Décision

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C A N A D A

Montréal (Ville de) c. Thibeault Jolin

2015 QCCM 14

COUR municipale de MONTRÉAL

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

Nos:   304-110-575

          304-118-150

          304-110-310

 

DATE: 9 FÉvrier 2015 

 

 

 

PRÉSIDÉ Par l'HONORABLE RANDALL RICHMOND, J.C.M.M.

 

 

Ville de montrÉal

Poursuivante        

c.

 

ÉRic THibeault Jolin

Patrick renÉ et

A.k.

                Défendeurs

 

 

JUGEMENT sur demandeS de rejet des chefs

d'accusation et de non-lieu

(art. 184 et 210 C.p.p.)

 

 

 

 

Me Hugo Lalonde et Me Anthony Hattouni

pour la poursuivante

 

Les défendeurs ont agi personnellement

 

TABLE DES MATIÈRES

 

1.      APerÇU     ……………………………………………………..…………………..       3

2.      LES accusationS               …………………………………………………………..            3

3.      preuve de la poursuite     ………………………………………………..        4

3.1     alain Simoneau    ………………………………………………………………...        4

3.2     Josée Gagnon     …………………………………………………………………       6

3.3     Éric Perron    ………………………………………………………………………      7

4.      arguments deS DÉfenDeURS    ………………………………………….       8

4.1       La demande de rejet du chef d’accusation     ………………………………      8

4.2       La demande de non-lieu     ……………………………………………………..      8

5.      arguments de la poursuiVANte      …………………………………….      9

5.1       La demande de rejet du chef d’accusation     ………………………………      9

5.2       La demande de non-lieu     ……………………………………………………..    10

6.      Les dispositions pertinentes     …………………………………………   11

7.      AnalysE   ………………………………………………………………………….    13

7.1      La demande de rejet du chef d’accusation      ……………………………….   13

7.2       La demande de non-lieu     ………………………………………………………  22

8.      CONCLUSIONS     …………………………………………………………………..  29


1.      APerÇU

[1]       Les trois défendeurs sont accusés de la non-divulgation de l'itinéraire d'une manifestation, contrairement à l'art. 2.1 du Règlement P-6 de la Ville de Montréal, R.R.V.M., c. P-6.

[2]       Après que la poursuivante eut déclaré sa preuve close, ces trois défendeurs ont demandé au Tribunal de rejeter le chef d'accusation et subsidiairement de prononcer un non-lieu.

[3]       Pour les motifs qui suivent, le Tribunal leur donne raison.

[4]       Le chef d'accusation ne correspond à aucune infraction créée par une loi en vigueur au moment où se sont produits les faits décrits dans ce chef, soit le 22 mars 2013. Par conséquent, ce chef doit être rejeté.

[5]       Subsidiairement, même si le Tribunal pouvait se rendre à l'argument de la poursuivante et conclure que l'infraction suggérée par elle existait à cette date, il y a une absence totale de preuve sur certains éléments essentiels. Par conséquent, un non-lieu doit être ordonné.

 

2.      LES accusationS

[6]       Les trois défendeurs sont accusés d'une manière similaire.

[7]       Selon le constat d'infraction de chacun (que la poursuivante demande d'être considéré comme une dénonciation), ils sont accusés de l'infraction suivante :

 

R.r.v.m. ,c. P-6

2.1

Non-divulgation de l'itinéraire de la manifestation, ou son déroulement ne se fait pas conformément à l'itinéraire communiqué.

 

[8]       À l’audience, le procureur de la Ville a informé la Cour que la poursuivante n’alléguait que la première partie de ce texte (non-divulgation de l’itinéraire de la manifestation) et non la deuxième partie (son déroulement ne se fait pas conformément à l’itinéraire communiqué).

[9]       Sur chaque constat, la date d'infraction indiquée est le 22 mars 2013. Il y a cependant des différences quant à l'heure et le lieu indiqués sur les constats.

[10]    Éric Thibeault Jolin est accusé d'avoir commis l'infraction à 19 h 05 à « St-Timothée/Maisonneuve » dans la « Ville VM 21 Unité 21 ». On devine que cela veut dire près de l'intersection de la rue St-Timothée et le boulevard De Maisonneuve dans la Ville de Montréal.

[11]    Patrick René est accusé d'avoir commis l'infraction à 19 h 30 à « Labreque/Maisonneuve » dans la « Ville VM Unité 21 ». On devine que cela veut dire près de l'intersection de la rue Labrecque et le boulevard De Maisonneuve dans la Ville de Montréal.

[12]    Dans le cas de A.K., la seule description du lieu est: « Ville VM Unité 21 ».

 

3.      preuve de la poursuite

[13]    La Ville poursuivante a déposé copie d'un constat d'infraction distinct pour chaque défendeur et ensuite a fait entendre trois témoins, tous policiers à l'emploi du Service de Police de la Ville de Montréal (Spvm): l'inspecteur-chef Alain Simoneau ainsi que les sergents-détectives Josée Gagnon et Éric Perron.

 

3.1    alain Simoneau

[14]    Les parties pertinentes du témoignage de l'inspecteur-chef Alain Simoneau se résument comme suit :

[15]    En 2013, un rapport de la Section renseignement l'avise qu'une manifestation est prévue pour le 22 mars. Le Service de police planifie pour l'événement.

[16]    Lorsque le 22 mars 2013 arrive, il n'y a toujours personne qui s'est présentée au Service de police pour communiquer l'itinéraire de la manifestation.

[17]    Vers 17 h 45, l'inspecteur Simoneau se positionne sur le côté sud de la rue Ste-Catherine, près de la rue Labelle. Du côté nord de la rue Ste-Catherine se trouve la Place Émilie-Gamelin où il aperçoit environ 80 personnes (dont quelques-unes sont masquées) et des banderoles.

[18]    Quelques minutes avant 18 h, il s'adresse à la foule avec un microphone et des haut-parleurs. Il est debout devant un camion identifié au Service de police. Il est en uniforme avec képi. Il dit à la foule que le port du masque est défendu et que s'ils ont un itinéraire pour leur trajet, ils sont invités à venir le rencontrer pour le communiquer. Des gens le huent et l'injurient, mais personne ne se présente à lui pour donner un itinéraire.

[19]    Vers 18 h, la foule se rapproche de l’inspecteur et se positionne sur la rue Ste-Catherine. Il y a maintenant plus de cent personnes. L'inspecteur Simoneau donne l'ordre à ses policiers de fermer la rue Ste-Catherine à partir de la rue Berri et de dévier la circulation.

[20]    Il fait maintenant une deuxième déclaration à la foule : « Cette manifestation est déclarée illégale en raison de la non-divulgation de l'itinéraire en vertu du Règlement P-6. » Il répète en anglais. Certaines personnes sont à 5 mètres de lui. Il y a des banderoles et des pancartes.

[21]    Huit policiers s'installent à l'intersection des rues Ste-Catherine et St-Hubert.

[22]    Toujours avec le micro et les haut-parleurs, l'inspecteur Simoneau demande à la foule d'emprunter le trottoir et de se disperser. La foule se dirige vers le nord à travers la Place Émilie-Gamelin jusqu'au boulevard De Maisonneuve en direction est (le sens contraire à la circulation). Ils sont maintenant entre 150 et 200 personnes.

[23]    L'inspecteur se déplace au coin de la rue St-Hubert et le boulevard De Maisonneuve où il fait une nouvelle déclaration : « Cette manifestation est déclarée illégale en raison de la non-divulgation de l'itinéraire. » Les gens continuent néanmoins de marcher sur De Maisonneuve en direction est, à l'encontre de la circulation. L'inspecteur suit les manifestants dans une fourgonnette.

[24]    À l'intersection de la rue St-André (deux rues à l'est de St-Hubert), l'inspecteur voit des manifestants devant lui jusqu'à la rue Amherst, trois intersections plus loin. Il s'adresse à eux avec son microphone et les haut-parleurs. Il ordonne aux manifestants de se disperser.

[25]    Il voit des policiers à l'intersection De Maisonneuve et Amherst. Plusieurs de ces policiers sont du Groupe de maintien et rétablissement de l'ordre (Gmro) et portent des boucliers. Il constate que les manifestants se dispersent, certains se dirigeant vers le nord, d'autres vers le sud.

[26]    Il se rend au coin De Maisonneuve et Amherst où il observe encore la dispersion des manifestants dans les deux directions et les agents du GMRO qui les suivent. Mais une fois que les agents du GMRO arrêtent de les suivre, certains manifestants reviennent sur leurs pas. Vers 18 h 45, toujours avec l'aide des haut-parleurs, l'inspecteur Simoneau déclare : « Il y aura des arrestations suite à l'ordre de dispersion parce que la manifestation était déclarée illégale. »

[27]    Les policiers du GMRO commencent à arrêter des gens au coin De Maisonneuve et la rue St-Timothée (une rue à l'ouest de Amherst). L’inspecteur Simoneau voit d'autres personnes sur De Maisonneuve à l'ouest de St-Timothée. Des agents du GMRO avec boucliers encerclent des gens « comme dans une trappe ». Il voit deux points d'encerclement.

[28]    La manifestation est maintenant terminée. Mais l'inspecteur Simoneau demeure sur les lieux pour diriger la circulation et contrôler les « curieux ou badauds » jusqu'au départ des autobus amenés sur les lieux par le SPVM.

[29]    Lors de son témoignage, l’inspecteur Simoneau n’identifie personne en particulier comme ayant participé à la manifestation du 22 mars 2013.

 

3.2   Josée Gagnon

[30]    Les parties pertinentes du témoignage de la sergente-détective Josée Gagnon se résument comme suit :

[31]    Le 22 mars 2013, elle n'est pas témoin de la manifestation. Elle attend sur des rues parallèles jusqu'à ce qu'un officier supérieur l'envoie au coin du boulevard De Maisonneuve et la rue Labrecque pour procéder à l'arrestation d'un groupe de personnes. À son arrivée, vers 19 h 30, ces personnes sont déjà encerclées par des policiers et attendent sur le trottoir.

[32]    À 19 h 30, à l'aide du haut-parleur d'une voiture de police, la sergente-détective Gagnon avise les personnes encerclées qu'elles sont arrêtées pour avoir enfreint l'article 2.1 du Règlement P-6, soit la non-divulgation de l'itinéraire d’une manifestation.

[33]    Une par une, ces personnes sont amenées à l'intérieur d'un autobus loué pour l'occasion par le Service de police. À l'intérieur de l'autobus, les personnes sont rencontrées par des policiers patrouilleurs chargés de les identifier et de rédiger un constat d'infraction pour chacune. Ces patrouilleurs rédigent chaque inscription manuscrite sur les constats, sauf les signatures sur la dernière ligne en bas.

[34]    Lorsque les constats sont prêts, la sergente-détective Gagnon en prend possession, ajoute sa signature en bas, signifie les constats aux personnes arrêtées et libèrent celles-ci.

[35]    En raison du grand nombre de personnes arrêtées, le Service de police fait venir deux autres autobus et d'autres policiers aident la sergente-détective Gagnon à accomplir sa tâche. Elle se promène d’un autobus à l’autre pour signifier les constats d’infraction et d’autres policiers ont pu en signifier aussi.

[36]    À l’audience, le défendeur Patrick René a contre-interrogé la sergente-détective Gagnon au sujet du constat d'infraction qui lui avait été remis (# 304-118-150) et qui porte en bas de page le nom, le matricule et la signature de la sergente-détective Gagnon. Il lui a demandé pourquoi elle avait signé l'attestation qui se lit : « Je, soussigné, atteste avoir moi-même constaté les faits mentionnés en A [identité et coordonnées du défendeur], B [description de l'infraction], C [lieu] » si elle n'était pas présente au moment de l’événement.

[37]    La sergente-détective Gagnon a répondu : « Nous, c’est une commande qu’on a eu à cause de la logistique des manifestations antérieures. C’est-à-dire que là ça devenait trop compliqué s’il y avait plusieurs personnes qui signifiaient les billets. » Elle a affirmé avoir suivi les événements sur les ondes de la radio policière mais ne pas les avoir vus personnellement. Ce sont les « hauts gradés » du Service de police qui avaient décidé que « c’est la même personne allait signifier tous les billets ». Elle a ajouté : «  Moi, quand on me donne la consigne de signifier tous les billets, c’est pour éviter la logistique d'amener ici à la cour 50 policiers. Alors c’est effectivement la procédure que la direction nous donne. » Elle a admis ne pas avoir personnellement vu la manifestation ou avoir vu monsieur René enfreindre le règlement municipal.

 

3.3     Éric Perron

[38]    Les parties pertinentes du témoignage du sergent-détective Éric Perron se résument comme suit :

[39]    Le 22 mars 2013, il n'est pas présent à la Place Émilie-Gamelin. Il attend en périphérie et suit le déroulement des événements via la radio de police. Vers 18 h 45, il est convoqué au coin du boulevard De Maisonneuve et la rue Saint-Timothée pour faire des arrestations. À son arrivée, il constate des gens qui sont déjà encerclés par des policiers.

[40]    Vers 19 h 05, à l'aide du haut-parleur d'une auto-patrouille, il avise les gens encerclés qu'ils sont en état d'arrestation pour avoir enfreint l'article 2.1 du règlement municipal P-6 en n’ayant pas divulgué l'itinéraire de la manifestation. Il fait la mise en garde (droit au silence) et les informe de leur droit à l’avocat.

[41]    Les gens encerclés sont dirigés, un par un, vers les autobus pour identification. Des policiers dans les autobus prennent les renseignements nominatifs et commencent à remplir les constats d'infraction. Une fois le constat prêt, le sergent-détective Perron se rend à l'autobus, vérifie le constat d’infraction, vérifie avec le policier de quelle façon la personne a été identifiée, signe le constat d’infraction, et signifie le constat au défendeur qui peut quitter par la suite. Entre autres, il signe et signifie un constat d'infraction à Éric Thibeault Jolin.

[42]    Par contre, il ne signe pas et ne signifie pas le constat d’infraction de A.K., même si ce constat comporte son nom en lettres moulées et son numéro de matricule, car A.K. est libéré par un autre policier avant que le sergent-détective Perron ne puisse signer ce constat.

[43]    À l’audience, en contre-interrogatoire, le sergent-détective Perron a confirmé qu'il n'avait pas vu les infractions personnellement et a dit que : « L'infraction avait déjà été commise avant mon arrivée. »

[44]    Le défendeur Éric Thibeault Jolin a contre-interrogé le sergent-détective Perron au sujet de son propre constat d'infraction (# 304-110-575) qui est signé par le sergent-détective Perron non seulement dans la section « signification », mais aussi dans l'attestation où il est écrit : « Je soussigné, atteste avoir moi-même constaté les faits mentionnés en B [l'infraction] ». Le sergent-détective Perron a répondu que ce n'est pas lui qui a constaté l'infraction, mais, a-t-il ajouté : « Je vous ai rencontré avant que vous quittiez. »

[45]    Questionné s'il avait vérifié les constats avant de les signer, il a répondu oui, y compris les attestations, mais que, dans le cas de Thibeault Jolin, « le A aurait dû être coché et puis le C aurait dû être coché. (...) Le policier a omis de cocher le A et a omis de cocher le C également. »

 

4.         arguments deS DÉfenDeURS

[46]        Les défendeurs Éric Thibeault Jolin, Patrick René et A.K. plaident comme suit :

1)    Le chef d'accusation ne les accuse pas d'une infraction connue en droit et doit être rejeté en vertu de l'article 184(7) du Code de procédure pénale, RLRQ, c. C-25.1.

2)    Subsidiairement, si l'infraction existait, un non-lieu devrait être accordé en raison d'une absence totale de preuve sur certains éléments essentiels de l'infraction.

4.1       La demande de rejet du chef d’accusation

[47]        Au soutien de la demande de rejet du chef d'accusation, les défendeurs plaident que l'article 2.1 du Règlement P-6 n'est pas créateur d'infraction. Il ne crée pas une obligation de disperser. C'est plutôt l'art. 6 qui crée une obligation de disperser et une infraction pour celui qui ne le fait pas. Si l'art. 2.1 créait une infraction, l'art. 6 n'aurait plus de raison d'être.

[48]        Les défendeurs ont soumis à l’attention du Tribunal l’arrêt Blouin c. Longtin, [1979] 1 RCS 577, p. 8, ainsi que la décision rendue dans Montréal (Ville de) c. Chereau, 2014 QCCM  249.

4.2       La demande de non-lieu

[49]        Au soutien de la demande subsidiaire de non-lieu, les défendeurs plaident qu'il y a une absence totale de preuve sur des éléments essentiels que la poursuite devait prouver.

[50]        Premièrement, selon eux, si l'art. 2.1 est créateur d'infraction, cette infraction doit nécessairement être limitée par le texte de l'art. 2.1. Donc, l'infraction ne peut être plus que le fait de ne pas divulguer l'itinéraire d'une assemblée, un défilé ou un attroupement. Pour être coupable de ne pas avoir remis un itinéraire, il faut d'abord avoir la capacité d'en fournir un, ce qui exige une implication dans l'organisation de cet événement. Cet argument est renforcé par la présence dans le texte de l'art. 2.1, à deux occasions, du mot « tenir » en relation avec les mots « assemblée, défilé ou attroupement ». Par conséquent, si infraction il y a à l'art. 2.1, elle ne peut viser que celui qui « tient » l'assemblée, défilé ou attroupement sans avoir remis à la police le lieu ou l’itinéraire. Celui qui « tient » l'assemblée, défilé ou attroupement doit nécessairement être impliqué dans son organisation. Cette implication dans l'organisation découle non seulement du mot « tenir », mais aussi de l'obligation créée par l'art. 2.1 de fournir un itinéraire. Seule une personne impliquée dans l'organisation d'une assemblée, défilé ou attroupement peut avoir la capacité de fournir un itinéraire.

[51]        Les défendeurs ont référé le Tribunal à la définition du mot « tenir » dans le Dictionnaire de français Larousse en ligne. Cette définition donne au mot le sens d’avoir quelqu’un ou un groupe sous son autorité ou de gérer, diriger ou avoir la charge de quelque chose.

[52]        Un deuxième élément que la poursuivante devait prouver et a fait défaut de le faire, selon les défendeurs, était qu'ils étaient sur les lieux de la manifestation, pas seulement dans la souricière. La poursuivante devait prouver leur présence ou participation dans la manifestation - pas seulement qu'ils ont été encerclés par les policiers et détenus.

[53]        Finalement, les défendeurs plaident qu'il y a eu des irrégularités dans les constats d'infraction. Ils se basent sur les témoignages des sergents-détectives Gagnon et Perron qui ont dit ne pas avoir personnellement rédigé les constats d'infraction, les avoir seulement signés après une rédaction par quelqu'un d'autre, et ne pas avoir, selon les défendeurs, vérifié l'identité des gens. La sergente-détective Gagnon aurait même dit ne pas avoir personnellement remis en mains propres les constats à tous les défendeurs dont les constats comportent son nom.

[54]        Dans le cas de A.K., il souligne que son constat d'infraction ne comporte même pas de signature.


5.         arguments de la poursuiVANte

[55]        La poursuivante plaide que les deux demandes devraient être rejetées, autant celle pour le rejet du chef d'accusation que celle de non-lieu.

5.1       La demande de rejet du chef d’accusation

[56]        Relativement à la demande de rejet du chef d'accusation, la poursuite plaide que le Règlement P-6 contient plusieurs moyens de commettre des infractions et que l'art. 6 crée une infraction indépendante des autres. Par conséquent, l'art. 6 n'empêche pas que l'art. 2.1 puisse créer une infraction indépendante. L'art. 1 est une déclaration de prémisse, mais pas l'art. 2.1. L'art. 2.1 ne se trouve pas dans l'art. 6. L'art. 2.1 crée une infraction distincte, car, contrairement à l'art. 6, l'art. 2.1 n'exige pas l'existence d'un ordre par un agent de la paix. L'ordre d'un agent de la paix n'est pas un élément essentiel. Il n'y a qu'un simple recoupement entre les deux articles. Pour que l'infraction prévue à l'art. 2.1 soit commise, il n'est même pas nécessaire d'avoir la présence d'un agent de la paix.

[57]        Selon la poursuivante, l'infraction pour laquelle les défendeurs sont accusés est d'avoir participé ou d'avoir été présent à une assemblée, un défilé ou un autre attroupement dont l'itinéraire n'a pas été communiqué au directeur du Service de police ou à l'officier responsable.

[58]        Pour soutenir cet argument, la poursuivante s'appuie sur la décision rendue dans Montréal (Ville de) c. Alatorre, 2012 QCCM 232, une décision sur l'art. 2 mais qu'elle invoque par analogie.

[59]        La poursuite s'appuie aussi sur l'art. 7 du Règlement P-6 qui déclare que « quiconque contrevient au présent règlement commet une infraction...» et énonce les peines. Par conséquent, une personne qui contrevient à n'importe quel article du règlement peut être accusée pour cette violation.

[60]        Finalement, la poursuivante argumente que si le Tribunal décide que l'accusation ne comporte pas une infraction connue en droit, un grand nombre d'autres dossiers avec des accusations semblables risquent d'être affectés et subir le même sort.

5.2       La demande de non-lieu

[61]        Relativement à la demande de non-lieu, la poursuivante plaide qu'il ne faut pas donner aux mots « tenue » et « tenu » un sens qui implique un élément d'autorité. Elle réitère qu’il est suffisant de prouver la participation ou la présence du défendeur. Elle affirme que l'art. 2.1 doit être lu comme s'il était écrit : « Nul ne peut être présent ou participer à une assemblée, un défilé ou autre attroupement dont le lieu et l'itinéraire n'ont pas été communiqués au directeur du Service de police ou à l'officier responsable. »

[62]        Sur la question des irrégularités sur les constats d'infraction, la poursuivante plaide qu'il ne faut pas que la forme l'emporte sur le fond et invoque à l'appui la décision rendue dans Laval (Ville de) c. Daignault, 2008 qccm 241, dont le par. 29 fait référence à l'art. 29 C.p.p. La présence des défendeurs à la cour démontre qu'ils ont eu connaissance du constat d'infraction et de l'accusation contre eux.

[63]        Par conséquent, la poursuivante demande au Tribunal de donner aux constats d'infraction une double fonction. D'abord, elle demande au Tribunal de « considérer le constat comme une dénonciation ». Deuxièmement, elle demande au Tribunal de considérer les constats comme un élément de preuve.

[64]        Relativement à cette deuxième fonction (élément de preuve), la poursuivante demande au Tribunal de retenir les constats d'infraction comme éléments de preuve de tout leur contenu, c'est-à-dire, non seulement comme preuve de l'identité du défendeur, mais aussi comme preuve de tous les autres énoncés du constat, y compris les énoncés contenus dans la section « B » intitulée « Infraction » et la section « C » intitulée « Lieu ». Il en découlerait que les constats sont une preuve de la participation des défendeurs dans la manifestation.

[65]        Pour appuyer son argument, la poursuivante rappelle que la preuve a révélé un grand nombre de personnes arrêtées le 22 mars 2013 et le souci des policiers de traiter ces personnes dans un délai raisonnable. Son procureur ajoute: « Je ne vois pas comment la police aurait pu mieux agir. »

[66]        La poursuivante demande au Tribunal de considérer les constats à la lumière des témoignages.


6.         Les dispositions pertinentes

[67]        Au moment des infractions alléguées, le Règlement P-6 de la Ville de Montréal se lisait comme suit :

 

RÈGLEMENT SUR LA PRÉVENTION DES TROUBLES DE LA PAIX, DE LA SÉCURITÉ ET DE L’ORDRE PUBLICS, ET SUR L’UTILISATION DU DOMAINE PUBLIC

 

1. Toute personne a le droit d’utiliser et de jouir des voies, parcs et places publiques, ainsi que du domaine public de la ville, en toute paix et sécurité et dans l’ordre public.

 

2. Les assemblées, défilés ou autres attroupements qui mettent en danger la paix, la sécurité ou l'ordre publics sont interdits sur les voies et places publiques, de même que dans les parcs ou autres endroits du domaine public.

 

2.1.  Au préalable de sa tenue, le lieu exact et l’itinéraire, le cas échéant, d’une assemblée, d’un défilé ou autre attroupement doit être communiqué au directeur du Service de police ou à l’officier responsable.

 

Une assemblée, un défilé ou un attroupement pour lequel le lieu ou l’itinéraire n’a pas été communiqué, ou dont le déroulement ne se fait pas au lieu ou conformément à l’itinéraire communiqué est une assemblée, un défilé ou un attroupement tenu en violation du présent règlement.

 

La présente disposition ne s’applique pas lorsque le Service de police, pour des motifs de prévention des troubles de paix, de la sécurité et de l’ordre publics, ordonne un changement de lieu ou la modification de l’itinéraire communiqué.

 

3.   Il est interdit à quiconque participe ou est présent à une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public, de molester ou bousculer les citoyens qui utilisent également le domaine public à cette occasion, ou de gêner le mouvement, la marche ou la présence de ces citoyens.

3.1.  Il est interdit à quiconque participe ou est présent à une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public, d’avoir sur lui ou en sa possession, sans excuse raisonnable, un objet contondant qui n’est pas utilisé aux fins auxquelles il est destiné.

 

Aux fins du présent article, constitue un objet contondant, un bâton de baseball, un bâton de hockey et tout autre bâton.

 

3.2.  Il est interdit à quiconque participe ou est présent à une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public d’avoir le visage couvert sans motif raisonnable, notamment par un foulard, une cagoule ou un masque.

 

4.   Une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public, dont le déroulement s'accompagne d'une violation du présent règlement ou d'actes, conduites ou propos qui troublent la paix ou l'ordre publics, met en danger la paix, la sécurité ou l'ordre publics au sens de l'article 2 et doit immédiatement se disperser.

 

5.  Lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire que la tenue d'une assemblée, d'un défilé ou d'un attroupement causera du tumulte, mettra en danger la paix, la sécurité ou l'ordre publics, ou sera l'occasion de tels actes, le comité exécutif peut, par ordonnance et lorsqu'une situation exceptionnelle justifie des mesures préventives pour maintenir la paix ou l'ordre publics, interdire pour la période qu'il détermine, en tout temps ou aux heures qu'il indique, sur tout ou partie du domaine public, la tenue de toute assemblée, tout défilé ou attroupement.

6.  Toute personne doit se conformer immédiatement à l'ordre d'un agent de la paix de quitter les lieux d'une assemblée, d'un défilé ou d'un attroupement tenu en violation du présent règlement.

 

6.1.  Le présent règlement s’applique à l’ensemble du territoire de la Ville de Montréal et remplace toute disposition de même nature ou portant sur le même objet, dans la mesure où une telle disposition est incompatible avec une disposition du présent règlement.

 

7.  Quiconque contrevient au présent règlement commet une infraction et est passible :

 

1° pour une première infraction, d'une amende de 500 $ à 1 000 $;

 

2° pour une première récidive, d'une amende de 1 000 $ à 2 000 $;

 

3° pour toute récidive additionnelle, d'une amende de 2 000 $ à 3 000 $.

 

 

[68]        L’article 184 du Code de procédure pénale énonce ce qui suit :

 

184. À la demande du défendeur, le juge ordonne le rejet d'un chef d'accusation s'il est convaincu que:

 

[...]  

 

 7° le chef d'accusation ne correspond à aucune infraction créée par une loi en vigueur au moment où se sont produits les faits décrits dans ce chef;

 

[...]

 

Toutefois, lorsqu'une modification au constat d'infraction peut corriger le vice dont l'existence a été établie, le juge, plutôt que d'ordonner le rejet, permet, aux conditions qu'il détermine et s'il est convaincu qu'il n'en résultera aucune injustice, que le poursuivant apporte cette modification. Cependant, le juge ne peut permettre de substituer un défendeur à un autre ou une infraction à une autre.

 

 

[69]        L'article 210 du Code de procédure pénale se lit comme suit :

210. Après que le poursuivant a déclaré sa preuve close, le défendeur peut demander d'être acquitté en raison de l'absence totale de preuve quant à un élément essentiel de l'infraction.

 

7.         AnalysE

7.1.      La demande de rejet du chef d’accusation

[70]        Puisque les défendeurs en ont fait la demande, l’article 184 du Code de procédure pénale oblige le Tribunal à décider si le chef d'accusation correspond à une infraction créée par une loi en vigueur au moment où se sont produits les faits décrits dans ce chef.

[71]        D’abord, quel est le « chef d’accusation »?

[72]        La poursuivante a raison de dire que le constat d’infraction doit être considéré comme la dénonciation. C’est ce que la Cour d’appel a clairement dit dans Gagnon c. R., 2007 QCCA 1632, au par. 18 :

D’autre part, le constat d’infraction délivré par un policier en vertu du Code pénal est une procédure judiciaire, puisque le constat devient la dénonciation par l’effet de la loi sans autre signification. L’article 144 du Code pénal édicte :

144. Toute poursuite pénale est intentée au moyen d’un constat d’infraction.

[soulignements ajoutés]

[73]        De toute façon, il n'y a aucun autre document d'inculpation au dossier. C’est donc sur le constat d’infraction qu’il faut chercher le chef d’accusation. En l’espèce, le constat d'infraction de chaque défendeur décrit l'infraction de la manière suivante :

 

R.r.v.m. ,c. P-6

2.1

Non-divulgation de l'itinéraire de la manifestation, ou son déroulement ne se fait pas conformément à l'itinéraire communiqué.

 

[74]        Puisque le procureur de la Ville a informé la Cour que la poursuivante n’alléguait que la première et non la deuxième partie de ce texte, le Tribunal doit considérer que le chef d’accusation est : « Non-divulgation de l’itinéraire de la manifestation » contrairement à l’art. 2.1 du Règlement P-6 de la Ville de Montréal.

[75]        Est-ce que ce chef d'accusation correspond à une infraction créée par le Règlement P-6 ?

[76]        L’art. 2.1 du Règlement se lit comme suit :

 

2.1.  Au préalable de sa tenue, le lieu exact et l’itinéraire, le cas échéant, d’une assemblée, d’un défilé ou autre attroupement doit être communiqué au directeur du Service de police ou à l’officier responsable.

 

Une assemblée, un défilé ou un attroupement pour lequel le lieu ou l’itinéraire n’a pas été communiqué, ou dont le déroulement ne se fait pas au lieu ou conformément à l’itinéraire communiqué est une assemblée, un défilé ou un attroupement tenu en violation du présent règlement.

 

La présente disposition ne s’applique pas lorsque le Service de police, pour des motifs de prévention des troubles de paix, de la sécurité et de l’ordre publics, ordonne un changement de lieu ou la modification de l’itinéraire communiqué.

 

[77]        Habituellement, une infraction est créée par des termes beaucoup plus clairs, tels : « Quiconque [fait telle chose] commet une infraction [ou un acte criminel] passible de [telle peine] ». Mais ce n’est pas toujours le cas.

[78]        On retrouve souvent des articles à portée générale et semblables à l'art. 7 du Règlement P-6, rédigés dans le style : « Quiconque contrevient au présent règlement [ou loi] commet une infraction et est passible d'une peine [ou amende] de... [etc.] ». Cette façon de créer des infractions est parfaitement valable, mais cela ne veut pas dire pour autant que chaque article de la loi ou du règlement devient ainsi créateur d’une infraction distincte.

[79]        Certains articles de législation sont introductifs, créateurs de droits ou déclaratifs de principes. L’article 1 du Règlement P-6 en est un bon exemple. En l’espèce, la poursuivante est d’accord que l'art. 1 est une « déclaration de prémisse ».

[80]        Certains articles de législation servent à l’interprétation des autres ou à préciser leur portée. L’article 6.1 du Règlement P-6 en est un bon exemple.

[81]        L’application de l'art. 7 du Règlement P-6, est facile lorsqu’il s’agit de le conjuguer avec les articles 3, 3.1 et 3.2 puisque ces trois articles commencent par les mots « Il est interdit à quiconque participe ou est présent à une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public, de... », suivi d’une description précise du comportement prohibé (molester, bousculer, gêner le mouvement, porter un objet contondant ou un masque, etc.).

[82]        L’article 2.1 ne fait pas l’objet d’une rédaction similaire. Il établit une condition préalable à la tenue d’une assemblée, d’un défilé ou autre attroupement. Si cette condition n’est pas respectée, l’assemblée, défilé ou attroupement peut être considéré comme tenu en violation du Règlement (art. 2.1 par. 2). Cela donne droit à un agent de la paix (en vertu de l’art. 6) de donner un ordre de quitter les lieux.

[83]        Puisque l’art. 6 indique que « toute personne doit se conformer immédiatement à l'ordre d'un agent de la paix de quitter les lieux d'une assemblée, d'un défilé ou d'un attroupement tenu en violation du présent règlement », on pourrait conclure que l’art. 6 crée une infraction qui consiste en le refus de quitter les lieux suite à l’ordre d’un agent de la paix.

[84]        Mais les défendeurs ne sont pas accusés d’avoir enfreint l’art. 6 et la poursuivante n’a jamais suggéré que l’art. 6 devait être invoqué comme source de l’infraction. Au contraire, la poursuivante, dans ses représentations, a insisté pour dire que l’art. 2.1 crée une infraction distincte de celle créée par l’art. 6 et n'exige pas l'existence d'un ordre par un agent de la paix.

[85]        Selon la poursuivante, l'infraction pour laquelle les défendeurs sont accusés est d'avoir participé ou d'avoir été présent à une assemblée, un défilé ou un autre attroupement dont l'itinéraire n'a pas été communiqué au directeur du Service de police ou à l'officier responsable.

[86]        Le problème avec cette proposition est que le Conseil de la Ville de Montréal a spécifiquement inclus l’expression « Il est interdit à quiconque participe ou est présent à une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public, de... » à trois endroits dans le Règlement, soit aux articles 3, 3.1, et 3.2, mais il n’a pas jugé bon d’inclure ces termes dans l’art. 2.1.

[87]        Pourquoi le Conseil de ville aurait-il pris la peine d’inclure et de répéter ces mots à trois occasions, dans trois articles différents du même règlement, et ne pas le faire à l’art. 2.1, si c’était la volonté du Conseil que l’art. 2.1 soit lu de la même manière? Par oubli?

[88]        Dans R. c. McIntosh, [1995] 1 r.c.s. 686, le ministère public plaidait que le législateur avait oublié d'inclure certains mots dans le deuxième paragraphe d'un article du Code criminel, et puisque le premier paragraphe contenait ces mots, il fallait lire le deuxième comme s'il contenait également ces mots. Le juge en chef Lamer (écrivant pour les juges majoritaires) a rejeté cet argument avec, entre autres, les explications suivantes :

[26]   Deuxièmement, l'analyse contextuelle permet aux tribunaux de s'écarter du sens grammatical ordinaire des termes lorsqu'un contexte particulier l'exige, mais elle n'exige généralement pas des tribunaux qu'ils introduisent des termes dans une disposition législative. C'est seulement lorsqu'« ils peuvent raisonnablement avoir » un sens particulier que ces termes peuvent être interprétés d'après leur contexte. Je suis d'accord avec l'observation de Pierre-André Côté dans son livre, Interprétation des lois (2e éd. 1990), aux pp. 257 et 258:

La fonction du juge étant d'interpréter la loi et non de la faire, le principe général veut que le juge doive écarter une interprétation qui l'amènerait à ajouter des termes à la loi: celle-ci est censée être bien rédigée et exprimer complètement ce que le législateur entendait dire . . .

Le ministère public demande à notre Cour d'inclure dans le par. 34(2) des termes qui ne s'y trouvent pas. À mon avis, cela équivaudrait à modifier le par. 34(2), ce qui constitue une fonction législative et non judiciaire.  L'analyse contextuelle ne justifie aucunement les tribunaux de procéder à des modifications législatives. [soulignements dans l’original; caractères gras ajoutés]

[89]        En l'espèce, rien ne suggère que le Conseil de la Ville de Montréal a oublié d'inclure les mots "participer ou être présent" dans la rédaction de l'art. 2.1. Il est bien plus raisonnable de conclure que le Conseil de ville savait ce qu’il faisait en adoptant l’art. 2.1 et a choisi de ne pas inclure ces termes dans l'art. 2.1 parce qu’il n’entendait pas faire de l’art. 2.1 un article créateur d’infraction ou, à tout le moins, n'entendait pas créer une infraction du simple fait d'avoir participé ou d'avoir été présent à une manifestation pour laquelle un itinéraire n'a pas été fourni.

[90]        Le Conseil de la Ville de Montréal a ajouté l’art. 2.1 au Règlement P-6 lors de son assemblée du 18 mai 2012 en décrétant le Règlement 12-024 intitulé Règlement modifiant le Règlement sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre publics, et sur l’utilisation du domaine public. Par ce même Règlement 12-024, qui ne contient que quatre articles en tout, le Conseil de ville a aussi modifié le Règlement P-6 en y ajoutant l’art. 3.2 qui, lui, inclut l’expression « Il est interdit à quiconque participe ou est présent à une assemblée, un défilé ou un attroupement sur le domaine public, de... ». Il est donc difficile de conclure que le Conseil de ville a oublié d’inclure cette expression dans l’art. 2.1. Son choix manifeste de l’inclure dans l’art. 3.2 suggère en même temps un choix éclairé de ne pas l’inclure dans l’art. 2.1.

[91]        Dans Blouin c. Longtin et al., [1979] 1 R.C.S. 577, la Cour suprême a conclu que le délit reproché au défendeur n'existait pas en vertu de la disposition réglementaire qu’il était accusé d’avoir violée et que celle-ci n'était qu'un énoncé de principe. Aux pages 583-585, le juge Pratte a écrit :

Il a toujours été reconnu qu’une infraction pénale n’existe pas par inférence; si l’autorité publique veut créer un délit, elle doit s’en exprimer clairement; l’on ne peut présumer de son intention de le faire. Blackstone (1 Bl.Comm. 88 (éd. Hargr.), note 37) dit:

[TRADUCTION] Le droit anglais ne permet, pas la création d’infractions par interprétation et on ne peut conclure que les lois pénales s’appliquent à un cas donné que s’il tombe sous le coup de l’esprit et de la lettre d’une telle loi.

Dans Dickenson v. Fletcher (1873), L.R. 9 C.P. 1, le juge Brett écrit à la p. 7:

[TRADUCTION] Ceux qui prétendent qu’une peine peut être imposée doivent établir que les termes de la loi édictent clairement qu’elle doit être imposée dans les circonstances présentes. Ils doivent être déboutés si l’interprétation des termes permet tout aussi bien d’imposer une peine que de ne pas le faire.

Le problème qui se pose ici offre beaucoup d’analogie avec celui qui a fait l’objet de la décision de la Queen’s Bench Division dans Sales-Matic, Ltd. v. Hinchliffe[5], où il s’agissait de savoir si une infraction avait été créée par une disposition de la loi qui déclarait illégales toutes les loteries. Parlant pour la Cour, le juge en chef lord Parker s’exprime comme suit à la p. 402:

[TRADUCTION] … L’article 21, le premier article de la Partie 2 de la Loi qui traite des loteries et des concours, est très bref et se lit ainsi:

«Sous réserve des dispositions de la présente Partie de cette Loi, toutes les loteries sont illégales».

Une seule question se pose: ces termes créent-ils une infraction, comme l’ont décidé les magistrats?

L’article 21 est suivi de l’art. 22 qui définit un certain nombre d’infractions relatives aux loteries. Le paragraphe 22(1) prévoit:

«Sous réserve des dispositions de cet article, toute personne qui relativement à toute loterie lancée ou dont le lancement est envisagé en Grande-Bretagne ou ailleurs…»

Puis vient l’énumération de certains actes comme l’impression et la vente de billets, l’utilisation de locaux, faire faire ou obtenir certaines choses; le par. 22(1) prévoit que, dans tous ces cas, l’auteur est coupable d’une infraction. Les peines sont fixées par l’art. 30 qui prévoit qu’une personne coupable d’une infraction à un article de la Partie 2 sera poursuivie sur déclaration sommaire de culpabilité ou sur acte d’accusation.

Revenant à l’art. 21, il dit, en termes généraux, que toutes les loteries sont illégales. C’est à mon avis une nouvelle façon de déclarer que quelque chose est une infraction. On peut utiliser le test suivant: à supposer que l’intention était de créer une ou plusieurs infractions, quelles sont-elles? Veut-on dire que quiconque dirige ou lance une loterie est coupable d’une infraction? Que quiconque prend part à une loterie est coupable d’une infraction? A mon avis, cet article sert seulement à déclarer illégales toutes les loteries et ensuite, en raison de la difficulté à définir «lancer, diriger ou s’occuper d’une loterie», le législateur a édicté l’art. 22 pour déclarer qu’un certain nombre d’actes liés au lancement et à l’organisation d’une loterie, sont des infractions… A mon avis, l’art. 21 ne crée pas d’infraction et en conséquence le présent appel doit être accueilli.

Il y a lieu d’appliquer ce raisonnement à la présente affaire.

Le premier alinéa de l’art. 4.1.1.8 du règlement 1044-1 n’est pas constitutif d’infraction; il contient un énoncé de principe d’où découlent logiquement les deux infractions créées par chacune des deux phrases contenues au deuxième alinéa; celui-ci utilise d’ailleurs les mots: «Il est donc illégal…» et «Il est aussi illégal…». Si le premier alinéa créait une infraction générale, l’on voit difficilement l’utilité de mentionner spécifiquement les deux délits décrits au deuxième alinéa puisque ceux-ci seraient nécessairement compris dans celle-là. L’on serait de plus amené à dire que le deuxième alinéa n’a d’autre utilité que de donner deux exemples spécifiques de l’infraction générale prévue au premier alinéa. C’est là une interprétation qui, surtout en matière pénale, ne m’est pas acceptable.

Le premier alinéa ne créant pas d’infraction, il ne peut servir de fondement aux plaintes logées contre l’appelant. [soulignements ajoutés]

[92]        La similarité de la présente affaire avec Blouin c. Longtin est frappante. Sa similarité avec Sales-Matic, Ltd. v. Hinchliffe l'est encore plus. Dans les trois cas, un énoncé de principe général a été invoqué à tort comme source de l'infraction alléguée, alors que les vraies infractions étaient énoncées dans les dispositions précises qui suivaient.

[93]        Dans Sales-Matic, comme dans la présente affaire, l'énoncé de principe déclarait illégale une activité qui, par sa nature, implique un grand nombre de personnes. Ces personnes n'ont pas toutes la même implication ni le même rôle: certaines organisent; certaines participent activement; d'autres participent passivement.

[94]        Si une disposition annonçant que « toutes les loteries sont illégales » ne crée pas une infraction, il s'ensuit qu'une disposition déclarant illégal « toute assemblée, défilé ou attroupement pour lequel le lieu ou l’itinéraire n’a pas été communiqué » ne doit pas en créer non plus. On ne se servirait pas de la première pour accuser une personne trouvée en possession d'un billet de loterie acheté au dépanneur, pas plus qu'on se servirait de la deuxième pour accuser une personne trouvée présente sur un trottoir public au moment d'une manifestation non annoncée.

[95]        Pour soutenir son argument dans le sens contraire, la poursuivante s'appuie « par analogie » sur la décision rendue dans Montréal (Ville de) c. Alatorre, 2012 QCCM 232. Avec égards, cette décision n'est pas d'un grand secours au débat actuel. Elle concerne des accusations d'avoir enfreint un article différent du Règlement P-6, soit l'art. 2. Les infractions alléguées auraient été commises à une époque (mars 2009) où l'art. 2.1 n'existait pas encore. De plus, cette décision ne traite pas d'une demande de rejet d'un chef d'accusation ni de la question de savoir si le chef d'accusation correspondait à une infraction créée par une loi en vigueur au moment des faits.

[96]        La poursuite a soumis d'autres décisions à l'attention du Tribunal: R. c. Blais, 2011 QCCM 194; Barrière c. Montréal (Ville de), 2007 qccm 231; et Aubert-Bonn c. Montréal (Ville de), 2006 qccm 66, (appels rejetés 2007 qccs 494 et 2008 qcca 950). En toute déférence pour l'opinion contraire, ces décisions ne soutiennent pas la position de la poursuivante dans le débat actuel car elles sont dans la même situation que Montréal c. Alatorre: elles concernent des accusations d'avoir commis des infractions différentes à une époque où l'art. 2.1 n'existait pas encore. De plus, ces décisions ne traitent ni d'une demande de rejet d'un chef d'accusation ni de la question de savoir si le chef d'accusation correspondait à une infraction créée par une loi en vigueur au moment des faits. R. c. Blais est une décision sur une requête en exclusion de preuve photographique; Barrière et Aubert-Bonn sont des décisions sur des requêtes pour faire déclarer inconstitutionnel l'art. 2.

[97]        En bout de piste, la poursuivante a plaidé que si le Tribunal décide que l'accusation ne comporte pas une infraction connue en droit, un grand nombre d'autres dossiers avec des accusations semblables risqueraient d'être affectés et de subir le même sort. Avec déférence pour l’opinion contraire, cet argument ne peut être retenu. Si une personne est accusée pour une infraction qui n'existe pas en droit, ce n'est pas le grand nombre d'autres personnes accusées de la même chose qui peut, par leur nombre, rendre légale quelque chose qui ne l'est pas.

[98]        Le Tribunal doit se limiter à décider le droit et à rendre justice, ce qui n’est pas sans rappeler les propos de Lord Mansfield, Lord Chief Justice of the King’s Bench, dans Somerset v Stewart (1772), 98 ER 499, mieux connu sous le nom de Somersett’s case :

But if the parties will have it decided, we must give our opinion. Compassion will not, on the one hand, nor inconvenience on the other, be to decide; but the law: in which the difficulty will be principally from the inconvenience on both sides. [...] If the parties will have judgment, fiat justitia, ruat coelum, let justice be done whatever be the consequence. [...] Whatever inconveniences, therefore, may follow from a decision, I cannot say this case is allowed or approved by the law of England; and therefore the black must be discharged. [p. 509-510, soulignements ajoutés]

[99]        En l’espèce, le Tribunal conclut que les chefs d’accusation ne correspondent à aucune infraction créée par une loi en vigueur au moment des faits allégués.

[100]     Considérant cette décision sur les chefs d’accusation, le Tribunal s’est interrogé si, en raison de l’art. 184 C.p.p., il devait proprio motu (de son propre chef) modifier les constats d’infraction.

[101]     Le dernier paragraphe de l’article 184 C.p.p. permet de corriger un vice dans un chef d’accusation par une modification du constat d’infraction, mais la rédaction de ce paragraphe suggère implicitement que cette modification doit être demandée par la poursuite :

Toutefois, lorsqu'une modification au constat d'infraction peut corriger le vice dont l'existence a été établie, le juge, plutôt que d'ordonner le rejet, permet, aux conditions qu'il détermine et s'il est convaincu qu'il n'en résultera aucune injustice, que le poursuivant apporte cette modification. Cependant, le juge ne peut permettre de substituer un défendeur à un autre ou une infraction à une autre. [soulignements ajoutés]

[102]     Les mots « permet [...] que le poursuivant apporte cette modification » suggèrent que le juge ne doit pas apporter la modification proprio motu. Et pour bonne cause, car cette interprétation fait conserver dans les mains du poursuivant la maîtrise de sa poursuite. Cette interprétation permet au poursuivant, s’il le choisit (comme dans le cas présent), de maintenir sa position que le chef d’accusation est parfaitement valable tel que rédigé. Si le juge de première instance se trompe en accordant une demande de rejet, le poursuivant peut toujours faire réviser la décision en la portant en appel.

[103]     Une demande du poursuivant est également une exigence préalable à la modification d’un chef d’accusation pour le rendre conforme à la preuve. C’est l’art. 209 C.p.p. qui le dit :

209. Sur demande du poursuivant, le juge permet, aux conditions qu'il détermine et s'il est convaincu qu'il n'en résultera aucune injustice, que le poursuivant modifie le chef d'accusation pour le rendre conforme à la preuve présentée s'il y a divergence entre le chef et la preuve. Toutefois, le juge ne peut permettre de substituer un défendeur à un autre ou une infraction à une autre. [soulignements ajoutés]

[104]     Une demande du poursuivant est aussi une exigence préalable à la modification d’un chef d’accusation en vertu de l’art. 179 C.p.p. :

179. Sur demande du poursuivant, le juge permet, aux conditions qu'il détermine et s'il est convaincu qu'il n'en résultera aucune injustice, que le poursuivant modifie un chef d'accusation pour y préciser un détail ou pour y corriger une irrégularité, notamment pour y inclure expressément un élément essentiel de l'infraction. Cependant, le juge ne peut permettre de substituer un défendeur à un autre ou une infraction à une autre. [soulignements ajoutés]

[105]     Dans Société des alcools du Québec c. Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la S.A.Q., J.E. 95-1528 (C.A.), le juge de première instance avait proprio motu amendé les chefs d’accusation. La Cour d’appel du Québec a accueilli le pourvoi et rétabli les jugements d’acquittement. Le juge Proulx, dans ses motifs (auxquels souscrit le juge Rothman) a écrit ceci :

 

Cet amendement décidé par le juge Prud'homme ne pouvait survenir que par le biais de l'article 209 du Code de procédure pénale qui dispose:

209. [Modification du chef d'accusation] Sur demande du poursuivant, le juge permet, aux conditions qu'il détermine et s'il est convaincu qu'il n'en résultera aucune injustice, que le poursuivant modifie le chef d'accusation pour le rendre conforme à la preuve présentée s'il y a divergence entre le chef et la preuve. Toutefois, le juge ne peut permettre de substituer un défendeur à un autre ou une infraction à une autre.


(j'ai souligné)


              Cette disposition me paraît sans équivoque et, avec respect, je ne crois pas que cet amendement pouvait être ordonné d'office par le tribunal; le poursuivant doit en faire la demande. En conséquence, je crois que le débat aurait dû se terminer par le rejet des deux dénonciations au motif que l'avis de correction ne comportait pas de délai.

 

[106]     Le juge Beauregard était du même avis et s’est exprimé ainsi :

[J]e partage l'opinion du juge Proulx suivant laquelle les dénonciations ne pouvaient être modifiées par le juge en l'absence d'une demande à cette fin de la part du poursuivant et du respect du droit de la défenderesse de faire des observations contre l'octroi de cette demande.

[107]     En l’espèce, la poursuivante n'a présenté aucune demande de modification du chef d'accusation lors des audiences devant le soussigné. Cette décision doit être respectée.

[108]     De toute façon, une telle demande n'aurait probablement pas pu être accordée, car, selon les articles 179, 184 et 209 C.p.p., le juge ne peut modifier un chef que « s'il est convaincu qu'il n'en résultera aucune injustice ». Il résulterait certainement une injustice aux défendeurs en permettant une modification de l’accusation à cette étape avancée des procédures, presque deux ans après les événements et après que tous les témoins de la poursuite ont été contre-interrogés et libérés. Comme l’a mentionné les auteurs Létourneau et Robert dans leur Code de procédure pénale du Québec annoté (Édition 2011) à la p. 403 :

Plus la demande de modification se fait à un stade avancé du procès, plus le risque de préjudice irréparable augmente car le défendeur aura généralement orienté sa défense en fonction des faits reprochés dans le chef d’accusation initial.

[109]     Par conséquent, le Tribunal décide que les chefs d’accusation portés contre les trois défendeurs ne correspondent à aucune infraction créée par une loi en vigueur au moment où se sont produits les faits décrits dans ces chefs. Ces chefs doivent donc être rejetés.

[110]     Normalement, cette décision devrait mettre fin au procès. Mais les défendeurs ont aussi présenté, de façon subsidiaire, une demande de non-lieu pour absence totale de preuve quant à un élément essentiel de l’infraction. Puisque la décision du Tribunal de rejeter les chefs d’accusation peut être renversée par une cour d’appel, et puisque la demande de non-lieu a été entièrement plaidée par les deux parties, il serait préférable que le Tribunal se prononce sur cette demande subsidiaire.

7.2       La demande de non-lieu

[111]     L'article 210 du Code de procédure pénale codifie ce qui est connu en matière criminelle comme une motion de non-lieu :

210. Après que le poursuivant a déclaré sa preuve close, le défendeur peut demander d'être acquitté en raison de l'absence totale de preuve quant à un élément essentiel de l'infraction.

[112]     Le droit relatif à une demande de non-lieu en matière pénale est bien résumé par les auteurs Létourneau et Robert dans leur Code de procédure pénale du Québec annoté (Édition 2011) à la p. 482 :

L’objet d’une demande de non-lieu est l’absence ou l’existence d’éléments de preuve sur chacun des éléments essentiels de l’infraction. Le critère fondamental d’appréciation à cet égard consiste en ce que « le juge du procès n’est pas justifié d’imposer un verdict d’acquittement lorsqu’il existe des éléments de preuve admissibles qui, si un jury ayant reçu des directives appropriées et agissant de manière raisonnable y accorde foi, justifieraient une déclaration de culpabilité ».

►      États-Unis d’Amérique c. Shephard, [1977] 2 R.C.S. 1067; Québec (Sous-ministre du Revenu) c. 3099-5666 Québec inc., EYB 2005-94384 (C.S.).

Ce critère s’applique autant à une poursuite fondée sur de la preuve directe qu’à celle fondée sur de la preuve circonstancielle.

►      Monteleone c. R., [1987] 2 R.C.S. 154.

Le juge du procès dans l’examen de cette question n’a pas à évaluer la preuve en vérifiant sa force probante ou sa fiabilité lorsqu’on a décidé qu’elle était admissible. Il n’a pas, non plus, à faire des déductions de faits d’après les éléments de preuve qui lui sont présentés.

►      Monteleone c. R., précité.

►      Mezzo c. R., [1986] 1 R.C.S. 802.

►      R. c. Paul, [1977] 1 R.C.S. 181.

Mais lorsque le poursuivant ne produit pas de preuve directe à l’égard de tous les éléments de l’infraction, il faut déterminer si ces autres éléments, à l’égard desquels il n’y a pas de preuve directe, peuvent raisonnablement être inférés de la preuve circonstancielle. Pour ce faire, le juge doit nécessairement procéder à une évaluation limitée de la preuve pour déterminer si celle-ci est raisonnablement susceptible d’étayer les inférences que le poursuivant désire que le juge fasse. Il ne s’agit pas pour le juge de se demander si, personnellement, il aurait cru à la culpabilité de l’accusé ou encore de tirer des inférences de fait ou d’apprécier la crédibilité. Il se demande uniquement si la preuve, si elle était crue, peut raisonnablement étayer une inférence de culpabilité.

►      Québec (Procureur général) c. J.G. Normand inc., [2008] J.Q. nº 10628 (J.P.M.), citant R. c. Arcuri, [2001] 2 R.C.S. 828.

[113]     En l’espèce, pour pouvoir se prononcer sur la demande subsidiaire de non-lieu, le Tribunal doit appliquer ces principes de droit à la preuve présentée par la poursuite, mais en fonction de l’hypothèse que les constats d’infraction contiennent bel et bien une infraction créée par une loi en vigueur au moment des faits.

[114]     Même sur cette hypothèse, les parties ne s’entendent pas.

[115]     Selon la poursuivante, l'infraction pour laquelle les défendeurs sont accusés est d'avoir participé ou d'avoir été présent à une assemblée, un défilé ou un autre attroupement dont l'itinéraire n'a pas été communiqué au directeur du Service de police ou à l'officier responsable.

[116]     Selon les défendeurs, si l'art. 2.1 est créateur d'infraction, cette infraction ne peut être autre chose que de tenir une assemblée, un défilé ou un attroupement sans avoir divulgué l'itinéraire à la police, ce qui exige une implication dans l'organisation de l’événement.

[117]     Sur ce point, le Tribunal donne raison aux défendeurs.

[118]     L’article 2.1 du Règlement utilise à deux occasions des mots dont la racine est le verbe tenir, soit les mots tenue et tenu. À chaque fois, ce mot est utilisé en relation avec « une assemblée, un défilé ou un attroupement » :

 

2.1.  Au préalable de sa tenue, le lieu exact et l’itinéraire, le cas échéant, d’une assemblée, d’un défilé ou autre attroupement doit être communiqué au directeur du Service de police ou à l’officier responsable.

 

Une assemblée, un défilé ou un attroupement pour lequel le lieu ou l’itinéraire n’a pas été communiqué, ou dont le déroulement ne se fait pas au lieu ou conformément à l’itinéraire communiqué est une assemblée, un défilé ou un attroupement tenu en violation du présent règlement. [...] [soulignements ajoutés]

 

[119]     Par contre, les mots « avoir participé » et « avoir été présent » ne se retrouvent nulle part dans l’art. 2.1, contrairement aux articles 3, 3.1 et 3.2.

[120]     Par conséquent, si infraction il y a à l'art. 2.1, elle ne peut viser que celui qui « tient » l'assemblée, défilé ou attroupement sans avoir remis à la police le lieu ou l’itinéraire.

[121]     Est-ce que celui qui « tient » l'assemblée, défilé ou attroupement doit nécessairement être impliqué dans son organisation, comme le prétendent les défendeurs? Sur cette question, le Tribunal donne encore raison aux défendeurs.

[122]     Les défendeurs ont référé le Tribunal à la définition du mot « tenir » dans le Dictionnaire de français Larousse en ligne (http://www.larousse.fr/dictionnaires/ francais/tenir/77301?q=tenir#76386). Cette définition donne plusieurs sens au mot « tenir », mais les seuls susceptibles de s’appliquer dans le contexte d’une assemblée, d’un défilé ou autre attroupement sont :

 

- Avoir quelqu'un, un groupe sous son autorité et s'en faire obéir;

- Gérer, diriger un établissement, avoir la charge d'une fonction. 

 

[123]     Le Petit Robert (1990) est un autre dictionnaire qui donne au verbe « tenir » le sens « diriger, gérer » entre autres.

[124]     Il est logique de conclure que, pour diriger ou gérer une assemblée, un défilé ou un groupe de personnes, il faut avoir une certaine autorité sur eux, ne serait-ce que morale. Et pour pouvoir fournir à la police l’itinéraire d’une manifestation « au préalable », il faut nécessairement avoir été impliqué dans son organisation « au préalable ».

[125]     Par conséquent, les défendeurs ont raison de dire que, dans la meilleure hypothèse pour la poursuivante, c’est-à-dire l’hypothèse où l’art. 2.1 du Règlement est créateur d’infraction, cette infraction doit être d’avoir organisé une assemblée, un défilé ou un attroupement sans avoir divulgué l'itinéraire à la police au préalable.

[126]     Puisqu’il n’y a eu aucune preuve que les défendeurs ont été impliqués dans l’organisation de la manifestation du 22 mars 2013, il y a une absence totale de preuve d’un élément essentiel de l’infraction et les demandes de non-lieu doivent être accordées.

[127]     Mais puisque la poursuivante maintient que l’infraction créée par l’art. 2.1 est d'avoir participé ou d'avoir été présent à une assemblée, un défilé ou un autre attroupement dont l'itinéraire n'a pas été communiqué au Service de police, le Tribunal va analyser la preuve pour décider si elle contient une preuve quelconque, directe ou indirecte (y compris une preuve circonstancielle) de chaque élément essentiel de l’infraction telle que proposée par la poursuivante.

[128]     Le témoignage de l’inspecteur-chef Simoneau contient une preuve de l’existence d’une manifestation et donc « d’une assemblée, un défilé ou un autre attroupement ».

[129]     Ce témoignage contient également une preuve de la non-divulgation au Service de Police d’un lieu ou itinéraire pour cette manifestation.

[130]     Mais l’inspecteur-chef Simoneau n‘identifie aucun des trois défendeurs comme ayant « tenu » cette manifestation, ni même d’y avoir participé, ni même d’avoir été présent. Il n’affirme même pas les avoir vus le 23 mars 2013.

[131]     Les sergents-détectives Gagnon et Perron témoignent qu’ils n’ont vu aucune infraction commise le 23 mars 2013. Toutes les personnes accusées avaient été arrêtées avant leur arrivée sur les lieux et aucune infraction ne se déroulait à leur arrivée ou après.

[132]     Les seules autres preuves proposées par la poursuivante sont les trois constats d’infraction et elle demande au Tribunal de les considérer comme des preuves de ce qui est écrit dans les sections A (identité et coordonnées du défendeur), B (description de l'infraction) et C (lieu).

[133]     Le Code de procédure pénale donne au constat d’infraction un double rôle. Son premier rôle est procédural: le constat met en marche la procédure d’accusation. Les articles 144 et 156 C.p.p. expriment cette fonction :

144. Toute poursuite pénale est intentée au moyen d'un constat d'infraction.

[...]

156. Toute poursuite pénale débute au moment de la signification d'un constat d'infraction.

[134]     Le deuxième rôle du constat d’infraction est de servir de preuve et le Code précise que cette preuve a la même valeur que si l’agent de la paix témoignait :

 

62. Le constat d'infraction ainsi que tout rapport d'infraction, dont la forme est prescrite par règlement, peut tenir lieu du témoignage, fait sous serment, de l'agent de la paix ou de la personne chargée de l'application d'une loi qui a délivré le constat ou rédigé le rapport, s'il atteste sur le constat ou le rapport qu'il a lui-même constaté les faits qui y sont mentionnés.

 

Il en est de même de la copie du constat ou du rapport certifié conforme par une personne autorisée à le faire par le poursuivant. [soulignements ajoutés]

 

[135]     La version anglaise de cet article apporte un éclairage au sens du terme « tenir lieu » :

 

62. The statement of offence or any offence report, in the form prescribed by regulation, has the same value and effect as evidence given under oath by the peace officer or the person entrusted with the enforcement of any Act who issued the statement or drew up the report, if he attests on the statement or report that he personally ascertained the facts stated therein.

 

The same applies to a copy of the statement or report certified by a person authorized to do so by the prosecutor. [soulignements ajoutés]

 

[136]     Par conséquent, le constat peut servir de preuve avec la même valeur qu'un témoignage fait sous serment.

[137]     Mais cette attribution d'une fonction de preuve est conditionnelle à l'attestation, sur le constat, que l’agent a été personnellement témoin des faits mentionnés.

[138]     Il est vrai qu'un constat d'infraction peut être rédigé et délivré au défendeur par un agent qui n’a pas été personnellement témoin de la commission de l’infraction. C’est l’art. 147 C.p.p. qui énonce cette règle :

 

147. Le constat d'infraction indique, le cas échéant, le nom et la qualité de la personne qui, avec l'autorisation du poursuivant, a délivré le constat. [...]   

 

Sous réserve des dispositions spécifiques prévues par la section II du chapitre VI, celui qui délivre le constat, de même que le poursuivant, n'est pas tenu d'avoir constaté personnellement l'infraction, mais doit avoir des motifs raisonnables de croire que celle-ci a été commise par le défendeur.  [soulignements ajoutés]

 

[139]     Mais lorsque celui qui délivre le constat n'a pas constaté personnellement les faits mentionnés, le constat n’a que sa fonction procédurale: il met en marche la poursuite pénale (art. 144 C.p.p.) et avise le défendeur de l’accusation, mais il n’a pas une fonction de preuve.

[140]     Dans le cas d’A.K., le constat d'infraction (304-110-310) ne contient aucune mention du lieu de l’infraction à part « VM 21 » et aucune mention de l’heure de l’infraction. Il contient une mention de la date de l’infraction, mais seulement parce qu’un « amendement » autorisé par un juge le 11 juin 2014 a permis d’ajouter cette information au document lors d’une comparution pour la forme. Cette date n’apparaissait pas lors de la rédaction initiale du constat le 22 mars 2013 et ne peut pas être considérée comme ayant été attestée. Pire encore, sur le constat d’A.K., l’attestation n’a jamais été signée par qui que ce soit.

[141]     L’absence de signature équivaut à une absence d’attestation. En l'absence d'une attestation, l'art. 62 ne peut pas s'appliquer et le constat de A.K. ne peut pas tenir lieu du témoignage de quelqu'un. Par conséquent, ce constat ne peut pas servir de preuve des faits qui y sont mentionnés.

[142]     Décider le contraire serait contraire à la présomption d’innocence, car une simple allégation non appuyée par l’attestation d’un témoin serait considérée comme une preuve permettant d’entraîner une déclaration de culpabilité et obligeant un défendeur à prouver son innocence.

[143]     Il y a donc une absence totale de preuve que A.K. a commis l'infraction alléguée par la poursuite ou quelque infraction que ce soit, même celle que la poursuite considère comme créée par l’art. 2.1.

[144]     Dans le cas du constat d’infraction de Patrick René, la sergente-détective Gagnon a signé l’attestation qui se lit : « Je, soussigné, atteste avoir moi-même constaté les faits mentionnés en A [identité et coordonnées du défendeur], B [description de l'infraction], C [lieu] ». Par contre, elle a nié sous serment devant le Tribunal avoir constaté elle-même la commission d'une infraction. Pour expliquer son attestation, elle a dit que le Service de police avait adopté cette procédure et que ses supérieurs lui avaient dit d'agir ainsi pour des fins de logistique et pour éviter d'avoir beaucoup de témoins à la cour en même temps.

[145]     Dans le cas du constat d’infraction d’Éric Thibeault Jolin, le sergent-détective Perron a signé l’attestation qui se lit : « Je, soussigné, atteste avoir moi-même constaté les faits mentionnés en B [description de l'infraction] ». Par contre, il a nié sous serment devant le Tribunal avoir constaté lui-même la commission d'une infraction.

[146]     Il ne s’agit pas ici de simples contradictions sur des détails attribuables à une mémoire défaillante que le Tribunal pourrait considérer dans sa décision sur le fond, après avoir entendu toute la preuve et évalué la crédibilité de tous les témoins. Il s’agit plutôt de rétractations par les témoins de leurs attestations.

[147]     Selon le Tribunal, ces rétractations enlèvent toute valeur légale aux attestations des sergents-détectives Gagnon et Perron et, comme conséquence, enlèvent aux constats d’infraction toute valeur comme preuve.

[148]     Sur la question des irrégularités sur les constats d'infraction, le procureur de la poursuivante a plaidé qu'il ne faut pas que la forme l'emporte sur le fond et invoque à l'appui la décision rendue dans Laval (Ville de) c. Daignault, 2008 qccm 241, dont le par. 29 fait référence à l'art. 29 C.p.p. La présence des défendeurs à la cour démontre qu'ils ont eu connaissance du constat d'infraction et de l'accusation contre eux.

[149]     En effet, l'article 29 C.p.p. permet au fond de l'emporter sur la forme dans le cas d'une simple « irrégularité » dans la signification de tout acte de procédure faite en vertu de Code de procédure pénale :

29. La signification entachée d'irrégularité demeure valide si un juge est convaincu, à quelque étape de la procédure, que le destinataire a néanmoins pris connaissance de l'acte de procédure. Le juge peut alors rendre toute ordonnance que la justice exige.

[150]     Mais l'article 29 C.p.p. ne s'applique qu'à la signification des actes de procédure. Il ne s'applique pas aux autres fonctions des actes de procédure et encore moins à la fonction de preuve du constat d'infraction.

[151]     De plus, la décision rendue dans Laval (Ville de) c. Daignault, ne soutient pas la position de la poursuivante, car dans cette affaire, le juge a décidé qu'il y a une différence entre une signification entachée d'irrégularité et une fausse attestation au constat. Lors de l'instruction de la cause, le policier qui avait observé les faits a admis avoir signé en blanc le constat d'infraction et d'avoir ensuite laissé à son collègue le soin de le remplir et de le remettre au défendeur. Le juge a qualifié cette attestation de « fausse » (par. 35-36) et a conclu que la fausseté de l'attestation de signification n'était pas une simple irrégularité mais plutôt une « nullité » qui entachait toute la procédure ainsi que la juridiction du Tribunal et rendait le constat d'infraction invalide (par. 52-53). Il a donc ordonné l'arrêt des procédures.

[152]     Dans le cas qui nous concerne, il n'est pas nécessaire d'aller aussi loin que dans Daignault. Ce n'est pas la juridiction du Tribunal qui est en cause, mais la validité comme outil de preuve d'un document comportant une fausse attestation.

[153]     Même si cette façon de travailler a été décidée par les officiers supérieurs des policiers Gagnon et Perron pour des fins de logistique et pour éviter d'avoir beaucoup de témoins à la cour en même temps, cela n'enlève rien à la gravité des gestes posés.

[154]     Selon l’art. 146 C.p.p., un constat d’infraction « est réputé fait sous serment ». Dans Gagnon c. R., 2007 QCCA 1632, la Cour d’appel du Québec a rappelé (au par. 18) que « le constat d’infraction délivré par un policier en vertu du Code pénal est une procédure judiciaire » et (au par. 21) que « le policier qui émet un constat d’infraction est chargé de l’exécution d’un acte judiciaire ». L’importance du constat d’infraction ne pourrait pas être plus clairement exprimée.

[155]     Puisque l'art. 62 C.p.p. accorde aux constats d'infraction attestés la même valeur qu'un témoignage sous serment, les fausses attestations sur des constats d’infraction sont aussi graves que des faux témoignages rendus à la cour. Elles peuvent causer des condamnations de personnes innocentes.

[156]     La banalisation de cette violation de la loi par des officiers supérieurs du Service de police de la Ville de Montréal est ahurissante. Non seulement la procédure ordonnée risquait de faire condamner des innocents, elle ébranle sérieusement la confiance qu'on peut avoir dans la preuve documentaire qui est utilisée chaque année dans des milliers de poursuites pénales.

[157]     Le moyen de preuve documentaire du rapport d’infraction a été institué par le Québec en 1972 et a fourni un « mode de preuve efficace et économique » (Létourneau et Robert, précité, p. 135). Plus tard, l’article 62 C.p.p. a ajouté le constat d’infraction comme moyen de preuve. Mais l’adoption de l’article 62 C.p.p. était fondée sur la confiance qu'avaient les législateurs envers les corps de police chargés de l'appliquer. Nul n'aurait pu imaginer qu'un ordre serait donné par des officiers supérieurs de faire rédiger de fausses attestations lors d'arrestations massives.

[158]     En l'espèce, le Tribunal conclut que les fausses attestations sur les constats d'infraction leur enlèvent toute valeur légale comme preuve des faits en litige. Le résultat est une absence totale de preuve de la commission d’une infraction par les défendeurs Patrick René et Éric Thibeault Jolin. Les demandes de non-lieu doivent donc être accordées.

 

8.       CONCLUSIONS

[159]     Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal rejette les chefs d'accusation portés contre les défendeurs Éric Thibault Jolin, Patrick René et A. K. et, subsidiairement, prononce un non-lieu relatif à ces mêmes défendeurs.

[160]     Par conséquent, ils sont acquittés.

 

 

 

 

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RANDALL RICHMOND, J.C.M.M.

                                                                                 

 

Dates d'audition: 20, 28 novembre, et 8 décembre 2014.

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