JM1317 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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LOCALITÉ DE |
MONTRÉAL |
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« Chambre criminelle et pénale» |
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N° : |
500-01-016870-021 |
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DATE : |
9 DÉCEMBRE 2005 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ROLANDE MATTE |
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SA MAJESTÉ LA REINE |
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Poursuivante |
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c. |
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CARMELO MARINO |
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Accusé |
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JUGEMENT |
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[1] Carmelo Marino a subi son procès sous trois chefs d’accusation :
1. Le ou vers le 27 octobre 2002, à Montréal, district de Montréal, a causé la mort de Jonathan McDAVID, commettant ainsi un homicide involontaire coupable, l’acte criminel prévu aux articles 234 et 236 b) du Code criminel.
2. Le ou vers le 27 octobre 2002, à Montréal, district de Montréal, s’est livré à des voies de fait contre Philip SHEARING, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 266a) du Code criminel.
3. Le ou vers le 27 octobre 2002, à Montréal, district de Montréal, s’est livré à des voies de fait contre Clément MALTAIS, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 266a) du Code criminel.
[2] Son procès débute près de trois ans après les faits. Il met en cause sept jeunes hommes dont certains en viennent aux coups après un début de dispute dans un restaurant McDonald’s aux petites heures du matin. Cinq d’entre eux ont témoigné au procès. L’accusé ne s’est pas fait entendre. Le septième est décédé des suites de cette bataille.
[3] Le seul autre témoin oculaire entendu a été Anthony Allan, gérant de l’établissement.
[4] Comme c’est inévitable en pareilles circonstances, les versions varient selon les témoignages. Le déroulement des incidents, le degré de participation, la capacité d’observation, l’acuité des souvenirs et pour certains, le degré d’intoxication par l’alcool en sont la cause. Parti pris manifeste ou mauvaise foi sont donc exclus. Cela vaut pour chacun des témoins oculaires.
LES FAITS:
PREMIER CHEF:
[5] La victime, Jonathan McDavid, est décédée le 7 novembre 2002 d’un traumatisme cranio-cérébral, causé par un impact à l’arrière de la tête, caractéristique d’une chute. S’il a survécu 11 jours à cette blessure, c’est grâce à une intervention chirurgicale et aux soins prodigués.[1]
[6] L’ampleur d’autres lésions à la tête permet de conclure qu’il avait reçu des coups multiples. Cependant, aucune de ces lésions n’était mortelle.
[7] M. McDavid a passé la soirée du 26 octobre dans un bar du centre-ville avec trois amis. À la fermeture du bar, tous se rendent à un restaurant McDonald’s. M. McDavid et Allan Price, arrivés en premier, décident d’aller manger à l’extérieur et d’y attendre leurs amis Clément Maltais et Philip Shearing.
[8] De son côté, l’accusé a aussi passé la soirée dans un bar avec des amis. Il se trouve au même McDonald’s avec deux d’entre eux : Donato Cellucci et Sean Coughlin.
[9] Il ne fait aucun doute que tous ces jeunes hommes sont intoxiqués par l’alcool qu’ils ont consommé au cours de la soirée.
[10] Manifestement, cela rend Clément Maltais belliqueux et au moment de passer sa commande, il tient des propos insultants à l’égard du gérant du restaurant.
[11] Des clients lui reprochent aussi d’avoir coupé la ligne d’attente. Il y a d’abord échange de propos acerbes puis bousculade et un début de bataille dont les détails sont exposés dans le cadre du deuxième chef.
[12] Le gérant invite donc M. Maltais à quitter. Joignant le geste à la parole, il l’escorte jusqu’à l’extérieur. Ils sont suivis par la majorité des clients dont l’accusé et ses amis.
[13] Une fois rendus à l’extérieur, un coup de poing asséné par l’accusé projette Philip Shearing au sol. Clément Maltais subit le même sort quelques instants plus tard.
[14] Jonathan McDavid se trouve déjà de l’autre côté de la rue. Voyant la scène, il traverse en courant pour, vraisemblablement, leur venir en aide. Il est accueilli par Sean Coughlin qui le repousse en lui disant de ne pas s’en mêler. Selon sa version, Jonathan McDavid réplique par un coup de poing à la figure. M. Coughlin le prend par le collet et lui donne deux coups de poing à la figure dont l’un lui brisera le nez.
[15] L’accusé intervient et d’un coup de poing, projette M. McDavid au sol. En tombant, sa tête frappe l’asphalte causant le traumatisme crânien dont il décédera 11 jours plus tard.
[16] Pendant que ses amis se précipitent à son secours, l’accusé et les siens retournent au McDonald’s. Quand M. Shearing s’y rend à la recherche de serviettes en papier pour éponger le sang de la victime qui saigne abondamment, l’accusé l’interpelle en disant : " Oh! you are back for some more" puis se met à rire.
DEUXIÈME CHEF:
[17] Ce chef concerne des voies de fait contre Philip Shearing. L’altercation entre lui et l’accusé se déroule en deux temps.
[18] À l’intérieur, dans le brouhaha suscité par l’attitude et les commentaires de M. Maltais, ils se poussent mutuellement. L’accusé le frappe. Voyant qu’il n’est pas de taille à affronter celui-ci, il tente d’empoigner une chaise sans réaliser qu’elle est vissée au sol; l’accusé le frappe à nouveau. Il réplique par un coup de pied dans les parties génitales de ce dernier mais reçoit un autre coup de poing.
[19] Il s’enfuit à l’extérieur poursuivi par l’accusé qui, d’un coup de poing, l’envoie au sol.
TROISIÈME CHEF :
[20] Il s’agit de voies de fait contre Clément Maltais. Selon le principal intéressé, mais aussi selon la version de Donato Cellucci, seule une querelle verbale l’oppose à l’accusé dans le restaurant, parce qu’il aurait coupé la ligne d’attente.
[21] Une fois à l’extérieur, l’accusé le frappe cependant d’un coup de poing qui le projette aussi au sol.
LA DÉFENSE :
[22] La défense plaide:
· L’absence d’acte illégal posé par l’accusé;
· L’absence de lien de causalité entre le décès et le geste posé par l’accusé à l’écart de Jonathan McDavid;
· La légitime défense.
[23] Ces prétentions peuvent-elles s’appliquer aux faits mis en preuve dans cette cause?
PREMIER CHEF :
[24] Tout d’abord, il ne fait aucun doute que Jonathan McDavid n’est aucunement mêlé à l’affaire jusqu’à ce qu’il traverse la rue en courant et qu’il soit accueilli par Sean Coughlin.
[25] À l’égard de l’accusé, il importe peu d’établir s’il a donné le premier coup de poing comme le soutient M. Coughlin ou si c’est plutôt l’inverse comme en témoignent ses amis.
[26] Et ce, parce qu’avant même l’intervention de l’accusé, M. Coughlin a déjà le dessus. De son propre aveu, confirmé en cela par le rapport d’autopsie, il lui a déjà asséné deux solides coups de poing. L’un semble même lui avoir cassé le nez puisqu’il saigne abondamment.
[27] Toujours selon son témoignage, M. Coughlin le retient encore par le collet et s’apprête à lui donner un troisième coup de poing quand l’accusé s’approche et lui donne le coup de poing qui le fait tomber à la renverse.
[28] Dans les circonstances, on ne saurait conclure qu’il s’agissait là d’un combat loyal consensuel [2]. Sans compter que la victime était de petite taille : 5 pieds et 6 pouces, 146 livres [3] comparée à l’accusé qui pèse près de 300 livres.
[29] Compte tenu des faits mis en preuve, je conclus plutôt qu’il s’agissait là d’un acte illégal.
[30] Acte illégal qui a contribué non seulement de façon significative, mais bien exclusive à la mort de la victime. [4]
[31] Nous ne sommes pas en présence d’un cas où il est impossible de déterminer laquelle de deux personnes a infligé la blessure mortelle.[5]
[32] Le refus de la victime de recevoir certains traitements dans les heures qui ont suivi son admission à l’hôpital n’est pas une cause contributoire à son décès. [6]
[33] Quant à la légitime défense, tel qu’énoncé à l’article 34 (1) du Code criminel à l’effet que :
"toute personne illégalement attaquée sans provocation de sa part est fondée à employer la force qui est nécessaire pour repousser l’attaque, si, en se faisant, elle n’a pas l’intention de causer la mort ni des lésions corporelles graves"
elle ne peut être invoquée par l’accusé parce qu’il n’a pas été illégalement attaqué "sans provocation de sa part" [7] par Jonathan McDavid. Il ne pouvait non plus croire raisonnablement [8] être victime d’une telle attaque dans le contexte prouvé en l’espèce. (je souligne)
[34] Je conclus de la même façon en ce qui a trait au paragraphe 2 de l’article 34 C.cr. :
"Quiconque est illégalement attaqué et cause la mort ou une lésion corporelle grave en repoussant l’attaque est justifié si :
a) d’une part, il la cause parce qu’il a des motifs raisonnables pour appréhender que la mort ou quelque lésion corporelle grave ne résulte de la violence avec laquelle l’attaque a en premier lieu été faite, ou avec laquelle l’assaillant poursuit son dessein;
b) d’autre part, il croit, pour des motifs raisonnables, qu’il ne peut pas autrement se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves"
Bien que l’absence de provocation ne soit pas une condition d’application [9] il doit y avoir à la base une attaque illégale ou une croyance raisonnable[10] que nous ne retrouvons pas ici.
[35] Ces faits ne donnent pas non plus ouverture à l’application de la légitime défense de l’agresseur prévue à l’article 35 C.cr.
[36] En effet, l’usage de la force comme légitime défense par un agresseur, dans ce cas, requiert trois conditions cumulatives[11] qui ne se retrouvent pas dans la présente affaire :
1. L’agresseur et accusé a attaqué une autre personne sans justification ou a provoqué sans justification cette attaque qui a été entreprise sans intention de causer la mort ou des blessures corporelles graves;
2. L’accusé ne doit pas avoir tenté de causer la mort ou des lésions corporelles graves;
3. L’accusé doit avoir refusé de continuer le combat, l’avoir abandonné ou s’en être retiré en autant que cela était possible avant qu’est surgi la nécessité pour lui de se soustraire à la mort ou à des lésions corporelles graves.
DEUXIÈME CHEF :
[37] Rappelons qu’à l’intérieur du restaurant, il y a un échange de coups entre l’accusé et M. Shearing.
[38] Certains éléments de preuve permettent de soutenir qu’il pouvait s’agir là d’une bataille consensuelle, même s’ils ne sont pas de stature comparable : M. Marino étant de carrure imposante.
[39] Mais voilà que M. Shearing réalise qu’il ne peut s’aider d’une chaise et que le coup de pied qu’il vient de donner à l’accusé dans les parties génitales n’a pas d’effet puisqu’il reçoit d’autres coups. Ce que Donato Celluci, témoin de la défense et ami de l’accusé, décrit de la façon suivante : " He (l’accusé) got pretty mad and punched him (Shearing) three, four times and connected him two, three times".
[40] M. Shearing s’enfuit donc en courant à l’extérieur.
[41] L’accusé le rejoint et lui donne un autre coup de poing qui l’envoie au sol.
[42] Si l’on peut soutenir qu’il y aurait eu consentement dans un premier temps, en s’enfuyant, la victime manifeste de façon claire et nette son abandon. Elle ne fait rien non plus pour relancer la bataille une fois rendue dehors[12]. Ce qui est aussi confirmé par M. Cellucci.
[43] Il n’y a donc plus de consentement à la poursuite de la bagarre.
TROISIÈME CHEF :
[44] Le comportement et les commentaires de Clément Maltais sont à l’origine de la bousculade qui dégénère en bataille entre l’accusé et M. Shearing.
[45] Je retiens cependant de la preuve non contredite qu’il n’a ni attaqué, ni menacé d’attaquer l’accusé à quelque moment que ce soit.
[46] La querelle n’a été que verbale entre lui et l’accusé. Après quoi M. Maltais est invité à sortir du restaurant et s’y conforme. C’est par la suite que l’accusé le frappe alors qu’il ne pose aucun geste.
[47] Ces faits ne donnent pas ouverture à une défense de légitime défense pour les considérations déjà exposées quant au premier chef.
CONCLUSION :
[48] Pour ces motifs, aucun des moyens de défense invoqués par la défense ne soulève un doute raisonnable dans mon esprit.
[49] L’ensemble de la preuve me convainc, hors de tout doute raisonnable, de la culpabilité de l’accusé. En conséquence, il est déclaré coupable sur les premier et troisième chefs ainsi que sur le deuxième, mais limité au coup donné à l’extérieur du restaurant.
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__________________________________ ROLANDE MATTE, J.C.Q. |
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Me Marc Labelle |
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Avocat de la défense |
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Me Anne-Andrée Charette |
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Substitut du Procureur général |
[1] Rapport d’autopsie P-6 et rapport médical P-7
[2] R.c. Jobidon (1991) 2 R.C.S. 714
[3] Rapp. d’autopsie P-6
[4] Smithers c. R. (1978) 1 R.C.S. 506 et Rapp. d’autopsie
[5] R.c. Schell et Paquette
(No 2) (1979)
[6] Rapports précités note 1 et R.c. Lucs (2001) J.Q. no 3552
[7] Paice c.
[8] R.c. Charlebois (2000) 2 R.C.S. 674 et R.c. Pétel (1994) 1 R.C.S. 3
[9] R.c. McIntosh (1995) 1 R.C.S. 686
[10] R.c. Charlebois et R.c. Pétel précités note 8
[11] R. c. Bayard (1988) 29 B.C.L.R. (2d) 366 confirmé C.S.C. (1989) 1 R.C.S. 425
[12] R. c. Jobidon précité, note 2
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.