La Personelle, assurances générales inc. c. Lalonde | 2022 QCCS 1156 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
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CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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No : | 500-17-117540-214 | |||||
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DATE : | 7 avril 2022 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | MARTIN F. SHEEHAN, J.C.S. | ||||
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LA PERSONNELLE, ASSURANCES GÉNÉRALES INC. | ||||||
Demanderesse | ||||||
c. | ||||||
FRANÇOIS LALONDE | ||||||
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COMPAGNIE D'ASSURANCE TRADERS GÉNÉRALE | ||||||
Défendeurs | ||||||
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JUGEMENT sur demande de type Wellington (articles 2503 C.c.Q. et 49 C.p.c.) | ||||||
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[1] Le défendeur, monsieur François Lalonde, demande une ordonnance de type Wellington pour forcer son assureur, la Compagnie d’assurances Traders Générale (« Traders »), à le défendre à l’encontre du recours intenté contre lui par La Personelle, Asssurances Générales inc. (« La Personnelle »).
[2] Il demande également que Traders soit condamnée à lui rembourser les frais qu’il a assumés jusqu’ici pour se défendre.
[3] L’assureur plaide que les dommages réclamés par la demanderesse résultent des activités professionnelles de l’assuré, lesquels sont spécifiquement exclus de la couverture.
[4] En juillet 2018, monsieur Luc Gagné, assuré de La Personnelle, remet à monsieur Lalonde une batterie de vélo électrique qu’il lui demande de reconditionner. Monsieur Gagné récupère sa batterie le 5 août 2018 et constate que celle-ci ne fonctionne pas. Il retourne la batterie défectueuse à monsieur Lalonde qui la remplace par une autre.
[5] À son retour à la maison, monsieur Gagné place la batterie sur son chargeur.
[6] À 17 h 30 le 7 août 2018, la batterie explose causant un incendie et des dommages à l’immeuble de monsieur Gagné.
[7] Après avoir indemnisé son assuré, La Personnelle poursuit monsieur Lalonde et son assureur responsabilité Traders[1]. Elle allègue essentiellement que monsieur Lalonde est responsable des dommages en ce que :
7.1. Il a vendu à monsieur Gagné une batterie défectueuse et impropre à l’usage auquel elle était destinée;
7.2. Il n’a pas reconditionné la batterie selon les règles de l’art.
[8] Monsieur Lalonde fait appel à son assureur (pièces R-5 et R-7) qui refuse de le défendre au motif que la réclamation n’est pas couverte par sa police d’assurance. L’assureur plaide que les dommages résultent des activités professionnelles de l’assuré, lesquels sont spécifiquement exclus de la couverture.
[9] Les principes juridiques applicables à une requête de type Wellington sont bien documentés. Le soussigné reprend ici, avec quelques modifications, le résumé qu’il en a fait récemment[2].
[10] Les contrats d’assurance en responsabilité civile confèrent généralement à l’assuré deux avantages importants.
[11] D’une part, l’assureur s’engage à indemniser l’assuré pour les dommages auxquels celui-ci peut être condamné à la suite d’un recours en justice.
[12] D’autre part, l’assureur doit défendre l’assuré contre la réclamation elle-même si celle-ci peut potentiellement donner lieu à une condamnation couverte par la police d’assurance. Au Québec, cette deuxième obligation est d’ordre public relatif et l’assureur ne peut, sauf exception, y déroger[3].
[13] Il est maintenant bien acquis que l’obligation de défendre et l’obligation d’indemniser, bien que reliées, sont différentes et s’évaluent à des moments différents dans le processus de la réclamation.
[14] L’obligation de défendre est déclenchée par la réclamation elle-même et s’apprécie normalement avant le dépôt de la preuve. L’obligation d’indemniser s’évalue après le jugement ou le règlement, donc souvent après que la preuve ait été déposée et analysée.
[15] Dès lors, on mentionne souvent que l’obligation de défendre est plus large que l’obligation d’indemniser[4]. L’assureur ne devra défendre que si on allègue des actes ou des omissions auxquels la police peut répondre, alors qu’il y aura obligation d’indemniser seulement si ces allégations sont prouvées à l’audience[5].
[16] Ainsi, l’existence de l’obligation de défense est constatée sur la base des allégations de la demande[6]. Il n’est pas pertinent de savoir si les allégations contenues dans les actes de procédure sont vraies ou si elles pourront être prouvées[7]. Le tribunal ne doit pas tenir compte de la défense produite par l’assuré ni d’une déclaration de l’assuré niant les faits allégués puisqu’il ne revient pas à l’assuré d’enclencher l’obligation de défendre[8].
[17] De même, la Cour suprême du Canada précise qu’on ne peut pas plus laisser aux avocats du demandeur le soin de décider du sort de la couverture d’assurance. En ce sens, la Cour suprême a raffiné la portée de la règle. Pour confirmer l’étendue de l’obligation de défendre, le tribunal doit « aller au-delà de la terminologie choisie » par les avocats et tenir compte de « la substance » et de la « nature véritable » des allégations de la demande en leur donnant la portée la plus large possible[9]. Pour déterminer la « substance » et la « nature véritable » d’une réclamation, le tribunal peut aller au-delà des actes de procédure et prendre en considération des éléments de preuve extrinsèques pourvu que la preuve demeure sommaire. Il ne saurait être question de faire « un procès à l’intérieur d’un procès »[10].
[18] Par ailleurs, pour déclencher l’obligation de défendre, il n’est pas nécessaire d’établir que l’assureur aura effectivement l’obligation d’indemniser. « L’obligation de défendre ne dépend ni du fait que l’assuré soit réellement responsable ni du fait que l’assureur soit réellement tenu de l’indemniser. » « La seule possibilité qu’une réclamation relevant de la police puisse être accueillie suffit. »[11] Néanmoins, il faut éviter une « interprétation fantaisiste de la déclaration dans le seul but d’obliger l’assureur à opposer une défense »[12].
[19] Puisque l’obligation de défendre est une obligation de faire et qu’elle n’a de sens que si elle est exécutée au moment opportun, « [e]lle peut être exécutoire durant le procès sans que nécessairement, au terme de ce dernier, un jugement conclue que la garantie d’indemnisation était applicable »[13].
[20] Dès lors, la décision du tribunal sur l’obligation de défendre n’entraine aucune conclusion automatique sur l’obligation d’indemniser. Comme le souligne la Cour d’appel, il est possible que l’assureur soit forcé de défendre alors que, par la suite, la preuve sur le fond établisse que la responsabilité de l’assuré découle d’un événement exclu par la police d’assurance, libérant alors l’assureur de son obligation d’indemniser. Il peut également arriver qu’un assureur n’ait pas, au stade où on le lui demande, l’obligation de défendre parce qu’on allègue contre l’assuré une faute intentionnelle alors qu’il aura une obligation d’indemniser s’il est éventuellement démontré que le dommage résulte d’un accident[14].
[21] Analysant les principes qui précèdent, le juge Dalphond, dans une série de jugements[15], a identifié les quatre possibilités qui s’offrent au tribunal chargé d’évaluer une obligation de défense à un stade préliminaire :
21.1. Premièrement, si le juge conclut, après analyse des allégations et de la police, que les réclamations découlant des faits allégués, tenus pour avérés à cette étape, relèvent clairement de la protection, l’assureur doit alors défendre.
21.2. Deuxièmement, si le juge conclut, après analyse prima facie de la nature véritable des allégations et de la police, en leur donnant la portée la plus large possible, que les réclamations découlant des faits allégués, tenus pour avérés à cette étape, ne relèvent clairement pas de la couverture ou sont spécifiquement exclues par la police, l’assureur ne peut se voir alors contraint de défendre l’assuré.
21.3. Troisièmement, si l’exercice ne permet pas au juge d’en arriver à l’une ou l’autre des deux premières possibilités. Autrement dit, si les réclamations pourraient être couvertes par la police, mais le contraire demeure possible, l’assureur doit alors défendre l’assuré, car la seule possibilité que la réclamation soit couverte suffit.
21.4. Quatrièmement, si l’analyse mène à la conclusion que certaines des réclamations sont couvertes, mais que d’autres ne le sont pas, l’assureur a l’obligation de défendre que les réclamations couvertes et l’assuré devra voir à ses intérêts pour le reste.
[22] Aux fins de l’analyse, il faut examiner la police d’assurance en litige et procéder en trois étapes : i) déterminer la couverture; ii) identifier les exclusions; iii) valider si les exclusions comportent elles-mêmes des exceptions. L’assuré assume le fardeau de prouver que la perte relève de la protection initiale. Le fardeau de démontrer que la perte est exclue incombe à l’assureur et la preuve d’une exception à l’exclusion relève de l’assuré. L’application de l’exclusion doit être claire et sans équivoque faisant en sorte de sorte qu’il n’existe « aucune possibilité que [l’assureur] soit tenu d’indemniser l’assuré »[16].
[23] La police doit aussi être lue dans le respect des règles d’interprétation maintes fois énoncées par la Cour suprême[17] :
23.1. Lorsque le texte de la police n’est pas ambigu, le tribunal doit l’interpréter en donnant effet à son texte en considérant la police dans son ensemble.
23.2. Lorsque le libellé de la police d’assurance est ambigu, les tribunaux peuvent utiliser les règles générales d’interprétation des contrats. Ils doivent notamment :
23.2.1. Privilégier une interprétation conforme aux attentes raisonnables des parties.
23.2.2. Éviter une interprétation qui mène à un résultat irréaliste (par exemple, une interprétation qui permettrait à l’assureur de toucher une prime sans risque ou à l’assuré d’obtenir une indemnité qui ne pouvait être raisonnablement anticipée au moment de contracter).
23.2.3. Favoriser une interprétation uniforme des polices d’assurance dont le texte est semblable.
23.3. Lorsque les règles d’interprétation ne permettent pas de dissiper l’ambiguïté, celle-ci profite à l’assuré. Cela implique que « les dispositions concernant la protection reçoivent une interprétation large, et les clauses d’exclusion, une interprétation restrictive ».
[24] Le volet « responsabilité civile » de la police d’assurance émise par Traders[18] couvre « les conséquences financières de la Responsabilité civile qui peuvent vous incomber en raison de dommages […] causés involontairement à des tiers […] du fait de toute activité de votre vie privée […] »[19].
[25] Les dommages causés par des activités professionnelles sont spécifiquement exclus : « NOUS NE COUVRONS PAS les conséquences de vos activités professionnelles […] »[20]. Des exceptions s’appliquent notamment pour les dommages qui découlent : i) « d’activités qui, bien qu’exercées au cours d’activités professionnelles, sont quand même étrangères à celles-ci »; ou 2) « d’activités professionnelles temporaires ou à temps partiel de tout Assuré de moins de 21 ans et de tout élève ou étudiant couvert par le contrat d’assurance »[21].
[26] L’expression « Activité professionnelle » est définie comme étant[22] :
Toute activité qui fait l’objet d’une rémunération et qui est exercée de manière continue ou régulière, entre autres l’exploitation d’un commerce, un métier ou une profession libérale.
[27] S’appuyant sur un article récent[23], monsieur Lalonde plaide que, puisqu’une simple possibilité de couverture suffit pour enclencher l’obligation de défendre, les tribunaux doivent reporter à plus tard tout débat relativement à l’interprétation de certains termes, mots ou expressions contenus à la police d’assurance.
[28] Le Tribunal n’est pas prêt à aller jusque-là. On peut certainement envisager des cas où l’utilisation des règles d’interprétations susmentionnées permet de trancher, à un stade préliminaire, un débat sur l’interprétation d’une exclusion. Une fois le débat tranché sur l’interprétation, il pourrait s’avérer que l’application de l’exclusion soit claire et sans équivoque faisant en sorte qu’il n’existe aucune possibilité que l’assureur soit tenu d’indemniser son assuré.
[29] Par ailleurs, cette possibilité surviendra rarement lorsque l’application de l’exclusion demande de trancher une question factuelle qui est contestée.
[30] Or, il découle de la définition d’« activité professionnelle » énoncée à la police que, pour invoquer l’exclusion avec succès, Traders devra prouver que l’activité de son assuré qui consiste à reconditionner des batteries de vélo électrique : 1) « fait l’objet d’une rémunération »; et 2) « est exercée de manière continue ou régulière ». Ces questions sont intrinsèquement factuelles. La demande introductive d’instance de La Personnelle ne permet pas de les résoudre. Elle ne fait référence qu’à un seul incident. Elle ne fait aucune mention d’une activité continue ou régulière.
[31] Traders plaide que l’interrogatoire de trente pages du défendeur[24], produit au dossier, permet d’éliminer toute ambiguïté. Le Tribunal note en passant que l’interrogatoire de monsieur Lalonde a été tenu de consentement spécifiquement dans le cadre de la requête de type Wellington et que les deux parties y ont fait référence aux fins de leurs plaidoiries. Dans les circonstances, il n’apparait ni nécessaire ni opportun de trancher ici la question à savoir si l’utilisation d’un interrogatoire au préalable, respecte le caractère sommaire de la preuve extrinsèque permise à ce stade[25]. Le Tribunal réfère donc à l’interrogatoire sans conclure sur cette question.
[32] Monsieur Lalonde indique qu’en 2017, il a commencé à reconditionner des batteries électriques discontinuées d’abord pour des petits outils et ensuite pour des vélos. Initialement, la démarche vise à subvenir à ses besoins personnels. Par la suite, il fait le travail pour des amis. (p. 4, 12 et 13). Il estime avoir reconditionné environ dix batteries pour des outils (p. 13). En novembre 2017, il commence à travailler sur des batteries de vélos de type BionX après que le manufacturier ait cessé d’en assumer le service. Éventuellement, il met une annonce sur Kijiji. Il charge 380 $ ce qui représente environ 300 $ en pièces, 80 $ en temps et 20 $ de profit. Il en aurait reconditionné une trentaine. Le revenu n’est jamais déclaré. Il cesse le reconditionnement de batteries en juillet 2018 (p. 12 à 15). Dans son interrogatoire, il réfère à son activité comme un « passe-temps » (p. 19) ou un « hobby » (p. 28). Il mentionne avoir communiqué avec son assureur pour obtenir des informations sur la couverture reliée à son activité, mais indique que la conversation n’a pas eu de suite (p. 19, 20 et 28).
[33] Cet interrogatoire, à lui seul, ne permet pas de conclure, de façon claire et non équivoque, à l’application de l’exclusion.
[34] D’ailleurs, une revue de la jurisprudence qui traite de l’exclusion pour « activités professionnelles » révèle que, dans presque tous les cas, la décision quant à l’application de l’exclusion a requis une preuve au fond. Les jugements soumis par les parties, qui se prononcent sur des requêtes de type Wellington, ont tous ordonné à l’assureur de défendre.
[35] À titre d’exemple, dans Bédard c. Union canadienne[26], le juge Pronovost souligne que le tribunal doit vérifier « en vertu de la preuve qui lui a été soumise si les activités commerciales reprochées au demandeur rencontrent la définition contenue dans la police d’assurance »[27]. Or, après une analyse détaillée des témoignages rendus, notamment à l’égard du nombre d’incidents, le juge conclut à l’absence de preuve d’activité « continue et régulière »[28]. L’audience s’est déroulée sur une période de quatre jours.
[36] Dans Vallière c. L’Unique[29], la juge Morneau, également après une audience de quatre jours, conclut que les ventes en ligne de l’assuré sur le site E-Bay ne constituent pas une activité professionnelle. Elle décide ainsi nonobstant que les ventes se sont déroulées sur une période de cinq ans, ont impliqué près de 500 items et qu’elles ont rapporté à l’assuré un revenu appréciable.
[37] Dans Nolet c. Boisclair[30], la juge Tessier-Couture se penche sur l’application d’une exclusion visant les activités professionnelles. Elle décide que des travaux exercés pour un membre de la famille ne constituent pas une activité professionnelle même si l’assuré exécutait à l’occasion des travaux pour une entreprise opérée par sa conjointe et la conjointe de son beau-frère.
[38] Dans Desjardins Assurances générales inc. c. Nadeau[31], la juge De Vito retient l’application de l’exclusion pour activités professionnelles. Après une audience sur le fond, elle observe que l’assuré acceptait régulièrement et depuis plusieurs années de faire des travaux de plomberie pour des personnes qui sollicitaient ses services. Même si la rémunération qu’il en tirait était modeste, son activité « constituait en quelque sorte la prolongation de son métier de tuyauteur/plombier »[32].
[39] Dans Bassenden c. Belair Insurance Company Inc.[33], le juge Brossard, après cinq jours d’audience, conclut que l’assuré utilise sa résidence à des fins commerciales. La preuve révélait que l’assuré s’adonnait à la réparation de voitures sur sa propriété à la hauteur de dix heures par semaine avant de perdre son emploi et vingt heures par semaine par la suite.
[40] Dans Labelle c. Jivestudio inc.[34], le juge Collier accueille une demande de type Wellington et rejette l’argument de l’assureur à l’égard de l’exclusion pour activités professionnelles. Le juge note que l’assurée occupe un emploi à temps plein et qu’elle pratique la danse comme passe-temps, et ce, même si le studio lui paie une rémunération pour concevoir des chorégraphies et entrainer des danseurs[35]. Le juge note qu’« [i]l reviendra au juge du procès, après avoir entendu l’ensemble de la preuve, de déterminer dans quelle capacité madame Beaulieu-Pinard participait à la séance de danse le jour de l’accident ». D’ici là, puisque « les faits laissent entrevoir la possibilité que les dommages réclamés par les demandeurs soient couverts par la police », il ordonne à l’assureur de défendre l’assurée[36].
[41] Récemment, le juge Hardy s’est aussi penché sur la définition d’activités professionnelles « exercée de manière continue ou régulière » dans le cadre d’une requête de type Wellington présenté par un concierge d’immeuble[37]. Il observe qu’il existe un spectre de possibilités. D’un côté, il y a celui qui exploite une entreprise de conciergerie à temps plein (qui ne serait visiblement pas couvert par la police). De l’autre côté, il y a celui qui accepte d’effectuer quelques tâches pour le compte du propriétaire de l’immeuble qu’il habite en considération d’une faible rémunération qui prend parfois la forme d’une réduction de son loyer (lequel serait possiblement couvert par la police). Or, écrit-il, « [s]ans le bénéfice d’une preuve complète, il est impossible de positionner [l’assuré] sur ce spectre »[38].
[42] La même observation s’applique ici. Il n’appartient pas au Tribunal à ce stade de statuer sur le fond quant au droit de l’assureur d’invoquer l’exclusion pour activités professionnelles[39].
[43] Il suffit de constater que les causes qui précèdent font état de nombreuses considérations factuelles prises en compte par les tribunaux qui ont eu à appliquer de telles clauses. Par exemple, la fréquence de l’activité, le type de clients (famille, amis ou tiers), la présence ou non d’un emploi rémunérateur à temps plein, le lien entre l’emploi régulier de l’assuré et l’activité professionnelle reprochée, l’importance des revenus engendrés, etc. sont tous des facteurs soulevés par les juges qui ont eu à appliquer de l’exclusion en litige.
[44] Certes, l’interrogatoire du défendeur permet d’avoir une perspective limitée sur certains de ces aspects, mais il ne représente pas une preuve complète. D’ailleurs, l’interrogatoire incorpore par référence l’interrogatoire au préalable fait par l’avocate de la demanderesse qui lui n’a pas été déposé. Le Tribunal doit également tenir compte du fait que toutes les questions ont été posées par l’avocat de l’assureur. Aucune preuve en chef n’a été administrée.
[45] Dans les circonstances, il n’apparait pas clair et non équivoque que l’exclusion s’applique. Plutôt, il faut conclure, qu’après avoir entendu une preuve complète, il demeure possible qu’un tribunal conclue que la réclamation est couverte par la police.
[46] Entre-temps, l’assureur devra défendre son assuré.
[47] Quant à la demande de remboursement des honoraires, aucune preuve à l’égard des frais de défense engagés jusqu’à ce jour n’a été déposée. Les avocats des parties ont indiqué au Tribunal qu’une fois le jugement rendu, ils pourront départager les honoraires encourus par l’assuré pour se défendre. Le Tribunal se contentera donc de prendre acte de cet engagement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[48] ORDONNE à la mise-en-cause, Compagnie d’assurances Traders Générale, de prendre le fait et cause du défendeur, François Lalonde, et d’assumer les frais et honoraires reliés à cette défense;
[49] PREND ACTE de l’engagement des parties de discuter entre elles afin de départager les frais de défense qui ont été encourus jusqu’à ce jour.
[50] LE TOUT avec les frais de justice.
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| __________________________________ MARTIN F. SHEEHAN, J.C.S. | |
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Me Léa Barot-Brown | ||
Pelletier, D'Amours | ||
Avocate de la demanderesse | ||
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Me François Beauvais | ||
François Beauvais Avocat | ||
Avocat du défendeur François Lalonde | ||
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Me François-Pierre Laforest | ||
Bélanger, Sauvé s.e.n.c.r.l. | ||
Avocat de la défenderesse Compagnie d’assurances Traders Générale | ||
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Date d’audience : | 29 mars 2022 | |
[1] Pièce R-6. La poursuite a originalement été prise contre Aviva, compagnie d’assurance du Canada (« Aviva »), mais elle a été modifiée pour remplacer Aviva par Traders qui est le véritable assureur de monsieur Lalonde.
[2] Rodrigue c. Carrière, 2022 QCCS 582, par. 12 à 24.
[3] Art. 2414 et 2503 C.c.Q.
[4] Boréal Assurances inc. c. Réno-dépôt inc., [1996] R.J.Q. 46 (C.A.), par. 61 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 1996-10-10) 25158).
[5] Nichols v. American Home Assurance Co., [1990] 1 R.C.S. 801, p. 807; Hoyos c. Chubb Insurance Company of Canada, 2008 QCCA 1296, par. 19 à 22.
[6] Association des hôpitaux du Québec c. Fondation pour le cancer de la prostate, Centre hospitalier de l'Université Laval, [2000] R.R.A. 78 (C.A.), 2000 CanLII 6062 (QC CA), par. 26.
[7] Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard, 2010 CSC 33, par. 19.
[8] Fridhandler c. Fonds d'assurance responsabilité professionnelle du Barreau du Québec, [2002] R.R.A. 513 (C.S.), 2002 CanLII 33436 (QC CS), par. 36; Sébastien LANCTÔT, Le contrat d’assurance de dommages et le contrat de réassurance : sujets choisis, Montréal, LexisNexis, 2015, ch. 7, p. 196.
[9] Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard, préc., note 7, par. 19 et 20; Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., 2001 CSC 49, par. 28 à 35; Non-Marine Underwriters, Lloyd's of London c. Scalera, 2000 CSC 24, par. 50 à 52; Sansalone c. Wawanesa Mutual Insurance Co., 2000 CSC 25, par. 23.
[10] Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., préc., note 9, par. 36; Technologies CII inc. c. Société d'assurances générales Northbridge, 2016 QCCA 41, par. 6 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2016-06-09) 36897).
[11] Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard, préc., note 7, par. 19; Nichols v. American Home Assurance Company, préc., note 5, p. 808.
[12] Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., préc., note 9, par. 32.
[13] Technologies CII inc. c. Société d'assurances générales Northbridge, 2015 QCCA 1246, par. 9 (requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2016-06-09) 36897); Association des hôpitaux du Québec c. Fondation pour le cancer de la prostate, Centre hospitalier de l'Université Laval, préc., note 6, par. 26; Compagnie d'assurances Wellington c. M.E.C. Technologie inc., [1999] R.J.Q. 443 (C.A.).
[14] Hoyos c. Chubb Insurance Company of Canada, préc., note 5, par. 28 et 29.
[15] Kansa General International Insurance Co. Ltd. (Liquidation de), 2008 QCCA 807, par. 61 à 64; Compagnie canadienne d'assurances générales Lombard c. Roc-Teck Coatings Inc., 2007 QCCA 986, par. 25 à 28; Géodex inc. c. Zurich, compagnie d’assurances, 2006 QCCA 558, par. 31 à 35.
[16] Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, par. 52; Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard, préc., note 7, par. 51; Développement les Terrasses de l'Île inc. c. Intact, compagnie d'assurances, 2019 QCCA 1440, par. 35; Aldo Group Inc. c. Chubb Insurance Company of Canada, 2016 QCCA 554, par. 75; Syndicat des copropriétaires Le Crystal de la montagne c. Crystal de la montagne, s.e.c., 2016 QCCS 3218, par. 23 à 31.
[17] Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d'assurances générales Lombard, préc., note 7, par. 22 à 24; Jesuit Fathers of Upper Canada c. Cie d’assurance Guardian du Canada, 2006 CSC 21, par. 28; Non-Marine Underwriters, Lloyd's of London c. Scalera, préc., note 9, par. 70 et 71; Exportations Consolidated Bathurst c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888, p. 900 à 902.
[18] Pièce R-2.
[19] Pièce R-2, p. 23 « Garantie E- Responsabilité civile ».
[20] Pièce R-2, p. 26 : « EXCLUSIONS GÉNÉRALES », par. 1.
[21] Pièce R-2, p. 24 « 4) Activités professionnelles ».
[22] Pièce R-2, p. 13, « DÉFINITIONS », « Activités professionnelles ».
[23] Isabelle CASAVANT et Michèle BÉDARD, « La demande de type Wellington : tendances jurisprudentielles des six dernières années » dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en droit des assurances (2021), vol 505, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2021, p. 107 et 108.
[24] Interrogatoire au préalable de monsieur François Lalonde en date du 23 novembre 2021 par l’avocat de Traders.
[25] Monenco Ltd. c. Commonwealth Insurance Co., préc., note 9, par. 36; Technologies CII inc. c. Société d'assurances générales Northbridge, préc., note 10, par. 6.
[26] Bédard c. Union canadienne (L’), compagnie d’assurances, 2006 QCCS 4913.
[27] Id., par. 53
[28] Id., par. 77 à 86.
[29] Vallière c. Unique (L’), compagnie d'assurances, 2007 QCCS 4518 (règlement hors cour (C.A., 2007-12-17) 500-09-018084-079).
[30] Nolet c. Boisclair, 2007 QCCS 4417 (confirmé par la Cour d’appel, 2008 QCCA 2383).
[31] Desjardins Assurances générales inc. c. Nadeau, 2012 QCCS 4301 (appels principal et incident rejeté, 2014 QCCA 1878).
[32] Id., par. 45.
[33] Bassenden c. Belair Insurance Company Inc., 2014 QCCS 5072.
[34] Labelle c. Jivestudio inc., 2020 QCCS 3420.
[35] Id., par. 28
[36] Id., par. 30.
[37] Kamukato c. Gestion Immobilière Falco, 2021 QCCS 4177.
[38] Id., par. 81 à 83 et 97.
[39] Technologies CII inc. c. Société d'assurances générales Northbridge, préc., note 10, par. 6.
AVIS :
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