Décision

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Jacques c. Pétroles Therrien inc.

2015 QCCS 6072

 

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

 

Nº :

200-06-000102-080

 

DATE :

17 décembre 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

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SIMON JACQUES

MARCEL LAFONTAINE

ASSOCIATION POUR LA PROTECTION AUTOMOBILE

 

Demandeurs

 

c.

 

LES PÉTROLES THERRIEN INC. ET AL

 

Défendeurs

 

 

 

JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE EN REJET DES RAPPORTS D’EXPERTISE DU PROFESSEUR « X » DU 12 NOVEMBRE 2014 ET DU 20 JUILLET 2015

______________________________________________________________________

 

[1]       Les demandeurs, MM. Simon Jacques, Marcel Lafontaine et l’Association pour la protection automobile présentent une requête aux termes de laquelle ils concluent :

« REJETER le rapport d’expertise du professeur (« X ») du 12 novembre 2014 R-2 et le rapport réponse du professeur (« X ») du 20 juillet 2015 R-4;

JG 1744

 
Subsidiairement, RÉSERVER le droit des demandeurs de s’objecter et de requérir le rejet des expertises du professeur (« X ») lors de l’audition au mérite;»


Le contexte

[2]       Malgré que la question de l’évaluation du montant des dommages, indépendamment du volet de la responsabilité, semble avoir été une grande préoccupation depuis le début du déroulement de l’instance, aucune entente entre les parties ou directive du tribunal au sujet des expertises et plus particulièrement du nombre d’experts n’a disposé de cet aspect du dossier.

[3]       Cela a fait en sorte qu’à la suite de la communication des rapports des experts en demande et en défense, les défendeurs ont mandaté un second expert, le professeur (« X ») qui a lui aussi communiqué un rapport dont les demandeurs en réclament aujourd’hui le rejet.

[4]       Selon les allégations de la requête, la situation est la suivante[1] :

[5]       L’expert des demandeurs (« C ») a complété un premier rapport d’expertise le 30 mars 2012; l’expert indique qu’il avait mandat de procéder à une expertise pour répondre aux quatre (4) questions suivantes[2] :

a)        Did price fixing occur in the cities of Magog, Sherbrooke, Thetford Mines, and Victoriaville?

b)        How did the cartels in these four cities operate?

c)         Over what period did the cartels in these four cities operate?

d)        What were the direct monetary damages causes by the cartels in these four cities?

[6]       L’expert des défendeurs (« S ») a complété un premier rapport le 31 octobre 2012. Prenant comme hypothèse que différents éléments du fardeau de preuve des demandeurs avaient été rencontrés, l’expert (« S ») précise qu’elle avait pour mandat de répondre aux questions suivantes[3] :

a)        What is the quantum of damages that results from the alleged conduct in the cities of Magog, Sherbrooke, Thetford Mines, and Victoriaville?

b)        Do the monetary damages estimated by the Plaintiffs’ expert (« C ») in his report dated March 30, 2012 provide a reliable estimate of the quantum of damages from the alleged conduct?

[7]       L’expert des demandeurs (« C ») a répondu à ce rapport de l’expert des défendeurs (« S ») le 15 octobre 2013.

[8]       L’expert des défendeurs (« S ») a répliqué à la réponse de l’expert des demandeurs (« C ») le 11 novembre 2014. Elle exprime son opinion au sujet des deux (2)  questions suivantes[4] :

a)    What explains the large differences in the quantum of damages between the (« S ») Report and the (« C ») Counter-Expertise?

b)    Given the (« C ») Counter-Expertise, are there any changes to the quantum of damages that I previously estimated in the (« S ») Report?

[9]       Le second expert mandaté par les défendeurs, le professeur (« X »), a commenté les rapports de l’expert des demandeurs (« C ») et ceux de l’expert des défendeurs (« S »). Le rapport de ce deuxième expert des défendeurs (« X ») est daté du 12 novembre 2014 (pièce R-2);

[10]    Dans ce rapport, l’expert (« X ») écrit :

« I have been asked to act as an independent expert witness in the analysis of the damage estimates made in the Class Action. Specifically, I have been asked to assume liability and to review and comment on the damages analyses presented in reports filed by Plaintiff’s expert (…) (an initial report and rebuttal report) and Defendants’ expert (…) (also an initial report and rebuttal report). I understand that I may be called as an expert to testify in the legal proceedings.»[5]

[11]    L’expert des demandeurs (« C ») a répondu au rapport du deuxième expert des défendeurs (« X »), le 18 juin 2015.

[12]    Le premier expert des défendeurs (« S ») a produit une réponse au rapport du 18 juin 2015 de l’expert des demandeurs (« C »), le 20 juillet 2015.

[13]    Le deuxième expert des défendeurs (« X ») a répliqué à la réponse de l’expert des demandeurs (« C »), également le 20 juillet 2015 (pièce R-4).

[14]    À la suite d’une ordonnance de la Cour prononcée le 10 avril 2015, rectifiée le 28 avril 2015, ces experts se sont rencontrés les 29 et 30 juillet 2015, rencontre au terme de laquelle ils ont complété un « joint expert report » daté du 9 octobre 2015[6].

[15]    Les demandeurs demandent le rejet des deux rapports (pièces R-2 et R-4) du second expert des défendeurs (« X »), essentiellement aux motifs que ces rapports « ne comportent pas d’analyse spécifique des éléments factuels du présent dossier et se limitent à discréditer les méthodologies et conclusions de l’expert des demandeurs par rapport aux méthodologies et conclusions de l’expert des défendeurs »[7].

[16]    Les demandeurs mentionnent que le rôle de déterminer la valeur probante à accorder à la méthodologie et aux conclusions de chacun des experts appartient au juge, rôle que les rapports R-2 et R-4 de l’expert « X » usurpent.

ANALYSE ET DÉCISION

[17]    Le Code de procédure civile qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016 résume maintenant en peu de mots ce qui a été écrit à maintes reprises concernant le rôle de l’expert.

[18]    En effet, l’article 22 précise que : « L'expert […] a pour mission […] d'éclairer le tribunal dans sa prise de décision. Cette mission prime les intérêts des parties

[19]    L’article précise que « L’expert doit accomplir sa mission avec objectivité, impartialité et rigueur »[8].

[20]    Et, l’article 231 C.p.c. ajoute que « L’expertise a pour but d’éclairer le tribunal et de l’aider dans l’appréciation de la preuve en faisant appel à une personne compétente dans la discipline ou la matière concernée[9]

[21]    Il est clair qu’il revient au tribunal de décider s’il retient ou non, en tout ou en partie, l’une ou l’autre des expertises qui lui sont présentées dans une discipline ou une matière particulière qui ne résulte pas de la seule analyse de la preuve factuelle ou qui n’est pas de connaissance judiciaire.

[22]    Aussi, le tribunal peut arriver à sa propre conclusion à la suite des connaissances et de l’information qu’il peut puiser à même les rapports et l’analyse que les experts ont faite.

[23]    Bref, ce n’est pas le nombre d’expertises que lui présentent l’une et l’autre des parties qui doit guider le tribunal dans la prise de sa décision. C’est l’enseignement et l’information qu’elles contiennent, ainsi que l’analyse qui en est faite, eu égard à l’ensemble de la preuve, qui conduira le tribunal à ses propres conclusions.

[24]    Il n’est pas inutile de rappeler que la preuve d’expert, tout comme la preuve factuelle, doivent être analysées, la mission de l’expert étant uniquement d’éclairer le tribunal dans la prise de sa décision.

[25]    Il ne saurait donc être question pour un expert, de quelque discipline que ce soit, d’usurper le rôle du tribunal.

[26]    Si tel était l’objectif poursuivi, le rapport d’expertise ne serait tout simplement pas retenu, ce qui peut être fait même après le témoignage de l’expert.

[27]    CONSIDÉRANT que les procureurs des demandeurs précisent dans leur requête qu’ils avaient l’intention de soulever cette question lors de l’instruction[10];

[28]    CONSIDÉRANT que c’est à la suite des interventions des procureurs des défendeurs que la question de l’admissibilité des rapports de l’expert (« X ») a été fixée pour audition, plutôt que d’être reportée à l’instruction[11];

[29]    CONSIDÉRANT que le professeur « X » a participé à une rencontre des experts et à l’élaboration d’un rapport conjoint à la suite de l’ordonnance du 10 avril 2015, rectifiée le 28 avril 2015;

[30]    CONSIDÉRANT que les observations soulevées par les demandeurs pourront l’être à nouveau, le cas échéant, à la suite de la présentation de la preuve des experts;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[31]    REJETTE la requête en rejet des rapports d’expertise du professeur (« X ») du 12 novembre 2014 (R-2) et 20 juillet 2015 (R-4);

[32]    RÉSERVE aux demandeurs le droit de présenter à nouveau leur argumentation à l’égard des rapports R-2 et R-4 du professeur (« X ») lors de l’instruction;


 

[33]    Frais à suivre.

 

 

__________________________________

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

 

Pour les demandeurs

Me Claudia Lalancette

Me Nicolas Guimond

Bernier Beaudry

 

Me Guy Paquette

Me Élaine Yi

M. William St-Cyr, stagiaire

Paquette Gadler inc.

 

Pour les défendeurs

Me Louis P. Bélanger

Stikeman Elliott

et en représentations pour Arnault, Thibault Cléroux et Me Roxane Hardy

 

Me Pascale Cloutier

Miller Thomson

 

Me Billy Katelanos

Gowlings Lafleur

 

Me Élizabeth Meloche

Me Sylvain Lussier

Olser Hoskin & Hartcourt

et en représentations pour Me Donald Béchard (DeBlois avocats)

 

Me Éric Vallières

McMillan S.E.N.C.R.L.

 

Me Anne Merminod

Borden Ladner Gervais

 

Me Julie Chenette

Chenette, boutique de litige inc.

 

Me Louis-Martin O’Neill

Me Pierre-Luc Cloutier

Davies Ward Phillips & Vineberg

et en représentations pour les avocats Morin & Associés inc., Pateras & Iezzoni inc. et Me Louis Belleau

 

Me Daniel O’Brien

Me Jean-François Paré

O’Brien

 

Me Sébastien Caron

LCM Avocats inc.

 

Me Michel C. Chabot

Gravel Bernier Vaillancourt

 

Me Jo-Anne Demers

Clyde & Cie Canada

 

 



[1] Étant donné l’ordonnance de confidentialité, les noms des experts ne sont pas mentionnés.

[2] Requête, paragraphe 6

[3] Requête, paragraphe 7

[4] Requête, paragraphe 9

[5] Requête, paragraphe 10

[6] 413.1 Lorsque les parties ont chacune communiqué un rapport d'expertise, le tribunal peut, en tout état de cause, même d'office, ordonner aux experts qui ont préparé des rapports contradictoires de se réunir, en présence des parties ou des procureurs qui souhaitent y participer, afin de concilier leurs opinions, de déterminer les points qui les opposent et de lui faire rapport ainsi qu'aux parties dans le délai qu'il fixe.

[7] Requête, paragraphe 17

[8] 22. L'expert dont les services ont été retenus par l'une des parties ou qui leur est commun ou qui est commis par le tribunal a pour mission, qu'il agisse dans une affaire contentieuse ou non contentieuse, d'éclairer le tribunal dans sa prise de décision. Cette mission prime les intérêts des parties.

          L'expert doit accomplir sa mission avec objectivité, impartialité et rigueur.

[9] 231. L'expertise a pour but d'éclairer le tribunal et de l'aider dans l'appréciation d'une preuve en faisant appel à une personne compétente dans la discipline ou la matière concernée.

          L'expertise consiste, en tenant compte des faits relatifs au litige, à donner un avis sur des éléments liés à l'intégrité, l'état, la capacité ou l'adaptation d'une personne à certaines situations de fait, ou sur des éléments factuels ou matériels liés à la preuve. Elle peut aussi consister en l'établissement ou la vérification de comptes ou d'autres données ou porter sur la liquidation ou le partage de biens. Elle peut également consister en la vérification de l'état ou de la situation de certains lieux ou biens.

[10] Requête, paragraphe 3

[11] Requête, paragraphe 4

AVIS :
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