Power Corporation du Canada c. Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) |
2008 QCCS 801 |
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JM1838 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-11-029388-069 |
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DATE : |
Le 29 février 2008 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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POWER CORPORATION DU CANADA |
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Requérante |
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c. |
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MOUVEMENT D'ÉDUCATION ET DE DÉFENSE DES ACTIONNAIRES (MÉDAC) |
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Intimée |
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-et- GESCA LTÉE -et- LE DIRECTEUR nommé en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions Mis en cause |
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SECOND JUGEMENT RECTIFIÉ Selon le jugement rendu le 4 avril 2008 sur la requête en rectification de jugement No. 41 |
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INTRODUCTION
[1] Aux termes de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), un actionnaire a le droit de consulter les états financiers de la société dont il est actionnaire. Mais qu'arrive-t-il lorsque la structure corporative de la société se complexifie pour y voir apparaître des filiales ou sous-filiales? Quelle est donc la limite des droits de l'actionnaire de consulter et de prendre copie des états financiers de la société? Son droit se limite-t-il aux seuls états financiers de la société dont il est actionnaire? Son droit s'étend-il aux résultats des autres entités juridiques contrôlées par la société en question?
[2] Le présente jugement répond en partie à ces questions.
HISTORIQUE FACTUEL ET PROCÉDURAL
[3] Power Corporation du Canada (Power) est une société internationale de gestion et de portefeuille qui détient des participations dans plusieurs sociétés dont les activités sont très diversifiées. Sa structure corporative démontre que Power contrôle plusieurs filiales dont l'une d'entre elles est Gesca Ltée (Voir P.1-13B). À son tour, Gesca Ltée contrôle plusieurs filiales et sous-filiales (Voir P.1-9B). Le présent débat ne porte non pas sur l'ensemble des filiales ou sous-filiales de Power mais seulement sur Gesca Ltée et sur ses filiales et sous-filiales.
[4] Monsieur Yves Michaud, homme politique et journaliste bien connu est le président du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC). Michaud et le MÉDAC sont tous deux actionnaires de Power.
[5] En date du 8 mai 2006,
Michaud s'adresse par téléphone à monsieur Edward Johnson, secrétaire de Power
et lui demande de consulter les états financiers de Gesca Ltée. Michaud
invoque alors son droit en vertu de l'article
[6] Le 11 mai 2006, lors de la tenue de l'assemblée annuelle des actionnaires de Power, Michaud réitère sa demande.
[7] Le 18 mai 2006, Power dépose une requête introductive d'instance invoquant les articles 157 (3) et 247 LCSA et qui recherche une ordonnance de cette Cour visant à interdire l'examen des états financiers de sa filiale Gesca Ltée. Cette requête porte le N° 500-11-028137-061.
[8] Or, tel qu'indiqué ci-haut Gesca Ltée est elle-même une société de portefeuille qui détient, par le biais de filiales, des intérêts dans plusieurs entreprises de presse dont La Presse (Montréal), Le Soleil (Québec), Le Nouvelliste (Trois-Rivières), Le Droit (Ottawa), La Tribune (Sherbrooke), Le Quotidien (Chicoutimi), La Voix de l'Est (Granby) et Le Progrès - Dimanche (Saguenay). Michaud et le MÉDAC s'intéressent spécifiquement à cet aspect de l'entreprise de Power.
[9] Michaud soumet donc une nouvelle demande à Power, recherchant cette fois le droit d'examiner les états financiers non seulement de Gesca Ltée mais des filiales de cette dernière. Cela amènera le dépôt d'une seconde requête recherchant la même ordonnance d'interdiction d'examen des états financiers tant de Gesca Ltée que de ses filiales. Cette seconde requête datée du 30 novembre 2006 porte le N° 500-11-029388-069 et constitue la requête introductive du présent dossier.
[10] Le 12 janvier 2007, Power demande le rejet pur et simple de la demande d'examen de Michaud au motif qu'à sa face même elle est incompatible avec le texte de l'article 157 LCSA (requête N° 8).
[11] Le 8 janvier 2008 Michaud invoque l'irrecevabilité de la requête (N° 8) en rejet de la demande d'examen au motif que l'article 157 LCSA oblige une société à conserver les états financiers de ses filiales à son siège social et permet expressément l'examen desdits états financiers par ses actionnaires (avis de dénonciation N° 22).
[12] Le 10 janvier 2008 les parties comparaissent une première fois devant le soussigné. Les procureurs de Power et de Gesca Ltée font alors valoir la nécessité de déterminer la portée intentionnelle de l'article 157 LCSA: cet article vise-t-il seulement les filiales de Power ou vise-t-il aussi les filiales de sa filiale Gesca Ltée? La question n'est pas sans importance pour la requérante qui devra éventuellement justifier les motifs de son refus de laisser Michaud examiner les états financiers de toutes les entités visées par l'article 157.1 LCSA. Cette preuve devra, selon elle, se faire par experts qui devront se pencher sur le seul cas de Gesca Ltée ou encore sur celui de Gesca Ltée et de ses filiales. Les coûts inhérents à une telle preuve pouvant être considérables, il importe donc à la requérante de faire déterminer cette question à l'avance.
[13] Le Tribunal a constaté, lors de l'audition du 10 janvier 2008, que les deux parties recherchaient non pas le rejet de la demande d'examen ou encore l'irrecevabilité de la demande de rejet, mais plutôt une requête pour jugement déclaratoire visant à préciser la portée de l'article 157 LCSA. Avec l'accord du Tribunal, les parties ont choisi de procéder ainsi:
a) Dans un premier temps, Michaud se retire du dossier et sera remplacé par le MÉDAC. Voir Avis de substitution d'une partie datée du 1er février 2008 (N° 32) produit de consentement.
b) Une requête en jugement déclaratoire est ensuite déposé par Power recherchant ce qui suit:
DÉCLARER que l'article 157 LCSA n'impose pas à la Société l'obligation de conserver et de donner accès, aux actionnaires qui en font la demande, aux états financiers des filiales et des personnes morales qui n'ont pas été utilisés par la Société aux fins de son exercice de consolidation prescrit par les principes comptables généralement reconnus;
DÉCLARER que le MÉDAC n'a pas le droit de demander d'examiner les états financiers de La Presse Ltée, Les Éditions La Presse (1989) Ltée, 3819787 Canada Inc., 3970965 Canada Inc., 3834310 Canada Inc., 3846521 Canada Inc., 3846539 Canada Inc., Les Journaux Trans-Canada (1996) Inc., Probec 5 Ltée, 3911322 Canada Inc., 3855082 Canada Inc., Cyberpress Inc., Les Éditions Gesca Ltée, Septembre Éditeur s.e.n.c., Les Productions La Presse Télé Ltée, La Presse Télé Ltée, La Presse Télé II Ltée, La Presse Télé III Ltée, Gesca Consultants Inc., La Presse Digitale Inc., 3859282 Canada Inc. et d'en tirer copie;
tel qu'il appert de ladite requête datée du 1er février 2008 (N° 27).
c) Afin de circonscrire le débat les parties déposent une stipulation conjointe des faits pertinents à la disposition de la requête pour jugement déclaratoire (N° 29). En l'absence d'autre preuve, cette stipulation établit ce qui suit et qui, pour les fins de la requête pour jugement déclaratoire, doivent être tenues pour avérés:
i) Aucune consolidation des comptes des filiales de Gesca Ltée ne se fait directement au niveau des états financiers de Power.
ii) Power ne reçoit ni ne garde à son siège social copie des états financiers des filiales de Gesca Ltée.
iii) Les comptes de Gesca Ltée sont consolidés dans les états financiers de Power et les états financiers de Power sont préparés selon les principes comptables généralement reconnus (PCGR).
iv) Cependant, avant que ses comptes ne soient ainsi consolidés, les états financiers de Gesca Ltée sont le résultat d'une consolidation de ses propres comptes et de ceux de ses filiales, préparés selon les PCGR.
v) Les filiales de Gesca Ltée dont les comptes sont ainsi consolidés sont celles qui sont énumérées en annexe au présent jugement sauf 3859282 Canada Inc. qui ne serait pas une filiale de Gesca Ltée.
vi) Quant à Septembre Éditeur s.e.n.c. elle ne serait pas non plus une filiale de Gesca Ltée, mais la stipulation conjointe est silencieuse sur la question de la consolidation de ses comptes dans Gesca Ltée.
d) Insatisfaite de la manière dont les questions sont posées dans la requête N° 27, le MÉDAC dépose à son tour une demande reconventionnelle précisant que la question devrait se lire ainsi:
Sujet
à la question de l'applicabilité ou non des dispositions de l'article
tel qu'il appert de ladite demande reconventionnelle du 4 février 2008 (N° 33).
[14] Le Tribunal a donc entendu les parties sur leurs diverses demandes résultant des requêtes N° 8, 22, 27 et 33, le 4 février 2008.
LA QUESTION
[15] Quels sont les états financiers effectivement visés par l'article 157 LCSA? Cet article permet-il à un actionnaire de la société mère (en l'occurrence Power) de consulter et de prendre copie des états financiers de celle-ci et seulement des filiales dont les résultats sont consolidés dans ceux de la société-mère ou permet-il à ce même actionnaire d'examiner et de prendre copie des états financiers de toutes les sous-filiales d'une filiale donnée (en l'occurrence Gesca Ltée) dont les résultats sont d'abord consolidés dans ceux de la filiale et sous-filiale de la société-mère?
[16] La question n'est certes pas sans intérêt et pourrait effectivement avoir un impact important sur la suite du dossier. Chose certaine, si la requérante Power doit se limiter à prouver qu'elle a raison de limiter le MÉDAC à l'examen des résultats de sa filiale Gesca Ltée seulement, cela lui épargnera temps et argent. Si par contre, elle doit justifier sa position dans le cas des filiales de Gesca Ltée (elles-mêmes sous-filiales de Power), l'exercice sera d'autant plus long et coûteux.
[17] Les procureurs des parties ont effectué une recherche exhaustive de la jurisprudence sur l'interprétation de l'article 57 LCSA au Canada et plus spécifiquement au Québec.
[18]
La question soumise ne semble pas avoir été traitée d'où l'intérêt des
parties à faire trancher ce qui semble constituer une difficulté réelle
d'interprétation dudit article. En conséquence, le Tribunal considère que les
conditions essentielles de l'article
ANALYSE
[19] L'article 157 LCSA se lit comme suit:
57. (1) (États financiers consolidés) La société doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales et de chaque personne morale dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers.
(2) (Examen) Les actionnaires ainsi que leurs représentants personnels peuvent, sur demande, examiner gratuitement les états financiers visés au paragraphe (1) et en tirer copie pendant les heures normales d'ouverture des bureaux.
(3) (Interdiction) Le tribunal saisi d'une requête présentée par la société dans les quinze jours d'une demande d'examen faite en vertu du paragraphe (2) peut rendre toute ordonnance qu'il estime pertinente et, notamment, interdire l'examen, s'il est convaincu qu'il serait préjudiciable à la société ou à une filiale.
(4) (Avis au directeur) La société doit donner avis de toute requête présentée en vertu du paragraphe (3) au directeur et à toute personne qui demande l'examen prévu au paragraphe (2); ceux-ci peuvent comparaître en personne ou par ministère d'avocat.
(Soulignements ajoutés)
[20] La requête introductive en l'instance est celle qui est prévue à l'article 157 (3) LCSA.
[21] Pour répondre à la question posée, il s'agit d'identifier les éléments essentiels de l' article 157 (1) LCSA:
a) la société doit conserver …
b) … des états financiers …
c) … de ses filiales et personnes morales …
e) dont les comptes sont consolidés dans ses … propres états financiers …
[22] La lecture de cet article doit cependant être complétée par certaines définitions. Tout d'abord, celle du mot "filiale" que l'on retrouve à l'article 2 (5) LCSA:
(5) (Filiales) Une personne morale est la filiale d'une autre personne morale dans chacun des cas suivants:
a) elle est contrôlée:
i) soit par l'autre personne morale,
ii) soit par l'autre personne morale et une ou plusieurs personnes morales elles-mêmes contrôlées par cette autre personne morale,
iii) soit par des personnes morales elles-mêmes contrôlées par l'autre personne morale;
b) elle est la filiale d'une filiale de l'autre personne morale.
(Soulignement ajouté)
[23] Ainsi selon cette définition les filiales de Gesca Ltée, elle-même filiale de Power sont des filiales de Power et seraient visées par l'article 157 LCSA, dans la mesure où les comptes des filiales de Gesca Ltée se retrouvent consolidés dans les états financiers de Power.
[24] Que doit-on entendre par "personne morale" dans le contexte de l'article 157 LCSA ainsi que dans la définition du mot "filiale de l'article 2 (5)? Cette expression est ainsi définie à l'article 2 (1) LCSA:
2 (1) …
("Personne morale" "body …") "personne morale" Toute personne morale, y compris une compagnie, indépendamment de son lieu ou mode de constitution.
[25] On doit reconnaître que la définition de cette expression n'a rien de cartésien. Reprendre l'expression que l'on veut définir dans la définition elle-même n'aide pas à en saisir le sens. Néanmoins, on peut conclure que les "personnes morales" ici visées seront toutes les sociétés par actions dûment incorporées en vertu d'une loi autre que la LCSA, y compris les sociétés étrangères. C'est ce qu'il faut comprendre des mots … "indépendamment de son lieu ou mode de constitution".
[26] L'expression "personne morale" vise-t-elle d'autres entités juridiques que des sociétés incorporées en vertu de la LCSA ou en vertu d'autres lois canadiennes ou même étrangères? Par exemple, l'expression vise-t-elle d'autres entités qui ne sont pas des sociétés par actions mais qui bénéficient d'une personnalité juridique distincte de celle de leurs membres? La question est intéressante mais, de l'avis du Tribunal il n'est pas essentiel d'en traiter ici. En effet, deux conditions sont essentielles pour que l'actionnaire puisse avoir accès aux états financiers des sociétés ou entités visées: il faut dans un premier temps qu'il s'agisse d'une "filiale" au sens de la LCSA mais il faut aussi que les comptes de cette "filiale" fasse l'objet d'une consolidation.
[27] Or, les comptes de 3859282 Canada Inc. ne seraient pas consolidés si l'on se fie aux termes de la stipulation conjointe des faits versée au dossier. Au surplus, le rapport "CIDREQ" de cette compagnie indique que Gesca Ltée n'en est pas l'actionnaire principal. La preuve ne permet donc pas de conclure que 3859282 Canada Inc. est une "filiale" de Gesca Ltée dont les comptes sont consolidés dans ceux de Gesca Ltée ou de Power.
[28] La preuve ne révèle pas non plus que de manière concluante la Société Septembre Éditeur s.e.n.c. est une "personne morale" contrôlée par Gesca Ltée ni que ses comptes font l'objet d'une consolidation.
[29] En conséquence, le présent jugement ne visera pas ces deux entités la preuve n'étant ni concluante ni complète sur les deux principaux éléments qui doivent être établis en l'instance c'est-à-dire la notion de "filiale" et l'existence d'une consolidation de leurs comptes. Cependant les droits des parties seront réservés sur ces deux éléments qui pourrait faire l'objet d'une preuve plus exhaustive lors de l'audition de la requête introductive, si tant est que le MÉDAC persiste dans sa demande d'examen et que Power persiste dans sa demande d'ordonnance d'interdiction d'examen eu égard à ces deux entités.
[30] Dans le contexte du présent dossier (et sans extrapoler dans d'autres hypothèses) si l'on lit l'article 157 (1) LCSA en tenant compte des définitions précitées, il faut comprendre que la société (en l'occurrence Power) doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales, y compris les filiales de ses filiales dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers. Elle doit faire de même quant aux états financiers des autres "personnes morales" s'il en est dont les états financiers sont aussi consolidés dans ceux de sa filiale ou dans les siens. Cela apparaît clairement des textes législatifs précités[1].
[31] Lorsqu'une disposition statutaire est claire, point n'est besoin d'aller au delà de ce que le Législateur exprime. Le juge Iacobucci dans Ludco Enterprises Ltd.[2]:
La règle moderne en matière d'interprétation législative a été énoncée de manière succincte par E. . Driedger dans l'ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87:
(TRADUCTION) Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur …
C'est cet extrait qui "résume le
mieux" la méthode privilégiée aux fins d'interprétation d'une disposition
législative: Rizzo Shoes Ltd. (Re),
[32] Il est évident que lorsqu'on analyse les termes utilisés à l'article 157.1 LCSA dans leur contexte et en leur donnant leur sens ordinaire et grammatical, il faut conclure que le but recherché par le législateur ainsi que l'économie générale de la LCSA cherchent à informer l'actionnaire d'une société en lui donnant accès non seulement aux états financiers de cette dernière mais aussi à tous les états financiers de toutes les filiales, sous-filiales ou personnes morales dont les résultats sont consolidés dans ceux de la société dont l'actionnaire détient des actions.
[33] Autrement, l'actionnaire ne pourra jamais apprécier le risque qu'il prend en acceptant d'investir dans le capital-actions d'une société donnée. De plus, c'est la seule façon pour l'actionnaire de connaître la véritable nature des produits et des charges financières réellement supportées par la société dont il est actionnaire.
[34] Empêcher un actionnaire de consulter les états financiers des filiales ou sous-filiales dont les résultats sont consolidés dans les états financiers de la société en question conduirait à une aberration.
[35] Cela équivaudrait à dire à un actionnaire que les résultats qu'on lui communique ne peuvent même pas être soumis à un examen sommaire pour s'assurer, par exemple que l'ensemble des recettes, mais surtout des charges, dont la société mère hérite par le processus de consolidation, ont été adéquatement comptabilisés.
[36] En cette ère de communication de renseignements financiers parfois, mais Dieu merci rarement, manipulés par des administrateurs ou dirigeants de peu de scrupules il est clair que l'interprétation à donner à l'article 157 LCSA doit pencher en faveur d'une transmission de toute l'information financière reproduite aux états financiers provenant des filiales et sous-filiales d'une entreprise donnée lorsque leurs résultats sont consolidés dans leurs propres états financiers.
[37] Il faut comprendre que l'interprétation de l'article 157 recherchée par Power pourrait, bien malgré elle, bénéficier à des entreprises moins scrupuleuses qui pourraient faire porter certaines charges par leurs filiales ou sous-filiales que la consolidation ne reflèterait pas nécessairement. L'actionnaire n'aurait alors aucun moyen de s'en rendre compte et pourrait un jour risquer de voir son investissement sérieusement affecté par un événement prévisible pour les initiés mais imprévisible pour lui.
[38] D'ailleurs, toute la logique législative et réglementaire en matière d'états financiers est rédigée pour éviter de telles éventualités:
a) l'article 71 du Règlement sur les sociétés par actions de régime fédéral[4] prévoit que les états financiers dont parle la LCSA doivent être établis selon les PCGR canadiens ou américains selon le cas mais avec des notes afférentes explicatives lorsque les régimes canadiens et américains diffèrent;
b) les PCGR canadiens prévoient que[5]:
L'établissement des états financiers consolidés de la société mère et des filiales consiste à intégrer, ligne par ligne, les états financiers de ces sociétés (c'est-à-dire à additionner un par un les postes correspondants de l'actif, du passif, des produits et des charges), tout en éliminant les opérations inter-sociétés et les soldes réciproques et en tenant compte de la part des actionnaires sans contrôle (La part des actionnaires sans contrôle est la fraction des capitaux propres appartenant aux actionnaires qui ne détiennent pas la participation donnant le contrôle sur l'entreprise contrôlée. Dans les états financiers consolidés, il s'agit de la fraction des capitaux propres des filiales rattachée aux actions qui n'appartiennent ni à la société mère, ni à une autre filiale du groupe. La part des actionnaires sans contrôle peut, dans certains cas, être supérieure à 50%) des filiales. Les états financiers consolidés tiennent compte du fait que les diverses entités juridiques ne forment qu'une seule entité économique. Ces états se distinguent des états financiers individuels de la société mère et des filiales, ainsi que des états cumulés des filiales, à la fois par leur nature et par les circonstances qui justifient leur utilisation.
(Soulignements ajoutés)
[39] Selon les faits admis par les parties, la consolidation des états financiers de Power se fait en deux étapes. Tout d'abord, la consolidation des états financiers des filiales de Gesca Ltée se fait au niveau de Gesca. Ensuite, lorsque les états financiers de Gesca Ltée sont consolidés avec ceux de Power, ces derniers reflètent la consolidation de Gesca Ltée et de ses filiales comme s'il n'y avait eu qu'une seule opération de consolidation. Donc le lecteur des états financiers de Power y voit des résultats reflétant toutes les opérations comptables des filiales et des filiales des filiales.
[40] Les parties ont aussi reconnu que la consolidation en deux étapes donnait exactement le même résultat que si la consolidation n'avait été faite qu'en une seule étape.
[41] Il faut donc interpréter l'article 157 LCSA comme le suggère le MÉDAC et obligeant Power à conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales (incluant les filiales de ses filiales) ainsi que de chacune des personnes morales dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers (que ces comptes soient ceux d'une filiale, d'une filiale de filiale ou d'une autre personne morale) et à en permettre l'examen et la prise de copie par ses actionnaires, le tout sous réserve des limitations imposées par l'article 157 (3) LCSA.
[42] La requête pour jugement déclaratoire sera donc accueillie et les autres requêtes seront décidées en conséquence.
[43] PAR CES MOTIFS, le Tribunal:
[44] REJETTE la requête de la requérante Power Corporation du Canada en rejet d'une demande d'examen (N° 8).
[45] REJETTE le moyen d'irrecevabilité de l'intimée Yves Michaud pour absence de fondement juridique de la requête en rejet d'une demande d'examen (N° 22).
[46] REJETTE la requête pour jugement déclaratoire de la requérante Power Corporation Canada (N° 27).
[47] ACCUEILLE la demande reconventionnelle en jugement déclaratoire de l'intimée Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) ainsi qu'il suit:
[48] DÉCLARE que sous réserve expresse des droits de Power Corporation du Canada aux termes de l'article 157 (3) LCSA l'intimée, Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) a le droit de demander d'examiner les états financiers des sociétés suivantes:
ainsi que le droit de demander d'en tirer copie conformément aux dispositions des articles 157 (1) et (2) LCSA.
[49] RÉSERVE les droits des deux parties eu égard à l'examen et à la prise de copie des états financiers de:
a) 3859282 Canada Inc.
b) Septembre Éditeur s.e.n.c.
[50] Le tout FRAIS À SUIVRE le sort de la requête introductive d'instance pour émission d'une ordonnance d'interdiction d'examen, laquelle est continuée "Pro Forma" au 4 avril 2008 à 9h15 en Salle 16.12 pour dépôt d'un échéancier et suivi du dossier.
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__________________________________ ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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Me Luc Giroux Me Claude Morency FRASER MILNER CARGRAIN 1, Place Ville-Marie 39ième étage Montréal (Québec) H3B 4M7 (514)878-8800 (514)866-2241 FAX Pour Power Corporation du Canada
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Me Guy Paquette Me Philippe Charest Beaudry PAQUETTE GADLER 300, Place d'Youville Bureau B-10 Montréal (Québec) H2Y 2B6 (514)849-0771 (514)849-4817 FAX Pour le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) |
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Date d’audience : |
Le 4 février 2008 |
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Power Corporation du Canada c. Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) |
2008 QCCS 801 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-11-029388-069 |
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DATE : |
Le 16 avril 2008 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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POWER CORPORATION DU CANADA |
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Requérante |
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c. |
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MOUVEMENT D'ÉDUCATION ET DE DÉFENSE DES ACTIONNAIRES (MÉDAC) |
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Intimée |
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-et- GESCA LTÉE -et- LE DIRECTEUR nommé en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions Mis en cause |
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SECOND JUGEMENT DE RECTIFICATION |
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[1] Le 29 février 2008 le soussigné a prononcé un premier jugement disposant notamment d'une requête pour jugement déclaratoire de la part de la requérante Power Corporation du Canada, ainsi qu'une demande reconventionnelle à cette même requête de la part du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC).
[2] Le 3 mars 2008, le soussigné précédait à une première rectification du jugement en question.
[3] Le 17 mars 2008, les procureurs du MÉDAC ont soumis une seconde requête en rectification afin de rendre les conclusions du jugement conformes aux procédures du dossier. Il s'agit en effet de déterminer quelles sont les filiales de la mise-en-cause Gesca Ltée dont les états financiers pourraient être examinés par les actionnaires de Power Corporation du Canada.
[4] Dans le jugement original du 29 février 2008 ainsi que dans le jugement rectifié du 3 mars 2008, il s'est effectivement glissé une erreur dans la liste des dites filiales.
[5] Les procureurs du MÉDAC demandent donc dans leur requête du 17 mars 2008 de modifier une fois de plus les conclusions du jugement rectifié afin que celles-ci identifient toutes les filiales de Gesca Ltée dont les états financiers pourront éventuellement être examinés (dans la mesure où le jugement final sur la requête introductive d'instance de Power Corporation du Canada est rejetée en tout ou en partie).
[6] Cependant, la requête du 17 mars 2008 demande plus qu'une simple rectification d'une erreur cléricale. Elle demande d'ajouter des filiales non incluses dans les conclusions de la demande reconventionnelle du MÉDAC.
[7] Au surplus, le soussigné a appris que le 28 mars 2008 Power Corporation du Canada s'était portée en appel du jugement original du 29 février 2008 et rectifié le 3 mars 2008. Par contre, l'appel ne porte aucunement sur la liste des filiales en question. L'appel porte plutôt sur le principe de l'interprétation qu'il faut donner à l'article 157 LCSA.
[8] Même si le second
alinéa de l'article
[9] Ainsi, le 4 avril dernier, le soussigné a accueilli la seconde requête en rectification du jugement du 29 février 2008 afin que la liste des filiales de Gesca Ltée soit complète et corresponde non pas seulement à la liste (incomplète) apparaissant aux conclusions de la demande reconventionnelle de MÉDAC mais aussi à la liste des filiales ayant fait l'objet de la demande originale d'examen.
[10] D'ailleurs, malgré le processus d'appel et malgré que les erreurs à être corrigées proviennent à la fois du Tribunal et des parties, celles-ci consentent à ce qu'un second jugement de rectification soit prononcé.
[11] VU le jugement rendu le 29 février 2008 et rectifié une première fois le 3 mars 2008;
[12] VU l'erreur de transcription du Tribunal de la liste des filiales de Gesca Ltée énumérées aux conclusions de la demande reconventionnelle du MÉDAC;
[13] VU l'erreur de transcription de la liste de ces même filiales dans les conclusions de la demande reconventionnelle du MÉDAC;
[14] ATTENDU qu'il y a lieu de rectifier à nouveau le jugement du 29 février 2008 afin que:
a) la liste des filiales de Gesca Ltée énoncée au paragraphe 13 (d) du jugement soit conforme aux conclusions de la demande reconventionnelle du MÉDAC; et que
b) cette liste soit aussi augmentée pour y inclure touts les filiales ayant fait l'objet de la demandé d'examen du 20 novembre 2006.
[15] ATTENDU que la conclusion [48] du jugement du 29 février 2008 doit donc se lire comme suit:
[1] DÉCLARE que sous réserve expresse des droits de Power Corporation du Canada aux termes de l'article 157 (3) LCSA l'intimée, Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) a le droit de demander d'examiner les états financiers des sociétés suivantes:
a. La Presse Ltée.
b. Les Éditions La Presse (1989) Ltée.
c. 3819787 Canada Inc.
d. Les Journaux trans-Canada(1996) Inc.
e. Probec 5 Ltée.
f. 3911322 Canada Inc.
g. 3855082 Canada Inc.
h. Cyberpresse Inc.
i. Les Éditions Gesca Ltée.
j. Les Productions La Presse Télé Inc.
k. La Presse Télé Ltée.
l. La Presse Télé II Ltée.
m. La Presse Télé III Ltée.
n. Gesca Consultants Inc.
o. La Presse Digitale Inc.
p. 3970965 Canada Inc.
q. 3834310 Canada Inc.
r. 3846521 Canada Inc.
s. 3846539 Canada Inc.
ainsi que le droit de demander d'en tirer copie conformément aux dispositions des articles 157 (1) et (2) LCSA.
[16]
CONSIDÉRANT l'article
[17] CONSIDÉRANT que le processus d'appel entrepris ne vise aucunement la rectification ci-haut énoncée.
[18] LE TRIBUNAL, à nouveau:
[19] RECTIFIE le jugement rendu le 29 février 2008 et rectifié une première fois le 3 mars 2008.
[20] LE TOUT SANS FRAIS.
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__________________________________ ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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Me Luc Giroux Me Claude Morency FRASER MILNER CARGRAIN 1, Place Ville-Marie 39ième étage Montréal (Québec) H3B 4M7 (514)878-8800 (514)866-2241 FAX Pour Power Corporation du Canada
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Me Guy Paquette Me Philippe Charest-Beaudry PAQUETTE GADLER 300, Place d'Youville Bureau B-10 Montréal (Québec) H2Y 2B6 (514)849-0771 (514)849-4817 FAX Pour le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) |
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Power Corporation du Canada c. Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) |
2008 QCCS 801 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-11-029388-069 |
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DATE : |
Le 29 février 2008 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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POWER CORPORATION DU CANADA |
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Requérante |
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c. |
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MOUVEMENT D'ÉDUCATION ET DE DÉFENSE DES ACTIONNAIRES (MÉDAC) |
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Intimée |
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-et- GESCA LTÉE -et- LE DIRECTEUR nommé en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions Mis en cause |
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JUGEMENT RECTIFIÉ |
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INTRODUCTION
[1] Aux termes de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), un actionnaire a le droit de consulter les états financiers de la société dont il est actionnaire. Mais qu'arrive-t-il lorsque la structure corporative de la société se complexifie pour y voir apparaître des filiales ou sous-filiales? Quelle est donc la limite des droits de l'actionnaire de consulter et de prendre copie des états financiers de la société? Son droit se limite-t-il aux seuls états financiers de la société dont il est actionnaire? Son droit s'étend-il aux résultats des autres entités juridiques contrôlées par la société en question?
[2] Le présente jugement répond en partie à ces questions.
HISTORIQUE FACTUEL ET PROCÉDURAL
[3] Power Corporation du Canada (Power) est une société internationale de gestion et de portefeuille qui détient des participations dans plusieurs sociétés dont les activités sont très diversifiées. Sa structure corporative démontre que Power contrôle plusieurs filiales dont l'une d'entre elles est Gesca Ltée (Voir P.1-13B). À son tour, Gesca Ltée contrôle plusieurs filiales et sous-filiales (Voir P.1-9B). Le présent débat ne porte non pas sur l'ensemble des filiales ou sous-filiales de Power mais seulement sur Gesca Ltée et sur ses filiales et sous-filiales.
[4] Monsieur Yves Michaud, homme politique et journaliste bien connu est le président du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC). Michaud et le MÉDAC sont tous deux actionnaires de Power.
[5] En date du 8 mai 2006,
Michaud s'adresse par téléphone à monsieur Edward Johnson, secrétaire de Power
et lui demande de consulter les états financiers de Gesca Ltée. Michaud
invoque alors son droit en vertu de l'article
[6] Le 11 mai 2006, lors de la tenue de l'assemblée annuelle des actionnaires de Power, Michaud réitère sa demande.
[7] Le 18 mai 2006, Power dépose une requête introductive d'instance invoquant les articles 157 (3) et 247 LCSA et qui recherche une ordonnance de cette Cour visant à interdire l'examen des états financiers de sa filiale Gesca Ltée. Cette requête porte le N° 500-11-028137-061.
[8] Or, tel qu'indiqué ci-haut Gesca Ltée est elle-même une société de portefeuille qui détient, par le biais de filiales, des intérêts dans plusieurs entreprises de presse dont La Presse (Montréal), Le Soleil (Québec), Le Nouvelliste (Trois-Rivières), Le Droit (Ottawa), La Tribune (Sherbrooke), Le Quotidien (Chicoutimi), La Voix de l'Est (Granby) et Le Progrès-Dimanche (Saguenay). Michaud et le MÉDAC s'intéressent spécifiquement à cet aspect de l'entreprise de Power.
[9] Michaud soumet donc une nouvelle demande à Power, recherchant cette fois le droit d'examiner les états financiers non seulement de Gesca Ltée mais des filiales de cette dernière. Cela amènera le dépôt d'une seconde requête recherchant la même ordonnance d'interdiction d'examen des états financiers tant de Gesca Ltée que de ses filiales. Cette seconde requête datée du 30 novembre 2006 porte le N° 500-11-029388-069 et constitue la requête introductive du présent dossier.
[10] Le 12 janvier 2007, Power demande le rejet pur et simple de la demande d'examen de Michaud au motif qu'à sa face même elle est incompatible avec le texte de l'article 157 LCSA (requête N° 8).
[11] Le 8 janvier 2008 Michaud invoque l'irrecevabilité de la requête (N° 8) en rejet de la demande d'examen au motif que l'article 157 LCSA oblige une société à conserver les états financiers de ses filiales à son siège social et permet expressément l'examen desdits états financiers par ses actionnaires (avis de dénonciation N° 22).
[12] Le 10 janvier 2008 les parties comparaissent une première fois devant le soussigné. Les procureurs de Power et de Gesca Ltée font alors valoir la nécessité de déterminer la portée intentionnelle de l'article 157 LCSA: cet article vise-t-il seulement les filiales de Power ou vise-t-il aussi les filiales de sa filiale Gesca Ltée? La question n'est pas sans importance pour la requérante qui devra éventuellement justifier les motifs de son refus de laisser Michaud examiner les états financiers de toutes les entités visées par l'article 157.1 LCSA. Cette preuve devra, selon elle, se faire par experts qui devront se pencher sur le seul cas de Gesca Ltée ou encore sur celui de Gesca Ltée et de ses filiales. Les coûts inhérents à une telle preuve pouvant être considérables, il importe donc à la requérante de faire déterminer cette question à l'avance.
[13] Le Tribunal a constaté, lors de l'audition du 10 janvier 2008, que les deux parties recherchaient non pas le rejet de la demande d'examen ou encore l'irrecevabilité de la demande de rejet, mais plutôt une requête pour jugement déclaratoire visant à préciser la portée de l'article 157 LCSA. Avec l'accord du Tribunal, les parties ont choisi de procéder ainsi:
f) Dans un premier temps, Michaud se retire du dossier et sera remplacé par le MÉDAC. Voir Avis de substitution d'une partie datée du 1er février 2008 (N° 32) produit de consentement.
g) Une requête en jugement déclaratoire est ensuite déposé par Power recherchant ce qui suit:
DÉCLARER que l'article 157 LCSA n'impose pas à la Société l'obligation de conserver et de donner accès, aux actionnaires qui en font la demande, aux états financiers des filiales et des personnes morales qui n'ont pas été utilisés par la Société aux fins de son exercice de consolidation prescrit par les principes comptables généralement reconnus;
DÉCLARER que le MÉDAC n'a pas le droit de demander d'examiner les états financiers de La Presse Ltée, Les Éditions La Presse (1989) Ltée, 3819787 Canada Inc., 3970965 Canada Inc., 3834310 Canada Inc., 3846521 Canada Inc., 3846539 Caada Inc., Les Journaux Trans-Canada (1996) Inc., Probec 5 Ltée, 3911322 Canada Inc., 3855082 Canada Inc., Cybepress Inc., Les Éditions Gesca Ltée, Septembre Éditeur s.e.n.c., Les productions La Presse Télé Ltée, La Presse Télé Ltée, La Presse Télé II Ltée, La Presse Télé III Ltée, Gesca Consultants Inc., La Presse Digitale Inc., 3859282 Canada Inc. et d'en tirer copie;
tel qu'il appert de ladite requête datée du 1er février 2008 (N° 27).
h) Afin de circonscrire le débat les parties déposent une stipulation conjointe des faits pertinents à la disposition de la requête pour jugement déclaratoire (N° 29). En l'absence d'autre preuve, cette stipulation établit ce qui suit et qui, pour les fins de la requête pour jugement déclaratoire, doivent être tenues pour avérés:
vii) Aucune consolidation des comptes des filiales de Gesca Ltée ne se fait directement au niveau des états financiers de Power.
viii) Power ne reçoit ni ne garde à son siège social copie des états financiers des filiales de Gesca Ltée.
ix) Les comptes de Gesca Ltée sont consolidés dans les états financiers de Power et les états financiers de Power sont préparés selon les principes comptables généralement reconnus (PCGR).
x) Cependant, avant que ses comptes ne soient ainsi consolidés, les états financiers de Gesca Ltée sont le résultat d'une consolidation de ses propres comptes et de ceux de ses filiales, préparés selon les PCGR.
xi) Les filiales de Gesca Ltée dont les comptes sont ainsi consolidés sont celles qui sont énumérées en annexe au présent jugement sauf 3859282 Canada Inc. qui ne serait pas une filiale de Gesca Ltée.
xii) Quant à Septembre Éditeur s.e.n.c. elle ne serait pas non plus une filiale de Gesca Ltée, mais la stipulation conjointe est silencieuse sur la question de la consolidation de ses comptes dans Gesca Ltée.
i) Insatisfaite de la manière dont les questions sont posées dans la requête N° 27, le MÉDAC dépose à son tour une demande reconventionnelle précisant que la question devrait se lire ainsi:
Sujet
à la question de l'applicabilité ou non des dispositions de l'article
tel qu'il appert de ladite demande reconventionnelle du 4 février 2008 (N° 33).
[14] Le Tribunal a donc entendu les parties sur leurs diverses demandes résultant des requêtes N° 8, 22, 27 et 33, le 4 février 2008.
LA QUESTION
[15] Quels sont les états financiers effectivement visés par l'article 157 LCSA? Cet article permet-il à un actionnaire de la société mère (en l'occurrence Power) de consulter et de prendre copie des états financiers de celle-ci et seulement des filiales dont les résultats sont consolidés dans ceux de la société-mère ou permet-il à ce même actionnaire d'examiner et de prendre copie des états financiers de toutes les sous-filiales d'une filiale donnée (en l'occurrence Gesca Ltée) dont les résultats sont d'abord consolidés dans ceux de la filiale et sous-filiale de la société-mère?
[16] La question n'est certes pas sans intérêt et pourrait effectivement avoir un impact important sur la suite du dossier. Chose certaine, si la requérante Power doit se limiter à prouver qu'elle a raison de limiter le MÉDAC à l'examen des résultats de sa filiale Gesca Ltée seulement, cela lui épargnera temps et argent. Si par contre, elle doit justifier sa position dans le cas des filiales de Gesca Ltée (elles-mêmes sous-filiales de Power), l'exercice sera d'autant plus long et coûteux.
[17] Les procureurs des parties ont effectué une recherche exhaustive de la jurisprudence sur l'interprétation de l'article 57 LCSA au Canada et plus spécifiquement au Québec.
[18]
La question soumise ne semble pas avoir été traitée d'où l'intérêt des
parties à faire trancher ce qui semble constituer une difficulté réelle
d'interprétation dudit article. En conséquence, le Tribunal considère que les
conditions essentielles de l'article
ANALYSE
[19] L'article 157 LCSA se lit comme suit:
57. (1) (États financiers consolidés) La société doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales et de chaque personne morale dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers.
(5) (Examen) Les actionnaires ainsi que leurs représentants personnels peuvent, sur demande, examiner gratuitement les états financiers visés au paragraphe (1) et en tirer copie pendant les heures normales d'ouverture des bureaux.
(6) (Interdiction) Le tribunal saisi d'une requête présentée par la société dans les quinze jours d'une demande d'examen faite en vertu du paragraphe (2) peut rendre toute ordonnance qu'il estime pertinente et, notamment, interdire l'examen, s'il est convaincu qu'il serait préjudiciable à la société ou à une filiale.
(7) (Avis au directeur) La société doit donner avis de toute requête présentée en vertu du paragraphe (3) au directeur et à toute personne qui demande l'examen prévu au paragraphe (2); ceux-ci peuvent comparaître en personne ou par ministère d'avocat.
(Soulignements ajoutés)
[20] La requête introductive en l'instance est celle qui est prévue à l'article 157 (3) LCSA.
[21] Pour répondre à la question posée, il s'agit d'identifier les éléments essentiels de l' article 157 (1) LCSA:
a) la société doit conserver …
b) … des états financiers …
c) … de ses filiales et personnes morales …
j) dont les comptes sont consolidés dans ses … propres états financiers …
[22] La lecture de cet article doit cependant être complétée par certaines définitions. Tout d'abord, celle du mot "filiale" que l'on retrouve à l'article 2 (5) LCSA:
(5) (Filiales) Une personne morale est la filiale d'une autre personne morale dans chacun des cas suivants:
a) elle est contrôlée:
i) soit par l'autre personne morale,
ii) soit par l'autre personne morale et une ou plusieurs personnes morales elles-mêmes contrôlées par cette autre personne morale,
iii) soit par des personnes morales elles-mêmes contrôlées par l'autre personne morale;
b) elle est la filiale d'une filiale de l'autre personne morale.
(Soulignement ajouté)
[23] Ainsi selon cette définition les filiales de Gesca Ltée, elle-même filiale de Power sont des filiales de Power et seraient visées par l'article 157 LCSA, dans la mesure où les comptes des filiales de Gesca Ltée se retrouvent consolidés dans les états financiers de Power.
[24] Que doit-on entendre par "personne morale" dans le contexte de l'article 157 LCSA ainsi que dans la définition du mot "filiale de l'article 2 (5)? Cette expression est ainsi définie à l'article 2 (1) LCSA:
2 (1) …
("Personne morale" "body …") "personne morale" Toute personne morale, y compris une compagnie, indépendamment de son lieu ou mode de constitution.
[25] On doit reconnaître que la définition de cette expression n'a rien de cartésien. Reprendre l'expression que l'on veut définir dans la définition elle-même n'aide pas à en saisir le sens. Néanmoins, on peut conclure que les "personnes morales" ici visées seront toutes les sociétés par actions dûment incorporées en vertu d'une loi autre que la LCSA, y compris les sociétés étrangères. C'est ce qu'il faut comprendre des mots … "indépendamment de son lieu ou mode de constitution".
[26] L'expression "personne morale" vise-t-elle d'autres entités juridiques que des sociétés incorporées en vertu de la LCSA ou en vertu d'autres lois canadiennes ou même étrangères? Par exemple, l'expression vise-t-elle d'autres entités qui ne sont pas des sociétés par actions mais qui bénéficient d'une personnalité juridique distincte de celle de leurs membres? La question est intéressante mais, de l'avis du Tribunal il n'est pas essentiel d'en traiter ici. En effet, deux conditions sont essentielles pour que l'actionnaire puisse avoir accès aux états financiers des sociétés ou entités visées: il faut dans un premier temps qu'il s'agisse d'une "filiale" au sens de la LCSA mais il faut aussi que les comptes de cette "filiale" fasse l'objet d'une consolidation.
[27] Or, les comptes de 3859282 Canada Inc. ne seraient pas consolidés si l'on se fie aux termes de la stipulation conjointe des faits versée au dossier. Au surplus, le rapport "CIDREQ" de cette compagnie indique que Gesca Ltée n'en est pas l'actionnaire principal. La preuve ne permet donc pas de conclure que 3859282 Canada Inc. est une "filiale" de Gesca Ltée dont les comptes sont consolidés dans ceux de Gesca Ltée ou de Power.
[28] La preuve ne révèle pas non plus que de manière concluante la Société Septembre Éditeur s.e.n.c. est une "personne morale" contrôlée par Gesca Ltée ni que ses comptes font l'objet d'une consolidation.
[29] En conséquence, le présent jugement ne visera pas ces deux entités la preuve n'étant ni concluante ni complète sur les deux principaux éléments qui doivent être établis en l'instance c'est-à-dire la notion de "filiale" et l'existence d'une consolidation de leurs comptes. Cependant les droits des parties seront réservés sur ces deux éléments qui pourrait faire l'objet d'une preuve plus exhaustive lors de l'audition de la requête introductive, si tant est que le MÉDAC persiste dans sa demande d'examen et que Power persiste dans sa demande d'ordonnance d'interdiction d'examen eu égard à ces deux entités.
[30] Dans le contexte du présent dossier (et sans extrapoler dans d'autres hypothèses) si l'on lit l'article 157 (1) LCSA en tenant compte des définitions précitées, il faut comprendre que la société (en l'occurrence Power) doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales, y compris les filiales de ses filiales dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers. Elle doit faire de même quant aux états financiers des autres "personnes morales" s'il en est dont les états financiers sont aussi consolidés dans ceux de sa filiale ou dans les siens. Cela apparaît clairement des textes législatifs précités[6].
[31] Lorsqu'une disposition statutaire est claire, point n'est besoin d'aller au delà de ce que le Législateur exprime. Le juge Iacobucci dans Ludco Enterprises Ltd.[7]:
La règle moderne en matière d'interprétation législative a été énoncée de manière succincte par E. . Driedger dans l'ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87:
(TRADUCTION) Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur …
C'est cet extrait qui "résume le
mieux" la méthode privilégiée aux fins d'interprétation d'une disposition
législative: Rizzo Shoes Ltd. (Re),
[32] Il est évident que lorsqu'on analyse les termes utilisés à l'article 157.1 LCSA dans leur contexte et en leur donnant leur sens ordinaire et grammatical, il faut conclure que le but recherché par le législateur ainsi que l'économie générale de la LCSA cherchent à informer l'actionnaire d'une société en lui donnant accès non seulement aux états financiers de cette dernière mais aussi à tous les états financiers de toutes les filiales, sous-filiales ou personnes morales dont les résultats sont consolidés dans ceux de la société dont l'actionnaire détient des actions.
[33] Autrement, l'actionnaire ne pourra jamais apprécier le risque qu'il prend en acceptant d'investir dans le capital-actions d'une société donnée. De plus, c'est la seule façon pour l'actionnaire de connaître la véritable nature des produits et des charges financières réellement supportées par la société dont il est actionnaire.
[34] Empêcher un actionnaire de consulter les états financiers des filiales ou sous-filiales dont les résultats sont consolidés dans les états financiers de la société en question conduirait à une aberration.
[35] Cela équivaudrait à dire à un actionnaire que les résultats qu'on lui communique ne peuvent même pas être soumis à un examen sommaire pour s'assurer, par exemple que l'ensemble des recettes, mais surtout des charges, dont la société mère hérite par le processus de consolidation, ont été adéquatement comptabilisés.
[36] En cette ère de communication de renseignements financiers parfois, mais Dieu merci rarement, manipulés par des administrateurs ou dirigeants de peu de scrupules il est clair que l'interprétation à donner à l'article 157 LCSA doit pencher en faveur d'une transmission de toute l'information financière reproduite aux états financiers provenant des filiales et sous-filiales d'une entreprise donnée lorsque leurs résultats sont consolidés dans leurs propres états financiers.
[37] Il faut comprendre que l'interprétation de l'article 157 recherchée par Power pourrait, bien malgré elle, bénéficier à des entreprises moins scrupuleuses qui pourraient faire porter certaines charges par leurs filiales ou sous-filiales que la consolidation ne reflèterait pas nécessairement. L'actionnaire n'aurait alors aucun moyen de s'en rendre compte et pourrait un jour risquer de voir son investissement sérieusement affecté par un événement prévisible pour les initiés mais imprévisible pour lui.
[38] D'ailleurs, toute la logique législative et réglementaire en matière d'états financiers est rédigée pour éviter de telles éventualités:
a) l'article 71 du Règlement sur les sociétés par actions de régime fédéral[9] prévoit que les états financiers dont parle la LCSA doivent être établis selon les PCGR canadiens ou américains selon le cas mais avec des notes afférentes explicatives lorsque les régimes canadiens et américains diffèrent;
b) les PCGR canadiens prévoient que[10]:
L'établissement des états financiers consolidés de la société mère et des filiales consiste à intégrer, ligne par ligne, les états financiers de ces sociétés (c'est-à-dire à additionner un par un les postes correspondants de l'actif, du passif, des produits et des charges), tout en éliminant les opérations inter-sociétés et les soldes réciproques et en tenant compte de la part des actionnaires sans contrôle (La part des actionnaires sans contrôle est la fraction des capitaux propres appartenant aux actionnaires qui ne détiennent pas la participation donnant le contrôle sur l'entreprise contrôlée. Dans les états financiers consolidés, il s'agit de la fraction des capitaux propres des filiales rattachée aux actions qui n'appartiennent ni à la société mère, ni à une autre filiale du groupe. La part des actionnaires sans contrôle peut, dans certains cas, être supérieure à 50%) des filiales. Les états financiers consolidés tiennent compte du fait que les diverses entités juridiques ne forment qu'une seule entité économique. Ces états se distinguent des états financiers individuels de la société mère et des filiales, ainsi que des états cumulés des filiales, à la fois par leur nature et par les circonstances qui justifient leur utilisation.
(Soulignements ajoutés)
[39] Selon les faits admis par les parties, la consolidation des états financiers de Power se fait en deux étapes. Tout d'abord, la consolidation des états financiers des filiales de Gesca Ltée se fait au niveau de Gesca. Ensuite, lorsque les états financiers de Gesca Ltée sont consolidés avec ceux de Power, ces derniers reflètent la consolidation de Gesca Ltée et de ses filiales comme s'il n'y avait eu qu'une seule opération de consolidation. Donc le lecteur des états financiers de Power y voit des résultats reflétant toutes les opérations comptables des filiales et des filiales des filiales.
[40] Les parties ont aussi reconnu que la consolidation en deux étapes donnait exactement le même résultat que si la consolidation n'avait été faite qu'en une seule étape.
[41] Il faut donc interpréter l'article 157 LCSA comme le suggère le MÉDAC et obligeant Power à conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales (incluant les filiales de ses filiales) ainsi que de chacune des personnes morales dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers (que ces comptes soient ceux d'une filiale, d'une filiale de filiale ou d'une autre personne morale) et à en permettre l'examen et la prise de copie par ses actionnaires, le tout sous réserve des limitations imposées par l'article 157 (3) LCSA.
[42] La requête pour jugement déclaratoire sera donc accueillie et les autres requêtes seront décidées en conséquence.
[43] PAR CES MOTIFS, le Tribunal:
[44] REJETTE la requête de la requérante Power Corporation du Canada en rejet d'une demande d'examen (N° 8).
[45] REJETTE le moyen d'irrecevabilité de l'intimée Yves Michaud pour absence de fondement juridique de la requête en rejet d'une demande d'examen (N° 22).
[46] REJETTE la requête pour jugement déclaratoire de la requérante Power Corporation Canada (N° 27).
[47] ACCUEILLE la demande reconventionnelle en jugement déclaratoire de l'intimée Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) ainsi qu'il suit:
[48] DÉCLARE que sous réserve expresse des droits de Power Corporation du Canada aux termes de l'article 157 (3) LCSA l'intimée, Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) a le droit de demander d'examiner les états financiers des sociétés suivantes:
ainsi que le droit de demander d'en tirer copie conformément aux dispositions des articles 157 (1) et (2) LCSA.
[49] RÉSERVE les droits des deux parties eu égard à l'examen et à la prise de copie des états financiers de:
a) 3859282 Canada Inc.
b) Septembre Éditeur s.e.n.c.
[50] Le tout FRAIS À SUIVRE le sort de la requête introductive d'instance pour émission d'une ordonnance d'interdiction d'examen, laquelle est continuée "Pro Forma" au 4 avril 2008 à 9h15 en Salle 16.12 pour dépôt d'un échéancier et suivi du dossier.
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__________________________________ ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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Me Luc Giroux Me Claude Morency FRASER MILNER CARGRAIN 1, Place Ville-Marie 39ième étage Montréal (Québec) H3B 4M7 (514)878-8800 (514)866-2241 FAX Pour Power Corporation du Canada
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Me Guy Paquette Me Philippe Charette PAQUETTE GADLER 300, Place d'Youville Bureau B-10 Montréal (Québec) H2Y 2B6 (514)849-0771 (514)849-4817 FAX Pour le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) |
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Date d’audience : |
Le 4 février 2008 |
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Power Corporation du Canada c. Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) |
2008 QCCS 801 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-11-029388-069 |
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DATE : |
Le 3 mars 2008 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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POWER CORPORATION DU CANADA |
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Requérante |
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c. |
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MOUVEMENT D'ÉDUCATION ET DE DÉFENSE DES ACTIONNAIRES (MÉDAC) |
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Intimée |
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-et- GESCA LTÉE -et- LE DIRECTEUR nommé en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions Mis en cause |
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JUGEMENT DE RECTIFICATION |
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[1] ATTENDU le jugement rendu le 29 février 2008.
[2] ATTENDU que le dit jugement contient une erreur matérielle.
[3] ATTENDU que le paragraphe [9] se lit comme suit:
[9] Michaud soumet donc une nouvelle demande à Power, recherchant cette fois le droit d'examiner les états financiers non seulement de Gesca Ltée mais des filiales de cette dernière, dont la liste est annexée au présent jugement. Cela amènera le dépôt d'une seconde requête recherchant la même ordonnance d'interdiction d'examen des états financiers tant de Gesca Ltée que de ses filiales. Cette seconde requête datée du 30 novembre 2006 porte le N° 500-11-029388-069 et constitue la requête introductive du présent dossier.
[4] ATTENDU que les mots dont la liste est annexée au présent jugement doivent être retranchés et que le dit paragraphe devrait se lire comme suit:
[9] Michaud soumet donc une nouvelle demande à Power, recherchant cette fois le droit d'examiner les états financiers non seulement de Gesca Ltée mais des filiales de cette dernière. Cela amènera le dépôt d'une seconde requête recherchant la même ordonnance d'interdiction d'examen des états financiers tant de Gesca Ltée que de ses filiales. Cette seconde requête datée du 30 novembre 2006 porte le N° 500-11-029388-069 et constitue la requête introductive du présent dossier.
[5] CONSIDÉRANT
l’article
[6] LE TRIBUNAL :
[7] RECTIFIE le jugement rendu sur procès-verbal le 29 février en conséquence.
[8] LE TOUT SANS FRAIS.
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__________________________________ ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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Me Luc Giroux Me Claude Morency FRASER MILNER CARGRAIN 1, Place Ville-Marie 39ième étage Montréal (Québec) H3B 4M7 (514)878-8800 (514)866-2241 FAX Pour Power Corporation du Canada
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Me Guy Paquette Me Philippe Charette PAQUETTE GADLER 300, Place d'Youville Bureau B-10 Montréal (Québec) H2Y 2B6 (514)849-0771 (514)849-4817 FAX Pour le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) |
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Power Corporation du Canada c. Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC) |
2008 QCCS 801 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-11-029388-069 |
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DATE : |
Le 29 février 2008 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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POWER CORPORATION DU CANADA |
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Requérante |
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c. |
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MOUVEMENT D'ÉDUCATION ET DE DÉFENSE DES ACTIONNAIRES (MÉDAC) |
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Intimée |
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-et- GESCA LTÉE -et- LE DIRECTEUR nommé en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions Mis en cause |
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JUGEMENT |
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INTRODUCTION
[1] Aux termes de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA), un actionnaire a le droit de consulter les états financiers de la société dont il est actionnaire. Mais qu'arrive-t-il lorsque la structure corporative de la société se complexifie pour y voir apparaître des filiales ou sous-filiales? Quelle est donc la limite des droits de l'actionnaire de consulter et de prendre copie des états financiers de la société? Son droit se limite-t-il aux seuls états financiers de la société dont il est actionnaire? Son droit s'étend-il aux résultats des autres entités juridiques contrôlées par la société en question?
[2] Le présente jugement répond en partie à ces questions.
HISTORIQUE FACTUEL ET PROCÉDURAL
[3] Power Corporation du Canada (Power) est une société internationale de gestion et de portefeuille qui détient des participations dans plusieurs sociétés dont les activités sont très diversifiées. Sa structure corporative démontre que Power contrôle plusieurs filiales dont l'une d'entre elles est Gesca Ltée (Voir P.1-13B). À son tour, Gesca Ltée contrôle plusieurs filiales et sous-filiales (Voir P.1-9B). Le présent débat ne porte non pas sur l'ensemble des filiales ou sous-filiales de Power mais seulement sur Gesca Ltée et sur ses filiales et sous-filiales.
[4] Monsieur Yves Michaud, homme politique et journaliste bien connu est le président du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC). Michaud et le MÉDAC sont tous deux actionnaires de Power.
[5] En date du 8 mai 2006,
Michaud s'adresse par téléphone à monsieur Edward Johnson, secrétaire de Power
et lui demande de consulter les états financiers de Gesca Ltée. Michaud
invoque alors son droit en vertu de l'article
[6] Le 11 mai 2006, lors de la tenue de l'assemblée annuelle des actionnaires de Power, Michaud réitère sa demande.
[7] Le 18 mai 2006, Power dépose une requête introductive d'instance invoquant les articles 157 (3) et 247 LCSA et qui recherche une ordonnance de cette Cour visant à interdire l'examen des états financiers de sa filiale Gesca Ltée. Cette requête porte le N° 500-11-028137-061.
[8] Or, tel qu'indiqué ci-haut Gesca Ltée est elle-même une société de portefeuille qui détient, par le biais de filiales, des intérêts dans plusieurs entreprises de presse dont La Presse (Montréal), Le Soleil (Québec), Le Nouvelliste (Trois-Rivières), Le Droit (Ottawa), La Tribune (Sherbrooke), Le Quotidien (Chicoutimi), La Voix de l'Est (Granby) et Le Progrès-Dimanche (Saguenay). Michaud et le MÉDAC s'intéressent spécifiquement à cet aspect de l'entreprise de Power.
[9] Michaud soumet donc une nouvelle demande à Power, recherchant cette fois le droit d'examiner les états financiers non seulement de Gesca Ltée mais des filiales de cette dernière, dont la liste est annexée au présent jugement. Cela amènera le dépôt d'une seconde requête recherchant la même ordonnance d'interdiction d'examen des états financiers tant de Gesca Ltée que de ses filiales. Cette seconde requête datée du 30 novembre 2006 porte le N° 500-11-029388-069 et constitue la requête introductive du présent dossier.
[10] Le 12 janvier 2007, Power demande le rejet pur et simple de la demande d'examen de Michaud au motif qu'à sa face même elle est incompatible avec le texte de l'article 157 LCSA (requête N° 8).
[11] Le 8 janvier 2008 Michaud invoque l'irrecevabilité de la requête (N° 8) en rejet de la demande d'examen au motif que l'article 157 LCSA oblige une société à conserver les états financiers de ses filiales à son siège social et permet expressément l'examen desdits états financiers par ses actionnaires (avis de dénonciation N° 22).
[12] Le 10 janvier 2008 les parties comparaissent une première fois devant le soussigné. Les procureurs de Power et de Gesca Ltée font alors valoir la nécessité de déterminer la portée intentionnelle de l'article 157 LCSA: cet article vise-t-il seulement les filiales de Power ou vise-t-il aussi les filiales de sa filiale Gesca Ltée? La question n'est pas sans importance pour la requérante qui devra éventuellement justifier les motifs de son refus de laisser Michaud examiner les états financiers de toutes les entités visées par l'article 157.1 LCSA. Cette preuve devra, selon elle, se faire par experts qui devront se pencher sur le seul cas de Gesca Ltée ou encore sur celui de Gesca Ltée et de ses filiales. Les coûts inhérents à une telle preuve pouvant être considérables, il importe donc à la requérante de faire déterminer cette question à l'avance.
[13] Le Tribunal a constaté, lors de l'audition du 10 janvier 2008, que les deux parties recherchaient non pas le rejet de la demande d'examen ou encore l'irrecevabilité de la demande de rejet, mais plutôt une requête pour jugement déclaratoire visant à préciser la portée de l'article 157 LCSA. Avec l'accord du Tribunal, les parties ont choisi de procéder ainsi:
k) Dans un premier temps, Michaud se retire du dossier et sera remplacé par le MÉDAC. Voir Avis de substitution d'une partie datée du 1er février 2008 (N° 32) produit de consentement.
l) Une requête en jugement déclaratoire est ensuite déposé par Power recherchant ce qui suit:
DÉCLARER que l'article 157 LCSA n'impose pas à la Société l'obligation de conserver et de donner accès, aux actionnaires qui en font la demande, aux états financiers des filiales et des personnes morales qui n'ont pas été utilisés par la Société aux fins de son exercice de consolidation prescrit par les principes comptables généralement reconnus;
DÉCLARER que le MÉDAC n'a pas le droit de demander d'examiner les états financiers de La Presse Ltée, Les Éditions La Presse (1989) Ltée, 3819787 Canada Inc., 3970965 Canada Inc., 3834310 Canada Inc., 3846521 Canada Inc., 3846539 Caada Inc., Les Journaux Trans-Canada (1996) Inc., Probec 5 Ltée, 3911322 Canada Inc., 3855082 Canada Inc., Cybepress Inc., Les Éditions Gesca Ltée, Septembre Éditeur s.e.n.c., Les productions La Presse Télé Ltée, La Presse Télé Ltée, La Presse Télé II Ltée, La Presse Télé III Ltée, Gesca Consultants Inc., La Presse Digitale Inc., 3859282 Canada Inc. et d'en tirer copie;
tel qu'il appert de ladite requête datée du 1er février 2008 (N° 27).
m) Afin de circonscrire le débat les parties déposent une stipulation conjointe des faits pertinents à la disposition de la requête pour jugement déclaratoire (N° 29). En l'absence d'autre preuve, cette stipulation établit ce qui suit et qui, pour les fins de la requête pour jugement déclaratoire, doivent être tenues pour avérés:
xiii) Aucune consolidation des comptes des filiales de Gesca Ltée ne se fait directement au niveau des états financiers de Power.
xiv) Power ne reçoit ni ne garde à son siège social copie des états financiers des filiales de Gesca Ltée.
xv) Les comptes de Gesca Ltée sont consolidés dans les états financiers de Power et les états financiers de Power sont préparés selon les principes comptables généralement reconnus (PCGR).
xvi) Cependant, avant que ses comptes ne soient ainsi consolidés, les états financiers de Gesca Ltée sont le résultat d'une consolidation de ses propres comptes et de ceux de ses filiales, préparés selon les PCGR.
xvii) Les filiales de Gesca Ltée dont les comptes sont ainsi consolidés sont celles qui sont énumérées en annexe au présent jugement sauf 3859282 Canada Inc. qui ne serait pas une filiale de Gesca Ltée.
xviii) Quant à Septembre Éditeur s.e.n.c. elle ne serait pas non plus une filiale de Gesca Ltée, mais la stipulation conjointe est silencieuse sur la question de la consolidation de ses comptes dans Gesca Ltée.
n) Insatisfaite de la manière dont les questions sont posées dans la requête N° 27, le MÉDAC dépose à son tour une demande reconventionnelle précisant que la question devrait se lire ainsi:
Sujet
à la question de l'applicabilité ou non des dispositions de l'article
tel qu'il appert de ladite demande reconventionnelle du 4 février 2008 (N° 33).
[14] Le Tribunal a donc entendu les parties sur leurs diverses demandes résultant des requêtes N° 8, 22, 27 et 33, le 4 février 2008.
LA QUESTION
[15] Quels sont les états financiers effectivement visés par l'article 157 LCSA? Cet article permet-il à un actionnaire de la société mère (en l'occurrence Power) de consulter et de prendre copie des états financiers de celle-ci et seulement des filiales dont les résultats sont consolidés dans ceux de la société-mère ou permet-il à ce même actionnaire d'examiner et de prendre copie des états financiers de toutes les sous-filiales d'une filiale donnée (en l'occurrence Gesca Ltée) dont les résultats sont d'abord consolidés dans ceux de la filiale et sous-filiale de la société-mère?
[16] La question n'est certes pas sans intérêt et pourrait effectivement avoir un impact important sur la suite du dossier. Chose certaine, si la requérante Power doit se limiter à prouver qu'elle a raison de limiter le MÉDAC à l'examen des résultats de sa filiale Gesca Ltée seulement, cela lui épargnera temps et argent. Si par contre, elle doit justifier sa position dans le cas des filiales de Gesca Ltée (elles-mêmes sous-filiales de Power), l'exercice sera d'autant plus long et coûteux.
[17] Les procureurs des parties ont effectué une recherche exhaustive de la jurisprudence sur l'interprétation de l'article 57 LCSA au Canada et plus spécifiquement au Québec.
[18]
La question soumise ne semble pas avoir été traitée d'où l'intérêt des
parties à faire trancher ce qui semble constituer une difficulté réelle
d'interprétation dudit article. En conséquence, le Tribunal considère que les
conditions essentielles de l'article
ANALYSE
[19] L'article 157 LCSA se lit comme suit:
57. (1) (États financiers consolidés) La société doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales et de chaque personne morale dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers.
(8) (Examen) Les actionnaires ainsi que leurs représentants personnels peuvent, sur demande, examiner gratuitement les états financiers visés au paragraphe (1) et en tirer copie pendant les heures normales d'ouverture des bureaux.
(9) (Interdiction) Le tribunal saisi d'une requête présentée par la société dans les quinze jours d'une demande d'examen faite en vertu du paragraphe (2) peut rendre toute ordonnance qu'il estime pertinente et, notamment, interdire l'examen, s'il est convaincu qu'il serait préjudiciable à la société ou à une filiale.
(10) (Avis au directeur) La société doit donner avis de toute requête présentée en vertu du paragraphe (3) au directeur et à toute personne qui demande l'examen prévu au paragraphe (2); ceux-ci peuvent comparaître en personne ou par ministère d'avocat.
(Soulignements ajoutés)
[20] La requête introductive en l'instance est celle qui est prévue à l'article 157 (3) LCSA.
[21] Pour répondre à la question posée, il s'agit d'identifier les éléments essentiels de l' article 157 (1) LCSA:
a) la société doit conserver …
b) … des états financiers …
c) … de ses filiales et personnes morales …
o) dont les comptes sont consolidés dans ses … propres états financiers …
[22] La lecture de cet article doit cependant être complétée par certaines définitions. Tout d'abord, celle du mot "filiale" que l'on retrouve à l'article 2 (5) LCSA:
(5) (Filiales) Une personne morale est la filiale d'une autre personne morale dans chacun des cas suivants:
a) elle est contrôlée:
i) soit par l'autre personne morale,
ii) soit par l'autre personne morale et une ou plusieurs personnes morales elles-mêmes contrôlées par cette autre personne morale,
iii) soit par des personnes morales elles-mêmes contrôlées par l'autre personne morale;
b) elle est la filiale d'une filiale de l'autre personne morale.
(Soulignement ajouté)
[23] Ainsi selon cette définition les filiales de Gesca Ltée, elle-même filiale de Power sont des filiales de Power et seraient visées par l'article 157 LCSA, dans la mesure où les comptes des filiales de Gesca Ltée se retrouvent consolidés dans les états financiers de Power.
[24] Que doit-on entendre par "personne morale" dans le contexte de l'article 157 LCSA ainsi que dans la définition du mot "filiale de l'article 2 (5)? Cette expression est ainsi définie à l'article 2 (1) LCSA:
2 (1) …
("Personne morale" "body …") "personne morale" Toute personne morale, y compris une compagnie, indépendamment de son lieu ou mode de constitution.
[25] On doit reconnaître que la définition de cette expression n'a rien de cartésien. Reprendre l'expression que l'on veut définir dans la définition elle-même n'aide pas à en saisir le sens. Néanmoins, on peut conclure que les "personnes morales" ici visées seront toutes les sociétés par actions dûment incorporées en vertu d'une loi autre que la LCSA, y compris les sociétés étrangères. C'est ce qu'il faut comprendre des mots … "indépendamment de son lieu ou mode de constitution".
[26] L'expression "personne morale" vise-t-elle d'autres entités juridiques que des sociétés incorporées en vertu de la LCSA ou en vertu d'autres lois canadiennes ou même étrangères? Par exemple, l'expression vise-t-elle d'autres entités qui ne sont pas des sociétés par actions mais qui bénéficient d'une personnalité juridique distincte de celle de leurs membres? La question est intéressante mais, de l'avis du Tribunal il n'est pas essentiel d'en traiter ici. En effet, deux conditions sont essentielles pour que l'actionnaire puisse avoir accès aux états financiers des sociétés ou entités visées: il faut dans un premier temps qu'il s'agisse d'une "filiale" au sens de la LCSA mais il faut aussi que les comptes de cette "filiale" fasse l'objet d'une consolidation.
[27] Or, les comptes de 3859282 Canada Inc. ne seraient pas consolidés si l'on se fie aux termes de la stipulation conjointe des faits versée au dossier. Au surplus, le rapport "CIDREQ" de cette compagnie indique que Gesca Ltée n'en est pas l'actionnaire principal. La preuve ne permet donc pas de conclure que 3859282 Canada Inc. est une "filiale" de Gesca Ltée dont les comptes sont consolidés dans ceux de Gesca Ltée ou de Power.
[28] La preuve ne révèle pas non plus que de manière concluante la Société Septembre Éditeur s.e.n.c. est une "personne morale" contrôlée par Gesca Ltée ni que ses comptes font l'objet d'une consolidation.
[29] En conséquence, le présent jugement ne visera pas ces deux entités la preuve n'étant ni concluante ni complète sur les deux principaux éléments qui doivent être établis en l'instance c'est-à-dire la notion de "filiale" et l'existence d'une consolidation de leurs comptes. Cependant les droits des parties seront réservés sur ces deux éléments qui pourrait faire l'objet d'une preuve plus exhaustive lors de l'audition de la requête introductive, si tant est que le MÉDAC persiste dans sa demande d'examen et que Power persiste dans sa demande d'ordonnance d'interdiction d'examen eu égard à ces deux entités.
[30] Dans le contexte du présent dossier (et sans extrapoler dans d'autres hypothèses) si l'on lit l'article 157 (1) LCSA en tenant compte des définitions précitées, il faut comprendre que la société (en l'occurrence Power) doit conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales, y compris les filiales de ses filiales dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers. Elle doit faire de même quant aux états financiers des autres "personnes morales" s'il en est dont les états financiers sont aussi consolidés dans ceux de sa filiale ou dans les siens. Cela apparaît clairement des textes législatifs précités[11].
[31] Lorsqu'une disposition statutaire est claire, point n'est besoin d'aller au delà de ce que le Législateur exprime. Le juge Iacobucci dans Ludco Enterprises Ltd.[12]:
La règle moderne en matière d'interprétation législative a été énoncée de manière succincte par E. . Driedger dans l'ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87:
(TRADUCTION) Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur …
C'est cet extrait qui "résume le
mieux" la méthode privilégiée aux fins d'interprétation d'une disposition
législative: Rizzo Shoes Ltd. (Re),
[32] Il est évident que lorsqu'on analyse les termes utilisés à l'article 157.1 LCSA dans leur contexte et en leur donnant leur sens ordinaire et grammatical, il faut conclure que le but recherché par le législateur ainsi que l'économie générale de la LCSA cherchent à informer l'actionnaire d'une société en lui donnant accès non seulement aux états financiers de cette dernière mais aussi à tous les états financiers de toutes les filiales, sous-filiales ou personnes morales dont les résultats sont consolidés dans ceux de la société dont l'actionnaire détient des actions.
[33] Autrement, l'actionnaire ne pourra jamais apprécier le risque qu'il prend en acceptant d'investir dans le capital-actions d'une société donnée. De plus, c'est la seule façon pour l'actionnaire de connaître la véritable nature des produits et des charges financières réellement supportées par la société dont il est actionnaire.
[34] Empêcher un actionnaire de consulter les états financiers des filiales ou sous-filiales dont les résultats sont consolidés dans les états financiers de la société en question conduirait à une aberration.
[35] Cela équivaudrait à dire à un actionnaire que les résultats qu'on lui communique ne peuvent même pas être soumis à un examen sommaire pour s'assurer, par exemple que l'ensemble des recettes, mais surtout des charges, dont la société mère hérite par le processus de consolidation, ont été adéquatement comptabilisés.
[36] En cette ère de communication de renseignements financiers parfois, mais Dieu merci rarement, manipulés par des administrateurs ou dirigeants de peu de scrupules il est clair que l'interprétation à donner à l'article 157 LCSA doit pencher en faveur d'une transmission de toute l'information financière reproduite aux états financiers provenant des filiales et sous-filiales d'une entreprise donnée lorsque leurs résultats sont consolidés dans leurs propres états financiers.
[37] Il faut comprendre que l'interprétation de l'article 157 recherchée par Power pourrait, bien malgré elle, bénéficier à des entreprises moins scrupuleuses qui pourraient faire porter certaines charges par leurs filiales ou sous-filiales que la consolidation ne reflèterait pas nécessairement. L'actionnaire n'aurait alors aucun moyen de s'en rendre compte et pourrait un jour risquer de voir son investissement sérieusement affecté par un événement prévisible pour les initiés mais imprévisible pour lui.
[38] D'ailleurs, toute la logique législative et réglementaire en matière d'états financiers est rédigée pour éviter de telles éventualités:
a) l'article 71 du Règlement sur les sociétés par actions de régime fédéral[14] prévoit que les états financiers dont parle la LCSA doivent être établis selon les PCGR canadiens ou américains selon le cas mais avec des notes afférentes explicatives lorsque les régimes canadiens et américains diffèrent;
b) les PCGR canadiens prévoient que[15]:
L'établissement des états financiers consolidés de la société mère et des filiales consiste à intégrer, ligne par ligne, les états financiers de ces sociétés (c'est-à-dire à additionner un par un les postes correspondants de l'actif, du passif, des produits et des charges), tout en éliminant les opérations inter-sociétés et les soldes réciproques et en tenant compte de la part des actionnaires sans contrôle (La part des actionnaires sans contrôle est la fraction des capitaux propres appartenant aux actionnaires qui ne détiennent pas la participation donnant le contrôle sur l'entreprise contrôlée. Dans les états financiers consolidés, il s'agit de la fraction des capitaux propres des filiales rattachée aux actions qui n'appartiennent ni à la société mère, ni à une autre filiale du groupe. La part des actionnaires sans contrôle peut, dans certains cas, être supérieure à 50%) des filiales. Les états financiers consolidés tiennent compte du fait que les diverses entités juridiques ne forment qu'une seule entité économique. Ces états se distinguent des états financiers individuels de la société mère et des filiales, ainsi que des états cumulés des filiales, à la fois par leur nature et par les circonstances qui justifient leur utilisation.
(Soulignements ajoutés)
[39] Selon les faits admis par les parties, la consolidation des états financiers de Power se fait en deux étapes. Tout d'abord, la consolidation des états financiers des filiales de Gesca Ltée se fait au niveau de Gesca. Ensuite, lorsque les états financiers de Gesca Ltée sont consolidés avec ceux de Power, ces derniers reflètent la consolidation de Gesca Ltée et de ses filiales comme s'il n'y avait eu qu'une seule opération de consolidation. Donc le lecteur des états financiers de Power y voit des résultats reflétant toutes les opérations comptables des filiales et des filiales des filiales.
[40] Les parties ont aussi reconnu que la consolidation en deux étapes donnait exactement le même résultat que si la consolidation n'avait été faite qu'en une seule étape.
[41] Il faut donc interpréter l'article 157 LCSA comme le suggère le MÉDAC et obligeant Power à conserver à son siège social un exemplaire des états financiers de chacune de ses filiales (incluant les filiales de ses filiales) ainsi que de chacune des personnes morales dont les comptes sont consolidés dans ses propres états financiers (que ces comptes soient ceux d'une filiale, d'une filiale de filiale ou d'une autre personne morale) et à en permettre l'examen et la prise de copie par ses actionnaires, le tout sous réserve des limitations imposées par l'article 157 (3) LCSA.
[42] La requête pour jugement déclaratoire sera donc accueillie et les autres requêtes seront décidées en conséquence.
[43] PAR CES MOTIFS, le Tribunal:
[44] REJETTE la requête de la requérante Power Corporation du Canada en rejet d'une demande d'examen (N° 8).
[45] REJETTE le moyen d'irrecevabilité de l'intimée Yves Michaud pour absence de fondement juridique de la requête en rejet d'une demande d'examen (N° 22).
[46] REJETTE la requête pour jugement déclaratoire de la requérante Power Corporation Canada (N° 27).
[47] ACCUEILLE la demande reconventionnelle en jugement déclaratoire de l'intimée Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) ainsi qu'il suit:
[48] DÉCLARE que sous réserve expresse des droits de Power Corporation du Canada aux termes de l'article 157 (3) LCSA l'intimée, Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) a le droit de demander d'examiner les états financiers des sociétés suivantes:
ainsi que le droit de demander d'en tirer copie conformément aux dispositions des articles 157 (1) et (2) LCSA.
[49] RÉSERVE les droits des deux parties eu égard à l'examen et à la prise de copie des états financiers de:
a) 3859282 Canada Inc.
b) Septembre Éditeur s.e.n.c.
[50] Le tout FRAIS À SUIVRE le sort de la requête introductive d'instance pour émission d'une ordonnance d'interdiction d'examen, laquelle est continuée "Pro Forma" au 4 avril 2008 à 9h15 en Salle 16.12 pour dépôt d'un échéancier et suivi du dossier.
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__________________________________ ROBERT MONGEON, J.C.S. |
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Me Luc Giroux Me Claude Morency FRASER MILNER CARGRAIN 1, Place Ville-Marie 39ième étage Montréal (Québec) H3B 4M7 (514)878-8800 (514)866-2241 FAX Pour Power Corporation du Canada
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Me Guy Paquette Me Philippe Charette PAQUETTE GADLER 300, Place d'Youville Bureau B-10 Montréal (Québec) H2Y 2B6 (514)849-0771 (514)849-4817 FAX Pour le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) |
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Date d’audience : |
Le 4 février 2008 |
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[1] Cela est vrai même si la notion de "personne morale" à l'article 2 (1) LCSA demeure encore ambiguë. Dans le présent cas, il n'est pas nécessaire de décider si la notion de "personne morale" s'applique à une société en nom collectif car la preuve ne révèle pas que les comptes de cette entité sont consolidés dans les états financiers de Gesca Ltée, puis de Power.
[2] Ludco Enterprises Ltd., Brian Ludmer, David Ludmer, and
Cindy Ludmer c. Her Majesty The Queen,
[3] Id, p. 1100.
[4] DORS 2001-512 tel que modifié par DORS 2003-317, DORS 2005-51 et DORS 2006-75.
[5] Manuel de l'ICCA édition courante, article 1600.03.
[6] Cela est vrai même si la notion de "personne morale" à l'article 2 (1) LCSA demeure encore ambiguë. Dans le présent cas, il n'est pas nécessaire de décider si la notion de "personne morale" s'applique à une société en nom collectif car la preuve ne révèle pas que les comptes de cette entité sont consolidés dans les états financiers de Gesca Ltée, puis de Power.
[7] Ludco Enterprises Ltd., Brian Ludmer, David Ludmer, and
Cindy Ludmer c. Her Majesty The Queen,
[8] Id, p. 1100.
[9] DORS 2001-512 tel que modifié par DORS 2003-317, DORS 2005-51 et DORS 2006-75.
[10] Manuel de l'ICCA édition courante, article 1600.03.
[11] Cela est vrai même si la notion de "personne morale" à l'article 2 (1) LCSA demeure encore ambiguë. Dans le présent cas, il n'est pas nécessaire de décider si la notion de "personne morale" s'applique à une société en nom collectif car la preuve ne révèle pas que les comptes de cette entité sont consolidés dans les états financiers de Gesca Ltée, puis de Power.
[12] Ludco Enterprises Ltd., Brian Ludmer, David Ludmer, and
Cindy Ludmer c. Her Majesty The Queen,
[13] Id, p. 1100.
[14] DORS 2001-512 tel que modifié par DORS 2003-317, DORS 2005-51 et DORS 2006-75.
[15] Manuel de l'ICCA édition courante, article 1600.03.