Décision

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Décision - Commissaire - Québec

 

COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

279853

Cas :

CQ-2014-3576, CQ-2014-3577

 

Référence :

2015 QCCRT 0031

 

Québec, le

20 janvier 2015

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Annie Laprade, vice-présidente

______________________________________________________________________

 

 

Dannie Bouchard

 

Plaignante

c.

 

9180-6166 Québec inc.

Honda de la Capitale

Intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           La salariée, madame Dannie Bouchard, soumet deux plaintes contestant la fin de son emploi chez Honda de la Capitale (l’employeur). Elle soutient d’une part, que son congédiement le 25 février 2014 découle de son retour au travail après un congé de maternité, une pratique interdite par l’article 122 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1 (la Loi) et d’autre part, qu’il ne repose pas sur une cause juste et suffisante au sens de l’article 124 de la Loi.

[2]           L’employeur déclare que les conditions d’ouverture de ces recours sont satisfaites et affirme avoir mis fin à l’emploi de la salariée parce qu’elle ne se conforme pas à l’horaire de travail en vigueur dans l’entreprise.

[3]           En cours d’audience, les parties ont soulevé deux autres questions :

·           La salariée a-t-elle exercé son droit au congé pour obligations familiales prévu à l’article 79.7 de la Loi et été illégalement congédiée pour ce motif?

·           L’employeur a-t-il l’obligation de modifier l’horaire de travail de la salariée pour tenir compte de ses contraintes relatives à la garde de son enfant, à moins que cela n’impose une contrainte excessive?

Les faits

[4]           Madame Bouchard est directrice des services financiers chez l’employeur depuis l’ouverture de l’entreprise en 2008. Ce travail implique qu’elle rencontre les clients pour proposer diverses options de financement des véhicules automobiles, vendre les produits connexes, finaliser les transactions, organiser les livraisons, etc. Plusieurs personnes occupent cette fonction dans l’entreprise, toutes à titre de directeurs.

[5]           Le service aux ventes où ils œuvrent est ouvert en semaine de 9 h à 21 h. Leur horaire de travail est en partie calqué sur ces heures d’ouverture, les directeurs bénéficiant toutefois de deux matinées et d’une soirée de congé, chaque semaine.

[6]           Bien que des horaires de travail différents aient été consentis au fil des ans, les directeurs de services financiers sont toujours requis de travailler quatre soirées par semaine puisque l’employeur estime que l’achalandage est plus élevé à cette période de la journée. La preuve de l’horaire de 9 h à 17 h dont aurait bénéficié une directrice par le passé n’est pas probante puisqu’on ne connaît ni le nom de cette personne, ni l’époque où elle aurait travaillé non plus que la durée de cet horaire particulier.

[7]           À compter de juin 2012 et jusqu’au début de son congé de maternité, madame Bouchard est retirée du travail en application des dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, RLRQ, c. S-2.1, sur le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. Elle dit avoir souhaité que l’employeur réaménage les lieux et l’horaire de travail pour éliminer les risques que présente son emploi et lui permettre de poursuivre ses activités pendant sa grossesse. Le directeur de l’entreprise, monsieur Simard, affirme ne pas avoir perçu cette attente. Au contraire, il croyait donner suite au désir de la salariée en la retirant du travail. De toute façon, tels aménagements requis par l’état de madame Bouchard ne pouvaient être mis en place, selon lui.

[8]           À l’été 2013, madame Bouchard se rend chez Honda de la Capitale et discute avec monsieur Simard de la date de son retour au travail qui est alors fixée au début de février 2014.

 

[9]           Malheureusement, la salariée apprend, en septembre 2013, que ses parents sur qui elle compte pour s’occuper des enfants lors de son retour au travail quittent la ville. Elle entreprend donc des démarches pour trouver un service de garde disponible de jour comme de soir. Ses recherches sont partiellement fructueuses : la garderie retenue ferme ses portes à 17 h.

[10]        Sans service de garde le soir et considérant l’absence de son conjoint dont l’emploi implique des déplacements à l’extérieur de la ville, madame Bouchard conclut qu’elle ne peut travailler que de 8 h à 16 h, et ce, chaque jour. Elle en informe l’employeur deux semaines avant la date de son retour au travail, soit en janvier 2014.

[11]         L’employeur s’oppose d’emblée à cette demande de modification de l’horaire, le travail de soir est incontournable pour une directrice des services financiers. Il ne propose aucune alternative et demande à la salariée de respecter cet horaire, incluant les quatre soirées de travail. Madame Bouchard est également ferme, elle doit quitter le travail à 16 h.

[12]        Selon la salariée, il s’agit d’une situation temporaire, le temps de trouver une solution à la garde des enfants. Madame Bouchard explique qu’elle avait besoin de cet aménagement « pour une durée indéterminée » puisqu’elle ignore à quel moment sera résolu le problème de garde. Elle l’aurait dit aux représentants de l’employeur, qui le nient.

[13]        Le 24 janvier 2014, elle signe et transmet à l’employeur une lettre faisant état de sa position. Bien qu’elle se dissocie du ton de la correspondance rédigée par son conjoint, elle convient que le contenu est exact. En voici l’essentiel :

La présente fait suite à notre rencontre du 17 janvier 2014 et de votre courriel adressé à mon endroit en date du 20 janvier 2014. En prévision de mon retour au travail le 3 février prochain, je vous aie rencontré le vendredi 17 janvier à vos bureaux chez Honda de la Capitale, afin de trouver un accommodement dans le but de modifier mon horaire de travail, relativement à mes contraintes d’ordres familiales. L’horaire que je vous aie offert est du lundi au vendredi de 8h00 à 16h00.

Les contraintes reliées à l’horaire de travail que vous me proposée sont : l’indisponibilité des services de garde jusqu’à 21h00 et ce, après multiples vérifications, l’incapacité d’aide provenant de mon milieu familial et finalement l’horaire de travail de mon mari puisqu’il doit dans l’exercice de ses fonctions composer avec un horaire variable, sur la route et des couchers à l’extérieur du domicile familial.

Finalement, je m’attends à retrouver mes conditions de travail initiales étant : mon bureau antérieur situé au 2ième étage incluant tout ce qui le composait à mon départ, ma carte de crédit d’essence à la hauteur de 50 dollars par semaine ainsi qu’un véhicule démonstrateur neuf de l’année en cours de modèle Honda Accord ou Honda CRV et ce, prêt et à ma disposition pour le vendredi 31 janvier 2014 au plus tard, en prévision de mon intégration au travail prévu en date du 3 février prochain.

 

(reproduit tel quel)

[14]        Le même jour, l’employeur réitère, par écrit, que l’horaire de travail auquel devra se conformer madame Bouchard demeure « de 9h00 à 21h00 du lundi au vendredi avec deux (2) avant-midi et un (1) soir de congé par semaine ».

[15]        Malgré ce désaccord, la salariée retourne au travail le 3 février, comme prévu. Le contexte dans lequel cela s’effectue fait toutefois l’objet de preuves contradictoires.

[16]        Il est admis que le véhicule auquel réfère madame Bouchard dans sa correspondance, n’a pas été mis à sa disposition le 31 janvier. Elle a dû se rendre au travail par ses propres moyens. Le 3 février, l’employeur lui a confié un véhicule de catégorie inférieure à celle demandée et donc, à ce que madame Bouchard avait l’habitude de conduire. La voiture est par contre bien équipée, a peu de kilométrage au compteur et est disponible dès le retour au travail. Le contrat de travail qui lie la salariée et l’employeur laisse à celui-ci toute discrétion dans le choix du véhicule, mais selon madame Bouchard, son statut et ses performances dans l’entreprise lui donnaient droit à une voiture plus luxueuse.

[17]        Par ailleurs, madame Bouchard estime avoir été accueillie froidement. Elle est ostracisée par les collègues : personne ne lui parle. De plus, son nouveau bureau est moins spacieux, éclairé et équipé que le précédent. Ses outils de travail sont désuets ou absents.

[18]        Les témoins de l’employeur affirment au contraire que la salariée a été accueillie de façon appropriée, qu’elle a été présentée à tous à la première occasion, puisque plusieurs membres de l’équipe ne l’avaient encore jamais rencontrée. Il est vrai que madame s’est vu confier un nouveau bureau pour éviter deux déménagements et qu’il est légèrement plus petit que le précédent, mais l’ameublement est standard et l’équipement informatique, neuf.

[19]        On retient de tout ceci que le retour au travail après les congés de maternité et parental ne s’est pas fait dans la joie. La demande d’aménagement de l’horaire de travail de madame Bouchard et sa lettre du 24 janvier ont indisposé monsieur Simard et l’attitude de celui-ci a heurté la salariée qui espérait de la compréhension et de l’empathie compte tenu des difficultés auxquelles elle fait face. L’atmosphère de travail n’est pas chaleureuse, sans être malsaine. 

[20]        Par contre, il est clair que les parties sont campées sur leurs positions en regard de l’horaire, et ce, dès le départ. La suite des événements l’illustre bien :

·           Le 3 février, monsieur Simard présente à madame Bouchard un horaire comprenant quatre soirées de travail. Madame refuse de le signer.

·           À 16 h, elle salue son supérieur en s’excusant de devoir quitter le travail et en rappelant ses contraintes familiales. Il lui répond qu’elle connaît les exigences de l’employeur en regard de l’horaire et qu’elle devra assumer les conséquences de son défaut de s’y conformer.

·           Le 4 février, un avertissement écrit rappelant l’horaire de travail est remis à la salariée.

·           Le même jour, elle quitte le travail à 16 h. Selon l’horaire établi par l’employeur, elle bénéficie alors d’une soirée de congé, mais doit fournir sa prestation de travail jusqu’à 17 h.

·           Le 5 février, madame Bouchard se présente au travail à 8 h alors que son horaire prévoit une matinée de congé, si bien qu’elle n’est attendue qu’à compter de 12 h.

Elle quitte de nouveau à 16 h plutôt qu’à 21 h, rappelant ses obligations familiales.

·           Le 6 février, monsieur Simard remet à la salariée une lettre annonçant sa suspension sans solde d’une durée de deux semaines, pour insubordination. Il y est fait mention de la dernière chance qui lui est offerte de conserver son emploi et du congédiement qui lui sera imposé si elle ne se conforme pas à l’horaire de travail.

Cette suspension n’a pas fait l’objet de plainte de la salariée qui se dit toutefois choquée par la mesure.

·           Le 24 février, madame Bouchard reprend le travail selon l’horaire de travail qu’elle a annoncé en janvier, soit de 8 h à 16 h puisque sa situation familiale est inchangée.

Elle quitte de nouveau le travail à 16 h en expliquant ne pas être en mesure de rester en soirée.

·           Le lendemain, 25 février, elle est informée de son congédiement. L’employeur écrit alors :

(…) nous avons toujours donné à nos employés la possibilité de s’absenter du travail pour des besoins ponctuels et familiaux. Ceci dit, sachez que cela ne va pas jusqu’à modifier l’horaire régulier de travail, surtout qu’il est de la nature du travail d’une directrice des services financiers qu’elle travaille de soir, soit lorsque les clients sont présents en concession.

[21]        Madame Bouchard est stupéfaite et déçue de cette décision. Elle déplore ne pas avoir pu discuter avec l’employeur des solutions possibles. Elle mentionne qui lui aurait été possible de travailler le soir lorsque son conjoint est présent, d’effectuer d’autres tâches pour compenser le service qu’elle ne pouvait accomplir le soir, etc. Elle admet ne pas avoir offert ou discuté de ces alternatives avec l’employeur parce que monsieur Simard « était fermé ».

les prétentions

[22]        La salariée a le droit de s’absenter du travail pour assurer la garde de ses enfants, jusqu’à dix jours par an. Elle a été congédiée après quatre jours de départ anticipé du travail. Il s’agit donc d’une pratique interdite par la Loi qui ne peut pas constituer une cause juste et suffisante de congédiement.

[23]        Par ailleurs, la salariée ne doit pas être privée de son travail à cause de sa situation parentale et des « obligations de base » que cela sous-tend. Ces éléments sont inclus dans la notion d’état civil, un motif de discrimination interdit par la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12 (la Charte). L’employeur a le devoir de rechercher une mesure d’accommodement permettant à la salariée de conserver son emploi et de faire face à ses obligations familiales à moins que cela n’impose une contrainte excessive. Or, il n’a pas fait cet exercice.

[24]        Pour sa part, l’employeur fait valoir que la situation parentale ne relève pas de l’état civil et qu’il ne s’agit pas d’un motif de distinction protégé par la Charte. Rien ne l’oblige à accommoder la salariée qui ne respecte pas l’horaire de travail. Quant aux congés pour obligations familiales, ils n’ont pas pour but d’obtenir un horaire différent de celui requis par l’employeur, mais de faire face à des besoins ponctuels de congés. Enfin, la gradation des sanctions n’est pas nécessaire dans les cas où, comme celui-ci, la position de la salariée est campée.

les motifs

La plainte de pratique interdite

[25]        La Loi protège en ces termes l’emploi des salariés qui bénéficient de congé de maternité, de paternité ou parental :

81.15.1. À la fin d'un congé de maternité, de paternité ou parental, l'employeur doit réintégrer le salarié dans son poste habituel, avec les mêmes avantages, y compris le salaire auquel il aurait eu droit s'il était resté au travail.

[26]        La plainte pour pratique interdite de la salariée ne fait mention que de l’exercice du droit au retour de congé de maternité, mais les prétentions des parties lors de l’audience portent plutôt sur le droit aux congés pour obligations familiales. La Commission prend note de ce changement et corrige la plainte aux fins de se « prononcer sur la véritable question ». La jurisprudence reconnaît en effet que « ces règles et la discrétion accordées aux tribunaux (civils et administratifs) sont destinées à faire apparaître le droit, plutôt qu’à mettre fin prématurément aux demandes en justice », Hénot c. Multi Portions inc., 2007 QCCRT 0121, Villeneuve c. Ville de Boucherville, 1988 R.J.Q. 275 (C.A.).

[27]         De toute façon, la plainte initialement déposée pour contester une mesure de représailles à la suite du retour d’un congé de maternité est manifestement mal fondée. L’article 81.15.1 de la Loi prévoit en effet le droit de retour au travail de ces salariés « dans son poste habituel, avec les mêmes avantages ». Or, madame Bouchard souhaite au contraire un horaire substantiellement différent de celui qui était le sien avant son absence.

[28]        La plainte étant corrigée, il convient de l’examiner en lien avec l’exercice du droit aux congés pour obligations familiales prévu à l’article 79.7 de la Loi :

79.7. Un salarié peut s'absenter du travail, sans salaire, pendant 10 journées par année pour remplir des obligations reliées à la garde, à la santé ou à l'éducation de son enfant ou de l'enfant de son conjoint, ou en raison de l'état de santé de son conjoint, de son père, de sa mère, d'un frère, d'une sœur ou de l'un de ses grands-parents.

Ce congé peut être fractionné en journées. Une journée peut aussi être fractionnée si l'employeur y consent.

Le salarié doit aviser l'employeur de son absence le plus tôt possible et prendre les moyens raisonnables à sa disposition pour limiter la prise et la durée du congé.

[29]        L’article 122 interdit l’imposition de mesures de représailles au salarié qui exerce un droit prévu par la Loi :

122. Il est interdit à un employeur ou à son agent de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié, d'exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles ou de lui imposer toute autre sanction:

1°  à cause de l'exercice par ce salarié d'un droit, autre que celui visé à l'article 84.1, qui lui résulte de la présente loi ou d'un règlement;

[…]

[30]        Lorsqu’un salarié exerce un tel droit et que, de façon concomitante, il reçoit une sanction, celle-ci est réputée être une mesure de représailles illicite. L’article 123.4 de la Loi renvoie en effet à l’article 17 du Code du travail, RLRQ, c. C-27 (le Code) qui énonce cette présomption :

17. S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le salarié exerce un droit qui lui résulte du présent code, il y a présomption simple en sa faveur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui à cause de l'exercice de ce droit et il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou mesure à l'égard du salarié pour une autre cause juste et suffisante.

[31]        Pour en bénéficier, la salariée doit donc démontrer : « qu’il est un salarié au sens de la LNT qui s’est vu imposer une sanction et a exercé un droit qui lui résulte de cette loi. La jurisprudence de la Commission exige en outre une certaine concomitance entre la sanction contestée et l’exercice du droit », Himsworth c. 9255-3106 Québec inc. Payza Gestion ANF inc., 2014 QCCRT 0617.

[32]        L’employeur peut renverser cette présomption en démontrant que la mesure est fondée sur une autre cause juste et suffisante.

[33]        La jurisprudence a établi que la Commission « doit être satisfait[e] que l’autre cause invoquée par l’employeur est une cause sérieuse, par opposition à un prétexte, et qu’elle constitue la cause véritable du congédiement », Lafrance et autres c. Commercial Photo [1980] 1 R.C.S. 536; Amorim c. Restaurant Subway Québec ltée, 2006 QCCRT 0269.

La présomption ne peut être appliquée dans la présente affaire puisque madame Bouchard n’a pas démontré avoir exercé un droit prévu à la Loi. Comme exposé dans la décision Décosse c. Logistique Laurin inc., 2009 QCCRT 0547, l’article 79.7 de la Loi requiert en effet que la salariée prouve :

·           s’être absentée moins de dix jours par année;

·           pour remplir des obligations liées à la garde de son enfant;

·           avoir avisé son employeur le plutôt possible de ces absences et;

·           avoir pris les moyens raisonnables pour limiter la prise et la durée des congés.

[34]        L’employeur soutient au surplus que l’article 79.7 de la Loi ne permet aux salariés que de s’absenter pour faire face à des imprévus ou des circonstances particulières. Il n’est cependant pas nécessaire de décider de cet argument dans la présente affaire, puisque la salariée n’a pas démontré qu’elle satisfait les conditions donnant droit aux congés prévus à l’article 79.7 de la Loi.

[35]        En effet, pendant toute la période de son retour au travail, jamais il n’a été question d’absence pour remplir des obligations reliées à la garde de son enfant, non plus que de son besoin d’un maximum de dix soirées de congés pour faire face à de telles obligations, malgré ce que prévoit son horaire. Madame Bouchard revendique au contraire un horaire de jour, sans aucune soirée de travail, et ce, pour une durée indéterminée. Or, la Loi ne crée pas de droit à un horaire de travail adapté aux difficultés que pose cette conciliation.

[36]        Il est vrai qu’en quittant prématurément le travail à quatre reprises pour se rendre à la garderie, la salariée, dans les faits, s'absente « du travail (…) pour remplir des obligations reliées à la garde ». Mais prétendre ainsi, à rebours, qu’elle a exercé un droit prévu à la Loi serait réécrire l’histoire.

[37]        En effet, le 17 janvier, madame Bouchard dit aux représentants de l’employeur avoir besoin d’un accommodement de son horaire de travail et écrit, quelques jours plus tard, vouloir modifier son horaire.

[38]        De même, le 4 février, alors qu’elle bénéficie d’une matinée de congé, elle se présente néanmoins au travail dès 8 h, soit au moment où commence le travail selon l’horaire qu’elle a demandé et qui lui a déjà été refusé à au moins trois reprises. Il n’est pas question ici de congé pour obligations familiales en lien avec la garde d’un enfant, mais bien d’un nouvel aménagement des heures de travail créé et revendiqué par madame Bouchard.

[39]        Cet argument de la salariée doit donc être rejeté parce qu’il ne repose pas sur les faits mis en preuve. Madame Bouchard n’a pas exercé le droit de s’absenter pour obligations familiales. L’eut-elle fait, elle n’a pas démontré satisfaire aux conditions y donnant ouverture plus particulièrement, avoir pris « les moyens raisonnables à sa disposition pour limiter la prise et la durée du congé », une condition essentielle, Perras c. Ministère de la Sécurité publique, 2010 QCCRT 0019, requête en révision rejetée 2010 QCCRT 0268.

[40]        Il est vrai qu’elle a fait des démarches pour trouver un service de garde disponible en soirée, mais cette recherche ne permet pas, à elle seule, de conclure que les moyens raisonnables ont été pris pour limiter la prise des congés.

[41]        La salariée n’a donc pas exercé un droit prévu par la Loi. La présomption ne s’applique pas et la plainte soumise en vertu de l’article 122 doit être rejetée.

le congédiement sans cause juste et suffisante

[42]        L’article 124 de la Loi interdit le congédiement de certains salariés, en l’absence d’une cause juste et suffisante :

124. Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail (…) sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs (…).

[43]        Madame Bouchard soutient avoir été congédiée en contravention avec l’article 10 de la Charte :

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Motif de discrimination.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

[44]        L’employeur a-t-il fait la preuve d’une cause juste et suffisante du congédiement de la salariée?

[45]        La lettre confirmant la mesure fait état des refus répétés de la salariée de se conformer à son horaire de travail. Ces refus sont admis, mais justifiés, selon madame Bouchard, par son droit d’exiger de l’employeur qu’il modifie son horaire pour tenir compte de sa situation familiale. Conclure autrement serait permettre la discrimination fondée sur l’état civil lequel inclut la situation parentale et donc, une violation à la Charte.

[46]        La Charte des droits et libertés de la personne interdit la discrimination fondée sur un des motifs énoncés à son article 10. La situation parentale n’est toutefois pas l’un de ces motifs de discrimination illicite. La Cour d’appel l’a clairement énoncé, dans l’affaire Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord, 2010 QCCA 497 :

[27] En droit, il y a lieu de souligner que ni le législateur fédéral, dans la Charte canadienne des droits et libertés, ni le législateur provincial, à l'article 10, n'ont jugé à propos d'ériger la situation parentale, l'état parental et, encore moins, le congé parental au rang de droits fondamentaux bénéficiant de la protection des chartes. 

[47]        La Commission a conclu au même effet dans l’affaire Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, 2011 QCCRT 0023, alors que la salariée s’est vu refuser le droit à une promotion au motif qu’elle n’était pas disponible pour travailler les quarts de soir et de fin de semaine. Elle invoquait sa situation familiale et l’handicap de son enfant pour revendiquer le droit à un horaire de travail adapté. Le syndicat a refusé de contester la décision de l’employeur, ce dont madame Beauchesne se plaint à la Commission.

[48]        L’argument de la salariée fondé sur la Charte est rejeté par la Commission qui écrit :

[38]  La plaignante réclame un accommodement à cause du handicap de son fils. Ce handicap n’est pas le sien et l’accommodement réclamé est plutôt lié à sa situation parentale. Cette situation n’est pas un motif de discrimination interdit par la Charte des droits et libertés comme l’a mentionnée la Cour d’appel dans Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord - Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse-Côte-Nord.

(caractère gras ajouté, référence omise)

[49]        En révision judiciaire, cette interprétation de la Charte est jugée correcte par la majorité des juges de la Cour d’appel qui distingue l’exclusion fondée sur la non-disponibilité, de celle qui repose sur le fait d’être parent. Voir Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2013 QCCA 2069 :

[100]     Aux termes de la Charte québécoise, il n'y a de discrimination qu'en présence d'une distinction, exclusion ou préférence résultant de l'un ou l'autre des motifs énoncés à l'article 10. Beauchesne en propose trois (état civil, handicap et moyen pour pallier au handicap), mais aucun d'eux ne s'applique.

[101]     Beauchesne propose que sa situation familiale est incluse dans le motif « état civil ». Elle prend appui notamment sur trois décisions du Tribunal des droits de la personne où le fait d'être parent a permis de conclure à de la discrimination fondée sur l'état civil. Dans ces trois cas, un service avait été refusé au plaignant parce qu'il était parent, parce qu'il avait de jeunes enfants. Ces décisions ne s'appliquent pas en l'espèce, car Beauchesne n'a pas été exclue parce qu'elle est parent (parce qu'elle a un fils), mais en raison de sa non-disponibilité à occuper la fonction sur tous les quarts de travail.

(caractère gras ajouté, citation omise)

[50]        La jurisprudence développée par les tribunaux spécialisés en droit du travail est, de façon générale, au même effet. Voir Université de Montréal et Syndicat des employés d’entretien de l’Université de Montréal, section locale 1186, SCFP - FTQ (Fernand Landry), 2014 QCTA 685; Syndicat des travailleurs de Environnement Godin - CSN et Environnement Godin inc., D.T.E. 2008T-231 (T.A.).

[51]        Au soutien de sa demande d’accommodement raisonnable, la salariée invoque les textes de certains auteurs qui prônent la reconnaissance de la situation de parentalité comme un des aspects de l’état civil. Voir à cet égard Johanne DROLET et Karim LEBNAN, L’accommodement des droits parentaux en droit du travail québécois : un aggiornamento s’impose, dans S.F.C.B.Q., Barreau du Québec, Congrès annuel du Barreau 2012, Cowansville, Éditions Yvon Blais et France RIVARD, Discrimination basée sur l’ « état civil » prévue à la Charte des droits et libertés de la personne et distinction basée sur la « situation de famille » prévue à la Loi canadienne sur les droits de la personne, SOQUIJ, L’Express, vol. 2, no 13, 1er avril 2011.

[52]        Il est vrai que ces auteurs soutiennent la pertinence d’une plus grande protection de la situation parentale par les chartes, mais ils reconnaissent également que tel n’est pas l’état du droit. Au contraire, depuis la publication de ces articles, la Cour d’appel a réitéré dans l’affaire Beauchesne précitée, l’absence de protection constitutionnelle dans ce cas.

[53]        Madame Bouchard ne pouvait donc pas exiger de l’employeur qu’il modifie son horaire de travail pour lui permettre de concilier ses obligations professionnelles et familiales. Partant, elle ne pouvait non plus refuser de se conformer à cet horaire comme elle l’a fait.

[54]        Honda de la Capitale l’a avertie verbalement et par écrit de ses attentes, du caractère inacceptable de son comportement et des sanctions à venir si elle persiste dans cette voie. Une suspension sans solde de deux semaines lui a également été imposée pour ce motif. Cette sanction aurait dû permettre à madame Bouchard de prendre la mesure des conséquences possibles de son refus d’accepter l’horaire de travail en vigueur chez son employeur. La salariée n’a fait preuve d’aucune remise en question, ni démontré avoir mis cette période à profit pour trouver une solution, même temporaire, à la problématique à laquelle elle faisait face.

[55]        Dans ces circonstances, le congédiement imposé pour insubordination est justifié. 

 

 

 

 

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

 

REJETTE                     les plaintes.

 

 

 

__________________________________

Annie Laprade

 

Me Catherine Hébert

RIVEST, TELLIER, PARADIS

Représentante de la plaignante

 

Me Guy C. Dion

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Représentant de l’intimée

 

Date de la dernière audience :

7 novembre 2014

 

/sv

 

AVIS :
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