Décision

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COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

100304

Cas :

CM-2008-1945

 

Référence :

2010 QCCRT 0132

 

Montréal, le

11 mars 2010

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Susan Heap, juge administrative

______________________________________________________________________

 

 

Marc Lajoie

 

Plaignant

c.

 

Provigo Québec inc.

Intimée

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                        Le 17 mars 2008, Marc Lajoie (le plaignant) dépose une plainte selon l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1., dans laquelle il allègue avoir été congédié sans cause juste et suffisante le 31 janvier 2008.

LES FAITS

Le contexte

[2]                Le marché d’alimentation Provigo de Montréal-Nord emploie de 55 à 60 salariés. Dirigé par Michel Hébert depuis mars 2005, il est ouvert de 8 h à 22 heures, 7 jours par semaine.

[3]                Le plaignant est commis d’épicerie au Provigo-Montréal-Nord depuis 1989. Ses fonctions habituelles consistent à placer la marchandise et aider les clients à trouver un produit. À l’occasion, il prépare des commandes ou monte des présentations. Il travaille 38 heures par semaine, généralement du lundi au vendredi. Son horaire commence à 8 ou 9 h le matin et se termine à 16 h, 17 h ou 18 h 30, selon le cas. Une fois par semaine, il travaille de 12 h à 21 h. Son superviseur immédiat est le gérant d’épicerie, Denis Bachand.

[4]                Il n’y a que cinq commis d’épicerie. Le plaignant est l’un des deux commis à temps plein et il y en a trois autres à temps partiel. Michel Hébert indique qu’en raison du nombre très réduit de commis et de longues heures d’ouverture du magasin, la gestion des heures des commis est serrée. Il faut s’assurer de la présence d’un commis de 9 h à 21 h, du lundi au vendredi, ainsi que pour certaines heures pré-ouverture. En plus, il faut synchroniser la présence des commis avec la livraison des marchandises.

[5]                En conséquence, l’absence d’un commis cause des problèmes d’approvisionnement et fait en sorte que, lorsque le commis présent au travail prend ses pauses et son heure de dîner, il n’y a personne pour répondre à la clientèle. Si un commis est absent ou en retard, des produits périssables, et surtout des produits surgelés, ne sont pas reçus et placés immédiatement, causant ainsi des pertes de produits en plus des pertes de ventes.

Suivi du plaignant à la clinique de la migraine

[6]                En mai 2005, le plaignant consulte un médecin à la Clinique de la migraine et il y est suivi par le docteur Filipini, médecin et neurologue diplômé de l’Université de Buenos Aires. Celui-ci obtient en 1993 son permis pour pratiquer au Québec comme généraliste. Il pratique en médecine générale en milieu psychiatrique

[7]                À l’audience, le docteur Filipini produit et commente le dossier médical du plaignant. On doit noter que ce dernier avait déjà été suivi à la Clinique de la migraine en 1996 et qu’il avait ensuite été en rémission jusqu’à un accident de travail survenu en novembre 2004. Le docteur Filipini indique que le plaignant le consulte en octobre 2005; il se plaint alors de douleurs cervicales et de céphalées. Ces problèmes ont été déclenchés par l’accident de travail de novembre 2004.

[8]                Le docteur Filipini diagnostique des migraines et une cervicalgie chroniques. Le plaignant est déjà en arrêt de travail et le docteur FiIipini confirme cet arrêt pour une période indéterminée, notant la présence de douleurs incapacitantes. Il change la médication du plaignant et lui prescrit deux autres médicaments, le premier pour prévenir les migraines et l’autre pour soulager la douleur des migraines qui peuvent se produire malgré tout. Il prescrit aussi de la physiothérapie et des infiltrations cervicales.

[9]                Les problèmes du plaignant s’amenuisent graduellement et, en novembre 2005, le docteur Filipini considère que le plaignant est prêt à effectuer un retour au travail progressif à partir du 7 novembre, assorti d’une limitation fonctionnelle : ne pas tirer ou lever des poids de plus de 20 livres. Ce retour progressif est refusé par l’employeur en raison de la limitation fonctionnelle.

[10]           Le 27 février 2006, le plaignant va mieux et le docteur Filipini prescrit un retour au travail progressif sans limitation, à partir du 6 mars 2006. Le plaignant devait être revu par lui en juin 2006, mais il n’est pas retourné le consulter.

Le retour au travail progressif, le 6 mars 2006

[11]           Le plaignant prend les cinq semaines de vacances payées qui lui sont dues. Ensuite, il suit le programme de retour au travail progressif, en débutant à la cinquième semaine du programme, comportant deux jours de travail par semaine. Le nombre de jours de travail augmente ensuite graduellement jusqu’à une semaine complète à partir du 9 juin 2006.

[12]           Michel Hébert soutient qu’étant donné que le plaignant avait hâte de recevoir une paie, il y a eu une entente pour sauter la période pendant laquelle il ne devait travailler que quelques heures par semaine et qu’il prenne d’abord ses vacances. Le plaignant prétend que c’est Michel Hébert qui a suggéré cet arrangement, mais qu’il l’a accepté. En tout état de cause, le plaignant n’allègue pas que le fait d’avoir commencé le programme de retour progressif en travaillant deux jours par semaine ait eu le moindre effet sur sa santé.

L’état de santé du plaignant à partir du 6 mars 2006

[13]           Le 13 octobre 2006, le plaignant consulte de nouveau le docteur Filipini. Ce dernier note dans son dossier : « Retour de ses crises migraineuses - car a cessé les médications ». Le plaignant ne lui a pas fourni de raison à cet égard. Le médecin note cependant que le « travail est mieux toléré ». L’examen neurologique est normal, il n’y a pas de douleur au cou, mais il y a de la tension musculaire. Il prescrit au plaignant un relaxant musculaire et remplace le médicament pour soulager la douleur. Il lui conseille de revenir le rencontrer dans 6 mois. Cependant, le plaignant ne retournera jamais le consulter.

[14]           Quand sa procureure lui demande pourquoi il a cessé de consulter un médecin après le 13 octobre 2006, le plaignant répond qu’il y a eu une grande amélioration.

Les absences ET RETARDS

Le dossier de l’employeur

[15]           Michel Hébert fait part du problème d’assiduité du plaignant, en commentant une série de comptes rendus et d’avis qui se trouvent dans le dossier de celui-ci. Selon une note du 26 avril 2005, Michel Hébert et le supérieur immédiat du plaignant, Denis Bachand, le rencontrent pour lui dire qu’il doit apporter un certificat médical pour justifier toute absence pour cause de maladie.

[16]           À la suite d’une absence du plaignant le 13 juillet 2006, l’employeur note dans son dossier qu’on lui a rappelé la consigne selon laquelle c’est lui, et non pas sa conjointe, qui doit téléphoner personnellement pour aviser de ses absences. On note qu’on lui rappelle ceci chaque fois qu’on lui parle de ses absences. L’employeur tient en effet à parler au plaignant pour obtenir des détails sur la raison de l’absence et pour savoir s’il va se présenter au travail le lendemain ou s’il prévoit être absent pour une plus longue période.

Le processus disciplinaire

L’avis écrit et les rencontres

[17]           Le 18 août 2006, l’employeur remet à Marc Lajoie un avis écrit concernant son dossier d’assiduité insatisfaisant. On y rappelle qu’au cours d’un mois pendant lequel il n’a travaillé que trois semaines, il a accumulé trois absences pour maladie et un retard. On lui indique qu’« il est très rare dans un mois que vous respectiez votre horaire soit par retard ou par absentéisme. » On lui reproche de ne pas aviser son supérieur de ses absences ou retards avant le début de son quart de travail et on lui rappelle qu’il doit le faire. On termine l’avis en l’avertissant que si la situation n’est pas corrigée, l’employeur devra procéder à des mesures disciplinaires plus sévères pouvant aller jusqu’au congédiement.

[18]           Le 21 août 2006, selon une note au dossier, le plaignant s’absente de nouveau. Malgré l’avis reçu trois jours auparavant, il n’avise pas l’employeur avant le début de son quart de travail et c‘est sa conjointe qui téléphone. L’employeur lui rappelle encore une fois qu’il doit aviser d’avance. Une autre note mentionne que le plaignant est encore absent le 21 et 22 septembre 2006 et que c’est sa conjointe qui avise l’employeur, après le début de son quart de travail.

[19]           Le 3 novembre 2006, un compte rendu indique que Michel Hébert et Denis Bachand rencontrent le plaignant pour l’aviser qu’il a épuisé sa banque de congés de maladie et pour lui rappeler qu’il doit apporter un certificat médical pour justifier chaque absence.

[20]           En 2007, les absences du plaignant continuent d’être nombreuses. Le 24 mai, le plaignant est en absence autorisée du travail pour participer à une réunion du comité syndical de négociation. Il ne s’y présente pas et n’avise pas les collègues syndicaux dudit comité. (En mai 2007, le processus de négociation d’une convention collective est alors en cours. Cependant, il apparaît que le plaignant n’est pas couvert par une convention collective lors de son congédiement en janvier 2008.)

[21]           Le 29 et le 31 mai, il est encore absent pour maladie.

[22]           Michel Hébert indique à l’audience qu’il a eu de très nombreuses rencontres avec Marc Lajoie relativement à ces absences. Il insiste alors sur la nécessité de justifier ces absences en apportant un certificat médical et rappelle les autres consignes. Il n’y a pas d’amélioration. Le plaignant continue à ne pas téléphoner lui-même avant le début de son quart pour aviser de ses absences et de ne pas apporter un certificat médical pour les justifier. L’employeur ne croit pas que ces absences surviennent en raison de maladies, car le plaignant n’apporte jamais de certificat médical et il ne lui montre jamais des médicaments qu’il prendrait pour contrôler ses migraines. De plus, à l’occasion, le plaignant sent l’alcool et affiche un comportement euphorique comme s’il était « sur le party ».

La suspension d’une journée

[23]           Du 1er janvier au 30 mai 2007, Marc Lajoie s’absente à 12 reprises sans aviser son supérieur et sans autorisation. En conséquence, l’employeur lui impose une suspension d’une journée, le 30 mai 2007. Michel Hébert et le directeur adjoint du magasin rencontrent le plaignant pour lui remettre la lettre de suspension suivante :

Objet : Suspension de (1) journée

Monsieur Lajoie,

En date du 18 août 2006, vous avez été avisé(e) par écrit concernant votre absentéisme.

Depuis le 1er janvier 2007 vous vous êtes absenté 12 fois sans aviser votre supérieur immédiat, sans autorisation préalable ou sans avoir, pour toutes ces absences, d’explication raisonnable. Voici les dates de vos absences :

·                     17 janvier 2007

·                     12 février 2007

·                     7, 8, 19 mars 2007

·                     2, 4, 5, 11 avril 2007

·                     2, 24 et 29 mai 2007

(…)

Nous espérons que cette période d’arrêt vous a permis de réaliser le sérieux de votre situation et l’importance que nous portons, comme employeur, à votre présence au travail. Si vos absences sont reliées à des problèmes personnels, nous vous invitons à contacter notre programme d’aide aux employés au (…).

Vu ce nouveau manquement, nous vous avisons que si la situation ne se corrige pas et, en cas de récidive, nous devrons prendre des mesures disciplinaires plus sévères pouvant aller jusqu’au congédiement.

(Reproduit tel quel.)

[24]           Un délégué « syndical » assiste également à cette rencontre.

[25]           Selon Michel Hébert, le plaignant n’a pas fourni d’explication ni formulé de commentaire et il n’a pas nié avoir été absent à ces dates. Michel Hébert avise alors le plaignant que le problème est très sérieux.

[26]           Malgré cette suspension, Marc Lajoie continue de s’absenter sans aviser l’employeur et il n’apporte pas de certificat médical, sauf dans le cas de deux absences en mai 2006 et en septembre 2007 en raison d’une cheville foulée au soccer.

[27]           Quand le plaignant s’absente, à l’occasion sa conjointe téléphone à l’employeur, à d’autres reprises le plaignant téléphone au milieu du quart de travail et d’autres fois il n’y a aucun appel pour aviser de l’absence. Les inconvénients de ces absences sans avertissement sont amplifiés au cours d’une période de presque une année pendant laquelle le plaignant n’a pas de téléphone. En conséquence, quand il ne se présente pas au travail, l’employeur ne peut pas lui téléphoner pour savoir s’il est en route ou s’il faut le remplacer et, le cas échéant, pour combien de temps.

[28]           Le 27 décembre 2007, le plaignant ne se présente pas au travail et ce n’est que trois heures après le début de son quart de travail que sa conjointe téléphone pour aviser qu’il sera absent.

[29]           Le 28 décembre, Michel Hébert, en compagnie de Denis Bachand, rencontre le plaignant encore une fois, pour entendre les explications du plaignant et dans un effort, dit-il, de comprendre ce qu’est le problème. Marc Lajoie fournit comme seule explication le fait qu’il s’est endormi parce qu’il ne se sentait pas bien. Il ne peut aucunement expliquer pour quelle raison l‘employeur n’a été avisé que trois heures après le début du quart de travail. Michel Hébert lui rappelle qu’il doit prévenir avant le début de celui-ci et qu’il doit apporter un certificat médical, ce que Marc Lajoie n’a pas fait. Il l’avise que ces absences et retards sont inacceptables et que « la mèche est courte ».

La suspension de cinq jours

[30]           En conséquence, l’employeur décide d’imposer une suspension plus longue, de cinq jours, pour tenter de faire prendre conscience au plaignant du sérieux de la situation.

[31]           Le 21 janvier 2008, il rencontre donc le plaignant pour lui remettre une longue lettre de suspension de deux pages. Il explique qu’il s’agit d’un ultime effort pour faire comprendre au plaignant que son comportement ne sera plus toléré. La procureure du plaignant s’interroge sur le fait d’avoir attendu plus de trois semaines pour imposer la suspension. Monsieur Hébert répond qu’il voulait réfléchir.

[32]           Dans cette lettre, l’employeur indique au plaignant que :

·         Son taux d’absences est anormalement élevé;

·         Au cours de la période de septembre à décembre 2007, il a accumulé 7 absences, malgré le fait que sa banque de maladie ait été épuisée depuis le 29 mai 2007;

·         En décembre 2007, il a été en retard 8 fois, des retards variant de 4 à 33 minutes;

·         Lors de la rencontre du 28 décembre, il n’a pu justifier ni son absence de la veille, ni le fait que sa conjointe n’ait avisé l’employeur que trois heures après le début de son quart de travail. Encore une fois, on lui a rappelé qu’il devait justifier ses absences avec un certificat médical;

·         Lors de la rencontre du 28 décembre, le plaignant n’avait aucune justification pour les retards du mois de décembre. Or, il a été en retard de nouveau le 14 janvier 2008;

·         Ce comportement est intolérable; son emploi est en péril et, si la situation n’est pas corrigée, il sera congédié.

L’employeur rappelle également les consignes :

·         Toute absence doit être préalablement autorisée;

·         Aucune absence sans autorisation ou sans prévenir, ni aucun retard ne seront tolérés;

·         En cas d’absence pour maladie, en plus d’aviser personnellement l’employeur avant le début du quart du travail, on doit produire un certificat médical dans les 24 heures de l’absence.

(Reproduit tel quel.)

[33]           À cette rencontre du 21 janvier 2008, le plaignant n’a pas de justification pour les retards. Il dit que ses absences sont causées par des migraines. Michel Hébert lui demande de lui apporter des preuves qu’il souffre de migraines, un certificat médical ou une preuve des médicaments qu’il prend. Il lui explique aussi que cette lettre est son dernier avertissement.

[34]           Les cinq jours de suspension sont les 22, 23, 24, 25, et 28 janvier 2008. Le plaignant doit reprendre son horaire régulier à partir du 29 janvier. Or, le 29, le plaignant ne se présente pas au travail. Sa conjointe téléphone 1 h 45 après le début de son quart de travail et avise Céline Perron, le cadre qui remplace monsieur Hébert, que le plaignant ne rentrera pas au travail. Madame Perron demande, à quatre reprises, que le plaignant vienne lui parler personnellement au téléphone, parce que c’est la politique du magasin, mais le plaignant ne le fait pas.

[35]           Plus tard dans la journée, monsieur Hébert téléphone lui-même au plaignant. Celui-ci ne lui fournit pas d’explication justifiant l’absence et le fait de ne pas avoir prévenu l’employeur avant le début du quart de travail.

[36]           Michel Hébert ajoute qu’il a toujours laissé le temps au plaignant d’aller chercher un certificat médical pour justifier une absence avant de sévir. Cependant, le plaignant ne l’a jamais fait.

Le congédiement

[37]           Michel Hébert conclut que le plaignant ne corrigera jamais son comportement et il procède au congédiement en lui faisant parvenir la lettre suivante :

Le 31 janvier 2008

Le 21 janvier 2008, vous receviez une suspension disciplinaire de 5 jours pour ne pas avoir avisé de votre absence, en date du 27 décembre 2007, dans un délai raisonnable, pour vos nombreux retards et pour absentéisme. Préalablement à cette suspension, vous avez reçu un avertissement écrit, en date du 18 août 2006, pour retard et absentéisme ainsi qu’une suspension d’une journée en date du 31 mai 2007, pour absentéisme.

Or, il appert que vous n’avez pas compris le sérieux de votre dernière suspension et des attentes qui y étaient clairement stipulées. En effet, alors que vous deviez reprendre votre travail le 29 janvier 2008, vous vous êtes à nouveau absenté sans prévenir de votre absence dans un délai raisonnable et sans motif valable. Alors que vous deviez être en poste à compter de 9 h, nous avons reçu un appel de votre conjointe, vers 10 h 45, soit plus de 1 h 45 après le début de votre quart de travail, afin d’aviser de votre absence.

En conséquence, devant votre refus de corriger cette situation et tel que clairement indiqué dans votre lettre de suspension en date du 21 janvier 2008, nous n’avons d’autre alternative que de procéder immédiatement à votre congédiement.

(Reproduit tel quel.)

La version du plaignant

[38]           Le plaignant soutient qu’il n’a pas été absent à toutes les dates indiquées dans les avis de l’employeur; cependant, il ne peut pas indiquer auxquelles il n’aurait pas été absent. Il indique qu’à l’occasion, il faisait un « échange », c’est-à-dire qu’il donnait un de ses quarts de travail à un salarié à temps partiel qui désirait faire plus d’heures. Dans un tel cas, l’indication « maladie » pouvait apparaître sur le relevé de poinçon à côté de son nom. Il ne peut cependant pas citer des dates auxquelles il aurait ainsi donné un quart de travail ni à quelle fréquence. Michel Hébert confirme que ces « échanges » pouvaient se faire, mais seulement avec l’autorisation préalable de l’employeur. À sa connaissance, aucun échange n’a été autorisé pour le plaignant pendant la période en question.

[39]           Le plaignant souligne qu’il a été autorisé à être absent le 17 décembre 2007 pour aller chercher ses enfants en raison d’une tempête de neige. Il souligne de plus qu’il a apporté un certificat médical justifiant l’absence du 19 au 23 septembre 2007, quand il s’est foulé la cheville en jouant au soccer.

[40]           Quant au défaut d’aviser l’employeur avant son quart de travail, le plaignant répond que l’employeur ne lui a « pas vraiment » dit de téléphoner. Le plaignant soutient aussi qu’on ne lui a jamais demandé de téléphoner personnellement pour aviser qu’il s’absentera. Michel Hébert, dit-il, acceptait que ce soit sa conjointe qui téléphone pour aviser de son absence. Il admet que c’est celle-ci qui a téléphoné à cinq ou six reprises.

[41]           Le plaignant soutient que lorsqu’il s’absente, c’est en raison d’une migraine. Il affirme que l’employeur ne lui a demandé qu’une seule fois d’apporter un certificat médical pour justifier ses absences, mais il ne se rappelle pas à quelle rencontre. Il dit avoir expliqué qu’il ne peut pas voir son médecin le jour même de la migraine pour obtenir un certificat.

[42]           Le plaignant affirme ne pas se souvenir des nombreuses rencontres avec les dirigeants de l’employeur concernant son absentéisme et il soutient que la première rencontre s’est déroulée en décembre 2007. Par la suite, il admet avoir rencontré la direction une autre fois, peut être au mois d’août 2006 étant donné qu’il a reçu un avis écrit à ce moment-là. Dans un premier temps, il ne se souvient pas de la rencontre du 31 mai 2007. Par la suite, confronté à la lettre de suspension, il se souvient de cette rencontre. Quand la procureure de l’employeur demande au plaignant s’il se rappelle avoir reçu des avertissements verbaux concernant ses absences, il répond « on m’a peut-être parlé, à un moment donné ».

[43]           Il indique que le coût de ses médicaments pose un problème. Cependant, il admet bénéficier d’un régime d’assurance médicaments. Concernant les médicaments pour les migraines, le plaignant commence par dire qu’il n’a pas à les montrer à Michel Hébert. Par la suite, il admet qu’il n’en prend pas.

[44]           Le plaignant affirme qu’il a toujours justifié ses retards, mais il ne cite pas une seule explication qu’il aurait donnée. Il dit également qu’il demeure au travail plus tard que prévu pour compenser ses retards. À ce sujet, Michel Hébert est formel : un tel « arrangement » n’est pas accepté.

[45]           Marc Lajoie déclare avoir compris que son emploi était en péril quand il a reçu la lettre de suspension de cinq jours le 21 janvier 2008.

[46]           Concernant sa dernière absence du 29 janvier 2008, le plaignant explique à l’audience que la suspension de 5 jours a créé un problème de stress et qu’il a eu une migraine. Il admet que Michel Hébert lui a demandé de produire un certificat médical pour justifier cette absence. Notons que le plaignant n’indique pas avoir consulté un médecin pour ce problème de stress, ni pour la migraine.

ARgumentation du plaignant

[47]           Le plaignant soutient qu’il a un handicap, ses migraines, et que l’employeur ne s’est pas acquitté de son obligation d’accommodement. Subsidiairement, il plaide qu’étant donné ses 19 ans de service et le principe de la progressivité des sanctions, le congédiement est prématuré. En effet, l’employeur n’a pas respecté la progression des sanctions en congédiant le plaignant pour une absence survenue le jour suivant la fin de la suspension de 5 jours, imposée le 21 janvier 2008. Le plaignant n’a pas eu suffisamment de temps pour s’amender.

DÉCISION ET MOTIFS

L’OBLIGATION D’ACCOMMODEMENT

[48]           Selon la décision de la Commission dans le dossier Alix c. Prodair Canada ltée et BOC Gaz, division de BOC Canada ltée, 2007 QCCRT 0418 , un employeur a une obligation d’accommodement d’un salarié souffrant d’un handicap à partir du moment où il apprend officiellement les limitations fonctionnelles de celui-ci et, par conséquent, son handicap.

[49]           À l’époque pendant laquelle le dossier d’absentéisme du plaignant est devenu problématique, l’employeur n’a pas été avisé de limitations fonctionnelles, ni, a fortiori, d’un handicap. Certes, à l’automne 2005, le docteur Filipini déclare que le plaignant souffre de migraines et de douleurs cervicales incapacitantes. Cependant, par la suite, celui-ci certifie que le plaignant est apte à retourner au travail, sans limitations fonctionnelles, à partir du 6 mars 2006. Depuis cette date, l’employeur n’a reçu aucun avis relativement à un quelconque handicap.

[50]           De plus, la preuve n’indique pas que plaignant ait souffert d’un handicap entre le moment de son retour au travail en mars 2006 et son congédiement, le 31 janvier 2008. Malgré les demandes répétées de son employeur, pour qu’il fournisse un certificat médical pour justifier ses nombreuses absences pour raison de maladie, le plaignant n’apporte jamais un tel certificat, sauf celui relatif à sa blessure au soccer.

[51]           Pourtant, le plaignant consulte le docteur Filipini le 13 octobre 2006. Celui-ci note dans son dossier que les migraines sont revenues parce que le plaignant n’a pas pris ses médicaments. Or, le docteur Filipini n’indique pas que ces migraines sont incapacitantes ou qu’elles constituent un handicap. Au contraire, il note que le travail est « mieux toléré ». Par la suite, le plaignant ne retourne pas le voir six mois plus tard, tel que conseillé. Il ne consulte plus le docteur Filipini au sujet de ses migraines.

[52]           En 2005, quand le plaignant souffrait de migraines, il consulte un médecin, obtient un certificat pour arrêt de travail et se fait traiter. S’il a eu des migraines qui l’empêchaient de se présenter au travail, en 2006, 2007 ou 2008, comment comprendre qu’il n’ait pas consulté son médecin à la Clinique de la migraine, comme il l’avait fait deux fois dans le passé, en 1996 et en 2005? Le fait de ne plus consulter le médecin qui, dans le passé, l’avait traité avec succès pour ces migraines est un indice assez concluant de ce que le plaignant ne souffre pas de migraines handicapantes.

[53]           De plus, le plaignant admet ne pas prendre les médicaments prescrits pour limiter ses migraines. La Commission ne pense pas que c’est en raison du coût de ces médicaments, car il admet bénéficier d’une assurance médicaments. Comment alors croire qu’il souffre de migraines douloureuses s’il ne prend pas les médicaments qui pourraient les prévenir ou en limiter la douleur?

[54]           Pour qu’il y ait ouverture à une obligation d’accommodement, c’est au plaignant d’apporter la preuve de l’existence d’un handicap à l’époque pertinente. Or, le plaignant ne fournit aucun élément de preuve pour établir qu’il a souffert de migraines handicapantes pendant la période au cours de laquelle l’employeur lui reproche ses absences, lui impose des mesures disciplinaires et, enfin, le congédie. En conséquence, l’employeur n’a pas d’obligation d’accommodement en l’espèce.

La cause juste et suffisante

[55]           L’employeur soutient avoir une cause juste et suffisante de congédier le plaignant, en raison de ses très nombreuses absences non justifiées, pour lesquelles il ne l’avise jamais avant le début de son quart de travail. L’employeur a-t-il prouvé cette cause?

La crédibilité des témoignages

[56]           Michel Hébert a décrit le dossier d’absentéisme du plaignant d’une façon claire, précise et sans animosité ni exagération. Il a référé à un grand nombre de notes prises de façon contemporaine, par lui-même, et souvent contresignées par Denis Bachand, pour indiquer la date des absences, ainsi que des rencontres, des avis verbaux donnés au plaignant et des consignes qui lui ont été rappelées.

[57]           Par contre, le témoignage du plaignant concernant ses absences est souvent extrêmement vague, particulièrement quand il est interrogé par le procureur de l’employeur. Souvent, il répond d’une façon hésitante et il a des trous de mémoire fréquents. À plusieurs reprises, il ne répond pas directement aux questions et semble tenter d’éviter d’y répondre.

[58]           Dans un premier temps, le plaignant ne se souvient pas des nombreuses occasions où l’employeur lui a reproché ses absences. Par contre, quand on le confronte à un avis écrit ou à une lettre de suspension, il reconnaît que l’employeur l’a alors rencontré. De plus, le plaignant ne nie pas très vigoureusement qu’il a reçu des avis verbaux, reconnaissant qu’« on m’a peut-être parlé, à un moment donné ». Il ne nie pas le fait qu’il n’avise pas d’une absence avant le début de son quart de travail.

[59]           Certaines déclarations du plaignant sont contradictoires. Par exemple, il indique qu’il prenait ses médicaments, mais ensuite il avoue qu’il ne les prenait pas. Il dit que le coût élevé des médicaments était pour lui un problème, puis il admet qu’il bénéficie d’une assurance médicaments.

[60]           D’autres déclarations sont invraisemblables. Par exemple, le plaignant dit que Michel Hébert acceptait que ce soit sa conjointe qui téléphone à sa place. Or, Michel Hébert a bien expliqué qu’il insistait pour que le plaignant téléphone personnellement pour savoir quelle serait la durée probable de l’absence et aussi pour en vérifier le motif. Compte tenu des problèmes d’assiduité du plaignant, il aurait été totalement illogique pour Michel Hébert d’accepter que quelqu’un d’autre que le plaignant téléphone à sa place. Céline Perron indique à l’audience que cette consigne est la politique de l’employeur. La consigne est confirmée dans la lettre de suspension du 21 janvier 2008. Dans ces circonstances, le fait de déclarer que Michel Hébert acceptait de passer outre à cette consigne dans son cas mine sérieusement la crédibilité du plaignant.

[61]           Mais il y a plus. Le plaignant a fait également des affirmations qui sont contredites par la preuve. Par exemple, il dit que l’employeur ne lui a pas vraiment demandé de téléphoner pour aviser de ses absences. Or, cette affirmation est contredite par l’avis écrit du 18 août 2006, les deux lettres de suspensions et les comptes rendus de plusieurs rencontres; à toutes ces occasions, l’employeur parle explicitement de ce reproche. La crédibilité du plaignant est donc encore une fois grandement atteinte.

[62]           Pour l’ensemble de ces raisons, la Commission accorde peu de crédibilité au témoignage du plaignant.

Les absences et retards reprochés

[63]           Le plaignant conteste qu’il ait été absent à toutes les dates indiquées par l’employeur, mais il ne fournit aucun fait ou événement précis pour réfuter la preuve à cet égard. Il soutient qu’à certaines occasions, alors qu’il est indiqué absence pour maladie sur le relevé de pointage, il a plutôt fait un « échange », autorisé par l’employeur, avec un salarié à temps partiel. Cependant, il ne peut citer aucune date précise à laquelle un tel échange a été fait. Michel Hébert affirme que de tels échanges n’ont pas été autorisés dans le cas du plaignant. La Commission note que le salarié à temps partiel avec qui le plaignant aurait fait des échanges n’est pas venu témoigner. Il n’y a donc aucune corroboration de la prétention du plaignant à cet égard.

[64]           Enfin, le plaignant ne se présente pas à une réunion du comité de négociation syndical et n’avertit pas ses confrères. Ce fait rend encore plus vraisemblables les reproches de son employeur concernant son assiduité.

[65]           Compte tenu du sérieux et de la précision du dossier d’absences présenté par l’employeur, et du manque de crédibilité du plaignant, la Commission retient la version de l’employeur et considère que celui-ci a prouvé les fautes reprochées au plaignant relativement aux absences et retards. Il est vrai que deux de ses absences ont été autorisées, à savoir l’absence pour une blessure de soccer en septembre 2007 et l’absence du 17 décembre 2007. Cependant, il n’en demeure pas moins que le taux d’absences est très élevé et que toutes les autres absences n’ont pas été justifiées : le plaignant n’a pas apporté de certificat médical, malgré les demandes expresses et répétées de son employeur à ce sujet.

[66]           L’employeur a également expliqué, de façon convaincante, le préjudice et les inconvénients causés par le nombre anormalement élevé d’absences, et par le fait que le plaignant négligeait, de façon systématique, d’aviser, avant le début de son quart de travail, qu’il serait absent et qu’il négligeait souvent de téléphoner lui-même.

[67]           Concernant les certificats médicaux, la Commission reconnaît que le plaignant ne peut obtenir un rendez-vous le jour même où une migraine survient. Cependant, si le plaignant souffrait d’une migraine incapacitante, il est incompréhensible qu’il ne consulte pas son médecin dans les jours suivants pour se faire traiter, ce qui lui aurait permis d’apporter un certificat médical attestant au moins de cette consultation.

[68]           Or, encore une fois, la Commission note que le dossier produit par le docteur Filipini n’indique aucun rendez-vous après le 13 octobre 2006 et que le plaignant n’a jamais apporté un certificat médical indiquant qu’il a consulté un médecin pour ses migraines. De plus, le plaignant ne prend pas les médicaments prescrits pour limiter les migraines. En l’espèce, la Commission ne peut qu’être d’accord avec l’employeur que le plaignant ne justifiait pas ses absences pour raison de maladie et il est compréhensible que l’employeur doute que la véritable cause des absences soit des migraines.

[69]           Il est également établi que le plaignant faisait preuve d’insouciance en n’avisant jamais l’employeur avant le début de son quart de travail, ce que le plaignant ne nie pas. Il fait également preuve d’un manque flagrant de collaboration en faisant souvent appeler sa conjointe pour aviser, en retard, d’une absence, de sorte que l’employeur ne peut ni vérifier le motif de l’absence ni s’enquérir de la durée de celle-ci.

La progression des sanctions

[70]           La preuve révèle que l’employeur a rencontré le plaignant à de nombreuses occasions au cours des années 2006, 2007 et en janvier 2008 pour l’avertir que son taux d’absentéisme était inacceptable et qu’il devait toujours l’aviser, personnellement, avant le début de son quart du travail. Le 18 août 2006, l’employeur lui impose un avis écrit lui reprochant ses absences. Le 30 mai 2007, l’employeur impose une suspension d’une journée pour les mêmes motifs.

[71]           L’avis du 31 août 2006 et la lettre du 30 mai 2007 avertissent le plaignant clairement que si les problèmes des absences ne sont pas corrigés, d’autres mesures seront prises, allant jusqu’au congédiement. Le 21 janvier 2008, l’employeur impose au plaignant une suspension de cinq jours. La lettre de suspension détaille de façon explicite les consignes à respecter et avertit le plaignant que si le problème n’est pas corrigé, il sera congédié.

[72]           Le plaignant admet d’ailleurs qu’il a compris que son emploi était en péril le 21 janvier 2008. Alors, que fait-il? Il ne se présente pas lors de la première journée de travail prévue après la suspension, il n’avise pas l’employeur avant le début de son quart, il n’appelle pas lui-même et il ne produit jamais de certificat médical pour justifier cette absence!

[73]           L’employeur a suivi une progression de sanctions appropriée. Le fait qu’il n’y eut qu’un délai d’un jour entre la deuxième suspension et l’absence qui a entrainé le congédiement n’indique pas, comme plaide le plaignant, que les sanctions disciplinaires n’ont pas été suffisamment progressives. L’avis écrit et les deux suspensions se sont échelonnés sur une période de plus que 16 mois. Le fait que le plaignant se soit absenté le jour suivant immédiatement la fin de sa deuxième suspension, sans justification acceptable, et en faisant fi de toutes les consignes de l’employeur, démontre plutôt que le plaignant est imperméable aux avertissements et aux mesures disciplinaires progressives.

[74]           Dans un autre dossier de congédiement pour absentéisme, l’affaire Syndicat des employés municipaux de la région de La Malbaie c. Ville de Malbaie, Tribunal d’arbitrage, AZ-96142105 , l’employeur congédie un salarié qui s’absente le 18 août 1995, neuf jours après que se termine sa première suspension de trois jours. L’arbitre écrit alors ce qui suit :

La période de temps écoulée entre la dernière mesure disciplinaire et la nouvelle faute peut aussi constituer une bonne indication quant à l’opportunité de procéder au congédiement plutôt que d’imposer une nouvelle suspension.

(Page 19 de la sentence)

[75]           Il est vrai que le plaignant a 19 ans de service chez l’employeur. Cependant, celui-ci a fait la preuve que ses efforts de réhabilitation n’ont donné aucun résultat. Le plaignant ne comprend pas quelles sont ses responsabilités en tant que salarié au niveau des absences, ou encore il ne fait pas ce qu’il faut pour les assumer. Tous les rencontres, avis et suspensions n’ont rien changé à cet état de fait. Il y a donc cause juste et suffisante de congédiement.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      la plainte.

 

 

__________________________________

Susan Heap

 

Me Dalia Gesualdi-Fecteau

RIVEST FRADETTE TELLIER

Représentante du plaignant

 

Me Fany O’Bomsawin

LORANGER MARCOUX

Représentante de l’intimée

 

Date de la dernière audience :

15 janvier 2010

/jt

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