Section des affaires sociales
En matière de sécurité ou soutien du revenu, d'aide et d'allocations sociales
Référence neutre : 2016 QCTAQ 02560
Dossier : SAS-Q-210505-1507
SYLVAIN BOURASSA
JOSÉE CARON
c.
[1] Le Tribunal administratif du Québec (le Tribunal) est saisi d'un recours introduit par la requérante à l'encontre d'une décision en révision rendue le 5 juin 2015 par la partie intimée, Retraite Québec.
[2] Par cette décision, la partie intimée refuse de rétroagir le début du supplément pour enfant handicapé de X, fille de la requérante, au-delà du mois d’avril 2014, la demande de la requérante ayant été reçue le 4 mars 2015.
[3] À l’audience tenue le 6 janvier 2016, la requérante est présente et non représentée. Pour sa part, la partie intimée est représentée.
[4] Le Tribunal a entendu le témoignage de la requérante et les représentations de la partie intimée. De la preuve testimoniale et documentaire, le Tribunal retient essentiellement ce qui suit.
LA PREUVE
[5] X est née le […] 2006. Elle est présentement âgée de 9 ans.
[6] X est une enfant adoptée par la requérante et son mari. Elle est la troisième enfant de la famille. Une quatrième enfant sera également adoptée au printemps 2007.
[7] X arrive dans la vie de la requérante alors qu’elle est âgée de 3 jours. La requérante ignore tout de la courte histoire médicale de X, de celle de sa famille biologique de même que son histoire intra-utérine.
[8] Alors que les deux aînées de la requérante se développent normalement, elle constate qu’il en est autrement pour X. Elle croit qu’il s’agit d’une réaction de cette dernière à l’adoption. Discutant de la situation avec d’autres parents adoptants et avec l’arrivée de la quatrième enfant du couple, elle aussi une enfant adoptée, la requérante en arrive à la conclusion que X ne se développe pas normalement.
[9] À son arrivée dans cette nouvelle famille, X présente des comportements d’évitement. Elle repousse la requérante de ses petits bras et examine cette dernière afin de vérifier si elle peut avoir confiance en cette adulte. X est hyper vigilante.
[10] Malgré la curiosité et le dynamisme de X, celle-ci est très colérique. Elle n’aime pas être cajolée; elle évite les contacts et les regards.
[11] Un an après son adoption, la requérante apprend que la mère biologique de X se frappait le ventre durant la grossesse et qu’elle prenait une médication antipsychotique admettant ne pas savoir au début si cette médication pouvait avoir un lien avec l’état de X.
[12] Dès ses premiers déplacements, X a tendance à se diriger vers les endroits interdits. Alors que ses autres enfants assimilent l’interdiction après quelques réprimandes, X continue de défier l’interdit. Elle continue à tester les limites.
[13] Devant la situation, la requérante participe à des rencontres et des formations organisées par un organisme regroupant divers services pour l’adoption d’enfants. X est alors âgée de 17 mois. La requérante exprime ses inquiétudes à l’égard du développement de X. Dans le cadre des rencontres de l’organisme, elle confie à docteure Sufrategui, neuropsychologue, son impuissance face aux crises de sa fille. Elle quantifie la durée des crises à trois heures par jour. Outre ses crises, X butine d’une activité à une autre sans vraiment s’investir.
[14] L’arrivée de la quatrième enfant du couple (elle aussi adoptée) aux prises avec des problèmes d’alimentation n’a pas diminué pour autant les difficultés de X, si bien que la requérante sollicite une consultation avec docteur Sufrategui.
[15] Cette consultation aura lieu en avril 2009. X est âgée de 2 ans et 9 mois. Elle recommande aux parents de stimuler leur fille. X est perçue par la neuropsychologue comme brillante et allumée, ce avec quoi les parents étaient d’accord.
« En résumé, X est une fillette qui se développe très bien à tous les niveaux. Elle a un vif intellect et cherche à être stimulée. Il est important que des opportunités lui soient données pour qu’elle continue à actualiser son potentiel. »[1]
[16] Comme la requérante stimulait déjà beaucoup sa fille, sans aucune incidence sur les crises de cette dernière et voulant créer le lien d’attachement qui tardait à s’établir, elle poursuit sa recherche d’aide.
[17] Par l’intermédiaire de son médecin de famille, une demande d’évaluation de X est formulée à la clinique de développement de l’enfant de l’Hôpital A. Cette demande est refusée puisque X ne répond pas aux critères d’admission pour ces expertises.
[18] À la même époque, X se joint au service de garde en milieu familial qu’opère la requérante. L’adaptation est ardue. Les relations avec les autres enfants sont difficiles. X refuse même que les autres enfants l’approchent. Elle participe peu aux activités et requiert une surveillance constante. Elle attaque physiquement les autres enfants et continue de tester l’interdit si bien qu’elle épuise la requérante qui doit porter une attention particulière à sa propre fille en plus de s’occuper des autres enfants qui fréquentent son service de garde.
[19] La requérante demande à la psychologue de son CPE d’évaluer X. La psychologue l’évaluera une seule fois dans un contexte d’ « un pour un »[2]. Dans cette dynamique d’évaluation différente de son quotidien, X se montre coopérante si bien que la psychologue ne dénote aucun problème particulier.
[20] Devant ce constat, la requérante décide de consulter une psychologue de pratique privée. Après avoir évalué X, celle-ci diagnostique une immaturité affective de X rendant inefficace toute thérapie. Elle dirige les parents vers une ressource en psychoéducation. Toutefois, devant le désarroi de la requérante, la psychologue offre d’accompagner la requérante dans son quotidien[3].
[21] Référés à son CLSC, les intervenants qui ignorent la source des crises de X se penchent sur le sommeil de X afin qu’il soit réparateur. Ils constatent que X ne veut pas s’endormir, a peur d’être abandonnée et refuse ainsi de se laisser aller au sommeil. De plus, X fait 1 à 2 cauchemars par nuit sans pouvoir se rendormir seule. Ses cauchemars ont pour thème l’abandon, notamment la peur d’être enlevée à ses parents adoptifs. Elle souffre aussi d’énurésie nocturne.
[22] La requérante produit au dossier du Tribunal une série de rapports d'évaluation en psychoéducation. Le premier rapport produit, daté du 12 avril 2010, résume la situation de X :
« ANALYSE PSYCHOÉDUCATIVE
En reconnaissant la présence de l'anxiété chez X et une problématique d'attachement, les parents adaptent davantage leurs interventions aux besoins de l'enfant.
Il a été vu en thérapie que l’anxiété de X peut expliquer son niveau d’agitation élevé. Ce niveau d’agitation se manifeste par des comportements impulsifs, agressifs et opposants. Concrètement, elle a tendance à vouloir décider, à défier les règles et à ne pas être conciliante avec les autres enfants et les adultes. C’est dans ces périodes que les parents utiliseront des méthodes davantage autoritaires. Utiliser le retrait pour une non-coopération, exiger un comportement plutôt que de faire vivre la conséquence et lui reprocher certains comportements après leur manifestation en sont des exemples. (…) »
[Nos soulignements]
[23] Le rapport d’évaluation daté du 1er juin 2010, vise les objectifs spécifiques suivants :
· Que les parents vivent chaque étape de la routine du dodo dans un état calme et détendu;
· Que les parents préparent X pour la journée en se référant au tableau des activités;
· Que X utilise la technique de respiration dans les périodes agitées.
[24] Lors du bilan d’intervention du 1er juin 2010, l'intervenante note qu' « en fait, l'objectif d’améliorer les relations que X entretient avec son environnement au quotidien s’est transformé par l’inquiétude des parents envers l’anxiété que X vit lors de la période du dodo, surtout lorsque madame doit quitter le domicile pour une période déterminée. Donc les objectifs ont été travaillés par le biais de la gestion de l’anxiété lors de la période du dodo ainsi que l’anxiété vécue au quotidien en général ».
[Nos soulignements]
[25] X exprimait ses émotions par la colère et s’est mise à bégayer au point de nécessiter une consultation en orthophonie. Heureusement, ce dernier problème s’est estompé au fil du temps.
[26] La requérante a été très sollicitée par X au détriment des trois autres enfants qui ont dû faire face à des relations filiales très difficiles, voir même conflictuelles avec X.
[27] Avec l’entrée à l’école, le suivi du CLSC devait se terminer, les parents étant suffisamment équipés pour faire face à la situation. Toutefois, la requérante prétend que les interventions proposées n’ont jamais réglé tous les problèmes de X. La requérante a insisté pour que le soutien du CLSC soit maintenu pendant la rentrée scolaire de X.
[28] Dès le début de la fréquentation scolaire de X, la requérante affirme qu’elle savait que sa fille avait un problème sans pour autant pouvoir le nommer.
[29] Les divers intervenants ne voyaient pas X pendant ses crises, cette dernière ne se montrant pas vulnérable en leur présence. Toutefois, lorsque la requérante relatait les agis-sements de X aux intervenants, ces derniers lui mentionnaient qu’avec plus de fermeté, de constance, et avec de l’amour pour régler les difficultés d’attachement, elle arriverait à régler les problèmes de X. Elle constate toutefois aujourd’hui son échec à ce niveau.
[30] C’est à cette époque que la requérante affirme avoir entendu parler du trouble de l’attachement et décide d’approfondir ses connaissances sur le sujet. Elle demande au CLSC de rencontrer une intervenante qui connaît ce trouble, mais il n’y en avait aucune dans sa région. Toutefois, on lui parle du programme A. Elle s’inscrit dans ce programme qu’elle suit assidûment à raison d’une demi-journée par semaine. Elle se fait remplacer à son service de garde. À la fin du programme, la psychologue souhaite fermer le dossier de X puisqu’elle va mieux.
[31] La requérante insiste pour maintenir le suivi puisque, effectivement la relation avec X commençait à s’améliorer, un lien d’attachement se manifestait. Cet embryon d’attachement se devait d’être préservé. Toutefois, quoique X commence à exprimer son attachement, elle démontre aussi une tristesse qu’elle exprime par sa colère. Une autre année de rencontres avec la psychologue s’avère nécessaire afin de gérer cette tristesse/colère. La psychologue du CLSC maintient son souhait de fermer le dossier jugeant que l’encadrement apporté par la requérante et son mari est suffisant pour permettre à X de continuer à évoluer.
[32] La requérante affirme que la maternelle de X s’est relativement bien passée. Quoiqu’elle ne soit pas entrée en relation avec des amies, l’enseignante réussit à garder X fonctionnelle. X continue toutefois de chercher l’interdit et nécessite une surveillance soutenue. Les consignes doivent être répétées. Malgré qu’elle soit fonctionnelle, la requérante affirme que sa fille demeurait désorganisée et manquait d’attention. Devant son immaturité, l’enseignante hésitait à permettre le passage de X en première année.
[33] Au cours de sa maternelle, X est évaluée par la psychologue Michèle Brunelle. Son rapport daté du 22 mai 2012 indique ce qui suit :
« La présente évaluation avait pour but de mieux cerner les comportements de X en milieu scolaire au niveau de ses capacités de compréhension, d’attention et de ses interactions sociales (parle peu, ne s’intègre pas aux discussions de groupe, fait de petits vols). Les résultats de l’évaluation intellectuelle indiquent un rendement global qui se situe au niveau de la moyenne par rapport aux pairs. Les capacités intellectuelles ne semblent donc pas en cause dans la variabilité des apprentissages de l’enfant. Le questionnaire de dépistage des symptômes du trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité indique qu’en milieu scolaire l’enfant présente des difficultés significatives de niveau sévère en ce qui a trait à l’inattention et des indices légers d’hyperactivité. À la maison l’enfant présente aussi des difficultés significatives de niveau sévère au niveau de l’attention, mais en nombre et fréquence moindre qu’à l’école. Il ressort des difficultés significatives de niveau sévère en ce qui a trait à l’hyperactivité/impulsivité. De plus on constate des comportements d’opposition majeurs à la maison ainsi qu’une labilité émotionnelle importante, ce qui ne se retrouve pas en milieu scolaire. À la lumière de ces résultats, il pourrait s’avérer utile d'aller vérifier davantage les capacités attentionnelles de l’enfant par un test d’attention spécifique lorsque l’enfant aura atteint l’âge de six ans et fait certains apprentissages de la première année qui sont des acquis nécessaires pour la validité du test d’attention. Par ailleurs X présente une problématique affective au niveau de l’attachement qui peut venir teinter sa façon d’être en relation. En effet, un enfant ayant un trouble réactionnel de l’attachement de type inhibé montre une difficulté à engager des interactions sociales ou à y répondre d’une manière appropriée à son développement. Il a un mode de réponse excessivement inhibé, hypervigilant ou nettement ambivalent (alternance de mouvements d’approche et de réactions de fuite). Cette problématique pourrait expliquer les difficultés au niveau des interactions sociales observées en classe, mais aussi une partie des difficultés attentionnelles ou de collaboration aux tâches étant donné les enjeux relation-nels avec lesquels elle doit se confronter et qui peuvent la rendre moins disponible aux apprentissages à certains moments. Afin de favoriser l’investissement de l’enfant dans ses apprentissages, il est important de maintenir un cadre au niveau des exigences deman-dées à l’enfant et d’intervenir avec une attitude de détachement lors de l’encadrement afin de ne pas réactiver la dynamique du trouble réactionnel de l’attachement. »
[Nos soulignements.]
[34] À la maison, X sacre, insulte ses parents et sœurs. Les crises continuent et X provoque. La requérante applique les consignes des intervenants et isole X dans sa chambre. Cette dernière détruit le mobilier, les portes, les murs et les objets. Le départ pour l’école est difficile, X refusant de s’habiller. Elle doit être accompagnée pour chacune des étapes de sa routine y compris au moment des repas où X ne pouvait manger avec des ustensiles et sans se salir. À chaque départ, X devait être bercée par sa mère pendant une période de 20 à 30 minutes.
[35] Alors qu’elle est en première année, les comportements de X se dégradent. Son comportement inadéquat est souligné quotidiennement soit par l’enseignante, la psychoéducatrice ou encore la directrice. S est agressive envers les autres et fait preuve de comportements et d’agissements étranges. Elle est sortie de classe 4 périodes sur 5.
[36] La requérante et sa fille consultent à nouveau une psychologue chaque semaine. X n’apprécie pas cette psychologue.
[37] D’autres recherches sont effectuées et la requérante rencontre Martin Bernard, psychoéducateur privé de Ville A, formé en troubles de l’attachement. La requérante se sent écoutée et comprise. Par les propos de monsieur Bernard sur les troubles de l’attachement, elle reconnaît les comportements et les propos de X. Dès lors, il assure le suivi de X.
[38] La requérante entreprend à la même période une formation intensive de trois jours sur le trouble de l’attachement. Forte de cette formation et des conseils de monsieur Bernard, la requérante se sent outillée pour mieux gérer les crises de sa fille. Elle change à compter de ce moment ses méthodes d’intervention auprès de X pour appliquer les nouvelles méthodes apprises lors de cette formation et les conseils du nouveau psychoéducateur. Ainsi, elle constate que X évolue de même que le lien de cette dernière avec ses parents.
[39] Toujours pendant sa première année, l’école de X croit qu’elle souffre d’un TDAH. Cette hypothèse vérifiée est mise de côté. Les intervenants ne connaissaient pas, selon la requérante, ce qui constitue le trouble de l’attachement et y accordaient peu d’importance.
[40] Toutefois, malgré que la requérante se sente mieux équipée pour gérer les comportements de sa fille, ceux-ci se détériorent au point où X doit terminer sa première année dans une classe de troubles de comportement. Des démarches sont entreprises pour obtenir une évaluation en pédopsychiatrie.
[41] Le rapport du psychologue scolaire, Raymond Leblanc, daté du mois d’avril 2013, indique:
« En début d’année scolaire, Mme nous informe qu’elle consulte en privé un psychoéducateur qui intervient auprès des parents d'enfants ayant des troubles de l’attachement. Mme Brunelle mentionne une problématique affective en lien avec l’attachement sans qu’un diagnostic formel soit établi. »
[42] Dans le rapport de la psychoéducatrice Chantal Couture, daté du 14 juin 2013, on peut y lire ce qui suit :
« À la demande de la mère, deux entretiens ont eu lieu avec Martin Bernard, psychoéducateur qui a un suivi avec la mère quant aux difficultés d’attachement de X Il a proposé des moyens qui pour la plupart étaient déjà en place pour X »
[43] La requérante remarque néanmoins que la présence de X dans cette classe spécialisée permet de voir les crises et les insultes diminuées à la maison. Cette situation se prolonge pendant la seconde année scolaire de X
[44] En février de la seconde année, X vit pour la première fois une semaine où tout va bien tant à l’école qu’à la maison. C’est à ce moment que l’école envisage retourner X dans une classe régulière pour qu’elle y poursuive sa troisième année.
[45] Les cauchemars reprennent, car X a peur de retourner dans son ancienne école.
[46] Les parents souhaitent que X soit évaluée afin de déterminer les services que son état requiert tant à l’école qu’à la maison. Elle est référée à l’hôpital B.
[47] C’est au cours de l’été précédent le début de sa troisième année scolaire, soit le 18 juillet 2014, que X est diagnostiquée comme ayant un trouble de l’attachement et de l’opposition par la pédopsychiatre Louise Rousseau. L’investigation avait débuté en 2010[4]. Quelques mois plus tard, un diagnostic de TDAH est posé. C’est cette professionnelle de la santé qui confirme aux parents que les diagnostics de leur fille s’inscrivent dans la définition de handicap pour se voir octroyer un supplément pour enfants handicapés.
[48] Le début de la troisième année scolaire de X se passe relativement bien, mais rapidement les anciens comportements reviennent.
[49] La requérante entreprend pour sa fille une thérapie avec le psychologue Richard Fortin, à compter du 12 avril 2014, à raison de deux séances par semaine. Le psychologue écrit, dans une lettre datée du 29 mars 2015 que « les parents ont observé de meilleures capacités d'adaptation chez leur fille; l'enfant vit actuellement moins de situations de crise et elle retrouve son calme plus rapidement qu’auparavant. »
[50] La requérante affirme qu’elle savait qu’en adoptant X certains problèmes pouvaient surgir, mais elle ajoute que rien ne la préparait à ce qu’elle a vécu.
[51] En rétrospective, elle constate avoir cogné à plusieurs portes pour obtenir l’aide requise par l’état de sa fille, mais elle doit admettre le manque de ressources formées pour traiter la condition de X.
[52] La requérante soutient qu'elle et son mari ont mis toutes leurs énergies dans la recherche d’une solution ou de ressources pour aider leur fille, et ce, au détriment de leur santé mentale et de la perte de leur qualité de vie. Encore aujourd’hui, il n’existe plus de temps pour elle, pour son couple et très peu de temps pour les autres membres de la famille. Tout leur temps et toutes leurs énergies sont consacrés à X Ils ne peuvent faire garder X puisque son encadrement demande trop pour une adolescente.
[53] Pour justifier le fait de ne pas avoir déposé une demande dès l’obtention des diagnostics, mais plutôt en mars 2015, la requérante expose un problème de pyrrhotyte à leur propriété apparu au cours de l'été 2014. Dès lors, ils ont dû faire les démarches pour le début des travaux et orchestrer le déménagement temporaire de la famille. Ces travaux se sont échelonné tout l'automne 2014 et une partie de l'hiver 2015. S’ajoutent à cette situation des problèmes de santé de la requérante découverts en janvier 2014 et qui ont nécessité une chirurgie en décembre 2015
[54] La demande de révision de la décision initiale de la partie intimée, complétée par la requérante mentionne que :
« (…) Nous savons que la loi prévoit une rétroaction de 11 mois dès qu’une décision est rendue. Par contre la longueur de l’attente avant d’obtenir enfin un diagnostic fait que nous n’avons pas pu présenter une demande plus tôt dans sa vie, bien que les difficultés aient été présentes. C’est pourquoi nous demandons que la rétroaction soit effective jusqu’à la naissance. »
[55] De plus, la requête introductive d’instance de leur recours devant le Tribunal, indique à la section objet et motifs ce qui suit :
« (…) Malgré les demandes d’aide au CLSC et auprès des ressources privées, personne ne nous a parlé de la possibilité d’obtenir une allocation pour personne handicapée qui nous aiderait à payer les frais de service psychosociaux pour elle. Nous ne l’avons su qu’en ayant le diagnostic de la pédopsychiatre. C’est pourquoi nous n’avons pas pu présenter une demande avant. Par contre, les difficultés, elles étaient bien réelles depuis 2006 et épuisantes pour nous, ses parents, ainsi que pour les autres membres de sa famille. Ces sommes nous seraient bien utiles pour continuer à lui offrir les services d’aide dont elle a besoin. C’est pourquoi nous aimerions que les allocations pour enfant soient versées rétroactivement depuis sa naissance. »
[56] Elle plaide finalement la difficulté de présenter un handicap « invisible » d’un enfant par opposition à un handicap plus visible. Sans être en mesure de mettre un diagnostic sur les problèmes de X, il était difficile de prétendre qu’elle pouvait être handicapée, et ce, même si les intervenants affirment maintenant que les problèmes de X étaient présents dès sa naissance.
[57] Elle affirme à l’audience bien connaître l’allocation de supplément pour enfants handicapés puisque sa seconde fille la reçoit pour un handicap alimentaire.
ANALYSE ET DISCUSSION
[58] Rappelons d’abord que le Tribunal n’a pas à déterminer si X est handicapée au sens de la Loi, la partie intimée ayant déclaré X éligible aux prestations de soutien pour enfants handicapés à compter du mois d’avril 2014. Seule la date d’admissibilité à ces prestations demeure en litige.
[59] La requérante souhaite que les prestations remontent à la naissance de l’enfant. Pour ce faire, le Tribunal devra dans un premier temps conclure que la Régie aurait dû proroger le délai prévu à la loi. S’il arrive à cette conclusion, il devra par la suite conclure que X était dès lors présumée handicapée ou dans le cas contraire évaluer l’importance du handicap de l’enfant suivant divers critères.
LE DROIT APPLICABLE
[60] Pour déterminer la date d’admissibilité de X aux prestations de soutien pour enfant handicapé, le Tribunal doit appliquer les conditions de l’article 1029.8.61.24 de la Loi sur les impôts[5] lequel se lit comme suit :
1029.8.61.24. Un particulier ne peut être considéré comme un particulier admissible, à l’égard d’un enfant à charge admissible, au début d’un mois donné que s’il présente une demande, à l’égard de cet enfant à charge admissible, auprès de la Régie au plus tard 11 mois après la fin du mois donné.
La Régie peut, en tout temps, proroger le délai fixé pour présenter une demande visée au premier alinéa
[61] La partie intimée a établi la date d’admissibilité de X à cette allocation en fonction du premier alinéa de cet article, soit rétroactivement à 11 mois de la demande. Comme cette dernière a été formulée en mars 2015, l’admissibilité a été établie en avril 2014.
[62] La requérante prétend que les allocations devraient rétroagir à la naissance de X puisque dès lors existaient ses troubles de l’attachement et de l’opposition diagnostiqués le 18 juillet 2014.
[63] La requérante invoque la difficulté et la complexité de démontrer un handicap neurologique et/ou psychologique et/ou de comportement par opposition à un handicap physique. Elle invoque donc le second alinéa de l’article 1029.8.61.24 pour obtenir rétroactivement à la naissance de sa fille l’allocation de supplément pour enfant handicapé.
[64] Par le dépôt de décisions, le procureur de la partie intimée plaide que l’absence de diagnostic précis n’est pas un motif qui permet de passer outre la rétroaction de 11 mois prévus à la loi[6]. Il ajoute également que la requérante pouvait déposer une demande plus tôt même en l’absence de diagnostic puisqu’elle possédait des documents, des rapports, des investigations permettant de prétendre à des troubles d’attachement et de l’opposition chez sa fille[7]. Quoiqu’il admet qu’il s’agisse au Tribunal d’un courant minoritaire, le procureur de la partie intimée prétend que le pouvoir de dérogation prévu au second alinéa de l’article 1028.8.61.24 constitue un pouvoir discrétionnaire de sa cliente sur lequel le Tribunal n’a pas compétence[8]. Il plaide enfin l’ignorance de la loi[9].
[65] La requérante réplique par une décision rendue le 19 décembre 2014 par la présente formation mettant en cause une enfant handicapée, elle aussi adoptée par ses parents. Elle ajoute que la condition de X nécessitait plusieurs interventions pour rendre la situation vivable. Elle affirme qu’il est difficile de se remettre en question à la suite des différents commentaires des intervenants et de cheminer personnellement afin d’accepter que leur enfant soit handicapée.
[66] Tout d’abord, la présente formation tient à réaffirmer que la décision à laquelle elle en est arrivée dans le dossier SAS-Q-193275-1307 en est une d’exception et répond à une situation bien particulière. Elle ne vise pas à remettre en question le courant majoritaire du Tribunal en la présente matière. Pour en arriver aux mêmes conclusions, il faut plus que de prétendre que l’enfant, pour lequel une demande de supplément pour enfant handicapé est effectuée, est un enfant adopté, pour qui un diagnostic n’avait pas été posé. De plus, le Tribunal rappelle que la conclusion à laquelle il est arrivé dans cette décision quant au délai pour rétroagir, n’est pas la naissance de l’enfant.
[67] Pour traiter ces demandes de dérogations et pour rétroagir le versement d’allocations au-delà des 11 mois prévus à la Loi, la partie intimée s’est dotée d’une politique interne.
[68] L’analyse de cette politique démontre qu’il ne peut y avoir de prorogation dans les cas suivants :
· Ignorance de la loi;
· Erreur de droit (sauf si elle est introduite par la partie intimée). Il y a erreur de droit lorsque le bénéficiaire fait une interprétation erronée de la loi et des règlements;
· Retard à produire sa demande de paiement de soutien aux enfants en raison de son inaction, négligence, manque de diligence, absence d’intérêts ou de désistement;
· Manque d’argent et dépendance à un parent.
[69] À l’inverse, cette politique interne édicte qu’il peut y avoir dérogation dans les situations suivantes :
· Lorsque le requérant ou le bénéficiaire fournit à la partie intimée une preuve probante d’impossibilité en fait d’agir, soit de présenter sa demande de PSE ou de SEH, ou dans l’une des circonstances suivantes :
· L’erreur, la négligence, l’incompétence ou l’incurie du procureur, mandataire ou représentant du requérant ou du bénéficiaire à la condition que ce dernier ait donné un mandat clair à son procureur (mandataire ou représentant) de présenter en son nom une demande de paiement de soutien aux enfants et qu’il n’ait aucun contrôle sur le travail de celui-ci;
· Toutes situations exceptionnelles hors du contrôle du requérant et du bénéficiaire l’empêchant de faire une demande de paiement de soutien aux enfants et que ce dernier présente sa demande dès que les circonstances le permettent;
· Lorsque le retard pour faire une demande de paiement de soutien aux enfants est attribuable au comportement de la Régie à la condition que l’attitude et le comportement du requérant ou du bénéficiaire soient adéquats et qu’il démontre qu’il a fait les démarches appropriées dans les délais pour avoir les formulaires requis.
[70] Enfin cette directive indique qu’« en cas de doute, le droit à la prorogation bénéficie au requérant ou au bénéficiaire ».
[71] Le Tribunal n’est pas lié par cette directive. Toutefois, les soussignés procèdent tout de même à son analyse puisqu’elle n’est pas déraisonnable.
[72] Selon la directive de la partie intimée, l’ignorance de la loi ne peut constituer un motif pour obtenir une rétroaction des prestations demandées.
[73] Le Tribunal s’est prononcé récemment dans une décision[10] selon laquelle, l’ignorance de la loi ne peut à elle seule, dans le cadre d’une loi « rémédiatrice », constituer un refus d’accorder les prestations requises.
[74] Dans le présent dossier, le Tribunal retient que les parents connaissent le supplément pour enfant handicapé. Leur seconde fille bénéficie de cette allocation pour un handicap alimentaire. La requérante plaide que personne ne lui a mentionné que X pouvait être considérée comme une enfant handicapée et qu'elle se qualifiait pour cette aide gouvernementale.
[75] De plus, les motifs au soutien de sa requête introductive d’instance démontrent que la requérante ignore que sa fille se qualifie pour cette rente qu’elle connaît, lorsqu'elle indique que « malgré les demandes d’aide au CLSC et auprès des ressources privées, personne ne nous a parlé de la possibilité d’obtenir une allocation pour personne handicapée qui nous aiderait à payer les frais de service psychosociaux pour elle ».
[76] Mais il y a plus. Les motifs allégués au soutien de la rétroaction ne peuvent permettre au Tribunal de déroger de la décision de la partie intimée et de ses directives.
[77] En effet, la situation de X et de ses parents, malgré l’importance des difficultés de X, ne se qualifie pas comme étant une situation exceptionnelle hors de son contrôle et qui l’empêche de déposer une demande dès que les circonstances le permettaient.
[78] Le Tribunal ne peut retenir comme étant une situation exceptionnelle, les problèmes de pyrrhotyte à la résidence de la requérante, apparus au cours de l'été 2014. En retenant la prémisse selon laquelle, la requérante n’a obtenu le diagnostic de sa fille qu’en juillet 2014, rien n’empêchait la requérante de remplir le formulaire requis pour ce faire, en y ajoutant le rapport du médecin et celui de l’enseignante. La santé de sa fille pouvait prévaloir à toutes obligations relatives à la résidence. Même une fois le déménagement fait, rien ne justifiait que la requérante ait attendu en mars 2015 pour formuler sa demande.
[79] Il en est de même pour son propre état de santé. Selon la brève preuve entendue à ce sujet, les problèmes de santé de la requérante ont débuté en janvier 2014 pour évoluer vers une intervention chirurgicale en décembre 2015. Pourtant pendant cette même période, la requérante a obtenu un diagnostic de la neuropsychologue Rousseau et a complété en mars 2015 la demande à la partie intimée tout en obtenant également un rapport du médecin traitant de X et de son enseignante.
[80] Quant à la situation de X, elle est différente de celle de l’enfant visée par la décision dans le dossier SAS-Q-193275-1307 quoiqu’elle ait toutes deux été adoptées.
[81] Sans minimiser ceux de l’enfant, X, l’enfant visée dans le dossier SAS-Q-193275-1307, avait plusieurs problèmes de santé. Elle présentait 6 diagnostics de nature neurologique qui se sont progressivement manifestés. X souffre quant à elle d’un trouble de l’attachement et de l’opposition qui s’est manifesté rapidement et dont plusieurs intervenants ont identifié comme étant probable.
[82] Dans le cas de l’enfant visée par la décision dans le dossier SAS-Q-193275-1307, la preuve démontre que toute l’équipe multidisciplinaire refusait de se prononcer, ignorait de quoi souffrait l’enfant et le médecin responsable de l’équipe multidisciplinaire avait donné instruction aux différents intervenants de documenter la situation de cette enfant avant d’en aviser les parents. Tel n’est pas le cas dans la preuve entendue dans le présent dossier.
[83] La preuve démontre au contraire que dans le présent dossier, les problèmes de X était identifiée par les parents et rapportée par certains intervenants.
[84] Le Tribunal retient que jusqu’à l’âge de 2 ans et 9 mois, à tout le moins, la requérante reçoit l’avis d'une professionnelle selon lequel sa fille se développe bien et normalement. Il s'agit de l'avis de docteure Sufrategui. La psychologue du CPE qui évalue X par la suite, dans un contexte d’ un pour un, est du même avis. Contrairement au cas de l’enfant visé par le dossier SAS-Q-193275-1307, la preuve démontre que les intervenants ne laissent pas planer le doute, X se développe normalement.
[85] Les indices sont toutefois de plus en plus clairs au moment où X est référée à son CLSC en psychoéducation. Contrairement à ce qu’affirme la requérante, ce n’est pas seulement la gestion du coucher de X qui est travaillé à ce moment. Le plan d’intervention daté du 1er juin 2010 indique, il est vrai, la routine du dodo, mais également celle relative à la préparation de X aux activités de la journée de même que celle de la gestion des périodes agitées.
[86] De plus, le rapport d'évaluation en psychoéducation daté du 12 avril 2010 évoque le trouble de l’attachement de X et indique bien que les parents ont adapté leurs interventions aux besoins de X
« ANALYSE PSYCHOÉDUCATIVE
En reconnaissant la présence de l'anxiété chez X et une problématique d'attachement, les parents adaptent davantage leurs interventions aux besoins de l'enfant. »
[Nos soulignements]
[87] Il est donc étonnant d’entendre la requérante affirmer que dès la rentrée scolaire de sa fille, elle savait que cette dernière manifestait un comportement, mais qu’elle ne pou-vait pas le nommer. La preuve documentaire révèle qu’elle en avait parlé à cet intervenant.
[88] Il en est de même à la fin du programme A. La requérante ne peut prétendre qu’elle ignorait le problème de sa fille, puisqu’elle affirme elle-même que la relation avec sa fille s'était améliorée puisqu'elle voyait naître un début de lien d'attachement.
[89] Le trouble de l’attachement est également connu en 2012, puisqu’au cours de sa maternelle, lorsque X est évaluée par la psychologue Michèle Brunelle, il est mentionné à son rapport du 22 mai 2012 que :
« (…) Par ailleurs X présente une problématique affective au niveau de l’attachement qui peut venir teinter sa façon d’être en relation. En effet, un enfant ayant un trouble réactionnel de l’attachement de type inhibé montre une difficulté à engager des interactions sociales ou à y répondre d’une manière appropriée à son développement. (…). Afin de favoriser l’investissement de l’enfant dans ses apprentissages, il est important de maintenir un cadre au niveau des exigences demandées à l’enfant et d’intervenir avec une attitude de détachement lors de l’encadrement afin de ne pas réactiver la dynamique du trouble réactionnel de l’attachement. »
[90] C’est également au cours de l’année suivante que la requérante consulte monsieur Bernard, qu’elle sait qualifié envers les enfants présentant des troubles de l’attachement. Si elle fait elle-même des recherches pour trouver cette ressource et qu'elle suit parallèlement une formation intensive en la matière, elle ne peut prétendre ignorer le trouble que présente sa fille.
[91] La requérante informe même le psychologue Raymond Leblanc de ses démarches. Il le note dans son rapport daté du mois d'avril 2013. Elle en informe également la psychoéducatrice Chantal Courture qui y réfère dans son rapport daté du 14 juin 2013.
[92] C’est dans ce sens que la jurisprudence du Tribunal évoque qu’il n’est pas requis d’obtenir un diagnostic pour formuler une demande de supplément pour enfant handicapé surtout en présence d’indices aussi révélateurs et qui permettent d’identifier le handicap d’un enfant.
[93] Il est vrai que docteure Rousseau pose son diagnostic en juillet 2014, mais le problème de X est identifié avant cette date.
[94] Toutefois, contrairement à ce qu’affirme la requérante, rien dans la preuve documentaire ou testimoniale ne démontre que la situation de X remonte à sa naissance. Docteure Rousseau dans son rapport demeure silencieuse à ce sujet. Seule docteure Desrochers, médecin de famille, note dans un second formulaire médical que le diagnostic est posé en 2006[11]. Or, ce formulaire complété en mars 2015 ne peut être crédible puisque contraire aux prétentions de la requérante qui affirme avoir dû obtenir un diagnostic avant de présenter sa demande, diagnostic obtenu en juillet 2014.
[95] La preuve prépondérante démontre que la requérante était au fait du trouble de l'attachement de sa fille et rien ne justifie qu'elle ait attendu au mois de mars 2015 avant de formuler une demande pour supplément d'enfant handicapé.
[96] La partie intimée était donc justifiée d’accorder la rétroaction des prestations à la requérante pour les 11 mois précédant la demande puisque rien dans la preuve ne permettait de faire rétroagir les prestations à la naissance de X ou à toute autre date que celle retenue par la partie intimée.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal :
· REJETTE le recours de la requérante.
Lafond, Robillard & Laniel
Me Michel Bélanger
Procureur de la partie intimée
[1] Voir rapport de docteure Sufrategui, psychologue.
[2] L’enfant est évaluée seule en présence de la psychologue.
[3] Ce suivi durera 4 ans.
[4] Voir page 7 du dossier administratif.
[5] RLRQ, chapitre I-3.
[6] SAS-Q-121187-0510.
[7] SAS-M-207130-1301; SAS-M-133016-0706; SAS-M-223300-1404; SAS-M-156526-0903; SAS-Q-202105-1406; [2005] T.A.Q. 957.
[8] SAS-M-136704-0709.
[9] SAS-M-227658-1408.
[10] SAS-M-223090-1404.
[11] Voir page 13 du dossier administratif
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.