attentes et les pronostics des premiers professionnels qui sont intervenus auprès d’elle à la suite de la naissance de son tout premier enfant, Y.

[170]     Certes, les habiletés parentales de la mère restent à parfaire et son impulsivité peut la mener à faire des choix discutables. Néanmoins, la preuve révèle que la mère franchit le seuil de compétence requis afin d’être en mesure d’assumer la garde de ses trois enfants en bas âge.

[171]     Ajoutant à cette conclusion la persévérance de la mère dans ses suivis actuels et son désir d’en retirer tous les bénéfices, le Tribunal considère la mère comme étant une personne en mesure de répondre aux besoins fondamentaux de ses filles, soucieuse de leur bien-être et de leur meilleur intérêt.

C.        La situation de X

[172]     X est un jeune enfant ayant un vécu d’une lourdeur inouïe. Il a été victime d’abus physiques de la part de son père et de sa conjointe. Il a aussi été exposé à des gestes de violence en étant témoin, à tout le moins en partie si ce n’est davantage, aux graves sévices subis par Y qui ont conduit à son décès.

[173]     Âgé de seulement 5 ans, X est déjà aux prises avec les séquelles découlant d’un milieu de vie toxique et d’une histoire de vie pénible.

[174]     Mme [intervenante 1], intervenante à la prise en charge de X et de sa famille, du mois d’avril au mois de juin 2019[48], a référé l’enfant à Mme [psychologue 1], psychologue.

[175]     Mme [psychologue 1] a reçu le mandat de procéder à une évaluation psychologique de l’enfant afin d’obtenir une description de son profil psychologique et d’identifier les soins et services de santé requis pour répondre à ses besoins. Le processus d’évaluation a été enclenché à la mi-mai 2019.

[176]     Il en ressort que X présente un retard de développement sur le plan moteur, perceptible en ce qui concerne sa performance graphique et son équilibre. En outre, le rendement intellectuel se situe dans la limite intellectuelle, lui conférant le 6e rang percentile.

[177]     La psychologue note que l’enfant tient des propos et adopte des comportements qui sont compatibles avec des expériences de vie anxiogènes. L’interprétation de tests suggère la présence chez l’enfant « d’angoisses massives »[49] et une perception des relations personnelles comme étant « potentiellement dangereuses »[50].

[178]     À la vue d’images à contenu agressif, l’enfant est envahi par une charge affective lui faisant perdre toutes ses ressources. Des attitudes de déni relevant de la dissociation se manifestent comme mécanisme de défense pour « bloquer l’accès à des expériences trop anxiogènes »[51]. Le thème de la nourriture est également source de préoccupation pour l’enfant.

[179]     La psychologue conclut que l’enfant présente des indices sérieux de traumatisme complexe et manifeste de l’hypervigilance face aux bruits qui supportent fortement l’hypothèse d’un stress post-traumatique.

[180]     De surcroît, il apparaît clairement que les capacités adaptatives de l’enfant ont été sollicitées au maximum et doivent être préservées dans l’avenir immédiat.

[181]     La psychologue explique que le besoin le plus pressant de l’enfant est d’évoluer dans un milieu de vie sain, paisible, sécuritaire, chaleureux, encadrant, capable de décoder ses états internes, d’accueillir ses propos et d’intervenir avec sensibilité et cohésion auprès de lui.

[182]     Une fois le processus d’évaluation complété, Mme [psychologue 1], a immédiatement entrepris avec l’enfant une thérapie par le jeu. Ce suivi se poursuivra tant que requis.

[183]     En ce qui concerne la relation entre la mère et l’enfant, X semble avoir développé un parentage psychologique avec la conjointe du père qu’il identifie comme sa mère. L’enfant se présente d’ailleurs de manière constante devant les personnes comme s’appelant X [nom de famille composé du nom du père et de sa conjointe]. La véritable mère, Mme D, est absente de son discours et de ses préoccupations.

[184]     Ce résultat est attribuable à l’absence de la mère pendant une période importante de sa vie. Indépendamment des circonstances ayant mené à cette absence, du seul point de vue de l’enfant, celui-ci s’y est adapté en apprenant à vivre sans elle.

[185]     Rappelons que la notion du temps chez un enfant, particulièrement en bas âge, est différente de celle d’un adulte. La mère ayant exercé très irrégulièrement ses droits d’accès dans l’année qui a précédé l’ordonnance du Tribunal du 30 mai 2018, puis aucunement dans l’année qui a suivi alors qu’ils étaient permis, cette situation ne peut qu’avoir sérieusement contribué à l’effritement du lien d’attachement qui existait auparavant entre la mère et l’enfant. 

[186]     L’absence importante de la mère auprès de son fils, quelles qu’en soient les raisons, a fait en sorte qu’il se soit tourné vers la figure féminine présente au quotidien, la conjointe du père, pour combler son besoin d’investissement affectif.

[187]     De son côté, la mère invoque que le père et sa conjointe ont eu des comportements d’aliénation parentale visant à l’écarter de la vie de son enfant pour expliquer le fait que son fils considère la conjointe du père comme étant sa mère.

[188]     L’hypothèse d’une dynamique d’aliénation ne peut être balayée du revers de la main à titre d’élément contributif de l’éloignement affectif de X auprès de sa mère.

[189]     Sans toutefois être véritablement en mesure de conclure en ce sens, le Tribunal est néanmoins troublé par le contenu des rapports d’observations des visites de la mère auprès de X et Y, rédigés par l’organisme A. Ceux-ci font état, en regard de leur milieu de vie, de secrets dont les enfants sont porteurs et de craintes de représailles.

[190]     Au surplus, le père refuse que la mère, lors des visites, assume certaines tâches de nature parentale auprès des enfants, présumant qu’elles seront exécutées de manière inadéquate (intolérance alimentaire des enfants, etc.).

[191]     Sur le plan de la santé de X, le rapport médical du pédiatre [pédiatre 1][52], rédigé le 22 juillet 2019, révèle qu’un diagnostic d’ataxie cérébelleuse[53] a été posé alors qu’il était âgé de 16 mois.

[192]     À l’époque, les efforts du milieu hospitalier pour évaluer plus en profondeur la condition médicale de l’enfant se sont avérés vains, y compris lors d’une récidive de la maladie en janvier 2017, en raison de l’absence de mobilisation du père et de sa conjointe.

[193]     Le Dr [pédiatre 1] constate néanmoins une évolution favorable de l’enfant sur le plan neurologique. En rétrospective, il émet l’hypothèse d’une ataxie cérébelleuse post-infectieuse en rémission. L’enfant affiche cependant de la maladresse et une démarche saccadée qui pourraient relever « de difficultés motrices plus larges et d’un retard de développement »[54].

[194]     Le Dr [pédiatre 1] recommande une référence en ergothérapie et en orthophonie. Au surplus, si l’ataxie cérébelleuse devait ressurgir, une évaluation en neuropédiatrie sera requise.

[195]     La Dre [médecin 1] est la médecin de famille de X. Dans son rapport[55], elle indique ne pas avoir rencontré l’enfant pour ses rendez-vous de suivi périodique à l’âge de 3 et 4 ans.

[196]     Lors de l’apparition de symptômes de récidive de l’ataxie cérébelleuse, elle a référé l’enfant en neurologie pédiatrique, mais n’a jamais revu l’enfant par la suite, hormis depuis son placement en famille d’accueil.

[197]     La Dre [médecin 1] a examiné l’enfant en présence de la famille d’accueil le 20 juin 2019. Elle note « une certaine gaucherie au niveau moteur grossier ainsi qu’à la motricité fine »[56]. Elle indique que les progrès de l’enfant à cet égard et concernant le langage, tel que l’en informe la famille d’accueil, « semble[nt] dénoter une partie de manque de stimulation dans ses retards »[57].

[198]     La Dre [médecin 1] recommande que l’enfant soit référé en ergothérapie.

[199]     Par ailleurs, fort heureusement, l’enfant est hébergé au sein d’une famille d’accueil expérimentée démontrant un dévouement exceptionnel à son égard. X évolue favorablement sous la responsabilité de personnes qui satisfont chacune des nombreuses exigences énoncées par la psychologue au sujet des qualités recherchées du milieu de vie.

[200]     La famille d’accueil constitue pour l’enfant une source de bienveillance, de réconfort et une figure de protection. Elle est en mesure d’adapter ses interventions dans les moments de souffrance et lors les peurs exprimées par l’enfant. Elle met en œuvre un encadrement approprié et constant visant à résorber les comportements d’opposition de l’enfant.

[201]     La stabilité du milieu et la prévisibilité de la routine de la famille d’accueil, entre autres qualités, contribuent à l’apaisement de X. Les périodes de transitions, auxquelles l’enfant est particulièrement vulnérable, font l’objet d’un accompagnement ferme, mais en douceur qui sécurise l’enfant.

[202]     À l’audience, la mère reconnaît sans réserve les qualités de la famille d’accueil et lui a exprimé toute sa gratitude.

[203]     La famille d’accueil a également informé le Tribunal qu’elle n’était disponible pour s’investir auprès de l’enfant qu’à moyen terme. En raison de ses plans de retraite qui sont d’un même horizon, elle ne pourra s’engager auprès de l’enfant dans le cadre d’un projet de vie permanent.

D.        Les mesures de placement de l’enfant en famille d’accueil et d’encadrement des contacts entre la mère et son enfant

[204]     Les parties s’entendent pour recommander le placement de l’enfant en famille d’accueil pour une période de 6 mois. À la lumière des observations qui précèdent, le Tribunal adhère à cette recommandation.

[205]     L’objectif de ce placement de même que les modalités du rétablissement des contacts entre la mère et l’enfant portent à contestation. Le Tribunal entend les analyser simultanément tant ils sont interreliés.

[206]     Rappelons auparavant les principaux enseignements jurisprudentiels à cet égard.

[207]     Dans l’arrêt Racine c. Woods[58], la Cour suprême établit le postulat selon lequel un enfant n’est pas la propriété d’un parent, mais un sujet de droit à part entière. En cela, les effets bénéfiques du maintien des relations personnelles entre l’enfant et ses parents doivent s’apprécier du point de vue de l’enfant :

Mais la cour doit se soucier du lien parental comme force positive et significative dans la vie de l’enfant, et non dans la vie du parent. Comme on l’a souvent souligné dans les affaires de garde d’enfant, un enfant n’est pas un bien sur lequel les parents ont un droit de propriété ; c’est un être humain envers lequel ils ont des obligations sérieuses.

[208]     Dans l’arrêt P. (D.) c. S. (C.)[59], la Cour suprême réitère l’approche faisant de l’enfant et de son intérêt supérieur le point de mire de l’analyse. L’extrait suivant fait œuvre de référence :

L’enfant doit être au centre des préoccupations des tribunaux, car ce sont ses droits qui sont en jeu, et non pas ceux des parents. Le critère de l’intérêt supérieur de l’enfant n’implique pas simplement que l’enfant ne doit pas subir de préjudice caractérisé. […]

C’est l’enfant, je le répète, qui doit toujours être le point de mire, et non pas les         intérêts ou les besoins des parents. Le droit de visite et de sortie est un droit           édicté principalement en faveur de l’enfant, et non des parents.

[209]     Dans l’arrêt N.B. (Ministre de la santé et des services communautaires c. L. (M.)[60], la Cour énonce l’importance première de la préservation de la stabilité émotive de l’enfant :

La décision d’accorder ou non un droit d’accès est un exercice délicat qui exige       du juge qu’il apprécie les divers éléments constitutifs de l’intérêt supérieur de       l’enfant. Il lui appartient de déterminer ses intérêts et besoins prioritaires. La stabilité émotive d’une enfant est de première importance. Si l’enfant est       indûment troublé par un droit de visite, celui-ci n’est généralement pas accordé.

La preuve de la façon dont s’est exercé un droit de visite est très pertinente, à la fois quant à l’attitude du parent et quant aux effets des visites sur l’enfant. […] Tout parent doit faire passer l’intérêt de son enfant avant le sien. Son incapacité de le faire jointe au préjudice subi par l’enfant sont des indications pouvant mener à une interdiction d’accès.  

                                                                                                  (Références omises)

[210]     Dans l’arrêt Young c. Young[61], la Cour suprême souligne le caractère distinctif des décisions en matière de garde et de droits d’accès par rapport aux autres litiges de même que les facteurs à pondérer dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant :

Contrairement à la plupart des questions dont les tribunaux sont saisis, ces décisions s’articulent autour des « personnes » plutôt qu’autour de leurs « actes » […]. Les tribunaux sont appelés à prédire des événements futurs plutôt qu’à évaluer la conséquence juridique de gestes antérieurs et à juger des effets de relations variées sur l’intérêt de l’enfant, tout en appréciant d’innombrables variables sans pouvoir recourir à une formule simple.

[…]

Pour déterminer l’intérêt de l’enfant, les tribunaux doivent s’efforcer de pondérer des facteurs tels l’âge, l’état physique, affectif et psychologique, tant de l’enfant que de ses parents, et le milieu particulier dans lequel l’enfant vivra.

[211]     Enfin, dans ce même arrêt et dans P. (D.) c. S. (C.)[62], la Cour suprême indique que la preuve de la concrétisation d’un préjudice n’est pas requise et que l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant comporte également un volet préventif.

[212]     Appliquons maintenant ces concepts à l’affaire à l’étude.

[213]     La preuve révèle qu’un lien d’attachement significatif a déjà uni l’enfant à sa mère. Les paroles et les gestes d’affection réciproques qu’ils exprimaient ou posaient l’un envers l’autre, tel qu’il apparaît des rapports de visites de l’organisme A, sont éloquents. Ne serait-ce que le fait que l’enfant était parfois inconsolable lorsque la mère annulait une visite[63], en constitue une manifestation probante, mais malheureusement douloureuse.  

[214]     Par contre, ce lien d’attachement s’étant gravement détérioré, l’intérêt de l’enfant commande-t-il d’entreprendre une tentative de le reconstruire dans l’état actuel de la situation de la mère et de l’enfant ?

[215]     Nous avons vu de quelle façon la mère a réussi, à travers ses nombreux suivis, à développer suffisamment ses habiletés parentales afin d’être capable d’assumer la garde de A, B et C. Réitérons à cet égard que la Directrice, en juillet 2019, a été d’avis qu’elle n’avait pas à intervenir auprès de cette famille pour assurer la sécurité et le développement des enfants.

[216]     Les capacités parentales de la mère, autrefois facteurs de risque et de vulnérabilité inquiétants, constituent maintenant une composante plus positive de l’analyse.

[217]     Par ailleurs, depuis l’institution de la demande en révision et prolongation de l’ordonnance du 30 mai 2018, la mère a fait une démonstration convaincante de sa volonté et de sa détermination à vouloir renouer les liens avec X et assumer progressivement un rôle parental auprès de lui.

[218]     À cet égard, la mère a été présente à chacun des 10 jours d’audience du Tribunal, même au printemps 2019, alors qu’elle était extrêmement affectée et endeuillée par le décès de sa fille Y. La mère a fait preuve d’un courage qui témoigne de son engagement réel envers X.

[219]     Le Tribunal considère que la mère est maintenant en mesure de représenter, en regard de la qualité du lien parental, une force positive et significative dans la vie de X.

[220]     Cela dit, la section du présent jugement traitant de l’évolution de X a mis en évidence un parcours de vie accablant et traumatisant à en glacer le sang. À 5 ans, il est déjà un écorché de la vie.

[221]     La stabilité émotive de X constitue donc un enjeu de premier ordre. Les capacités d’adaptation de cet enfant ont déjà été sollicitées à l’excès. L’absence prolongée et inexpliquée de la mère (du point de vue de l’enfant), ses conditions de vie dans le milieu du père, les sévices subis et ceux dont il a été témoin, la dislocation soudaine de son milieu de vie et son intégration d’urgence en famille d’accueil sont autant d’épreuves qui font de lui un enfant extrêmement vulnérable.

[222]     C’est donc essentiellement parce que le Tribunal est convaincu que le renouement des liens entre la mère et l’enfant lui sera bénéfique, au-delà de tout ce que la mère a pu autrefois représenter pour lui, qu’il entend le permettre.

[223]     En d’autres termes, la mère a maintenant beaucoup à offrir à X, incluant une facette de l’investissement affectif qu’elle seule est en mesure de faire de manière permanente.

[224]     Une fine expertise clinique et la prudence seront de mises pour enclencher ce processus qui devra se faire avec délicatesse, de manière progressive et en syntonie avec les réactions, les besoins et les désirs de X.

[225]     À cette fin, la psychologue de l’enfant devra être mise à contribution pour établir avec la Directrice les jalons d’un plan concret de réintroduction de la mère auprès de son enfant, et ce, dès le départ et en tout temps en cours de route.

[226]     La reprise des contacts entre la mère et son enfant devra donc se faire en présence et sous la supervision de la Directrice.

[227]     Soyons clair, la supervision exigée est fondée sur la nécessité d’un accompagnement professionnel de la mère et de l’enfant avant, pendant et après chacun des contacts afin de maximiser les chances de succès de ce processus. Il n’est ici aucunement question de supervision pour assurer la sécurité immédiate de l’enfant.

[228]     En ce sens, la Directrice devra confier cette responsabilité à la personne qu’elle estime la plus compétente et habilitée à cette fin. En revanche, il ne saurait être question de s’en remettre à la supervision offerte par l’organisme A ou de même nature. Le Tribunal ne doute pas de la qualité des services dispensés par cet organisme, mais considère que la situation singulière, voire sans précédent de X, ne se situe pas à l’intérieur de son mandat. 

[229]     Le Tribunal entend laisser à la mère, la Directrice et l’enfant la possibilité de convenir de la levée de la supervision selon l’évolution de la situation. Le plan d’intervention de la Directrice devra donc énoncer les objectifs à atteindre et les moyens qui permettront la levée de la supervision. Le Tribunal considère réaliste qu’avant la fin de la prochaine ordonnance, la mère et l’enfant puissent profiter de contacts sans supervision.

[230]     Le Tribunal en appelle à la sensibilité de la mère envers son enfant afin qu’elle reconnaisse que le renouement des liens avec son enfant puisse ne pas se faire de manière constante en phase ascendante. De possibles reculs sont susceptibles de surgir et commanderont les ajustements qui s’imposent.

[231]     À l’expiration de la prochaine ordonnance de 6 mois, la Directrice s’engage à saisir le Tribunal afin de faire un bilan de la situation et entrevoir les perspectives à plus long terme, ce qui est des plus sages.

[232]     Toutes les avenues seront alors considérées, incluant la possibilité d’une réunification de la mère et de l’enfant et, si tel devait être le cas, dans quel horizon. Cette réflexion s’impose d’autant plus qu’un plan de vie permanent maintenant l’enfant au sein de sa famille d’accueil actuelle est exclu, pour le motif que nous avons vu, et qu’un déplacement devra se produire à moyen terme.

[233]     Le Tribunal écarte donc la proposition de la mère voulant que le plan de reprise de contacts soit à ce point ambitieux qu’il prévoie d’ores et déjà la réinsertion de l’enfant auprès de sa mère vers la fin ou dès l’expiration de l’ordonnance de 6 mois. Si le Tribunal devait engager l’enfant dans cette voie, il ferait preuve d’une insouciance et d’une témérité incompatibles avec les considérations précitées.

[234]     En outre, la mère refuse de donner accès à ses suivis à la Directrice concernant son évolution personnelle. Tout au plus accepte-t-elle de l’informer de son assiduité. La mère évoque une rupture du lien de confiance avec la Directrice et craint de moins s’investir dans ses suivis si les informations qui la concernent devaient être divulguées à la Directrice.

[235]     Le Tribunal respecte la décision de la mère et n’entend pas exiger la levée de leur confidentialité.

[236]     En revanche, il est résolument hors de question pour le Tribunal d’ordonner à l’aveuglette une réinsertion de l’enfant auprès de sa mère en présumant que le meilleur des scénarios pour les prochains mois, malgré tous ses impondérables, doive déjà être retenu.

[237]     Le Tribunal préfère nettement faire le point sur la situation dans 6 mois, comme le propose la Directrice, étant entendu qu’aucun scénario ne sera d’emblée écarté quant à l’orientation à plus long terme.

[238]     Le Tribunal réitère avec insistance que la décision qu’il s’apprête à rendre est fondée sur l’intérêt supérieur de X qui en est la considération primordiale. Les principes de primauté de l’autorité parentale et de maintien l’enfant au sein de sa famille, à plus forte raison à ce stade de la vie et compte tenu du vécu de l’enfant, y sont subordonnés.

[239]     Par ailleurs, à l’automne 2019, la Directrice a transféré la prise en charge de la famille du bureau de Ville A en faveur du point de service de Ville D. Par cette décision, la Directrice s’en remet à une nouvelle équipe d’intervenants afin de favoriser le rétablissement, dans une certaine mesure, du lien de confiance de la mère.

[240]     Le Tribunal comprend la position de la mère et ses sentiments lorsqu’elle déclare ne plus avoir confiance en la Directrice. Le simple fait pour la mère de faire minimalement confiance à la nouvelle équipe d’intervenants exigera d’elle un effort incommensurable et beaucoup d’abnégation.

[241]     Un lien de confiance minimal, sans que la mère n’ait à renoncer à son sens critique et à ses récriminations, est toutefois essentiel à l’instauration d’un partenariat. Une véritable concertation des parties offrira de meilleures garanties de reprise positive et durable des relations entre la mère et X, dans son intérêt supérieur.

Troisième question en litige :      La recommandation de la Directrice d’interdire les contacts entre l’enfant et son père est-elle fondée ?

[242]     Lors de la conférence préparatoire, la Directrice recommandait une interdiction des contacts entre l’enfant et son père sauf à des fins thérapeutiques, selon le désir de l’enfant.

[243]     À l’ouverture des audiences, la Directrice a modifié ses recommandations en faveur d’une interdiction de contacts pure et simple. Du coup, la Directrice a informé le Tribunal et les parties que si, à des fins cliniques et dans l’intérêt supérieur de X, elle estimait une reprise de contacts opportune, elle saisirait le Tribunal d’une demande en ce sens.

[244]      Les parties sont en accord avec la nouvelle recommandation de la Directrice, sauf le père qui préfère sa recommandation initiale.

[245]      Le père clame son innocence vis-à-vis les graves accusations portées contre lui à la suite du décès de Y. Le père est en attente de son procès. Il n’appartient pas au Tribunal de statuer sur celles-ci.

[246]      Cependant, les procédures criminelles en cours et la nature de crimes reprochés doivent faire partie de l’analyse, en toile de fond, à plus forte raison lorsque X a été, partiellement ou en totalité, témoin des sévices ayant conduit au décès de Y.

[247]      En outre, X a dévoilé les abus physiques dont il a été victime de la part de son père et de sa conjointe. Or, le père persiste à les nier. Les contacts entre l’enfant et son père, s’ils devaient être permis, ne pourraient donc se situer dans le cadre d’une démarche de réparation et d’apaisement de l’enfant.

[248]     De surcroît, depuis son placement en famille d’accueil, X n’a jamais tenu de propos positifs au sujet du milieu de vie paternel, hormis son attachement pour Z qu’il considère comme étant son frère dans tous les sens de ce terme.

[249]     Non seulement n’évoque-t-il autrement aucun souvenir agréable, mais l’enfant a une propension à tenir spontanément des propos en lien avec le décès de Y, et ce, même envers des étrangers.

[250]     Par ailleurs, l’enfant n’exprime jamais le désir de revoir son père. La seule émotion relatée par X envers son père est un sentiment de colère qu’il a exprimé à l’enquêteur de la Sûreté du Québec lors de son interrogatoire.

[251]     Enfin, la thèse d’un besoin de l’enfant, sur le plan thérapeutique, de bénéficier de contacts avec son père ne prend appui sur aucun élément de preuve. Cette éventualité est entièrement conjecturale et spéculative.

[252]     L’ensemble des considérations qui précèdent, examiné du point de vue de l’enfant et dans son intérêt supérieur, requiert qu’une ordonnance d’interdiction des contacts entre le père et l’enfant soit rendue pour la période recommandée.

Quatrième question en litige :      Quelles sont les tierces personnes avec qui il y a lieu de permettre ou interdire les contacts avec l’enfant pour les 6 prochains mois ?

1.         Z

[253]     La Directrice recommande le maintien des relations personnelles entre l’enfant et Z. Les parties sont en accord avec cette conclusion.

[254]     L’avocate de X est également l’avocate de Z. Elle a discuté de cet enjeu avec ses deux jeunes clients individuellement et confidentiellement. Au surplus, elle a visité le milieu de vie de X qui en a été le guide. X lui a également fait part de ses préoccupations en général et de ses divers d’intérêts. L’avocate informe le Tribunal du consentement des deux enfants.

[255]     X et Z sont unis par un lien d’attachement de type fraternel. De surcroît, X perçoit Z comme une figure de protection et de référence.

[256]     La Directrice a organisé une rencontre entre les deux enfants le 4 octobre 2019. Celle-ci s’est déroulée en présence de leur intervenant social respectif. X et Z étaient manifestement heureux de se revoir. Le contact s’est avéré positif dans l’ensemble et tous deux ont exprimé le souhait de maintenir les relations personnelles.

[257]     [ORDONNANCE INTERDISANT LA PUBLICATION ET LA DIFFUSION DES INFORMATIONS].

[258]     À son retour en famille d’accueil, X est fébrile. Il a une nuit agitée. Somme toute, dès le lendemain, tout est rentré dans l’ordre.

[259]     Cette situation démontre que si, d’une part, le maintien des relations personnelles entre les deux enfants s’impose, elle met en évidence, d’autre part, la nécessité d’un accompagnement professionnel pour une certaine période.

2.         La grand-mère paternelle

[260]     La Directrice recommande une interdiction de contact entre la grand-mère paternelle et X. La mère et la grand-mère paternelle s’y opposent.

[261]     Si la grand-mère paternelle s’est avérée très active et impliquée dans la situation de sa petite fille Y, il en est tout autrement de X. Le Tribunal ne lui en fait aucun reproche, mais simplement le constat.

[262]     Depuis la fin de l’année 2014, la grand-mère paternelle est sans contact avec X et n’en a jamais demandé jusqu’à qu’à l’instigation des procédures actuelles.

[263]     De fait, la grand-mère paternelle et X sont maintenant des étrangers l’un pour l’autre.

[264]     Enfin, le Tribunal a déjà décidé de permettre le renouement des liens entre X et sa mère. Bien qu’étant d’avis que l’intérêt de l’enfant le commande, le Tribunal est conscient que cette démarche s’avèrera exigeante pour l’enfant.

[265]     La stabilité émotive de l’enfant devra être maintenue en en tout temps afin que les meilleures conditions prévalent pour favoriser un renouement durable et positif des liens entre la mère et l’enfant.

[266]     L’introduction de la grand-mère paternelle pourrait perturber cet enfant dont les capacités d’adaptation ont déjà été trop sollicitées. Elle pourrait également avoir des répercussions négatives dans le renouement des liens avec sa mère.

[267]     Conséquemment, les contacts entre la grand-mère paternelle et l’enfant seront interdits pour la durée de l’ordonnance.

3.         M. J et son épouse

[268]     M. J et son épouse sont les parents de la conjointe du père.

[269]     M. J et son épouse ont entretenu des liens étroits avec X à l’occasion des contacts fréquents, que ce soit en le visitant chez lui ou en le recevant à domicile. Ils le considèrent comme leur véritable petit-fils.

[270]     Par ailleurs, M. J visite régulièrement sa fille en détention. Il soutient sa fille de manière indéfectible dans le processus judiciaire criminel auquel elle fait face. À l’audience, il la décrit comme étant une bonne mère.

[271]     Que M. J veuille épauler sa propre fille est tout à fait concevable, compte tenu de la nature de leur lien.

[272]     En revanche, dans l’attente du procès, le maintien des contacts entre M. J et X apparaît pour le moins délicat et incongru.

[273]     Également, les préoccupations que vient d’énoncer le Tribunal, sur la priorité à accorder à la stabilité émotive de l’enfant et le caractère exigeant sur le plan affectif de la reprise des contacts avec sa mère, sont également applicables à M. J et à son épouse.

[274]     Les contacts entre l’enfant et M. J et son épouse seront donc interdits pour la durée de l’ordonnance.  

Cinquième question en litige :     La Directrice a-t-elle lésé les droits de l’enfant ?

[275]     L’article 91 in fine de la LPJ prévoit que lorsque le Tribunal conclut « que les droits d’un enfant en difficulté ont été lésés par des personnes, des organismes ou des établissements, il peut ordonner que soit corrigée la situation ».

[276]     Il est maintenant bien établi que les droits de l’enfant pouvant faire l’objet d’une déclaration de lésion par le Tribunal incluent non seulement ceux édictés en sa faveur par la LPJ, mais également par tout autre texte de loi ou disposition législative[64].

[277]     L’analyse d’une situation pouvant donner lieu à une déclaration de lésion de droits doit se faire en fonction des circonstances qui prévalaient alors et des informations à la connaissance des intervenants sociaux ou qu’ils devaient savoir[65]. Le Tribunal doit donc éviter le piège de l’analyse rétrospective[66].

[278]      L’étendue des droits de l’enfant n’est pas illimitée. Les ressources financières de l’État peuvent restreindre ces droits par des « dispositions législatives et réglementaires relatives à l’organisation et au fonctionnement de l’établissement qui dispense ces services ainsi que des ressources humaines, matérielles et financières dont il dispose »[67].

[279]     Par contre, lesdites dispositions législatives et règlementaires ne peuvent être invoquées lorsqu’elles ont pour effet de mettre en péril les droits d’un enfant[68] ou son meilleur intérêt[69].

[280]     Enfin, la Directrice n’a pas une obligation de résultat lorsqu’elle intervient auprès d’un enfant et de sa famille, mais bien une obligation de moyens[70]. Cela signifie que la Directrice doit avoir recours aux meilleures pratiques d’intervention reconnues selon les règles de l’art pour remplir ses obligations.

[281]     La preuve révèle que Mme [intervenante 9] intervient à compter du mois de février 2018 en soutien à l’évaluation de la situation de Y.

[282]     Le 30 mai 2018, Mme [intervenante 9] est désignée par la Directrice pour assumer le suivi social en apportant aide, conseil et assistance à X, Y et à la famille. Elle demeure en fonction pendant 6 mois, soit jusqu’à la fin du mois d’octobre 2018, moment où elle quitte son emploi pour dorénavant intervenir auprès d’une clientèle en déficience intellectuelle.

[283]     Plus particulièrement en ce qui concerne X, le suivi social et la prise en charge de l’intervenante sociale comportent de graves lacunes en ce que :

Ø  Elle n’a jamais rencontré X et ne l’a donc jamais connu ;

Ø  Elle n’a jamais visité le milieu de vie de X ;

Ø  Elle n’a jamais tenté d’entrer en contact avec la mère.

[284]     En elles-mêmes, de telles carences dans l’intervention de la Directrice auprès d’un enfant et de sa famille sont choquantes. Dans le contexte où la sécurité et le développement de X ont été déclarés compromis aux motifs qu’il encourt un risque sérieux de subir des abus physiques et qu’il est victime de mauvais traitements psychologiques, ces graves lacunes soulèvent l’indignation.

[285]     Or, X devait être au cœur de l’intervention de la Directrice. Malgré son bas âge, il aurait pu s’avérer être une source précieuse d’information sur les conditions de vie qui prévalaient à la maison.

[286]     Cette omission de la Directrice est d’autant plus inacceptable que l’article 69 de la LPJ lui impose l’obligation, pour remplir adéquatement ses fonctions, de « communiquer régulièrement avec l’enfant […] ».

[287]     Il en va de même de l’omission de l’intervenante sociale de se présenter au domicile de l’enfant, lors de rendez-vous planifiés ou de visites inopinées, afin de prendre elle-même connaissance de ses conditions de vie. Suivant ce même article de la LPJ, il s’agit tout autant d’une obligation incontournable de la Directrice de connaître les « conditions de vie de l’enfant en se rendant sur les lieux le plus souvent possible ».

[288]     En outre, la Directrice devait se soucier de la qualité de la réponse aux besoins fondamentaux de X par les personnes qui en avaient la garde.

[289]     À cet égard, le jugement du 30 mai 2018 faisait déjà état du diagnostic d’ataxie cérébelleuse et du retard de développement de la motricité fine et de l’équilibre de l’enfant.

[290]     Si, en date de ce jugement, la situation semblait en voie de se résorber, il incombait toujours à l’intervenante sociale de rencontrer X à intervalles réguliers pour dépister ou consigner toute observation susceptible de constituer des indices d’aggravation des retards de développement et d’agir en conséquence. Ce devoir imposé par la LPJ à la Directrice existe indépendamment de ce que le père et sa conjointe pouvaient bien accepter de révéler.

[291]     Même en faisant abstraction des obligations légales précitées, force est de constater que de ne pas rencontrer X et de ne pas se rendre à domicile, était une stratégie d’intervention hasardeuse pour assurer sa protection.

[292]     En se privant des informations qu’elle aurait ainsi recueillies, la Directrice s’en remettait essentiellement aux renseignements que voulaient bien divulguer le père et sa conjointe[71], soit les deux personnes à la source de la situation de compromission de X. Soulignons, à cet égard, que dans le jugement du 30 mai 2018, le Tribunal avait déjà exprimé des inquiétudes sur la transparence du père[72].

[293]     Quant au fait que l’intervenante sociale n’ait jamais tenté de joindre la mère tout au long de son intervention, il s’agit d’une omission fautive.

[294]     L’ordonnance du 30 mai 2018 prévoyait que les contacts entre X et sa mère s’effectuent en présence d’une tierce personne désignée par la Directrice. Selon l’évolution de la situation, la levée partielle ou totale de la supervision était autorisée.

[295]     Si de tels droits d’accès ont été consentis à la mère, ce n’est que parce que le Tribunal considérait qu’ils étaient dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Conséquemment, l’intervenante avait l’obligation de communiquer avec la mère afin de les mettre en œuvre.

[296]     Rappelons que le droit au maintien des relations personnelles entre un parent et son enfant est un droit qui appartient non pas au parent, mais à l’enfant et édicté en sa faveur. En ne faisant aucune tentative ni quelque démarche que ce soit pour contacter la mère à cette fin, l’intervenante sociale contrevenait à ce droit de l’enfant.

[297]     Certes, la mère a une importante part de responsabilité en ayant pris la décision de se mettre temporairement à l’écart de la vie de X pendant les 6 mois de l’intervention de Mme [intervenante 9].

[298]     En revanche, ce repli de la mère, pour les motifs qu’elle a avancés, ne déliait pas la Directrice de son obligation d’exécuter l’ordonnance. La Directrice ne pouvait attendre passivement que la mère se manifeste. Au contraire, il lui appartenait de prendre l’initiative de joindre la mère, de lui expliquer la dernière ordonnance et de convenir avec elle des modalités de son exécution.

[299]     En l’occurrence, la supervision des contacts avait pour but d’assurer à X un environnement sécuritaire, sans que la mère ne tienne des propos ou adopte des comportements inadéquats en sa présence.

[300]     Cela dit, la supervision des contacts entre un parent et son enfant sous la responsabilité de la Directrice ne doit pas constituer une fin en soi. Cette supervision doit être considérée comme un état transitoire et traité comme tel, particulièrement lorsque le jugement en vigueur en permet la levée.

[301]     Conséquemment, la supervision doit également être accompagnée d’un soutien clinique et professionnel identifiant le cheminement devant être entrepris par le parent et les apprentissages à accomplir en vue de sa levée.

[302]     Il ne s’agissait donc pas, pour la Directrice, de simplement joindre la mère et de convenir d’un calendrier de visites sous la supervision de l’organisme A. La Directrice devait également établir avec la mère un plan d’intervention, en conformité avec ce qui précède, tel que l’exige de surcroît la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS)[73].

[303]     X a ainsi subi une violation importante de ses droits par la Directrice.

[304]     Il serait toutefois fort injuste de faire porter l’odieux de cette situation à Mme [intervenante 9]. Voici pourquoi.

[305]     Peu après avoir été assignée à la prise en charge de X, Y et de sa famille, Mme [intervenante 9], pour des raisons de santé, n’est plus en mesure d’assumer ses fonctions à temps plein.

[306]     Du mois de mai 2018 à la fin du mois d’octobre 2018, Mme [intervenante 9] travaille à temps partiel, soit 2 jours par semaine, suivi de 3 jours par semaine, puis 4 jours par semaine en octobre, soit jusqu’à ce qu’elle quitte son emploi. Pour le mois d’octobre, hormis ses rencontres d’équipe ou avec son chef de service, les 8 jours de travail restant ont été consacrés exclusivement au transfert personnalisé de ses dossiers à ses collègues.

[307]     Qu’advient-il alors du suivi social qu’elle doit offrir aux enfants et aux familles ?

[308]     La preuve révèle que la charge de travail de Mme [intervenante 9] demeure pleine et entière. Aucune mesure d’allègement ou de soutien accru ne lui est offerte pendant toute cette période. 

[309]     La tâche étant déjà lourde lorsqu’elle œuvre à temps plein, Mme [intervenante 9] s’est alors littéralement retrouvée dans l’impossibilité d’assumer l’ensemble de ses obligations envers les enfants et les familles dont elle avait la responsabilité.

[310]     Bref, Mme [intervenante 9] est abruptement mise en situation d’échec par la Directrice.

[311]     Ce dernier constat est non seulement troublant envers X, dont les droits ont été lésés, mais aussi envers les autres enfants et leurs familles dont le suivi social était attribué à Mme [intervenante 9] dans les circonstances que nous venons d’exposer.

[312]     L’intervenante sociale étant dans une situation d’impossibilité de fait de répondre à la demande, d’autres personnes à qui elle devait apporter « aide, conseil et assistance » n’ont vraisemblablement pas reçu les services auxquels ils avaient droit.

[313]     Or, la Directrice, en ne prenant aucune mesure pour pallier les sérieuses restrictions partielles de travail de l’intervenante sociale, ne pouvait qu’anticiper ce résultat.

[314]     Qu’en est-il maintenant du suivi social offert par la Directrice à X et à sa famille à compter du départ de Mme [intervenante 9] ?

[315]     De la fin octobre 2018 au 30 avril 2019, M. [intervenant 2] est désigné par la Directrice pour assumer le suivi social en apportant aide, conseil et assistance à X, Y et à la famille.

[316]     Vu la non-disponibilité de M. [intervenant 2] lors des audiences, la Directrice a personnellement signé un affidavit[74] dont nous reproduisons les extraits pertinents :

12.       Selon les notes au dossier, pour la période d’octobre 2018 à avril 2019, M. [intervenant 2], qui a assumé la délégation, a vu l’enfant X à une reprise lors d’une rencontre à domicile avec le père le 13 mars 2019 ;

13.       C’est à la suite des observations de M. [intervenant 2] ainsi qu’aux propos du père et de sa conjointe, que la table de révision s’est tenue en l’absence de la mère, dûment convoquée, et que la recommandation pour X a été de fermer le dossier à l’échéance de l’ordonnance ;

14.       À ce moment, l’information reçue de la part du père de X était que la situation de ce dernier évoluait positivement et que l’enfant ne présentait pas les mêmes enjeux de comportement que Y ;

[317]     Corrigeons immédiatement cet affidavit, la preuve révèle que la mère n’a pas été « dûment convoquée » à la table de révision qui s’est plutôt tenue à son insu. Il aurait été plus exact d’indiquer que la tentative de convocation de la mère à cette rencontre s’est avérée vaine.

[318]     Cette correction n’est pas sans incidence. L’absence d’une mère à une table de révision alors qu’elle a été dûment convoquée laisse croire, sous réserve d’une explication raisonnable, à un délaissement ou à un désintérêt envers son enfant. En revanche, si la mère n’en a jamais été informée, une telle inférence ne peut être faite.

[319]     Par ailleurs, l’affidavit de la Directrice met en évidence le fait que M. [intervenant 2] n’a « vu » X qu’à une seule reprise pendant toute la période de son intervention.

[320]     Bien que le terme « vu » puisse porter à interprétation, le Tribunal en retient que l’enfant était simplement présent lors de la visite à domicile de M. [intervenant 2] le 13 mars 2019, sans plus.

[321]     Surtout, le Tribunal en retient que X n’a jamais été rencontré de manière personnelle et confidentielle par M. [intervenant 2] afin de s’enquérir auprès de lui de ses conditions de vie. Si tel avait été le cas, les notes d’évolution de M. [intervenant 2] l’auraient reflété.

[322]     Enfin, le Tribunal considère que dans la situation particulière de X et des motifs de compromission en cause, même une véritable rencontre avec son intervenant social aurait été insuffisante, quant à la fréquence, pour respecter l’obligation prévue à l’article 69 de la LPJ de « communiquer régulièrement avec l’enfant […] ».

[323]     Les commentaires précédemment tenus par le Tribunal sur l’absence de telles rencontres, en contravention avec les obligations édictées par l’article 69 de la LPJ, trouvent également application.  

[324]     Le Tribunal conclut que les droits de X ont été lésés par la Directrice.

[325]     Le Tribunal entend exprimer sa réprobation de la situation et sanctionner la lésion des droits de X en émettant un blâme envers la Directrice qui en est imputable.

[326]     Le Tribunal constate, par ailleurs, que depuis le 30 avril 2019, X et sa famille bénéficient d’un suivi social conforme aux exigences de la LPJ et de la LSSSS.

[327]     Un dernier mot.

[328]     La Directrice, chargée de l’application de la LPJ, œuvre au sein du CIUSSS A). Elle travaille également en collaboration avec l’ensemble des ressources d’aide de sa région.

[329]     La question de l’imputabilité de la situation de X et de sa famille se pose donc également à l’égard du CIUSSS A ou des autorités gouvernementales qui ont longtemps refusé d’octroyer à la Directrice les fonds requis pour exercer sa mission.

[330]     À ce sujet, le cri du cœur du chef de service en témoignage est saisissant lorsqu’il souligne qu’au cours des dernières années, ce n’est que depuis le mois de juin 2019 qu’il dispose d’une équipe d’intervenants complète sur le plan des effectifs au bureau de Ville A. Ces fonds additionnels ont été débloqués dans les circonstances que nous connaissons.

[331]     Le Tribunal entend donc porter le présent jugement à l’attention de Mme Régine Laurent, Présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse.

[332]     De son côté, la mère a plaidé que la Directrice avait lésé les droits de X en ne faisant pas en sorte qu’il reçoive sans délai les soins et services de santé requis à la suite du décès de Y.

[333]     Le Tribunal rejette la prétention de la mère. Le Dr [pédiatre 1], dans son rapport addendum du 4 octobre 2019[75], écrit que les démarches entreprises par la Directrice afin que X reçoive les soins de santé physique et psychologique ont été faites en temps utile. Le pédiatre a rencontré l’intervenante sociale, Mme [intervenante 1], le 1er mai 2019 et a convenu avec elle, selon ses disponibilités, d’un premier examen médical de l’enfant le 10 mai 2019.

[334]     Le Dr [pédiatre 1] est du même avis en ce qui concerne le processus d’évaluation psychologique de X enclenché à la mi-mai 2019 qui n’a souffert d’aucun retard indu.

[335]     Quant à l’opportunité d’une intervention d’urgence en pédopsychiatrie dès le lendemain du drame, comme l’aurait souhaité la mère en rétrospective, le pédiatre considère qu’elle n’était pas véritablement requise.

[336]     Le besoin premier d’un enfant de cet âge exposé à une telle situation traumatique est « le maintien des activités régulières dans un milieu sécurisant », ce qui favorise « supporte davantage le retour à un fonctionnement normal qu’une aide professionnelle ou pharmacologique ».

[337]     En dernier lieu, la mère a également plaidé que M. [intervenant 2] l’avait ignoré pendant son intervention en ne retournant pas ses appels et en ne tentant pas de la joindre dans le cadre du suivi social. Le Tribunal rejette cette prétention pour les motifs énoncés à ce sujet dans la sous-section du présent jugement intitulée La mère, son conjoint et ses autres enfants.

Sixième question en litige :          Le Tribunal doit-il interdire la publication ou la diffusion d’informations relatives à ses audiences dans l’affaire des deux enfants à l’étude ?

[338]    La Directrice présente une demande afin que le Tribunal rende une ordonnance interdisant la publication ou la diffusion d’informations relatives à ses audiences dans les affaires de X et de Z (demande d’interdiction de publication).

[339]     Média QMI inc. et Groupe TVA inc (les médias) et la mère de X contestent la demande d’interdiction de publication. À l’opposé, le père de X, la mère de Z et l’avocate des deux enfants appuient la demande de la Directrice.

[340]     Une journaliste de la Société Radio-Canada, Mme Geneviève Garon, informe le Tribunal qu’advenant un jugement favorable à la position défendue par Média QMI inc. et Groupe TVA inc., elle demandera à obtenir le même traitement.

[341]     L’affaire ayant été prise en délibéré, le Tribunal a rendu dans l’intervalle une ordonnance provisoire de sauvegarde suivant laquelle :

Ø La présence des journalistes pendant les audiences a été permise ;

Ø La publication des informations a été temporairement interdite « mur-à-mur ».

[342]     Au soutien de sa demande en interdiction de publication, la Directrice présente une preuve visant à démontrer :

Ø  Que la région de Ville A est, somme toute, une petite communauté composée de personnes qui se connaissent généralement entre eux ;

Ø  Qu’en dépit des dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse en matière de confidentialité, l’identité des enfants visés par les procédures est connue de leur environnement immédiat, soit à la garderie pour X et à l’école pour Z ;

Ø  Que la situation de Y fait l’objet d’une intense couverture médiatique ;

Ø  Que les réseaux sociaux se sont emballés, particulièrement au sujet de Y et de X ;

Ø  Qu’advenant le rejet de la demande en interdiction de publication, chacune des audiences du Tribunal concernant X et Z ferait assurément l’objet d’une grande couverture médiatique et entraînerait une recrudescence de l’effervescence des réseaux sociaux ;

Ø  Que la publication des informations ferait en sorte que les personnes dans l’environnement immédiat des enfants seraient en mesure de faire le lien entre lesdites informations et chacun des deux enfants ;

Ø  Que le droit à la confidentialité et à la protection de la vie privée des enfants prévu par la LPJ serait conséquemment sans effet ;

Ø  Que dans un tel contexte, la publication des informations serait préjudiciable aux deux enfants qui en seraient profondément perturbés ;

Ø  Que X et Z vivent déjà un traumatisme en raison du décès de Y et de la désintégration de leur milieu de vie ;

Ø  Que X et Z sont dans un état de vulnérabilité sur le plan affectif et psychologique ;

Ø  Que X et Z ont besoin de vivre une période d’apaisement ;

Ø  Que la publication des informations ne ferait que raviver les blessures subies par les enfants en raison de leur vécu qui se trouverait ainsi étalé ;

Ø  Que l’intérêt des enfants commande une interdiction de publication complète des informations.

[343]     Les médias n’ont pas présenté de preuve. Ils invoquent essentiellement des arguments basés sur la Charte canadienne des droits et libertés[76] (Charte canadienne), la Charte des droits et libertés de la personne[77] (Charte québécoise), l’intérêt public et le rôle des médias au sein d’une société libre et démocratique.

A.         Le Droit

[344]     La demande de la Directrice en interdiction de publication des informations est fondée sur l’article 11.2.1 de la LPJ qui édicte :

11.2.1. Dans le cadre de la présente loi, nul ne peut publier ou diffuser une information permettant d’identifier un enfant ou ses parents, à moins que le tribunal ne l’ordonne ou ne l’autorise aux conditions qu’il détermine ou que la publication ou la diffusion ne soit nécessaire pour permettre l’application de la présente loi ou d’un règlement édicté en vertu de celle-ci.

 

En outre, le tribunal peut, dans un cas particulier, interdire ou restreindre, aux conditions qu’il fixe, la publication ou la diffusion d’informations relatives à une audience du tribunal.

[345]     Le deuxième paragraphe de cet article prévoit que le Tribunal dispose d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant d’interdire complètement ou partiellement la publication et la diffusion des informations relatives à ses audiences ; et ce, aux conditions qu’il détermine. A contrario, à défaut d’une telle ordonnance, la publication et la diffusion des informations relatives à une audience sont permises.

[346]    L’article 11.2.1 n’édicte aucun critère précis pouvant justifier cette ordonnance. Qu’il suffise toutefois de réitérer à cet égard la règle cardinale prévue à l’article 3 de la LPJ selon laquelle « [l]es décisions prises en vertu de la présente loi doivent l’être dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits »[78].

[347]     En lien avec l’économie générale de la loi, soulignons que la LPJ établit un strict régime de confidentialité[79] qui, selon la Cour d’appel dans l’arrêt M.D. c. L.D[80], est au cœur du système de protection de l’enfance :

En résumé, comme le révèle une lecture de la loi, de la doctrine et de certaines décisions sur le sujet, le système se veut un système efficace, d’intervention rapide et également protecteur de la confidentialité. Au centre même de cet ensemble se retrouvent toujours l’enfant et la sauvegarde de son intérêt supérieur.

La confidentialité du processus et des renseignements est donc au cœur du système.

[348]     Ce régime de confidentialité est principalement mis en œuvre par l’article 11.2 de la LPJ[81] et par le premier paragraphe de l’article 11.2.1 de la LPJ qui prévoient la non-divulgation de l’identité des personnes impliquées et des renseignements qui permettraient de les identifier.

[349]     Ajoutons qu’en matière de protection de la jeunesse, la règle n’est pas celle de l’audience publique, mais bien celle du huis clos[82]. En effet, « [d]e par la nature des problèmes traités et surtout le type de personnes impliquées dans de telles procédures, la loi prévoit que, nonobstant l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, les audiences du tribunal se tiennent à huis clos »[83].

[350]     Dans Protection de la jeunesse — 073273[84], le juge Denis Asselin effectue l’historique des articles de la LPJ axés sur la confidentialité de l’identité de l’enfant et conclut qu’il s’agit pour l’enfant d’un droit fondamental.

[351]     Qu’en est-il maintenant de l’interprétation de la LPJ, plus particulièrement de l’exercice de la discrétion dévolue au Tribunal à l’article 11.2.1, à travers le prisme des Chartes ?

[352]     La Charte québécoise édicte des libertés et des droits fondamentaux visant à protéger divers aspects de la vie des personnes.  

[353]     Dans notre ordre législatif, la Charte québécoise jouit du statut de loi quasi constitutionnelle, tel que reconnu par la Cour suprême dans l’arrêt Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc[85]. La juge L’Heureux-Dubé, dissidente en partie, écrit :

[42] La Charte n’est pas une loi ordinaire mise en vigueur par le législateur québécois au même titre que n’importe quel autre texte législatif. Il s’agit plutôt d’une loi bénéficiant d’un statut spécial, d’une loi fondamentale, d’ordre public, quasi constitutionnelle, qui commande une interprétation large et libérale de manière à réaliser les objets généraux qu’elle sous-tend de même que les buts spécifiques de ses dispositions particulières.

[354]     En raison de ce statut, la Charte québécoise prédomine l’ensemble de la législation québécoise qui lui est assujettie. Elle a donc préséance sur toutes les lois québécoises.

[355]     Conséquemment, l’interprétation et l’application des lois du Québec doivent se faire en conformité avec les principes et valeurs fondamentales qu’elle sous-tend[86]. À cet égard, dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal[87], la Cour suprême écrit :

Dans le droit du Québec, dans les matières relevant de la compétence de l’Assemblée nationale, la Charte québécoise se trouve élevée au rang de source de droit fondamental. L’interprétation de la législation doit s’inspirer de ses principes.

[356]     Au sujet du droit au respect de la vie privée, l’article 5 de la Charte québécoise édicte :

Art. 5 : Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

[357]     Traitant de l’application de ce droit fondamental en matière de protection de la jeunesse, la juge Marie Pratte écrit[88] :

Or, selon l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne, « [t]oute personne a droit au respect de sa vie privée ». Ce principe est mis en application par la loi, en matière de protection de la jeunesse, tant à l’égard de l’enfant et du parent que du tiers. Le législateur a en effet échafaudé un système dont l’une des assises est le respect de la confidentialité des informations obtenues. L’objectif visé est tant le respect de la vie privée que la protection de l’enfant.

[…]

L’obligation de confidentialité […] est un élément central du système de protection et elle sert non seulement des intérêts particuliers, mais aussi l’intérêt général : elle constitue une pièce maîtresse de l’architecture du système mis en place par le législateur. Sa raison d’être transcende donc la protection du droit à la vie privée des personnes concernées.

[358]     La confidentialité en matière de protection de la jeunesse desservant des intérêts particuliers et l’intérêt général, elle met en cause à la fois un droit public à la confidentialité et à la fois un droit privé.  

[359]     Quant à la Charte canadienne, son statut est on ne peut plus clair. Enchâssée dans la constitution canadienne, loi suprême du pays, toutes les lois du Parlement et de l’Assemblée nationale y sont soumises[89].

[360]     Le statut constitutionnel de la Charte canadienne garantit la protection des droits et libertés qui y sont édictés. Toute disposition d’une loi fédérale ou provinciale qui lui est incompatible peut ainsi être invalidée.

[361]     La Charte canadienne n’énonce pas expressément le droit à la protection de la vie privée. En dépit de ce silence, la Cour suprême a néanmoins reconnu que la protection de la vie privée constitue un droit fondamental de la personne pouvant découler d’un autre droit reconnu par la Charte canadienne et des valeurs qui y sont sous-jacentes.

[362]     À titre d’exemple, dans l’arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., la Cour suprême considère que l’article 8 de la Charte canadienne, qui énonce le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives, « a pour but de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l’État dans leur vie privée »[90].

[363]     Dans l’arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto, la Cour suprême reconnaît également le droit à la vie privée : « [l]a réputation est étroitement liée au droit à la vie privée, qui jouit d’une protection constitutionnelle »[91].

[364]     En revanche, d’autres droits fondamentaux prévus par les Chartes peuvent s’opposer à ceux précités.

[365]     D’une part, la Charte canadienne garantit, à son article 2b), « la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication ».

[366]     D’autre part, la Charte québécoise, à son article 3, protège également le droit à la liberté d’expression : « Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association ».

[367]     Dans l’arrêt Denis c. Côté[92], la Cour suprême décrit comme suit le rôle essentiel qu’assument les médias au sein d’une société libre et démocratique :

[45]  Il ne fait aucun doute que les médias jouent un rôle unique dans notre pays. En enquêtant, en questionnant, en critiquant et en diffusant des informations d’importance, ils contribuent à l’existence et au maintien d’une société libre et démocratique. Le journalisme oblige à rendre compte de leurs décisions et activités non seulement les institutions publiques tels les tribunaux œuvrant ainsi à « combler ce qui a été décrit comme un déficit démocratique dans la transparence et l’obligation redditionnelle » de ces institutions, mais également les acteurs privés. En contribuant à la libre circulation de l’information, le journalisme permet aussi d’assurer un « débat productif » sur les questions d’intérêt public.

                                                                                                              (Références omises)

[368]     Le droit à la liberté de presse devant les tribunaux est également commenté par la Cour suprême, dans l’arrêt Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario[93] :

[2] L’alinéa 2b) de la Charte garantit, en termes plus généraux, la liberté de communication et la liberté d’expression. La vitalité de ces deux libertés fondamentales voisines repose sur l’accès du public aux renseignements d’intérêt public. Ce qui se passe devant les tribunaux devrait donc être, et est effectivement, au cœur des préoccupations des Canadiens.

[369]     La liberté de presse devant les tribunaux constitue donc un élément essentiel à la protection de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux également reconnus par les Chartes. À ce sujet, dans l’arrêt Vancouver Sun (Re)[94], la Cour suprême indique :

[25] La publicité est nécessaire au maintien de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux. Elle fait partie intégrante de la confiance du public dans le système de justice et de sa compréhension de l’administration de la justice. En outre, elle constitue l’élément principal de la légitimité du processus judiciaire et la raison pour laquelle tant les parties que le grand public respectent les décisions des tribunaux.

[26] Le principe de la publicité des débats en justice est inextricablement lié à la liberté d’expression garantie par l’al. 2b) de la Charte et sert à promouvoir les valeurs fondamentales qu’elle véhicule. La liberté de la presse de faire rapport sur les instances judiciaires constitue une valeur fondamentale. De même, le droit du public d’être informé est également protégé par la garantie constitutionnelle de la liberté d’expression. Étant donné que c’est elle qui véhicule au public l’information concernant le fonctionnement des institutions publiques, la presse joue un rôle vital. Par conséquent, le moins qu’on puisse dire est qu’il ne faut pas modifier à la légère le principe de la publicité des débats en justice

(Références omises)

[370]     Le Tribunal ayant exposé les droits fondamentaux qui entrent en conflit dans l’affaire à l’étude, à quelle méthode doit-il recourir pour le résoudre afin de statuer sur le sort de la demande en interdiction de publication ?

[371]     Soulignons qu’en regard de la charge de la preuve, « [c]’est à la partie qui présente la demande [d’interdiction de publication] qu’incombe la charge de justifier la dérogation à la règle générale de la publicité des procédures »[95].

[372]     À la base, une ordonnance d’interdiction de publication des informations constitue une « mesure exceptionnelle parce qu’elle a pour effet de déroger à la règle de la publicité des débats judiciaires »[96], garantie tant par la Charte canadienne que par la Charte québécoise.

[373]     Lorsque les droits à la liberté d’expression et à la liberté de presse s’opposent à d’autres droits fondamentaux, la Cour suprême, dans l’arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada[97], n’établit aucune hiérarchie des droits et préconise la recherche d’un juste équilibre :

Il faut se garder d’adopter une conception hiérarchique qui donne préséance à certains droits au détriment d’autres droits, tant dans l’interprétation de la Charte que dans l’élaboration de la common law. Lorsque les droits de deux individus sont en conflit, comme cela peut se produire dans le cas d’une interdiction de publication, les principes de la Charte commandent un équilibre qui respecte pleinement l’importance de ces deux catégories de droits.

[374]     Afin de déterminer les circonstances dans lesquelles il est justifié d’émettre une ordonnance d’interdiction de publication d’informations, la Cour suprême a développé un test désormais appelé le test Dagenais/Mentuck. Même si ces deux arrêts ont été rendus en matière criminelle, la Cour suprême a reconnu que ce test doit également être utilisé en matière civile[98].

[375]     Ce test s’applique « chaque fois que le juge de première instance exerce son pouvoir discrétionnaire de restreindre la liberté d’expression de la presse durant les procédures judiciaires »[99].

[376]     Selon le test élaboré dans les arrêts Dagenais[100] et Mentuck[101], une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si les conditions suivantes sont remplies :

Ø  Critère de nécessité, en ce que « l’ordonnance de non-publication est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque » [102];

Ø  Critère de proportionnalité, en ce que « ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice »[103].

[377]     La Cour suprême mentionne que ce test vise à assurer « l’exercice du pouvoir discrétionnaire conformément à la Constitution, et non pas pour forcer le même résultat dans chaque cas »[104] et qu’il doit donc être appliqué « avec souplesse et en fonction du contexte »[105].

[378]     Dans un premier temps, en regard du critère de nécessité, ce concept met de l’avant la notion de « risque sérieux pour la saine administration de la justice ».

[379]     Dans l’arrêt Dagenais[106], la Cour suprême indique que le risque de préjudice doit être réel et important. Plus spécifiquement, dans l’arrêt Mentuck[107], la Cour suprême écrit :

[34] Il doit donc s’agir d’un risque dont l’existence est bien appuyée par la preuve. Il doit également s’agir d’un risque qui constitue une menace sérieuse pour la bonne administration de la justice. En d’autres termes, il faut que ce soit un danger grave que l’on cherche à éviter, et non un important bénéfice ou avantage pour l’administration de la justice que l’on cherche à obtenir.

[380]     En application des postulats qui précèdent, « les ordonnances de non-publication ne peuvent servir de bouclier contre les dangers incertains et hypothétiques »[108].

[381]     Fort de ces rappels, dans Voyages Encore Travel inc. c. Nguyen, le juge Pierre-C. Gagnon, de la Cour supérieure, résume la notion de risque comme suit : « [l]e risque doit être prouvé et non seulement invoqué en termes généraux. Un danger grave doit être circonscrit »[109].

[382]     Quant à la « bonne administration de la justice », elle inclut notamment le droit à un procès équitable[110], le droit à un procès public[111], le respect de l’ordre public et la confiance du public envers ses institutions judiciaires.

[383]     Le requérant d’une ordonnance de non-publication ne peut donc se contenter d’invoquer uniquement le risque d’un préjudice personnel qui n’a pas de corrélation avec la protection d’un intérêt public[112].

[384]     En ce sens, dans Marcovitz c. Bruker[113], la Cour d’appel mentionne que le droit de tout citoyen au respect de sa vie privée ne peut, à lui seul, justifier l’émission d’une ordonnance de non-publication. Cet énoncé demeure pertinent, bien que sur le fond, ce jugement ait été infirmé en Cour suprême.

[385]     Finalement, pour satisfaire au critère de nécessité, les mesures recherchées par l’ordonnance doivent être utiles pour prévenir le risque identifié par la partie qui requiert l’ordonnance[114].

[386]     Si tel est le cas, le Tribunal doit, en outre, « favoriser l’atteinte minimale au droit fondamental, c’est-à-dire rechercher la limitation la plus limitée possible, parfois grâce à des solutions de rechange moins attentatoires »[115] qu’une interdiction de publication. Cet aspect du critère de nécessité « exige non seulement que le juge détermine s’il existe des mesures de rechange raisonnables, mais aussi qu’il limite l’ordonnance autant que possible sans pour autant sacrifier la prévention du risque »[116].

[387]     Dans un deuxième temps, en ce qui concerne le critère de proportionnalité, la Cour suprême indique que « [l]e deuxième volet est celui dans le cadre duquel il convient d’évaluer les effets de l’interdiction sur les autres droits et intérêts, une fois qu’il a été démontré que cette évaluation était nécessaire compte tenu de l’objectif de l’interdiction »[117].

[388]     Ainsi, dans Voyages Encore Travel inc. c. Nguyen, le juge Pierre-C. Gagnon écrit : « [l]e fardeau de la preuve incombe à la partie qui recherche l’exception, de démontrer que le préjudice auquel elle s’expose est supérieur à l’intérêt public de la publicité de l’instance judiciaire »[118].

[389]     Toute atteinte à la liberté de la presse ne constitue pas nécessairement un effet préjudiciable considérable. Ceci dit, dans Mentuck, la Cour suprême a reconnu qu’une « atteinte grave à la liberté de la presse relativement à une question susceptible de justifier un grand débat public »[119] constituerait effectivement un effet préjudiciable considérable.

[390]     Le Tribunal doit notamment apprécier les effets de l’ordonnance de non-publication sur le droit du public et des médias à la liberté d’expression, ainsi que sur l’efficacité de l’administration de la justice.

[391]     Cependant, dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), la Cour suprême souligne l’importance de ne pas confondre, lors de cet exercice, l’intérêt du public et l’intérêt des médias : « il est important d’établir une distinction entre l’intérêt du public et l’intérêt des médias et, […] la couverture médiatique ne peut être considérée comme une mesure impartiale de l’intérêt public »[120].

[392]     En ce qui concerne l’évaluation des effets positifs d’une interdiction de publication, dans l’arrêt Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général)[121], la Cour suprême a reconnu que lorsque des enfants et des familles sont impliqués dans des procédures judiciaires, comme c’est le cas en matière de protection de la jeunesse ou dans les affaires matrimoniales, la protection de la vie privée constitue un objectif légitime. La juge Wilson écrit[122] :

Je crois qu’il est important d’être conscient de la proportion d’affaires matrimoniales dans lesquelles la publication de la preuve causerait aux parties ou à leurs enfants un traumatisme émotionnel et psychologique tellement grave et une humiliation tellement grande face au public qu’une interdiction de publication serait justifiée.

[393]      Par contre, dans cet arrêt, la Cour suprême a néanmoins conclu à l’inconstitutionnalité de l’article 30 de la Judicature Act de l’Alberta, entre autres au motif qu’il ne respectait pas le critère de proportionnalité en établissant un large régime de non-publication et de non-diffusion des informations dans ce type d’affaires.

[394]     Il convient de reproduire les préoccupations énoncées par le juge Cory, au nom de la majorité, qui ont milité en faveur de cette déclaration d’inconstitutionnalité :

Ø  Il est également essentiel dans une démocratie et fondamental pour la primauté du droit que la transparence du fonctionnement des tribunaux soit perçue comme telle[123] ;

Ø  La presse doit être libre de commenter les procédures judiciaires pour que, dans les faits, chacun puisse constater que les tribunaux fonctionnent publiquement sous les regards pénétrants du public[124] ;

Ø  C’est par l’intermédiaire de la presse seulement que la plupart des gens peuvent réellement savoir ce qui se passe devant les tribunaux. […] C’est comme cela seulement qu’ils peuvent évaluer l’institution. L’analyse des décisions judiciaires et la critique constructive des procédures judiciaires dépendent des informations que le public a reçues sur ce qui se passe devant les tribunaux[125] ;

Ø  [s’]il est interdit de publier les remarques des avocats et du juge, comment la société peut-elle alors savoir si les juges se conduisent correctement ? Comment fera-t-elle pour savoir si des remarques ont été faites, par exemple, qu’une femme doit se soumettre aux actes de violence de son mari ou qu’elle devrait endurer les propos abusifs ou les coups de son mari?  La société a le droit de savoir si de telles remarques ont été faites, mais sans le droit de publier, les remarques du juge peuvent être soustraites à la connaissance du public[126]

[395]     Bref, l’exercice consiste à pondérer la gravité des répercussions que pourrait subir la personne visée par la demande d’interdiction de publication si l’ordonnance n’était pas octroyée, en rapport avec l’importance des questions d’intérêt public qui pourraient être soulevées par la presse. Il s’agit donc d’établir un juste équilibre entre les effets bénéfiques et préjudiciables d’une ordonnance de non-publication sur les droits et les intérêts des parties en considérant, en premier lieu, l’intérêt supérieur de l’enfant, par opposition aux droits et intérêts du public.

B.        Analyse

[396]     Comme nous l’avons vu, la LPJ assure la confidentialité de l’identité des enfants et des parents de diverses façons. La violation de la règle de confidentialité de l’identité des enfants et de leurs parents peut être sanctionnée par les dispositions d’ordre pénal prévues à la LPJ[127].

[397]     Le présent litige ne remet pas en question la règle de confidentialité de l’identité des enfants et des parents. Indépendamment du sort de la demande d’interdiction de publication des informations présentée par la Directrice, les journalistes devront respecter cette règle. Il en va de même de toute personne qui s’exprime au sujet de cette cause via les réseaux sociaux ou autrement.

[398]     Le décès tragique de Y a fortement ému et choqué l’ensemble de la population. Cette colère, tristesse et indignation s’est transposée à l’Assemblée nationale alors que toutes les formations politiques ont convenu de la nécessité d’entreprendre une profonde réflexion au sujet de nos institutions chargées d’assurer la protection des enfants. Ainsi, Monsieur le Premier Ministre François Legault déclarait[128] : 

Mais, au-delà du drame, il y a une plus grande réflexion à faire au Québec, ça va au-delà de la DPJ, il y a des questions à se poser sur nos tribunaux, sur la Loi de la protection de la jeunesse, sur nos services sociaux, sur le rôle puis la coordination avec nos écoles. Donc, il faut se rendre à l’évidence, on doit revoir toute notre approche. Et on a une grande réflexion à avoir, on est rendus là, et je veux qu’on le fasse ensemble, tous les membres de l’Assemblée nationale, tous les partis, tous les collègues.

[399]     C’est dans ce contexte que la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse a été constituée avec le mandat « de jeter un regard contemporain sur l’ensemble du système de protection de la jeunesse et sur les interactions avec les partenaires œuvrant auprès des enfants et de leur famille »[129].

[400]     Force est donc de constater à quel point l’affaire de Y est d’intérêt public considérable.

[401]     Qu’en est-il de X et de Z, les deux enfants survivants ?

[402]     Répondons à cette question en réitérant qu’ils ont, chacun d’entre eux, une personnalité qui leur est propre et des besoins qui leur sont spécifiques. Bien au-delà de leur lien avec Y, ils sont des personnes uniques et à part entière.

[403]     Le Tribunal est convaincu que la situation personnelle et singulière de X et de Z est également d’un fort intérêt public. Voici pourquoi.

[404]     De nombreuses défaillances ont fait en sorte que le système de protection des enfants a échoué à protéger Y maintenant décédée. Or, ce même système a également failli à sa tâche envers X.

[405]     Rappelons que le 30 mai 2018, le Tribunal a déclaré la sécurité et le développement de X compromis, entre autres en ce qu’il encourait un risque sérieux de subir des abus physiques dans son milieu de vie.

[406]     Fort malheureusement, en dépit des mesures ordonnées pour mettre fin à cette situation de compromission, celle-ci a non seulement persisté, mais elle s’est aussi aggravée de telle sorte que les abus physiques appréhendés se sont matérialisés, X ayant été victime de tels abus.

[407]     La preuve révèle que le suivi social de la Directrice, mesure phare du jugement du 30 mai 2018, s’est avéré à ce point déficient, en violation des droits de X, qu’il a échoué à la fois dans son volet de surveillance, en regard de la sécurité immédiate de X, et à la fois dans son volet clinique, visant à améliorer les habiletés parentales du père et de sa conjointe.

[408]     Au surplus, X a été témoin de sévices corporels infligés à Y qui ont conduit à son décès. Le choc traumatique de cet événement ne peut qu’être d’une intensité incommensurable entraînant, selon toute vraisemblance, des séquelles à court, moyen et long terme.

[409]     De son côté, Z a également vécu au sein d’un milieu familial chaotique qui s’est désintégré à la suite d’un drame horrible. Il est raisonnable de croire qu’il aurait pu être préservé de la toxicité de son milieu de vie, par ricochet, si la Directrice avait offert à cette famille le suivi social auquel elle avait droit au cours de son intervention auprès de X.

[410]     Conséquemment, plusieurs éléments de la preuve présentée à l’audience doivent faire partie de la réflexion globale et approfondie qui vise tous les acteurs et les structures en matière de protection de la jeunesse à laquelle la population, qui a de grandes attentes, est aussi invitée et désireuse de participer.

[411]     Dans ce contexte, le Tribunal est convaincu qu’une « atteinte grave à la liberté de la presse relativement à une question susceptible de justifier un grand débat public »[130] constituerait, en l’occurrence, un effet préjudiciable considérable au sens de l’arrêt Mentuck.

[412]     Par ailleurs, le soussigné souligne qu’en tant que membre de la société au sein de laquelle il évolue[131], il est conscient des critiques nombreuses et sévères, tenues et encore présentes dans la sphère publique, dirigées à l’encontre de la Directrice et à l’encontre des décisions antérieures du Tribunal au sujet de X et de Y.

[413]     Indépendamment du fait que ces critiques soient fondées ou non, ce qu’il n’appartient pas au Tribunal de juger, elles s’inscrivent dans le cadre de droits fondamentaux que sont la liberté d’expression des personnes ou la liberté de presse.

[414]     En rendant une ordonnance de non-publication « mur-à-mur » telle que recherchée par la Directrice, en plus de mettre à l’écart ces libertés, le Tribunal pourrait du coup entacher gravement l’image de la justice. En effet, une telle ordonnance pourrait donner l’impression que le Tribunal cherche dorénavant à se mettre à l’abri de toute critique et se soustraire à son obligation de rendre compte de son jugement.

[415]     Or, malgré son indépendance judiciaire, le soussigné, comme tous les juges de toutes juridictions, est responsable de sa conduite à l’audience et de ses décisions. Il en est imputable tant devant les parties, les témoins, les personnes qui assistent à l’audience, que devant la société en général.

[416]     En outre, une ordonnance de non-publication complète des informations relatives aux audiences pourrait laisser croire à une forme de sympathie ou de complaisance du Tribunal envers la Directrice, en la mettant dorénavant à l’abri de la critique et en la soustrayant à la reddition de compte à laquelle elle est aussi tenue dans la situation de X et Z.

[417]     L’impartialité du Tribunal pourrait alors être remise en cause dans l’opinion publique. Or, devant le Tribunal, la Directrice n’est qu’une partie parmi les autres impliquées dans une affaire donnée, sans privilège ni a priori favorable.

[418]     Dans ce contexte, le Tribunal est convaincu qu’une ordonnance de non-publication des informations relatives à ses audiences ne pourrait qu’ébranler la confiance de la population envers ses institutions judiciaires.

[419]     Bref, s’il est une affaire en matière de protection de la jeunesse où la publication des informations est nécessaire au maintien de l’image de la justice, sur le plan de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux, en plus de comporter des éléments d’intérêt public, il ne peut en être davantage que de celle-ci.

[420]     Par ailleurs, la question de l’intérêt supérieur de X et Z doit non seulement faire partie de l’analyse, mais aussi en constituer un facteur essentiel.

[421]     Le Tribunal se soucie de manière importante de l’impact que pourrait avoir la publication des informations sur les enfants. La preuve démontre qu’une prudence s’impose afin d’éviter qu’ils en soient affectés et perturbés.

[422]     En revanche, les préoccupations de la population sur le sort des enfants survivants et leur traitement par les services de protection de la jeunesse sont, somme toute, bienveillantes à leur égard. Cumulées aux éléments d’intérêt public de cette situation, elles génèrent une pression positive afin que X et Z bénéficient dorénavant d’une offre de services des plus complètes et de qualité optimale.

[423]     Ces préoccupations de la population, reprises dans les médias, interpellent à tous égards les institutions et les différents acteurs du milieu, en matière de protection de la jeunesse, afin que X et Z reçoivent le meilleur de ce qu’ils sont en mesure d’offrir.

[424]     Certes, toute institution pourrait arguer que chaque affaire qui lui est soumise reçoit toute la considération et le traitement qu’elle mérite et qu’elle est en droit de recevoir, indépendamment du fait que cette institution exerce ses fonctions sous la loupe de la population.

[425]     Par contre, le Tribunal est absolument convaincu que si, par hypothèse, l’affaire à l’étude avait été sous l’œil attentif de la population, essentiellement par le biais des médias, dès l’ordonnance rendue le 30 mai 2018 :

Ø  Jamais le suivi social offert à X et à sa famille n’aurait été confié à une intervenante sociale mise en situation d’échec par la Directrice, en étant laissée à elle-même pour assumer une pleine tâche alors que des mois de mai 2018 à octobre 2018, elle n’œuvrait que 2 jours par semaine, suivi de 3 jours semaine, puis de 4 jours semaine en octobre 2018 au moment de quitter son emploi.

Rappelons que cette intervenante sociale était chargée, pendant cette période, à la fois du suivi social de X — aux motifs qu’il encourait un risque sérieux de subir des abus physiques, avait été victime de mauvais traitements psychologiques et avait subi de la négligence parentale — et à la fois du suivi social de Y - aux motifs qu’elle avait été victime d’abus physiques de la part de la conjointe du père, avait été victime de mauvais traitements psychologiques et avait subi de la négligence parentale, tous et chacun de ces motifs de compromission étant des plus préoccupants pour la sécurité immédiate et le développement des enfants. À l’évidence, le filet de protection sociale visant à protéger ces deux enfants avait, dès le départ, d’importantes lacunes.

Force est donc de constater, en pareilles circonstances, le seuil élevé de tolérance au risque de la part de la Directrice, voire du CIUSSS A ou des autorités gouvernementales qui ont longtemps refusé d’octroyer à la Directrice les fonds requis pour exercer sa mission.

Ø  Jamais le suivi social de X n’aurait été à ce point déficient pour faire en sorte que :

·        Pendant une période d’au moins 6 mois suivant l’ordonnance du 30 mai 2018, la Directrice ne se rende jamais au domicile de X pour avoir connaissance de ses conditions de vie et s’assurer de la qualité de la réponse du père et de sa conjointe à ses besoins fondamentaux ;

·        De l’ordonnance du 30 mai 2018 jusqu’à ce que survienne le décès de Y le 29 avril 2019, X ne soit jamais rencontré de manière individuelle dans le cadre du suivi social de la Directrice afin de s’enquérir auprès de lui de ses conditions de vie à la maison.

[426]     Conséquemment, le Tribunal est d’avis qu’en l’occurrence, la publication des informations relatives aux audiences serait, sous plusieurs aspects, bénéfiques à X et Z.

[427]     Les bénéfices précités, de l’avis du Tribunal, l’emportent sur les impacts négatifs appréhendés sur les enfants en cas de publication des renseignements.

[428]     Le Tribunal considère donc être en présence d’une affaire véritablement exceptionnelle où il doit rechercher une atteinte minimale au droit à la liberté d’expression et à la liberté de presse tout en garantissant l’intérêt supérieur des enfants.

[429]     Prenant en compte l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal entend permettre la publication et la diffusion des informations relatives à ses audiences.

[430]     Cela ne signifie pas que toutes les informations, incluant les plus intimes et privées concernant ces deux enfants, doivent être diffusées. Les renseignements mis en preuve par le dépôt du rapport de l’évaluation psychologique subie par X, du témoignage du psychologue à ce sujet et concernant le cheminement thérapeutique accompli par l’enfant, n’est pas nécessairement d’intérêt public. La diffusion d’informations de cette nature serait inutilement préjudiciable à cet enfant de même qu’à l’encontre de leur intérêt supérieur.

[431]     Il en va de même d’un aspect du déroulement de la visite du 4 octobre 2019 entre X et Z, plus amplement décrit au paragraphe 257 du présent jugement. La publication ou la diffusion de cette information serait encore une fois inutilement préjudiciable aux deux enfants et à l’encontre de leur intérêt supérieur.

[432]     Conséquemment, le Tribunal rendra, en application des règles de droit précédemment énoncées, une interdiction de publication et de diffusion des informations précitées, jugées plus sensibles et intimes aux enfants et qui ne sont d’aucun intérêt public.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL

Sur la demande en révision et prolongation

[433]     ACCUEILLE la demande ;

[434]     DÉCLARE la sécurité et le développement de l’enfant X compromis pour le motif suivant :

Ø  38 (e) 1° : Abus physiques de la part de son père et de sa conjointe ;

[435]     DÉCLARE la sécurité et le développement de l’enfant X toujours compromis pour le motif suivant :

Ø  38 (c) : Mauvais traitements psychologiques ;

[436]     RÉVISE ET PROLONGE l’ordonnance rendue le 30 mai 2018 ;

[437]     ORDONNE l’hébergement de l’enfant en famille d’accueil, à être désignée par la Directrice de la protection de la jeunesse ;

[438]     ORDONNE qu’une ou des personnes œuvrant au sein du CIUSSS A ou de tout autre établissement ou organisme apportent aide, conseil et assistance à l’enfant et à sa famille ;

[439]     ORDONNE que les contacts entre la mère et l’enfant s’effectuent selon entente entre la Directrice, la mère et l’enfant ; le tout, en présence d’une tierce personne désignée par la Directrice et PERMET aux parties de convenir de la levée de la supervision;

[440]     ORDONNE l’élaboration d’un plan d’intervention par la Directrice dans un délai maximal de 15 jours ;  

[441]     PREND ACTE de l’intention de la Directrice de la protection de la jeunesse de clarifier un projet de vie pour l’enfant au cours de la prochaine ordonnance ;

[442]     INTERDIT les contacts entre le père et l’enfant ;

[443]     INTERDIT les contacts entre Mme F et l’enfant ;

[444]     INTERDIT les contacts entre M. J, son épouse et l’enfant ;

[445]     INTERDIT les contacts entre la grand-mère paternelle, Mme H, et l’enfant ;

[446]     ORDONNE le maintien des relations personnelles entre l’enfant et Z selon entente entre les parties, en présence d’une tierce personne désignée par la Directrice et PERMET aux parties de convenir de la levée de la supervision;

[447]     ORDONNE que l’enfant reçoive certains soins et services de santé, plus spécifiquement un suivi en psychologie, en orthophonie et en ergothérapie ;

[448]     ORDONNE au père et à la mère de soumettre à une évaluation psychologique;

[449]     RECOMMANDE à la mère et à la Directrice de convenir du choix d’un psychologue en pratique privée, indépendant de tout CISSS ou CIUSSS ;

[450]     RECOMMANDE au père et à la Directrice de convenir du choix du psychologue;

[451]     CONFIE la situation de l’enfant X à la Directrice de la protection de la jeunesse du CIUSSS A pour l’exécution de l’ordonnance ;

[452]     LE TOUT, pour une période de six mois.

Sur la demande en déclaration de lésion de droits

[453]     ACCUEILLE la demande ;

[454]     DÉCLARE que les droits de l’enfant X ont été lésés par la Directrice;

[455]     ADRESSE un blâme à la Directrice;

[456]     ORDONNE au greffe du Tribunal de signifier le présent jugement à Mme Régine Laurent, présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse.

Sur la demande en interdiction de publication et de diffusion des informations

[457]     REJETTE la demande en interdiction de publication et de diffusion des informations, sauf en ce qui concerne les informations suivantes dont la publication et la diffusion sont interdites :

Ø  Le témoignage de Mme [psychologue 1], psychologue et le contenu de l’évaluation psychologique subie par l’enfant X, hormis ce que le Tribunal a écrit à ce sujet dans le présent jugement;

Ø  Le paragraphe 257 du présent jugement;

[458]     ORDONNE la confidentialité du milieu de vie de l’enfant X et du Centre de la petite enfance qu’il fréquente envers les tierces personnes;

[459]     RÉITÈRE la mise en garde introductive au présent jugement selon laquelle « La Loi sur la protection de la jeunesse interdit la publication ou la diffusion de toute information permettant d’identifier un enfant ou ses parents. Quiconque contrevient à cette disposition est passible d’une amende (articles 11.2.1 et 135 de la L.P.J.) ».

 

 

 

________________________________

Mario Gervais, J.C.Q.

 

Me Anne Martin

Avocate de la D.P.J.

 

Me Pascale Gauthier

Avocate de l’enfant

 

Me Valérie Assouline

Avocate de la mère

 

Me Érica Gosselin

Avocate du père

 

Me Éric Meunier

Avocat de Média QMI inc. et Groupe TVA inc.

 

Jugement rectifié signé le:

15 janvier 2020

 



[1] Ce jugement rectifie la désignation des parties en page frontispice afin de préciser que la demande est intentée par la Directrice de la protection de la jeunesse du CIUSSS A.

Ce jugement rectifie également la conclusion relative à la responsabilité de l’exécution de l’ordonnance qui est confiée à la Directrice de la protection de la jeunesse du CIUSSS A.

[2]     RLRQ c P-34.1.       

[3]     Le terme « Directrice » reflète la situation actuelle. Plusieurs personnes ayant assumé les responsabilités de Directeur ou de Directrice de la protection de la jeunesse depuis la dernière ordonnance, le genre féminin de ce terme inclut le masculin.

[4]     Protection de la jeunesse — 184 769, 2018 QCCQ 14293.

[5]     Protection de la jeunesse - 09179, 2009 QCCQ 14971.

[6]     2804 du Code civil du Québec ; Dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, la Cour suprême statue que même lorsque des allégations dans une affaire civile peuvent constituer une infraction criminelle, il n’existe qu’une seule norme de preuve en matière civile, soit la prépondérance.

[7]     Article 85.5 de la LPJ.

[8]     Id.

[9]     R. c. (B.) G, [1990] 2 RCS 30.

[10]    R. c. W. (R.), [1992] 2 RCS 122.

[11]    Pièce D-26, p. 1.

[12]    Prononciation à l’anglaise.

[13]    Pièce D-18, p. 9.

[14]    Pièce D-17, p. 4.

[15]    Déclaration de 1959 sur les droits de l’enfant, Doc. NU A/RES/1386 (XIV) (20 novembre 1959).

[16]    Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, 1577 RTNU 3 (ratifiée par le Canada le 13 décembre 1991 et par le Québec le 9 décembre 1991).

[17]    Id., par. 37

[18]    Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art. 3, par. 1), Doc. NU CRC/C/GC/14 (29 mai 2013) (Observation générale no 14).

[19]    Id., par. 36.

[20]    Id., par. 6.

[21]    Id., par. 11.

[22]    Id.

[23]    Id., par. 33.

[24]    Observation générale no 14, préc., note 3, par. 48.

[25]    Observation générale no 14, préc., note 3, par. 39.

[26]    Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 7 : Mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance, Doc. NU CRC/C/GC/7/Rev.1 (20 septembre 2006), par. 13.

[27]    Observation générale no 14, préc., note 3, par. 5. 

[28]    Protection de la jeunesse — 12 249, 2012 QCCQ 5988.

[29]    Id., par. 60.

[30]    Re : X, C.Q.Ch.J , No : 525-41-006678-999, 8 octobre 2002, Soquij AZ-50147756.

[31]    Id., par. 34.

[32]    Protection de la jeunesse — 0856, 2008 QCCQ 5742.

[33]    Protection de la jeunesse — 10 174, 2010 QCCA 1912.

[34]    Protection de la jeunesse - 0922417, 2009 QCCS 1805.

[35]    Droit de la famille - 191265, 2019 QCCA 1164, par. 11. Voir également Protection de la jeunesse -192587, 2019 QCCA 2175, par. 24.

[36]    Pièce D-7, p. 7.

[37]    Protection de la jeunesse — 146332, 2014 QCCQ 18329.

[38]    Pièce M-1, p. 4.

[39]    Id.

[40]    Pièce D-7, par. 18.

[41]    Id., par. 19.

[42]    Protection de la jeunesse — 184 769, préc., note 3.

[43]    L’intervenant est en congé de maladie depuis le décès de Y.

[44]    Pièce D-29, Rapport d’évaluation rédigé par Mme [intervenante 4] et M. [intervenant 5] en date du 23 juillet 2019, p. 7.

[45]    Id.

[46]    Id., p. 8.

[47]    C naîtra une fois l’évaluation de Mme [intervenante 4] et de M. [intervenant 5] complétée.

[48]    En arrêt de travail depuis le mois de juin 2019, raison de sa substitution.

[49]    Pièce P-18, Rapport d’évaluation psychologique, 17 juin 2019, p. 7.

[50]    Id.

[51]    Id.

[52]    Pièce D-26.

[53]    Cette maladie se caractérise par une incoordination dans les mouvements musculaires.

[54]    Id., p. 2.

[55]    Pièce D-28.

[56]    Id., p. 1.

[57]    Id.

[58]    Racine c. Woods, [1983] 2 RCS 173, p. 185.

[59]    P.(D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141, p. 178 et 189..

[60]    N.B. (Ministre de la santé et des services communautaires c. L. (M.), [1998] 2 R.C.S. 534.

[61]    Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3.

[62]    P. (D.) c. S. (C.), préc., note 57.

[63]    L’ordonnance du 30 mai 2018 fait mention de cette situation au par. 70.

[64]  Protection de la jeunesse - 187 856, 2018 QCCQ 8376.

[65]  Protection de la jeunesse - 197 177, 2019 QCCQ 6328.

[66]    P. - L.N., No : 525-41-008606-006, 8 avril 2002, D. Saulnier, J.C.Q., p. 11 ; Protection de la jeunesse - 13 242, 2013 QCCQ 2248, par. 147.

[67]    Article 8 de la LPJ.

[68]    Protection de la jeunesse - 368, (C.S., 1988-11-29), Soquij AZ-89021062, [1989] R.D.F. 31.

[69]    Protection de la jeunesse — 151 722, 2015 QCCQ 11638, par. 90-92 ; Protection de la jeunesse - 192 884, 2019 QCCQ 3235, par. 152.

[70]    Dans la situation de N. (P.-L.), 2002 CanLII 28139 (QC CQ), par. 53 ; Potvin c. A.M., 2006 QCCS 669, par. 156.

[71]    Pièce D-34, affidavit de la Directrice, par. 13 : Les intervenants se sont fiés aux informations obtenues par le père et sa conjointe à l’effet que X allait bien et qu’il n’y avait pas de problème particulier vécu par ce dernier.

[72]    Protection de la jeunesse — 184 769, préc. note 3, par. 37 : Il est à noter que le père a refusé que Y soit soumise à l’interrogatoire de l’entente multisectorielle afin, dit-il, de ne pas la perturber. Ce refus soulève tout de même des questions quant à la transparence de monsieur.

[73]    RLRQ, S-4.2.

[74]    Pièce D-34.

[75]    Pièce D-32.

[76]    Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R-U).

[77]    RLRQ, c. C -12.

[78]     LPJ, préc., note 3, art. 3 : « Les décisions prises en vertu de la présente loi doivent l’être dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits. Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation. Dans le cas d’un enfant autochtone, est également prise en considération la préservation de son identité culturelle. » Voir Protection de la jeunesse — 178 009, 2017 QCCQ 13901, par. 33, où la juge Fannie Côtes réfère au critère de l’article 3 de la LPJ afin de statuer sur une demande en interdiction de publication des informations.

[79]    Cependant, il ne s’agit pas d’un régime de confidentialité absolue. Voir l’article 11.2 de la LPJ in fine. Dans Protection de la jeunesse - 114 181, 2011 QCCQ 10460, Mme la juge Pratte ajoute : « [41] Même en contexte de protection de la jeunesse, le droit à la confidentialité n’est donc pas absolu et certains impératifs peuvent en limiter l’étendue. Il en est notamment ainsi lorsque la protection de l’enfant est en jeu (72,5 al. 2 LPJ) ou lorsque la divulgation des renseignements est nécessaire pour l’application de la Loi (72,6 LPJ). »

[80]    M.D. c. L.D., 1998 CanLII 12825 (QC CA), p. 19.

[81]    LPJ, préc., note 3, art. 11.2. : « Les renseignements recueillis dans le cadre de l’application de la présente loi concernant un enfant ou ses parents et permettant de les identifier sont confidentiels et ne peuvent être divulgués par qui que ce soit, sauf dans la mesure prévue au chapitre IV.1 ou, s’ils concernent l’adoption d’un enfant, dans la mesure prévue au chapitre IV.0.1. ».

[82]    Id., art. 82 : « Nonobstant l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, les audiences se tiennent à huis clos. »

[83]    Mario PROVOST, Droit de la protection de la jeunesse, 2e éd., Montréal, LexisNexis, 2019, p. 178.

[84]    Protection de la jeunesse - 073273, 2007 QCCQ 14519, par. 109-134.

[85]    Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 RCS 345.

[86]    Pierre-André CÔTÉ avec la collab. de Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 439.

[87]    Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, par. 20.

[88]    Protection de la jeunesse - 114 181, préc., note 7, par. 31 et 76.

[89]    Loi Constitutionnelle de 1982, préc., note 4, art. 52 (1) : « La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada ; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. »

[90]    Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 RCS 145, p. 160.

[91]    Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130, par. 121.

[92]    Denis c. Côté, 2019 CSC 44.

[93]    Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario, 2005 CSC 41 (Toronto Star).  

[94]    Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43.

[95]    Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 3 RCS 480, par. 71 ; voir aussi : R. c. Mentuck, 2001 CSC 76, par. 38 (Mentuck) et Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 RCS 835, p. 875 (Dagenais).

[96]    Droit de la famille - 08162, 2008 QCCS 285, par. 56.

[97]    Dagenais, préc., note 25, p. 877.

[98]    Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, par. 27 ; Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances)2002 CSC 41, par. 37 (Sierra Club du Canada).

[99]    Vancouver Sun (Re), préc., note 24, par. 31.

[100]   Dagenais, préc., note 25, p. 878.

[101]   Mentuck, préc., note 25 par. 32. Voir aussi : Globe and Mail c. Canada (Procureur général), 2010 CSC 41, par. 90 et Vancouver Sun (Re), préc., note 24, par. 29.

[102]  Mentuck, préc., note 25, par. 32.

[103]   Id.

[104]   Id., par. 37.

[105]   Toronto Star, préc., note 23, par. 8.

[106]   Dagenais, préc., note 25, p. 878 et 880.

[107]   Mentuck, préc., note 25.

[108]   Dagenais, préc., note 25, p. 880.

[109]   Voyages Encore Travel inc. c. Nguyen, 2017 QCCS 4693, par. 84 (Voyages Encore Travel inc.).

[110]   Mentuck, préc., note 101, par. 40.

[111]   Id.

[112]   Gravel c. R., 2019 QCCQ 3187, par. 126 et 127 (Gravel) ; Savard c. La Presse ltée, 2017 QCCA 1340, par. 22.

[113]   Marcovitz c. Bruker, 2005 QCCA 835, par. 99 à 111, inf. par 2007 CSC 54, mais non sur ce point. Voir aussi, Léo DUCHARME et Charles-Maxime PANACCIO, L’administration de la preuve, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur ltée, 2010, par. 147.

[114]   Gravel, préc., note 42, par. 126 et 127.

[115]   Voyages Encore Travel inc., préc., note 39, par. 85.

[116]   Mentuck, préc., note 25101, par. 36.

[117]   Id., par. 40.

[118]   Voyages Encore Travel inc., préc., note 29, par. 87 (références omises). La Cour supérieure fait référence aux décisions suivantes : Cinar Corporation c. Weinberg, 2006 QCCS 5444 et Gesca ltée c. Groupe Polygone Éditeurs inc., 2009 QCCA 1534.

[119]   Mentuck, préc., note 101, par. 50.

[120]   Sierra Club du Canada, préc., note 28, par. 85 (soulignements reproduits).

[121]   Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 RCS 1326.

[122]   Id., p. 1367-1368.

[123]   Id., p. 1339.

[124]   Id.

[125]   Id., p. 1340.

[126]   Id., p. 1341-1342.

[127]   LPJ, préc., note 3, art. 135 : « Quiconque contrevient à une disposition du premier alinéa de l’article 11.2.1 ou omet, refuse ou néglige de protéger un enfant dont il a la garde ou pose des actes de nature à compromettre la sécurité ou le développement d’un enfant commet une infraction et est passible d’une amende de 625 $ à 5 000 $. »

[128]  QUÉBEC, ASSEMBLÉE NATIONALE, Journal des débats, 1ère sess., 42e légis., 2 mai 2019, « Demander au gouvernement d’assurer à la direction de la protection de la jeunesse les ressources nécessaires à l’accomplissement de son mandat et de procéder à une enquête publique sur le décès d’une fillette de Ville A », p.  2466.

[129]  Décret 534-2019, (2019) 24 GO II, 1939.

[130]  Mentuck, préc., note 101, par. 50.

[131]  R. c. S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484, par. 119 : « Tout être humain est le produit de son expérience sociale, de son éducation et de ses contacts avec ceux et celles qui partagent le monde avec nous. Ce qui est possible et souhaitable, selon le Conseil, c’est l’impartialité », en reprenant les propos de : CONSEIL CANADIEN DE LA MAGISTRATURE, Propos sur la conduite des juges. Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991, p. 15.

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