Décision

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Décision

Immeubles À côté inc. c. Mirzica

2020 QCRDL 4495

 

 

RÉGIE DU LOGEMENT

Bureau dE Saint-Hyacinthe

 

Nos dossiers :

492393 23 20191121 G

494259 23 20191129 G

Nos demandes :

2896404

2902587

 

 

Date :

07 février 2020

Régisseur :

Robin-Martial Guay, juge administratif

 

Les Immeubles À Côté Inc.

 

Locateur - Partie demanderesse

(492393 23 20191121 G)

Partie défenderesse

(494259 23 20191129 G)

c.

Tiffany Mirzica

 

Locataire - Partie défenderesse

(492393 23 20191121 G)

Partie demanderesse

(494259 23 20191129 G)

D É C I S I O N

 

 

[1]      Le 21 novembre 2019, le locateur dépose une demande en résiliation de bail et éviction du locataire, fondé sur les retards fréquents de la locataire dans le paiement du loyer et du préjudice sérieux que les retards lui causent.

[2]      Le 25 novembre 2019, le locateur amende sa demande afin d’obtenir la résiliation du bail pour un second motif, à savoir le retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, ainsi que pour obtenir le recouvrement du loyer de 1 300 $ (novembre 2019), ainsi que les loyers dus au jour de l'audience, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle.

[3]      Aussi, le locateur demande l'exécution provisoire de la décision malgré l’appel ainsi que les frais de justice.

[4]      La demande et l’amendement ont été signifiés à la locataire par huissier; ce qui est admis à l’audience.

[5]      Le 29 novembre 2019, la locataire produit une demande à l’encontre du locateur afin d’obtenir « la restitution du montant de 2 600 $ payé en trop lors de la conclusion du bail, proposée par le locateur quant aux garanties obligatoires pour louer la maison. »

[6]      En sus, la locataire demande les intérêts et l’indemnité additionnelle ainsi que les frais de justice.


[7]      Essentiellement, la locataire allègue au soutien de sa demande qu’elle vient de France et qu’elle ne savait pas que le dépôt de garantie est interdit au Québec. Comme elle a eu des soucis financiers en novembre 2019, elle a demandé au locateur et à son gestionnaire d’utiliser le montant du dépôt en guise de paiement de son loyer de novembre 2019; ce qui lui a été refusé.

[8]      À l’audience, la locataire demande à être autorisée à opérer compensation entre cette somme de 2 600 $ constituée du dépôt de garantie qu’elle a remis au locateur lors de la conclusion du bail et les loyers de novembre et décembre 2019 qui totalisent 2 600 $, qu’elle reconnaît ne pas avoir payés au jour de l’audience.

[9]      Les demandes ont été réunies de consentement des parties à l’audience, le tout selon l’article 57 de la Loi sur la Régie du logement.

Question en litige

[10]   Le locateur estime que la somme de 2 600 $ versée par la locataire lors de la conclusion du bail constitue un dépôt de garantie valide en ce que le locateur n’a, en aucun temps, exigé de la locataire qu’elle verse un tel dépôt; celui-ci ayant été proposé par la locataire et fait librement par celle-ci, puisqu’elle ne pouvait pas satisfaire à la demande du locateur de fournir une caution, à défaut de pouvoir offrir des résultats concluants à l’issue d’une enquête de crédit péremptoire du fait de son arrivée récente au Québec depuis la France.

[11]   À l’opposé, la locataire juge contraire au Code civil du Québec le dépôt de garantie de 2 600 $ qu’elle a versé au locateur, d’où sa demande de remise du dépôt qu’elle souhaite être autorisée à opérer compensation avec la créance du locateur issue des loyers impayés de novembre et décembre 2019 qui totalisent 2 600 $.

[12]   Qu’en est-il de la validité de ce montant de 2 600 $ eu égard à la preuve et aux prescriptions de l’article 1904 C.c.Q.?

Preuve et analyse

[13]   Les parties sont liées par un bail pour la période du 1er juillet 2019 au 30 juin 2010 au loyer mensuel de 1 300 $.

[14]   Le logement concerné est constitué d’une résidence neuve acquise par le locateur en mai 2019 et occupé par la locataire et ses trois enfants depuis le 1er juillet 2019.

[15]   La preuve révèle qu’au jour de l’audience, la locataire doit le loyer des mois de novembre et de décembre 2019, lesquels totalisent 2 600 $, soit le même montant que celui de son dépôt de garantie qui est entre les mains du locateur.

[16]   Certes, la preuve, par admission, révèle que la locataire doit les loyers de novembre et décembre 2019 et que celle-ci est, par conséquent, en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer justifiant la résiliation du bail par application de l’article 1971 C.c.Q

[17]   Par ailleurs, le locateur demande la résiliation du bail pour un second motif, à savoir que le loyer est fréquemment payé en retard par la locataire, ce qui lui cause un préjudice sérieux justifiant la résiliation du bail pour cet autre motif.

[18]   La preuve révèle qu’au cours des 7 mois qui couvrent la période qui marque le début du bail, le 1er juillet 2019, et le jour de l’audience le 16 janvier 2020, la locataire a payé le loyer en retard à 5 occasions, soit en juillet, septembre, novembre, décembre 2019 ainsi qu’en janvier 2020; la locataire n’ayant pas les fonds suffisants dans son compte bancaire le 1er jour de chacun de ces mois, sauf pour le mois de décembre 2019 qui est visé par une contestation; ce qui nous ramène à 4 retards.

[19]   En effet, bien que le loyer de novembre 2019 est lui aussi l’objet d’une contestation par la locataire, force-nous est de prendre acte de l’admission de la locataire, qu’elle n’avait toujours pas les fonds nécessaires pour son paiement en date du 10 novembre 2019. Ce faisant, nous considérons que le loyer de novembre doit être considéré comme un loyer en retard.


[20]   Il en va de même du loyer de juillet 2019, payé le 4 selon la locataire, le 5 selon le locateur. Il s’agit d’un loyer payé en retard puisque les règles de la computation des délais ne peuvent venir au secours de la locataire du fait qu’elles ne s’appliquent pas au paiement d’un loyer qui doit être fait le 1er jour du mois, qu’importe qu’il s’agisse d’un jour férié; encore que la locataire soit venue admettre qu’elle n’avait pas les fonds nécessaires en date du 3 juillet, pas même dans la matinée du 4 juillet.

[21]   Cela dit, on peut assurément conclure que 4 loyers en retard en 7 mois, si on doit exclure le loyer de décembre 2019 pour les raisons précitées constituent, de l’opinion du Tribunal, des retards fréquents dans le paiement du loyer.

[22]   Invitée à faire la preuve du préjudice sérieux que causent les retards dans le paiement du loyer, la représentante du locateur affirme, essentiellement, que les retards de la locataire alourdissent la gestion de l’immeuble en raison des nombreuses démarches souvent inutiles pour obtenir le loyer. Et la représentante du locateur d’ajouter qu’elle doit payer des frais d’intérêts du fait qu’elle doit puiser à même une marge de crédit pour le paiement de l’hypothèque et des dépenses de l’immeuble. Invitée à soumettre une preuve documentaire appuyant son affirmation, elle est sans document.

Droit applicable

[23]   L'article 1903 du Code civil du Québec stipule :

« 1903. Le loyer convenu doit être indiqué dans le bail.

Il est payable par versements égaux, sauf le dernier qui peut être moindre; il est aussi payable le premier jour de chaque terme, à moins qu'il n'en soit convenu autrement. »

[24]   L'article 1971 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit :

« 1971. Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement. »

[25]   Le locateur démontre que le loyer est fréquemment payé en retard, ce qui lui cause un préjudice sérieux dans la gestion de son immeuble. En effet, le locateur précise qu'il a d'importantes obligations financières à assumer sur cet immeuble, notamment un remboursement mensuel de son prêt hypothécaire, et qu’il doit constamment courir après l'argent qui lui est dû et il estime que cette situation ne peut plus durer.

[26]   Cependant, le Tribunal peut émettre une ordonnance pour forcer la locataire à s’acquitter de son obligation de payer le loyer le premier jour de chaque mois, suivant l'article 1973 du Code civil du Québec :

« 1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail. »

Discussion

[27]   En l’espèce, la preuve des retards dans le paiement du loyer par la locataire est prépondérante.

[28]   De fait, la preuve révèle que depuis le début du bail, la locataire a payé 4 loyers en retard sur une période de 7 mois.

[29]   Encore une fois, de l’opinion du Tribunal, il s’agit de retards fréquents dans le paiement du loyer.

[30]   Quant à l’exigence posée par l’article 1971 du Code civil du Québec, celle de démontrer l’existence d’un préjudice sérieux causé au locateur en raison des retards fréquents dans le paiement du loyer, autant dire qu’en l’espèce, la preuve ne correspond pas à ce qui constitue un préjudice sérieux. Il nous apparaît plus juste de qualifier le préjudice subi par le locateur d’inconvénients et de tracasseries administratives dans le cours normal de ses affaires.


[31]   Est-il nécessaire de rappeler qu’en employant le terme sérieux, le législateur a imposé une preuve exigeante au locateur. S’il est vrai que la perception tardive d'un loyer crée en soi un préjudice, mais là ne constitue pas le fardeau de preuve qui est imposé au locateur. Celui-ci doit démontrer l’existence d’un préjudice qui soit sérieux.

[32]   Il vaut donc de souligner que pour justifier la résiliation d'un bail, il faut que le préjudice soit plus grand que les simples inconvénients occasionnés par tout retard. Cette preuve ne peut donc uniquement se fonder sur une simple allégation d'inconvénients subis ou de dépenses à faire. Le préjudice doit être prouvé par une preuve documentaire, le cas échéant, et fondé sur des faits objectifs et précis.

[33]   Dans l'affaire Allaire c. Bourdeau[1], la Cour du Québec précise :

« [57] La jurisprudence enseigne que le préjudice sérieux dont il est question ne se limite pas à une perte ou une menace pécuniaire. D'ailleurs, dans le contexte de l'application possible de l'article 1971 C.c.Q., le fait de payer les arrérages de loyer en tout temps avant jugement n'est pas pertinent. Il faut mais il suffit que les retards soient fréquents et que la situation cause un préjudice sérieux au locateur.

[58] Le préjudice sérieux dont il est question peut être d'une nature autre que pécuniaire :

alourdissement anormal de la gestion de l'immeuble, multiplicité des démarches auprès du locataire ou du tribunal pour percevoir les loyers ou coûts supplémentaires;

soucis et tracas causés par l'entêtement du locataire à retenir son loyer, temps et énergie consacrés pour les vacations devant la Régie du logement, notes comptables et suivi des démarches effectuées;

démarches constantes et multipliées pour se faire payer, demandes répétées à la Régie du logement afin d'obtenir le paiement du loyer, gestion de trois décisions de la Régie du logement;

nombreux avis envoyés au locataire pour lui rappeler ses retards, remise du dossier à ses avocats pour récupérer le loyer dû et frais ainsi engagés;

multiplication des démarches pour obtenir les loyers dus et paiement de frais bancaires pour de nombreux chèques retournés;

impossibilité de disposer des sommes dues, procédures de recouvrement et pertes d'intérêts sur l'argent non reçu;

[20] On constate donc que la preuve du préjudice sérieux doit être complète et documentée.

[21] La résiliation du bail étant une conséquence grave de tels manquements, la loi exige la démonstration d'un préjudice sérieux avant de résilier le bail qui constitue, somme toute, la sanction ultime d'un manquement contractuel.

[22] Bien que le Tribunal n'exige pas la preuve d'un péril financier, une incapacité de rencontrer ses obligations financières ou une situation économique précaire, la preuve doit, à titre d'exemple, révéler, par prépondérance, un alourdissement anormal de la gestion de l'immeuble, la multiplicité des démarches auprès du locataire ou du Tribunal, des coûts supplémentaires.

[23] En soi, la seule déclaration du mandataire du locateur en l'instance est insuffisante pour permettre au Tribunal d'apprécier la gravité du préjudice subi.

[24] Aussi, la preuve ne peut uniquement se fonder sur une simple allégation d'inconvénients subis ou de dépenses à faire. Le préjudice doit être prouvé par une preuve documentaire, le cas échéant, et fondé sur des faits objectifs et précis. »

[34]   En l’espèce, le Tribunal juge que la preuve soumise est insuffisante pour conclure que les retards de la locataire lui ont causé un préjudice pouvant être qualifié de sérieux. Par conséquent, le Tribunal ne peut résilier le bail pour ce motif ni, a fortiori, prononcer une ordonnance de paiement[2].

[35]   Qu’à cela ne tienne, le Tribunal voudra rappeler à la locataire son obligation légale de payer le loyer le premier de chaque mois selon l'article 1903 C.c.Q.

[36]   Pour autant, le Tribunal doit résilier le bail au motif que la locataire est en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer; les loyers de novembre et décembre 2019 qui totalisent 2 600 $ étant impayés au jour de l’audience.


[37]   L’application et l’exécution de cette conclusion du Tribunal nous apparaissent toutefois tributaires de celles que requiert la locataire du Tribunal en lien avec la même somme qu’elle souhaite voir compenser avec le dépôt de garantie de 2 600 $ qu’elle a fait lors de la conclusion du bail et dont elle demande le remboursement par le locateur. Qu’en est-il?

Le dépôt de garantie

[38]   La locataire fonde son recours sur les dispositions de l'article 1699 et 1904 du Code civil du Québec qui édictent ce qui suit :

« 1699. La restitution des prestations a lieu chaque fois qu'une personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu'elle a reçus sans droit ou par erreur ou encore en vertu d'un acte juridique qui est subséquemment anéanti de façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d'une force majeure.

Le tribunal peut, exceptionnellement, refuser la restitution lorsqu'elle aurait pour effet d'accorder à l'une des parties, débiteur ou créancière, un avantage indu, à moins qu'il ne juge suffisant, dans ce cas, de modifier plutôt l'étendue ou les modalités de la restitution. »

[39]   Pour sa part, l'article 1904 C.c.Q. qui est chapeauté du titre « DU LOYER » édicte que :

« 1904. Le locateur ne peut exiger que chaque versement excède un mois de loyer; il ne peut exiger d'avance que le paiement du premier terme de loyer ou, si ce terme excède un mois, le paiement de plus d'un mois de loyer.

Il ne peut, non plus, exiger une somme d'argent autre que le loyer, sous forme de dépôt ou autrement, ou exiger, pour le paiement, la remise d'un chèque ou d'un autre effet postdaté. »

[40]   C’est là dire que le locateur ne peut pas exiger du locataire qu’il lui remette une série de chèques postdatés non plus qu’il ne peut exiger que le locataire lui verse un dépôt de garantie.

[41]   L’article 1904 C.c.Q. relève de l’ordre public de protection. Ce faisant, le locataire peut renoncer aux droits qui sont protégés par l’article 1904 du Code civil du Québec.

[42]   Il vaut par ailleurs de souligner que cette liberté dont dispose le locataire de renoncer aux droits visés par l’interdiction de l’article 1904 C.c.Q., dont celui de remettre des chèques postdatés au locateur, est cristallisé dans l’annexe 5 (a.1 et 2) adoptée en vertu du Règlement sur les formulaires obligatoires et sur les mentions de l’avis au nouveau locataire[3] constituée du formulaire de bail de logement qui, à la section « D », invite les parties à cocher la case appropriée quant à savoir si oui ou non « le locataire accepte de remettre des chèques postdatés au locateur pour la durée du bail ».

[43]   Le législateur a donc clairement indiqué, en adoptant le formulaire obligatoire du bail de logement, qu’un locataire dispose du droit de renoncer à l’interdiction prévue à l’article 1904 C.c.Q.

[44]   L’auteur Pierre-Gabriel Jobin écrit à propos de l’interdiction édictée à l’article 1904 C.c.Q :

« On a prétendu que si le législateur interdit seulement d’« exiger » la remise d'un effet de commerce postdaté, la remise «volontaire» ou «de plein gré» serait dès lors permise. D'ailleurs, la pratique a cherché à contourner la loi en incluant dans le bail une clause selon laquelle, par exemple, le « locataire remet volontairement au locateur une série de douze chèques postdatés pour le paiement du loyer, pour sa propre commodité et sans aucune contrainte du locateur. »

Si le locataire a vraiment consenti de façon libre et éclairée à la remise de chèques, il n'y a pas violation de la règle. Pour que s'applique cette interdiction, il faut que, effectivement, le locateur impose sa volonté au locataire et que celui-ci soit contraint de remettre les chèques, le bail devenant un contrat d'adhésion à cet égard.

Les tribunaux sont divisés sur la question. Pour soutenir l'interprétation littérale et restrictive de l'article 1904 du Code civil, on peut évidemment insister sur le caractère dérogatoire de cette règle, particulièrement devant la juridiction pénale. Nous croyons plutôt que l'interprétation large devrait prévaloir, de sorte que la disposition trouverait application dès que la locataire a simplement convenu de remettre des effets postdatés. En effet, outre la règle de la situation à réformer, ou mischief rule, qui suggère manifestement d'adopter l'interprétation large, on peut invoquer l'absurde auquel conduirait l'interprétation stricte; car, si l'on poussait jusqu'au bout le raisonnement de l'interprétation stricte, il n'y aurait violation de la règle que lorsque le locateur a exigé la remise d'effets postdatés mais que le locataire n'y a pas consenti, donc lorsqu'il n'y a pas eu de contrat et qu'en fait aucun effet postdaté n'a été remis : il n'y aurait donc jamais de condamnation.


La façon d'établir que le locateur a effectivement violé cette disposition, malgré la stipulation au contrat que le locataire a agi de son propre gré, consiste à prouver par témoin que le locateur a effectivement exigé la remise de chèques postdatés comme condition de conclusion de bail. En effet un plaideur est toujours admis à employer tous les moyens de preuve pour établir qu'une disposition d'ordre public, et pénale au surcroît, a été violée, même s'il contredit ainsi les termes d'un écrit[4]. »

[45]   De la preuve administrée à l’audience, le Tribunal retient que c’est de façon libre et volontaire que le 17 mai 2019, la locataire a proposé au locateur de lui verser, à la signature du bail, un dépôt de garantie de 2 600 $ représentant deux mois de loyer (pièce P-2). Cette proposition, lorsqu’acceptée par le locateur, est devenue une entente.

[46]   De l’aveu même de la locataire, qui est de nationalité française et qui venait d’arriver au Québec, le versement d’un dépôt de garantie, comme sûreté au paiement du loyer au locateur, ne lui posait pas de problème puisque le versement d’un tel dépôt est d’usage courant en France.

[47]   Mais il y a plus, au moment de proposer le versement d’un dépôt de garantie à la signature du bail, la locataire savait qu’elle n’avait pas pu satisfaire aux demandes du locateur de lui fournir une enquête de crédit concluante, à défaut de quoi, lui fournir un cautionnement; ce qu’elle n’a pas pu obtenir dans les deux cas.

[48]   De là, la proposition de la locataire de verser au locateur un dépôt de garantie pour lequel les parties ont convenu d’un montant de 2 600 $.

[49]   Le fait que la locataire ignorait la loi, à savoir que le dépôt de garantie soit frappé d’une interdiction au Québec selon l’article 1904 C.c.Q., ne constitue pas une défense valable pour obtenir le remboursement de son dépôt; soi-disant qu’il aurait été obtenu en contravention à la loi, et ce, en raison du principe que l’ignorance de la loi ne constitue pas une valable défense selon l’article 39 al. 2 de la Loi sur l’interprétation du Québec[5].

[50]   Conjugué au fait que la locataire, qui savait qu’elle n’avait pas pu satisfaire aux demandes du locateur de fournir une caution au bail, à défaut de pouvoir fournir une enquête de crédit péremptoire témoignant de sa solvabilité, le Tribunal retient que la locataire qui arrivait de la France, s’est volontairement commise en proposant au locateur de lui verser un dépôt de garantie à hauteur de 2 600 $.

[51]   Somme toute, le Tribunal juge que la locataire ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve en démontrant que le locateur avait, comme condition à la conclusion du bail, exigé qu’elle lui paie un montant de 2 600 $ à titre de dépôt de garantie du loyer pour le terme du bail.

[52]   En l’instance, le Tribunal juge qu’il y a lieu de conclure à la validité du dépôt de garantie de 2 600 $ et de rejeter la demande de la locataire.

[53]   Partant, la locataire qui doit au locateur le loyer des mois de novembre et décembre de 2019 qui totalisent 2 600 $ sera condamnée au paiement de cette somme, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle de l’article 1619 C.c.Q. et les conclusions sous-jacentes qu’impose son retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

[54]   Toutefois, considérant que les droits et obligations des parties sont déterminés par la présente décision et, partant qu’il y a impossibilité réelle pour la locataire d’éviter la résiliation de son bail en payant avant jugement, le loyer dû, les intérêts, l’indemnité additionnelle de l’article 1619 C.c.Q. et les frais de justice, le Tribunal juge approprié, dans les circonstances et en accord avec le droit au maintien dans les lieux, d’accorder à la locataire un délai de 20 jours à compter de la décision pour payer au locateur le loyer dû de 2 600 $, les intérêts et l’indemnité additionnelle de l’article 1619 C.c.Q., sur la somme de 1 300 $ à compter du 25 novembre 2019 et sur la balance de 1 300 $ à compter du 1er décembre 2019, plus les frais de justice de 101 $.

[55]   Le préjudice subi ne justifie pas l'exécution provisoire de la décision, comme il est prévu à l'article 82.1 L.R.L.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[56]   REJETTE la demande de la locataire qui en assume les frais;

[57]   CONDAMNE la locataire à payer au locateur, dans un délai de quinze jours de la décision, la somme de 2 600 $ avec les intérêts et l’indemnité additionnelle de l’article 1619 du C.c.Q., à compter du 25 novembre 2019, sur la somme de 1 300 $ et sur la balance à compter du 1er décembre 2019, plus 101 $ pour les frais de justice prévus au Règlement et, à défaut par la locataire de payer la somme précitée dans le délai de rigueur imparti, RÉSILIE le bail pour retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer et ordonne l’expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement;

[58]   REJETTE la demande du locateur pour le surplus.

 

 

 

 

 

 

 

 

Robin-Martial Guay

 

Présence(s) :

Me Vincent Cérat Lagana, avocat du locateur

la locataire

Date de l’audience :  

16 janvier 2020

 

 

 


 



[1] Allaire c. Boudreau, 2017 QCCQ 4963.

[2] Balabanian c. Cour du Québec, [2003] J.L. 93 (C.S.).

[3] c.R-8.1,r. 3.

[4] Jobin, P.G., Le louage, 2e édition, Les Éditions Yvon Blais Inc., Cowansville, [1997], p. 153.

[5] L.R.Q. c.I-16.

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