Décision

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Bédard c. Viens Juillet

2022 QCTAL 11803

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Bureau dE Salaberry-de-Valleyfield

 

No dossier :

610867 27 20220203 G

No demande :

3454142

 

 

Date :

25 avril 2022

Devant la juge administrative :

Danielle Deland

 

Serge Bédard

 

Locateur - Partie demanderesse

c.

Emmanuelle Viens Juillet

 

Locataire - Partie défenderesse

 

D É C I S I O N    I N T E R L O C U T O I R E

 

 

[1]         Le locateur a produit une demande pour obtenir l’autorisation de reprendre le logement occupé par la locataire. Cette demande a été notifiée à la locataire par courrier recommandé livré le 9 février 2022.

[2]         Les parties sont liées par un bail couvrant la période du 1er avril 2019 au 30 juin 2020 au loyer mensuel de 1 400 $, bail reconduit au 30 juin 2022 au même loyer.

[3]         Dans sa demande, le locateur déclare qu’il a avisé la locataire qu’il entendait reprendre le logement pour y loger sa fille, Fanny Bédard, à compter du 1er juillet 2022.

[4]         La locataire n’a pas répondu à l’avis, de sorte qu’elle est présumée avoir refusé de quitter les lieux; le locateur a donc introduit la présente demande, et ce, dans le délai prévu à l’article 1963 du Code civil du Québec. Présente à l’audience, la locataire (qui n’a pas 70 ans ou plus) conteste les intentions du locateur quant à la reprise.

Moyen préliminaire

[5]         L’avocat de la locataire demande le rejet de la demande au motif que l’avis n’est pas conforme aux articles 1960 et 1961 du Code civil du Québec.

« 1960. Le locateur qui désire reprendre le logement ou évincer le locataire doit aviser celui-ci, au moins six mois avant l'expiration du bail à durée fixe; si la durée du bail est de six mois ou moins, l'avis est d'un mois.

Toutefois, lorsque le bail est à durée indéterminée, l'avis doit être donné six mois avant la date de la reprise ou de l'éviction. »

« 1961. L’avis de reprise doit indiquer la date prévue pour l’exercer, le nom du bénéficiaire et, s’il y a lieu, le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur.

L’avis d’éviction doit indiquer le motif et la date de l’éviction.

Ces avis doivent reproduire le contenu de l’article 1959.1.

La reprise ou l’éviction peut prendre effet à une date postérieure à celle qui est indiquée sur l’avis, à la demande du locataire et sur autorisation du tribunal. »


[6]         La preuve a démontré que les relations entre les parties sont tendues.

[7]         Le locateur avait introduit une demande de résiliation du bail de la locataire pour nonpaiement de loyer (dossier 547845 27 20201204 ) et ce dossier a été réuni à celui créé par la demande de la locataire, demande en diminution de loyer, en ordonnances au locateur d’exécuter ses obligations, en dommages matériels, des dommages moraux et dommages punitifs (dossier 550639 27 20201229). Suite à une ultime audience, le juge administratif Michel Huot a pris ces deux dossiers en délibéré et sa décision n’est pas encore rendue.

[8]         Cependant, le juge administratif Huot avait indiqué dans son procèsverbal du 29 novembre 2021 : « suite à l’amendement de la locataire du 29112021, le locateur fera compléter une expertise des lieux loués pour déterminer la nécessité de faire faire les travaux. » (sic)

[9]         La locataire a témoigné que le 6 décembre 2021, le locateur s’est présenté au logement concerné afin d’effectuer l’inspection commandée par le juge administratif Huot. La veille, le locateur aurait donné un préavis de sa visite à la locataire en précisant qu’il ne serait pas accompagné d’un ingénieur, mais d’un très bon inspecteur. Finalement le locateur est arrivé, accompagné de sa fille et du conjoint de cette dernière, qui a admis ne pas être venu inspecter la maison, mais plutôt la visiter. La locataire a refusé la visite au motif qu’elle n’avait pas eu de préavis pour ce type de visite. En quittant la maison, le locateur aurait tendu une feuille à la locataire qui a refusé de la prendre et qui a fermé la porte.

[10]     Le jour même, le locateur a envoyé un nouvel avis à la locataire par courriel et par message texte, message dans lequel il annonçait son intention de reprendre le logement et dans lequel il avisait la locataire qu’une deuxième visite aurait lieu 24 heures plus tard, non pas pour inspecter le logement, mais bien pour le visiter.

[11]     Cet avis se lit comme suit :

« Je te donne un avis de 24h que je vien faire visiter la maison demain. Si tu m’empêche de faire visiter ma maison ben sa prouvera que t’est de mauvaise volonté. Ma fille n’a pas de maison où habiter et le [...] correspond très bien ses besoins. Je suis dans lmon droit et je respecte les délais. Ce message constitue une annonce officiel que je reprend possession en date du 1e Juillet 2022 pout y loger ma fille. Commence tes recherches dès maintenant pour te trouver un endroit pour habiter à partir du 1e juillet 2022.

Merci de ta compréhension » (sic)

Analyse

[12]     Lorsque le locateur a constaté que la locataire avait refusé de prendre l’avis de reprise qu’il avait voulu lui remettre en mains propres le 6 décembre 2021, plutôt que de lui envoyer par huissier, il a choisi de lui envoyer un nouvel avis par message texte et par courriel.

[13]     Or, le nom de la fille du locateur, la bénéficiaire de la reprise, n’apparaît pas dans cet avis.

[14]     Pourtant, l’article 1961 et la jurisprudence sont clairs : non seulement le degré de parenté ou le lien du bénéficiaire avec le locateur doiventils apparaître, mais aussi son nom.

[15]     Dans l’affaire Cliff Blackburn c. Bryn Vienna Larsen[1], le juge administratif Alexandre Henri résumait l’état de la jurisprudence sur ce sujet et il écrivait :

« [47] Tel que le mentionne le juge Daniel Dortélus de la Cour du Québec dans l’affaire Metaxas c. Speirs, un avis qui ne contient pas le nom du bénéficiaire est invalide :

« [25] L’avis envoyé par le locateur ne rencontre pas les exigences de l’article 1961 C.c.Q. en ce qu’il n’indique pas les noms des bénéficiaires de l’avis. Cet avis est insuffisant, il n’est pas valide, ce seul motif est suffisant pour le rejet de la demande du locateur devant la Régie et le rejet de son appel. »

[Notre soulignement]

[48] Sur le même sujet, le juge Bernard Tellier de la Cour du Québec mentionne ce qui suit dans l’affaire Eng c. Delisle :

« [17] Nous nous trouvons dans un domaine où le législateur et les tribunaux luttent contre les abus commis par certains locateurs et, comme le fait toujours remarquer madame Rousseau-Houle:


"Les mentions obligatoires dans l'avis, en particulier celles du nom du bénéficiaire, sont un bon moyen d'assurer au locataire une défense pleine et entière. L'omission d'une des mentions obligatoires devrait être fatale, à moins que, exceptionnellement, le locataire y renonce de façon claire ou encore qu'il soit évident que le locataire pouvait identifier le bénéficiaire sans demander d'informations additionnelles, c'est-à-dire si le bénéficiaire était déterminable avec certitude à l'aide des informations contenues dans l'avis. »

[Notre soulignement]

[49] Même si les locateurs ont indiqué le nom de leur fils dans la demande qu’ils ont déposée au Tribunal, le défaut d’avoir omis de l’indiquer au départ dans l’avis de reprise est fatal, tel que le mentionne à juste titre la juge administrative Francine Jodoin dans l’affaire Barile c. Lazanas :

« [19] Les articles 1957 et suivants du Code civil du Québec concernant la reprise du logement sont qualifiés d’ordre public et elles mettent en échec le droit du locataire au maintien dans les lieux.

[20] Ce que la jurisprudence vise à prohiber, ce sont les avis qui ne permettent pas au locataire de vérifier les informations communiquées, l’empêchant ainsi de se préparer adéquatement pour en contester la teneur. Ainsi, si le locataire dispose de suffisamment d’éléments pour identifier avec une certitude raisonnable le bénéficiaire de la reprise, le principe est alors atténué.

[21] En l'occurrence, même si la locataire pouvait se douter de l’identité des bénéficiaires, l’avis demeure ambigu. Elle ne pouvait alors s’assurer de la conformité de la demande aux dispositions législatives.

[22] La demande d'autorisation produite subséquemment ne peut permettre de remédier aux déficiences de l'avis. En effet, le processus de reprise, qui débute par l'envoi de l'avis prévu, est vicié dès le départ lorsque cet avis est invalide. On ne peut donc corriger par une procédure subséquente le défaut de l'avis.

[23] Le tribunal est d'opinion que l'avis transmis est invalide et ne rencontre pas les exigences obligatoires de l'article 1961 du Code civil du Québec précité. C'est au moment de la transmission de l'avis que les intentions précises du locateur doivent être dénoncées. Il s'agit plus qu'une simple informalité. Il s'agit d'un vice fatal auquel le locateur ne peut remédier lors du dépôt de la demande d'autorisation, ni même par les précisions qui peuvent être apportées à l'audience. »

[Nos soulignements] [Références omises] » (Références omises)

[16]     CONSIDÉRANT que l’avis de reprise déposé par le locateur au dossier du Tribunal comportait une erreur cléricale puisqu’il mentionnait la date de reprise comme étant le 1er juillet 2021;

[17]     CONSIDÉRANT que le locateur n’a pas prouvé que la locataire avait reçu cet avis de reprise;

[18]     CONSIDÉRANT que les avis de reprise qu’il a fait parvenir à la locataire par message texte et par courriel ne sont pas conformes à l’article 1961 du Code civil du Québec puisque le nom de la bénéficiaire n’y apparaît pas;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[19]     REJETTE la demande de reprise du locateur qui en assume les frais.

 

 

 

 

 

 

 

 

Danielle Deland

 

Présence(s) :

le locateur

la locataire

Me Daniel Atudorei, avocat de la locataire

Date de l’audience : 

12 avril 2022

 

 

 


 


[1]  TAL 553061 31 20210120 G.

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