Décision

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Péladeau c. Placements Péladeau inc.

2015 QCCA 1724

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024212-144

(500-17-067757-115)

 

DATE :

21 octobre 2015

 

 

CORAM : LES HONORABLES

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

ANNE-MARIE PÉLADEAU

APPELANTE - Demanderesse

c.

 

LES PLACEMENTS PÉLADEAU INC.

INTIMÉE - Défenderesse

et

 

ÉRIK PÉLADEAU

PIERRE-KARL PÉLADEAU

SUCCESSION DE FEU PIERRE PÉLADEAU

MARIE-PIERRE PÉLADEAU

2327-7163 QUÉBEC INC.

TRUST ÉTERNA

MIS EN CAUSE - Mis en cause

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 6 janvier 2014, par la Cour supérieure du district de Montréal (l’honorable Chantal Corriveau), qui rejette sa requête pour jugement déclaratoire visant à faire déterminer l’obligation des parties de renégocier de bonne foi une nouvelle entente aux termes de l’article 8 du protocole signé le 22 août 2000.

[2]           Pour les motifs de la juge St-Pierre, auxquels souscrivent les juges Pelletier et Kasirer, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE  l’appel;

[4]           INFIRME le jugement entrepris;

[5]           ACCUEILLE en partie la requête pour jugement déclaratoire de l’appelante;

[6]           DÉCLARE que, dans les circonstances de l'espèce,  l'article 8 du protocole intervenu le 22 août 2000 oblige l’appelante, l’intimée et les mis en cause à renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente;

[7]           LE TOUT avec dépens contre l'intimée et les mis en cause, Érik Péladeau et Pierre-Karl Péladeau, tant en première instance qu'en appel.

 

 

 

 

FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A.

 

 

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

Me Philippe Hubert Trudel

TRUDEL & JOHNSTON

Me Guy Bertrand

GUY BERTRAND AVOCATS

Pour l’appelante

 

Me François Fontaine

Me Caroline Larouche

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA

Pour l’intimée, Érik Péladeau et Pierre-Karl Péladeau

 

Date d’audience :

30 avril 2015


 

 

MOTIFS DE LA JUGE ST-PIERRE

 

 

[8]           La conclusion de la juge voulant que les parties ne soient pas tenues de renégocier, malgré la clause 8 du protocole d’entente du 22 août 2000 (« le protocole »)[1], doit - elle donner lieu à une intervention de la Cour?

[9]           Appliquant la norme d’intervention de l’erreur manifeste et déterminante[2], je réponds affirmativement à cette question retenant que la Cour doit intervenir en raison d’un événement non prévu à ce protocole qui porte atteinte directement à son objet et à ses considérations et qui oblige les parties à renégocier.

[10]        Je m’explique.

Le contexte

[11]        L’appelante est la fille de feu Pierre Péladeau et la mère de la mise en cause Marie-Pierre Péladeau.

[12]        Depuis janvier 1993, l’appelante est sujette à une tutelle à la personne et aux biens ou à une tutelle aux biens seulement, selon les années.

[13]        En 1998, plusieurs différends l’opposent à l’intimée Placements Péladeau inc. (« PPI ») ainsi qu’à ses frères Pierre-Karl et Éric et à la succession de feu Pierre Péladeau (« la succession »), mais à la suite de négociations les parties conviennent d’un protocole d’entente, le 22 août 2000, aux termes duquel elles mettent fin à ces diverses poursuites.

[14]        Pour la suite de mon analyse, il y a lieu de reproduire les quelques extraits que voici de ce protocole :

ATTENDU que PPI a convenu de se porter acquéreur de tous les intérêts directs ou indirects d’Anne-Marie Péladeau dans PPI en considération d’une somme de cinquante cinq millions de dollars (55 000 000 $), en tenant compte de certains éléments d’actifs propriété de 2327, selon les termes et conditions ci-après stipulés;

[…]

Attendu QU’Anne-Marie Péladeau renonce à tous droits, redevances et autres avantages de quelque nature qu’ils soient lui résultant de toutes donations entre vifs faites du vivant de feu Pierre Péladeau en sa faveur et du testament de feu          Pierre Péladeau, sauf en ce qui a trait à ce qui en a été exécuté en sa faveur avant ce jour et sauf ce qui est nécessaire pour donner effet au présent Protocole et à l’Acte de Fiducie;

ATTENDU qu’il y a lieu de structurer la transaction de manière à sauvegarder les meilleurs intérêts d’Anne-Marie Péladeau et de sa fille Marie-Pierre Péladeau à tous égards comme ci-après stipulé :

EN CONSÉQUENCE, LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :

1.            Le préambule fait partie intégrante des présentes.

[…]

5.         PPI procédera à la conversion (décrite au paragraphe 17) de toutes les actions de son capital détenues par 2327 en cinquante mille six cent vingt-huit et cinq cent soixante-quatorze millièmes (50,628.574) actions privilégiées de son capital qu'elle s'engage à racheter en considération d'un prix de rachat de mille dollars (1 000 $) par action, soit pour un prix total de cinquante millions six cent vingt-huit mille cinq cent soixante-quatorze dollars (50,628,574 $), à raison de deux mille cent vingt-huit et cinq cent soixante-quatorze millièmes (2,128.574) actions pour un prix de deux millions cent vingt-huit mille cinq cent soixante-quatorze dollars (2,128,574 $), au plus tard vingt-cinq (25) jours après le dépôt du jugement à intervenir en rapport avec le présent protocole, le tout tel que prévu au paragraphe 19; le solde des actions à savoir quarante-huit mille cinq cents (48,500) actions sera racheté par PPI à compter du premier janvier 2001 chaque année à raison d'un nombre d'actions déterminé en fonction des dividendes versés par Québécor lnc. et correspondant

·             à 25 % de toute somme reçue au cours de l'année en question par PPI à titre de dividendes déclarés par Québécor lnc., sur la première tranche de huit millions de dollars (8 000 000 $); et

·             33 1/3 % de toute tranche de dividendes excédant huit millions de dollars (8 000 000 $);

étant entendu qu'à compter de l'année 2001 aucun paiement ne sera effectué pour une année donnée si les dividendes versés à PPI par Québécor Inc. au cours de cette année sont inférieurs à quatre millions deux cent mille dollars (4 200 000 $) et le tout sous réserve du respect des Lois corporatives en vigueur.

[…]

8.         Tout événement non prévu aux présentes qui pourrait porter atteinte, directement ou indirectement, à l’objet et aux considérations de la présente convention obligera les parties à renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente afin de maintenir les parties dans les mêmes droits et obligations que ceux ici consentis en autant qu’aucun préjudice y compris un déboursé (exclusion faite des honoraires professionnels reliés à la négociation susdite) qu’elles n’auraient pas autrement à faire en vertu des présentes, n’en résulte pour l’une ou l’autre des parties.

17.       […]

Les actions privilégiées Catégorie Y et les actions privilégiées Z (« les Actions ») comporteront entre autres droits et privilèges celui (sujet aux tests prévus à la Loi sur les Compagnies) d’être rachetables au gré de la compagnie mais non de l’actionnaire pour un prix de 1000 $ par action. Les actions seront non votantes et ne comporteront de droit à aucun dividende. […]

20.       […] En ce qui concerne la valeur des Actions décrites au paragraphe 17, elle correspondra à la valeur déterminée en vertu d’une évaluation préparée par Wise Blackman & Associés. […]

[…]

22.       Les transactions ci-dessus décrites seront complétées dans l’ordre et dans un délai maximum de vingt-cinq (25) jours du dépôt du jugement à intervenir en rapport avec le présent protocole et de plus, […]

[Soulignement ajouté]

[15]        En bref, moyennant une contrepartie totale de 55 millions de dollars, notamment payable par le rachat des actions privilégiées classes Y et Z qui résultent d’une conversion d’actions selon les modalités énoncées à la clause 5 précédemment reproduite (ces actions privilégiées de classes Y et Z étant non votantes et ne comportant aucun droit à des dividendes), l’appelante consent à la conversion immédiate des 180 actions ordinaires, des 8 532 724 actions privilégiées classe C, des 1 456 538 actions privilégiées classe D et des 21 276 568 actions privilégiées classe E-1 que sa compagnie de gestion (2327-7163 Québec inc.) détient dans le capital-actions de PPI.

[16]        Puisque l’appelante est sous tutelle, ce protocole doit être approuvé par le tribunal sur avis du conseil de tutelle éclairé d’une évaluation d’un expert (articles 208, 213, 214, 222, 233, 256, 257, 258, 266, 286, 1301, 1305 et 1315 C.c.Q.).

[17]        Ainsi, aux fins d’évaluer la juste valeur marchande des intérêts de l’appelante (des biens dont elle dispose aux termes de ce protocole), d’opiner quant au caractère juste et raisonnable des modalités d’exécution proposées et de convaincre le tribunal d’approuver le tout, les parties retiennent les services professionnels d’une firme de comptables agréés indépendants, la firme Wise, Blackman (« Wise Blackman »), d’un commun accord.

[18]        Wise Blackman rédige deux rapports :

Ø   Le premier, du 20 juillet 2000, portant sur la « [j]uste valeur marchande des 20 actions de 2327-7163 Québec inc. détenues par Mme Anne-Marie Péladeau au 31 mai 2000 » et dont la rubrique « 5. OPINION » est ainsi rédigée :

À notre avis, à la lumière des informations et documents étudiés, des explications qui nous ont été fournies, et compte tenu des hypothèses, restrictions et qualifications formulées dans les présentes, la juste valeur marchande des actions AMP, considérées globalement, à la date de l’évaluation, se situait entre 38 000 000 $ et 53 200 000 $ (soit 45 300 000 $ ― Annexe A), comme l’établit le présent rapport.

Ø   Le second, du 9 août 2000, portant sur l’ « [o]pinion sur le caractère juste et raisonnable de la contrepartie offerte à Madame Anne-Marie Péladeau », dont la conclusion est ainsi rédigée :

Conclusion

Sur la foi et sous réserve de ce qui précède, nous sommes d’avis qu’à la date des présentes la contrepartie est juste et raisonnable, d’un point de vue financier, à l’endroit de AMP.

[19]        Je reviendrai sur le contenu de ces deux rapports à la rubrique « [l]’analyse » des présents motifs, mais pour l’instant je précise simplement que les considérations de Wise Blackman, aux fins de l’élaboration de leur opinion sur le caractère juste et raisonnable de la contrepartie offerte à l’appelante, comprennent notamment les deux éléments suivants :

c)         l’historique de versement de dividendes de Quebecor et le fait que la société continue d’augmenter ses dividendes à l’égard des actions QBR.A et QBR.B, de 0,20$ par action en 1993 à 0,52$ par action à la date de l’évaluation;

d)         les 50 628,574 actions privilégiées de Placements émises à Nouco seraient vraisemblablement rachetées par Placements au plus tard quelque treize ans après la date des présentes, compte tenu du rachat annuel proposé (susmentionné), débutant le 1er janvier 2001;

[Soulignement ajouté]

[20]        Ces deux rapports sont déposés en preuve devant le tribunal qui, le 6 septembre 2000, approuve le protocole aux termes d’un jugement dont il y a lieu de reproduire les extraits que voici :

Considérant que la requête selon les articles 2 et suivants du Code de procédure civile et selon les articles 214, 232, 256 et 288 du Code civil du Québec n’est pas contestée;

Considérant la preuve produite au dossier, y inclus les rapports d’expertise;

LA COUR :

[…]

RATIFIE la signature du protocole R-1 et ses annexes par la requérante Anne-Marie Péladeau […];

PREND ACTE de la déclaration par les membres du conseil de tutelle à l’effet qu’ils considèrent le protocole R-1 et ses annexes dans le meilleur intérêt de la requérante Anne-Marie Péladeau;

DONNE ACTE du protocole R-1 et de ses annexes intervenu entre les parties;

DONNE ACTE également des désistements de toutes les procédures actuellement pendantes dans les dossiers en titre;

[…]

[Soulignement ajouté]

[21]        À la suite de la ratification de ce protocole et jusqu’au jugement dont appel (rendu le 6 janvier 2014), l’appelante reprend le contrôle de 4 371 426 $ représentant la valeur d’un portefeuille de placements que détient sa société de gestion 2327-7163 Québec inc. et reçoit, quant à la contrepartie de 55 millions de dollars pour ses actions converties, la somme de 3 829 574 $[3], comme suit :

Ø   2 128 574 $[4], représentant le rachat convenu de 2 128 574 actions privilégiées catégorie Y dans les 25 jours du dépôt du jugement entérinant le protocole, aux termes des articles 5 et 19 de ce dernier;

Ø   1 701 000 $ représentant le rachat d’actions, aux termes de l’article 5 du protocole, à la suite des dividendes versés par Québecor à l’intimée PPI en 2001.

[22]        En 2002 et 2003, Québecor ne verse pas de dividendes.

[23]        À compter de 2004, Québecor verse des dividendes à PPI, mais qui ne dépassent jamais, cependant, le seuil de 4,2 millions de dollars inscrit à l’article 5 du protocole bien que la profitabilité de Québecor soit soutenue et même supérieure, depuis 2008, à ce qu’elle était entre 1995 et 2000 (années prises en compte par Wise Blackman).

[24]        L’appelante patiente, mais non sans signaler son insatisfaction quant au déroulement des choses.

[25]        En mars 2011, alors que près de dix années se sont écoulées depuis sa signature, elle invite formellement PPI et les mis en cause à renégocier aux termes de l’article 8 du protocole, mais sans succès.

[26]        Le 13 septembre 2011, confrontée à leur refus catégorique, elle introduit un recours en jugement déclaratoire afin de les y contraindre.

[27]        Le 6 janvier 2014, et bien que l’appelante n’ait rien reçu d’autre que ce qui a été versé en 2000 et 2001 pour la vente de l’ensemble de ses intérêts dans PPI en 2000 (rien reçu pendant plus de treize ans), la juge rejette son recours.

Le jugement dont appel

[28]        D’entrée de jeu, la juge campe le recours entrepris en ces termes :

[1]        La demanderesse, madame Anne-Marie Péladeau (« Mme Péladeau »), présente au Tribunal une requête en jugement déclaratoire afin de forcer la défenderesse à renégocier les termes d’un Protocole de règlement signé à Montréal, le 22 août 2000 (le « Protocole »).  Elle allègue que des circonstances particulières justifient le recours à l’article 8 du Protocole qui prévoit qu’en cas de situation imprévisible, les parties doivent le renégocier.

[29]        Citant au passage le mot-à-mot des articles 5 et 8 du protocole, et notant qu’il a été ratifié par un jugement de sa collègue la juge Carol Cohen le 6 septembre 2000, elle en dresse l’historique.

[30]        Au sujet de la position de PPI et des mis en cause quant à l’obligation de renégocier, elle écrit qu’ils estiment que les conditions de l’article 8 du protocole ne sont pas satisfaites puisque, « [s]elon eux, les déclarations de dividendes annuels de Québécor inférieurs à 4 200 000 $ ne constituent pas un fait imprévisible », mais « plutôt d’une condition spécifiquement prévue au Protocole, sur laquelle ils n’exercent aucun contrôle, les dividendes annuels de Québécor étant décidés par le conseil d’administration de cette société publique. »

[31]        Au sujet de la preuve administrée par l’appelante quant à l’obligation de renégocier, la juge la dit « fort limitée », se référant simplement aux affirmations de l’appelante et de sa fille voulant qu’elles aient tenté de convaincre PPI et les mis en cause de le faire, mais en vain, convaincues qu’elles devraient avoir déjà tout reçu puisque les actions devaient être rachetées sur une période de 13 ans selon l’opinion exprimée par Wise Blackman.


[32]        Quant à la preuve administrée par PPI et les mis en cause, la juge écrit :

[25]      Les avocats de PPI et messieurs Péladeau ont fait entendre M. Pierre Laurin, un des membres du conseil d’administration de Québécor depuis 1991.

[26]      Monsieur Laurin est membre du comité de vérification de 1993 à 2009 et de 2011 jusqu’à ce jour.  De plus, il est président du comité de gouvernance.

[27]      Le comité de vérification a la responsabilité d’examiner les états financiers préparés par les vérificateurs externes afin d’en proposer l’adoption par le conseil d’administration.  C’est aussi le comité de vérification qui présente et appuie les recommandations de paiement de dividendes.

[28]      Dans le cas de Québécor, il existe une diminution des montants de dividendes annuels déclarés depuis 2001, y compris l’absence de dividendes pour certaines années.  Cette situation est motivée par une volonté de laisser suffisamment de fonds disponibles pour que Québécor puisse faire face à ses obligations, tout en souhaitant répondre aux attentes des actionnaires.

[29]      Ainsi, au chapitre des dépenses en capital, Québécor a dû faire des investissements importants depuis l’acquisition de Vidéotron afin de conserver, voire accroître sa position sur le marché du sans-fil.

[30]      Monsieur Laurin reconnaît que les bénéfices nets de Québécor ont augmenté depuis 2000 à la suite de l’achat de Vidéotron, exception faite des années pendant lesquelles Québécor a été confrontée aux importantes difficultés financières de Quebecor World.

[31]      Il maintient toutefois que les niveaux de dividendes annuels déclarés ont été déterminés pour répondre aux meilleurs intérêts des actionnaires de Québécor.

[Reproduit tel quel]

[33]        Après avoir commenté les conclusions recherchées, notamment deux d’entre elles qui, à son avis, ne participent pas d’un recours en jugement déclaratoire, la juge énonce quatre questions en litige : (1) Mme Péladeau peut-elle intenter le présent recours? (2) Le protocole doit-il être renégocié? (3) Le recours est-il prescrit? (4) La requête en rejet doit-elle être accueillie?

[34]        Aux paragraphes 44 et 45 de son jugement, elle répond positivement à la première question en ces termes :

[44]      Mme Péladeau peut intenter des procédures seule depuis la levée de la tutelle à sa personne.  Le Tribunal ne croit pas que le recours entrepris soit à caractère patrimonial.  Mme Péladeau ne devait pas être représentée lorsqu’elle a entrepris le présent recours.

[45]      De toute façon, même si le Tribunal avait conclu au caractère patrimonial du recours, le Trust Eterna était une partie dès l’institution de la procédure et a donné son accord à la démarche entreprise même si cela s’est fait tardivement, Mme Péladeau peut donc se pourvoir devant le Tribunal avec le présent recours.

[35]        Son raisonnement quant à la seconde question, aux termes duquel elle conclut que « les conditions prévues à l’article 8 du Protocole ne sont pas remplies », se trouve aux paragraphes 46 à 60 du jugement qu’il convient de reproduire intégralement :

[46]      La preuve est nettement insuffisante pour conclure à l'existence d'un « événement non prévu » tel que le prévoit l'article 8 du Protocole.

[47]      Cette preuve se résume en effet à de très brefs témoignages de Mme Péladeau et de sa fille, Marie-Pierre.

[48]      Messieurs Péladeau n’ont pas témoigné.

[49]      Les articles 1425 C.c.Q. et suivants nous enseignent qu’en matière d’interprétation des contrats, l’on doit s’attarder à l’intention des parties davantage qu’aux mots utilisés.

[50]      Or, il n’y a pas eu véritablement de preuve de l’intention des parties concernant la conclusion du Protocole.

[51]      Les termes utilisés dans le Protocole en ce qui concerne le rachat des actions de Mme Péladeau sont clairement énoncés; le rachat des actions de cette dernière dans PPI se fera de façon annuelle pourvu que Québécor déclare des dividendes annuels de 4 200 000 $ ou plus.  Cette condition se retrouve dans deux extraits de l'article 5.

[52]      Il est dès lors difficile de soutenir que le non-versement de dividende d’un montant égal ou supérieur à 4 200 000 $ depuis 2002 est un événement imprévisible ou inattendu.

[53]      De plus, le rachat des actions n’est assujetti à aucune limite de temps.

[54]      La preuve à l’audience ne laisse de plus aucun doute quant à l’absence d’implication personnelle de messieurs Péladeau dans le processus suivi par Québécor en ce qui concerne la déclaration de dividendes annuels.

[55]      D’ailleurs à l’audience, l’avocat de Mme Péladeau a rayé une allégation contenue au paragraphe 27 de la requête en jugement déclaratoire qui affirme que Pierre-Karl Péladeau, a joué un rôle en lien avec les reproches de cette dernière.

[56]      Québécor est une société publique et son conseil d’administration tient compte de la recommandation du président de son comité de vérification en ce qui a trait au montant de la déclaration du dividende annuel, le cas échéant.

[57]      En 2000, l’expert conjoint des parties a déclaré dans une lettre qui a suivi son rapport d’évaluation des actions de Mme Péladeau dans PPI que selon l’historique des déclarations de dividendes, toutes les actions de Mme Péladeau seraient vraisemblablement rachetées dans un délai de 13 ans.

[58]      La vraisemblance de la survenance d'un événement dans un délai ne signifie pas que cet événement doive survenir à l’intérieur de cette période.

[59]      Les parties devaient comprendre qu'il est possible que cet événement ne survienne pas nécessairement dès l'écoulement du délai de 13 ans.

[60]      Ainsi donc, même si la thèse de Mme Péladeau était retenue par le Tribunal, ce qui n'est pas le cas, son recours serait prématuré parce qu'intenté dès l'écoulement du délai de 13 ans.

[Reproduit tel quel, mais référence omise]

[36]        Finalement, elle écarte l’argument de la prescription comme non pertinent en l’espèce et conclut au rejet de la requête en rejet, devenue sans objet, « vu le sort de la requête en jugement déclaratoire ».

L’analyse

[37]        Les circonstances qui ont entouré la conclusion du protocole ne peuvent être ignorées, de sorte qu’une approche contextuelle s’impose en l’espèce : non seulement ces circonstances constituent-elles un guide utile dans la recherche de l’intention des parties, mais elles permettent de plus d’en déduire l’interprétation la plus conforme[5].


[38]        Comme l’écrit la Cour dans Rouge Resto-bar inc. c. Zoom Média inc. :

[78]      L’essentiel de l’exercice d’interprétation des contrats ne consiste pas tant à scruter les mots du texte, mais à saisir une réalité, celle de « l’intention commune des parties ».

[79]      Bien sûr le texte est le premier et le plus important outil d’interprétation des contrats, mais, à mon avis, il ne faut jamais se coller au texte et faire abstraction du contexte. […][6]

[Soulignement ajouté]

[39]        Ainsi analysés, les faits du dossier n’autorisent qu’une seule conclusion raisonnable qu’il y a lieu de privilégier[7] : personne n’a envisagé, lors de la signature ou de la ratification du protocole, l’absence récurrente de dividendes suffisants (au-delà d’une somme annuelle de 4 200 000 $), de sorte que 13 années plus tard l’appelante n’a toujours rien perçu de son dû ou presque, malgré l’amélioration significative de la situation économique et des résultats financiers de Québecor en cours de route.

[40]        Alors qu’un régime de protection est en place au bénéfice de l’appelante et alors que le protocole comporte, en quelque sorte, l’aliénation d’un bien dont la valeur excède 25 000 $, autre que des valeurs cotées et négociées à une bourse reconnue suivant les dispositions relatives aux placements sûrs, la transaction ne peut aller de l’avant sans l’obtention d’une évaluation d’un expert qui en confirme l’à-propos dans l’intérêt de la personne protégée et le respect de ses droits (art. 214 C.c.Q.). En effet, la loi impose au tuteur, au conseil de tutelle et au juge à qui la transaction projetée doit être présentée, de conclure de la sorte avant de l’avaliser ou de l’autoriser, selon le cas.

[41]        Qu’ont donc en main, au moment d’avaliser ou d’autoriser la transaction projetée, le tuteur, le conseil de tutelle et la juge (madame la juge Carol Cohen)?

[42]        Ils ont deux rapports de Wise Blackman (évaluateurs d’entreprises, consultants en litige financier), soit un rapport du 20 juillet 2000 et une opinion du 9 août 2000.


Ø   Dans le rapport du 20 juillet 2000, Wise Blackman énonce ainsi le mandat reçu et exécuté, sa mission : « donner un avis quant à la juste valeur marchande, à la date de l’évaluation, des actions AMP relativement à la transaction. » [Soulignement ajouté]

Ø   Dans celui du 9 août 2000, Wise Blackman exprime son opinion à titre de comptables agréés et indépendants ayant une grande expérience en évaluation d’entreprises et de valeurs mobilières, quant au caractère juste et raisonnable, d’un point de vue financier, de la contrepartie offerte par PPI pour les intérêts directs ou indirects de l’appelante. On y précise que cette opinion doit être lue de concert avec l’avis du 20 juillet 2000 qui s’y trouve intégré d’ailleurs par renvoi.

[43]        Et que disent ces rapports?

[44]        D’abord, que la juste valeur marchande recherchée se définit ainsi :

Le prix le plus élevé, exprimé en termes monétaires ou d’équivalents monétaires, pouvant être convenu entre deux parties prudentes et compétentes n’ayant aucun lien de dépendance et agissant en toute liberté et en pleine connaissance de cause dans un marché libre où la concurrence peut s’exercer sans restriction et en toute équité pour les deux parties.

[…] Notre estimation porte sur la «valeur intrinsèque» des actions, que nous définissons comme une valeur théorique devant prévaloir, compte tenu des taux de rendement exigés par les acquéreurs éventuels, des conditions économiques et commerciales existant à ce moment, mais sans égard aux avantages synergiques possibles ni aux avantages stratégiques postérieurs à l’acquisition qui, vraisemblablement, pourraient revenir à des degrés divers à des acquéreurs sans lien de dépendance.

Cette valeur intrinsèque équivaut à une valeur au comptant exprimée en dollars canadiens qui est aussi établie en fonction des résultats prévisibles de Quebecor, à la date de l’évaluation, et ne tient pas compte des modalités de financement concernant la transaction.

[Soulignement ajouté]

[45]        Ensuite, que cette juste valeur marchande des actions de l’appelante, au 31 mai 2000 (soit leur valeur au comptant à cette date, sans tenir compte des modalités de financement), se situe entre 38 000 000 $ et 53 200 000 $, l’ensemble des données prises en compte étant résumées, comme suit, à l’annexe A du rapport :


Annexe A

2327-7163 QUÉBEC INC.

JUSTE VALEUR MARCHANDE DES ACTIONS AMP

AU 31 MAI 2000

SOMMAIRE

 

 

FOURCHETTE (en milliers)

 

Haut

Moyenne

Bas

Juste valeur marchande des actions AMP, en bloc, avant les escomptes suivants

(Annexe A-1)

 

126 680 $

126 680 $

126 680 $

MOINS: escompte pour participation minoritaire (voir la section 22.1)

 

 

 

 

• 30 %

(38 000)

 

 

35 %

 

(44 340)

 

40 %

 

 

(50,700)

 

________

________

_______

Juste valeur marchande des actions AMP (non liquides)

 

88,680

82 340

75 980

MOINS: escompte pour manque de liquidité (voir la section 22.2)

 

 

 

 

• 40 %

(35 470)

 

 

• 45 %

 

(37 050)

 

• 50 %

 

 

(37 990)

 

________

________

_______

Juste valeur marchande des actions AMP (non liquides)

53 210

 

45 290

37 990

 

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JUSTE VALEUR MARCHANDE DES ACTIONS AMP ARRONDIE

53 200 $

45 300 $

38 000 $ 

 


[46]        De plus, que le cours du marché des actions est stable depuis des années, que Wise Blackman n’est au courant d’aucune information qui, si elle était communiquée, serait raisonnablement censée affecter le cours du marché des actions et qu’ « [i]l est improbable qu’il se produise un changement notable chez Quebecor ou ses filiales dans un avenir prévisible, dont ne tient pas compte le cours du marché; ».

[47]        Enfin, que pour conclure au caractère juste et raisonnable de la contrepartie (de ce qui est prévu au protocole), l’opinion étant subordonnée à l’intégralité et à l’exactitude des renseignements et des données communiqués à tous égards importants, Wise Blackman s’est fondée, entre autres, sur les informations, hypothèses et considérations que voici :

Ø   le contenu du protocole;

Ø   les renseignements et les conclusions de son rapport d’évaluation du 20 juillet 2000 sous réserve des hypothèses et des restrictions qui y figurent;

Ø   l’historique de versement des dividendes et des taux de croissance des dividendes des actions émises de Québecor  (dividendes en progression constante passant de 0,20 $ par action en 1993 à 0,52 $ par action au 30 mai 2000);

Ø   une analyse au moyen de ratios sur le bénéfice, la liquidité et l’endettement de Québecor;

Ø   les considérations voulant que :

o     Québecor versera chaque année des dividendes à PPI, d’au moins 4,2 millions de dollars, du 1er janvier 2001 jusqu’au rachat de l’ensemble des 50 628 574 actions privilégiées du capital-actions de PPI émises à l’appelante;

o     les dividendes annuels de Québecor augmenteront annuellement à un taux jugé approprié à la lumière des taux de croissance historiques des dividendes de Québecor ainsi que de la conjecture commerciale et des conditions des marchés prévalant alors;

o     les 50 628 574 actions privilégiées de PPI émises à l’appelante seraient vraisemblablement rachetées par PPI au plus tard dans les treize ans suivant le 9 août 2000, compte tenu du rachat annuel proposé au protocole, débutant le 1er janvier 2001.

[48]        Une contrepartie de 55 millions de dollars payée par un rachat d’actions au fil des années, mais vraisemblablement entièrement acquittée au plus tard le 9 août 2013 : voilà, en bref, la contrepartie juste et raisonnable selon l’expert, que l’appelante accepte pour la vente immédiate de l’ensemble de ses intérêts dans PPI, que le tuteur et le conseil de tutelle avalisent et que la juge Cohen autorise.

[49]        Comment penser que l’appelante, le tuteur, le conseil de tutelle ou la juge autorisateur aient pu prévoir, imaginer, envisager, entrevoir, voir en esprit, pronostiquer ou connaître et annoncer comme devant être ou susceptible de se produire[8] une situation aux termes de laquelle, 13 années plus tard, l’appelante n’aurait presque rien reçu? Comment imaginer qu’un protocole susceptible de donner un tel résultat, qu’un protocole intégrant un tel « événement prévu », ait eu la moindre chance d’être accepté, avalisé et autorisé?

[50]        Poser les questions, c’est y répondre.

[51]        Jamais n’a-t-on pensé que plus de 90 % de ces 55 millions de dollars (du prix de vente de biens appartenant à l’appelante) ne serait toujours pas versé 13 ans plus tard. Voilà, certes, un « événement non prévu  aux présentes », qui porte manifestement atteinte à l’objet et aux considérations du protocole alors que ce dernier est et doit être inéluctablement structuré de manière à sauvegarder les meilleurs intérêts de l’appelante et de sa fille[9].

[52]        Selon l’intimée et les mis en cause Péladeau, subséquemment à août 2000, Québecor a changé de philosophie en matière de versement de dividendes. Puisqu’un tel changement n’était pas imprévisible, à leur avis, l’appelante ne peut prendre appui sur la clause 8 du protocole pour les forcer à renégocier.

[53]        Je ne partage pas ce point de vue.

[54]        Ce qui déclenche l’obligation de renégocier de l’article 8 du protocole, c’est la survenance d’un événement non prévu à ce protocole et non pas « une situation imprévisible » ou « un fait imprévisible » comme le plaident l’intimée et les mis en cause ou comme l’énonce la juge de première instance aux paragraphes 1 et 15 de son jugement.

[55]        Lorsqu’elle assimile l’expression « non prévu aux présentes » à « imprévisible », la juge commet une erreur manifeste et déterminante, car ces deux expressions se distinguent nettement l’une de l’autre et ne sont pas des synonymes.

[56]        Dans Droit de la famille ― 141364, sous la plume de mon collègue le juge Nicholas Kasirer, la Cour illustre éloquemment la différence entre ces deux expressions :

[56]      Précisons d'abord que le critère pertinent en l'espèce n'est pas la prévisibilité de la mise à la retraite dans l'abstrait, mais plutôt la question de savoir si la baisse des revenus de l'intimé associée à cet événement a été prévue au moment de l'homologation de l'entente par la Cour supérieure en 2009. Comme l’explique le professeur Rollie Thompson, il faut faire porter l’analyse sur ce qui a été prévu (« foreseen ») dans l’ordonnance alimentaire initiale :

Foreseen vs. Foreseeable

The trouble started from a confusion of "foreseen" and "foreseeable." Not only are these two different words, but also in support law these words reflect different concepts […].

When we speak of a change being "unforeseen", we mean that the change was not "foreseen" in the previous order, i.e. the change was not considered or taken into account in making the previous order. The concept looks backwards to the previous order. […]

A good example of the effects of this confusion is retirement. It is "foreseeable" that most of us will retire. If "foreseeability" is the test for variation, then the payor's retirement would not be a material change. But that's not the test: the test is whether retirement was "foreseen", i.e. taken into account, in the previous order.[10]

[Soulignement et italique dans l’original, référence omise]

[57]        Il est manifeste que le protocole signé en 2000 ne prévoit pas que plus de 90 % du prix d’achat du bien vendu par l’appelante ne sera toujours pas payé 13 ans plus tard.

[58]        En raison notamment du contenu des rapports de Wise Blackman, impossible de retenir que l’appelante et sa fille ont envisagé une telle éventualité[11]. D’ailleurs, ni PPI, ni Érik Péladeau, ni Pierre-Karl Péladeau ne se sont fait entendre pour soutenir le contraire.

[59]        C’est donc une preuve claire et non contredite qui permet de conclure qu’un changement de philosophie quant aux dividendes chez Québecor, ayant pour résultat une inexécution de l’obligation de rachat à plus de 90 %, 13 années plus tard (un non-paiement du prix de vente dans une proportion de plus de 90 %), n’a pas traversé l’esprit de l’appelante, d’autant plus qu’elle transige avec l’actionnaire de contrôle de cette entreprise.

[60]        Ainsi, quand la juge affirme, aux paragraphes 46 et 50 de son jugement, que « [l]a preuve est nettement insuffisante pour conclure à l’existence d’un "événement non prévu" et qu’ « il n’y a pas eu véritablement de preuve de l’intention des parties concernant la conclusion du Protocole », elle commet des erreurs manifestes dont le « caractère évident et flagrant se dégage avec netteté du réexamen de la partie pertinente de la preuve[12] ». Une conclusion différente s’impose nécessairement à l’esprit. Ces erreurs sont déterminantes puisqu’elles « prive[nt] le jugement entrepris d’une assise nécessaire en fait, faussant ainsi le dispositif de la décision rendue en première instance et commandant réformation de ce dispositif pour cette raison[13] ».

[61]        Affirmer que la « preuve se résume en effet à de très brefs témoignages », comme le fait la juge au paragraphe 47 de son jugement, ajoute à l’erreur manifeste et déterminante, car c’est faire fi du contenu des rapports de Wise Blackman. Ceux-ci, pourtant mis en preuve, sont au cœur de l’approbation du protocole par les personnes chargées de protéger le meilleur intérêt de l’appelante (tuteur et conseil de tutelle) et de l’autorisation judicaire accordée. Je rappelle trois considérations piliers de l’avis exprimé par l’expert commun des parties (Wise Blackman) voulant que la contrepartie de 55 millions de dollars prévue au protocole soit juste et raisonnable :

Ø   Québecor versera chaque année des dividendes à PPI, d’au moins 4,2 millions de dollars, du 1er janvier 2001 jusqu’au rachat de l’ensemble des 50 628 574 actions privilégiées du capital-actions de PPI émises à l’appelante;


Ø   les dividendes annuels de Québecor augmenteront annuellement à un taux jugé approprié à la lumière des taux de croissance historiques des dividendes de Quebecor ainsi que de la conjecture commerciale et des conditions des marchés prévalant alors;

Ø   les 50 628 574 actions privilégiées de PPI émises à l’appelante seraient vraisemblablement rachetées par PPI au plus tard dans les 13 ans suivant le 9 août 2000, compte tenu du rachat annuel proposé au protocole, débutant le 1er janvier 2001.

[62]        Ainsi, tenant compte de l’ensemble de la preuve au dossier, je ne m’explique pas le résultat auquel la juge aboutit.

[63]        Le protocole prévoit le paiement du prix de vente par voie de rachat chaque année, à compter du 1er janvier 2001. Le nombre d’actions à racheter est déterminé en fonction des dividendes versés par Québecor, étant entendu qu’aucun paiement ne sera effectué pour une année donnée si les dividendes versés à PPI pour cette année sont inférieurs à 4,2 millions de dollars, une situation peu probable (d’exception) compte tenu de l’historique de Québecor en matière de déclaration et de versement de dividendes. Ainsi, la norme c’est un paiement partiel du prix de vente chaque année jusqu’à parfait paiement.

[64]        Avoir envisagé une situation d’exception pour une année donnée ne permet pas d’affirmer, comme le fait la juge au paragraphe 52 de son jugement, que le non-paiement systématique pendant plus de 13 années a été « un événement prévu » au protocole malgré la situation financière de Québecor améliorée au fil des années.

[65]        Il me paraît manifeste que les parties ont tenu le rachat des actions pour certain au moment de conclure le protocole, selon l’attente légitime voulant que ce rachat serait complété dans un délai maximum vraisemblable de 13 ans selon les hypothèses et considérations de l’expert commun (Wise Blackman).

[66]        Si on omet de prendre en compte les rapports de Wise Blackman auxquels se réfère pourtant spécifiquement la juge Cohen qui l’autorise, le protocole ne comporte pas, effectivement, de période limite pour l’exécution du rachat d’actions par PPI. Je ne peux donc affirmer que la juge commet une erreur de fait lorsqu’elle le constate au paragraphe 53 de son jugement. Il en va autrement, par ailleurs, de l’usage qu’elle fait de ce constat, soit de conclure à « l’événement prévu », aux termes de l’article 8 du protocole, malgré la preuve que PPI n’a rien exécuté de son obligation de rachat des actions (non votantes et ne donnant droit à aucun dividende) émises à l’appelante pendant plus de 13 ans, tout en ayant pleinement profité de l’obligation corrélative, soit de la cession immédiate en sa faveur d’actions avec droit de vote et participantes depuis août 2000.

[67]        Quant au paragraphe 54 du jugement dont appel, j’estime devoir le préciser. Si le témoignage de l’un des membres du conseil d’administration de Québecor, lequel siège également au comité de vérification, et une admission de l’appelante justifient une affirmation d’absence d’intervention directe des mis en cause Pierre-Karl et Éric Péladeau dans le processus de déclaration de dividendes de Québecor, il ne faut tout de même pas ignorer que ceux et celles qui interviennent directement à cet égard (membres du comité de vérification et du conseil d’administration) le font en s’assurant « de répondre aux attentes des actionnaires » et de « satisfaire le mieux possible l’attente des actionnaires », notamment de tout actionnaire de contrôle pour qui l’accroissement de l’avoir des actionnaires est susceptible de présenter plus d’intérêt qu’un retour immédiat sur l’investissement par le versement de dividendes.

[68]        Enfin, si les propositions mises en avant par la juge aux paragraphes 58 et 59 de son jugement (soit que la vraisemblance de la survenance d’un événement dans un délai ne signifie pas que cet événement doive survenir à l’intérieur de cette période et qu’il faille comprendre qu’il soit possible que l’événement ne survienne pas nécessairement à l’intérieur de la période), sont acceptables à première vue, il en va autrement de la conséquence qu’elle en tire voulant que, 13 années plus tard, une absence de paiement de près de 90 % de la contrepartie convenue soit un événement prévu au protocole privant l’appelante de son droit d’obliger l’intimée et les mis en cause à renégocier de bonne foi alors que la situation de profitabilité de Québecor est meilleure au fil des ans qu’elle ne l’était au moment de la signature du protocole.

[69]        Ainsi, il y a lieu à mon avis de faire droit à l’appel et de déclarer que l’intimée et les mis en cause ont l’obligation de renégocier de bonne foi les termes d’une nouvelle entente.

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 



[1]     Péladeau c. Placements Péladeau inc., 2014 QCCS 10.

[2]     Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33; Compagnie de chemin de fer du littoral nord de Québec et du Labrador inc. c. Sodexho Québec ltée, J.E. 2011-95 (C.A.), 2010 QCCA 2408, paragr. 142, 143 et 211, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2011-09-08), 34129; P.L. c. Benchetrit, J.E. 2010-1600 (C.A.), [2010] R.J.Q. 1853 (C.A.), 2010 QCCA 1505, paragr. 24; Régie de gestion des matières résiduelles de la Mauricie c. Serres du St-Laurent inc., J.E. 2013-1751 (C.A.), 2013 QCCA 1607, paragr. 64; Société en commandite de Copenhague c. Corporation Corbec, J.E. 2014-470 (C.A.), 2014 QCCA 439, paragr. 23; René Corriveau & Fils inc. c. 9201-0958 Québec inc., J.E. 2014-1783 (C.A.), 2014 QCCA 1765, paragr. 10.

[3]     Il se peut qu’il faille plutôt lire 3 829 246 $ ou 3 829 346 $, car dans le jugement entrepris, au paragraphe 3, la juge décrit les rachats pour l’année 2000 comme suit, à sa note 1 « [u]n montant de 2 128 246 $ a été versé en rachat d’actions le 16 octobre 2000. Le 27 octobre 2000, une somme de 100 $ a été payée en rachat d’actions provenant d’une autre entité » alors que l’intimée et les mis en cause écrivent au paragraphe 16 de leur mémoire : « [c]onformément à l’article 5 du Protocole, l’Intimée a procédé au rachat initial d’actions privilégiées de catégorie Y en octobre 2000 pour un montant s’élevant à deux millions cent vingt-huit mille deux cent quarante-six dollars (2 128 246 $) puis, à des rachats subséquents d’actions entre octobre 2000 et septembre 2001 pour un montant total d’un million sept cent un mille dollars (1 701 000 $) ». Je ne suis pas en mesure de vérifier le tout puisque la pièce P-3 qui reproduit les paiements effectués n’a pas été reproduite par les parties dans le dossier d’appel.

[4]     Voir note précédente : alors il faudrait ici lire 2 128 246 $ ou 2 128 346 $.

[5]     Art. 1426 C.c.Q. Baudouin, Jean-Louis, Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, p. 488-490, 500-501. Voir aussi : Didier Lluelles et Benoit Moore, Droit des obligations, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2012, n° 1594, p. 879.

[6]     Rouge Resto-bar inc. c. Zoom Média inc., J.E. 2013-526 (C.A.), 2013 QCCA 443.

[7]     Exportations Consolidated Bathurst c. Mutual Boiler, [1980] 1 R.C.S. 888, 901-902; Compagnie de chemin de fer du littoral nord de Québec et du Labrador inc. c. Sodexho Québec ltée, J.E. 2011-95 (C.A.), 2010 QCCA 2408, paragr. 80, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2011-09-08), 34129 et Transport LFL inc. c. Syndicat national du transport routier, unité de transport LFL (CSN), J.E. 2008-1877 (C.A.), 2008 QCCA 1725, paragr. 23.

[8]     Synonymes de « prévu » : Hubert Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, Montréal, Wilson & Lafleur; voir également article « prévisible », Le Petit Robert de la langue française 2013, version 3.6 [Logiciel], Paris et Dictionnaire Le Robert, 2013; articles « prévisible » et « prévu », Antidote RX, version 8 [Logiciel], Montréal, Druide informatique, 2008.

[9]     Le préambule du protocole comporte effectivement ce qui suit : « ATTENDU qu’il y a lieu de structurer la transaction de manière à sauvegarder les meilleurs intérêts d’Anne-Marie Péladeau et de sa fille Marie-Pierre Péladeau à tous égards comme ci-après stipulé; ».

[10]    Droit de la famille — 141364, J.E. 2014-1073 (C.A,), 2014 QCCA 1144, paragr. 56, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2014-12-04), 36031.

[11]    L’auteur y affirme d’ailleurs avoir effectué des analyses et enquêtes estimées appropriées et avoir eu, notamment, des entrevues avec les conseillers juridiques des intimés Éric et Pierre-Karl Péladeau.

[12]    Regroupement des CHSLD Christ-Roy (Centre hospitalier, soins longue durée) c. Comité provincial des malades, J.E. 2007-1595 (C.A.), 2007 QCCA 1068, paragr. 55.

[13]    Regroupement des CHSLD Christ-Roy (Centre hospitalier, soins longue durée) c. Comité provincial des malades, J.E. 2007-1595 (C.A.), 2007 QCCA 1068, paragr. 55.

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