Bédard c. Roussin Parfumerie inc. |
2006 QCCQ 1074 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUCE |
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LOCALITÉ DE |
ST-JOSEPH-DE-BEAUCE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
350-32-005947-041 |
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DATE : |
7 février 2006 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
SUZANNE VILLENEUVE, J.C.Q. |
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LINDA BÉDARD et MARC BERTHELOT, tant personnellement qu’en leur qualité de tuteurs à leur fille mineure CHANTAL BERTHELOT, 1716, Kennedy Nord, Ste-Marie (Québec) G6E 3P7 |
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Demandeurs |
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c. |
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ROUSSIN PARFUMERIE INC. et SUZANNE ROUSSIN, 1116, boul. Vachon Nord, Galeries de la Chaudière, Ste-Marie (Québec) G6E 1N7 |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] Linda Bédard et Marc Berthelot reprochent à Suzanne Roussin et à son entreprise d’avoir procédé au perçage du nombril de leur fille mineure, Chantal Berthelot, sans leur autorisation.
[2] Ils réclament 2 000 $ pour leur fille mineure, alléguant dommages-intérêts et atteinte à son intégrité physique.
[3] Ils réclament également 1 000 $ pour troubles, inconvénients et dommages découlant du non-respect par Suzanne Roussin de leur autorité parentale.
[4] Suzanne Roussin conteste la réclamation, alléguant avoir procédé au perçage du nombril de Chantal Berthelot suite aux fausses représentations de celle-ci quant au consentement de ses parents.
[5] Elle soutient que le perçage du nombril de Chantal Berthelot n’a pas constitué une atteinte à son intégrité physique et ne peut pas être qualifié de contrat lésionnaire.
[6] Elle nie l’existence de tous les dommages auxquels prétendent les demandeurs tant pour eux-mêmes que pour leur fille mineure.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[7] Les questions en litige sont les suivantes :
1. Chantal Berthelot pouvait-elle contracter seule le perçage de son nombril?
2. Sinon, quelles sont les conséquences de son incapacité de contracter seule?
3. Roussin Parfumerie inc. et Suzanne Roussin ont-elles contrevenu aux règles de conduite qui s’imposent à elles en ce qui a trait au respect de l’autorité parentale?
LES FAITS
[8] Les faits pertinents ne sont pas contestés et se résument comme suit :
[9] À l’insu de ses parents, Chantal Berthelot, âgée de treize ans et sept mois, s’achète un bijou qu’elle paie 50 $ dans le but de se faire percer le nombril.
[10] Vers le 17 octobre 2003, elle se rend avec une amie au commerce de Suzanne Roussin pour se faire percer le nombril.
[11] Affirmant que ses parents sont consentants à ce qu’elle se fasse percer le nombril, Chantal Berthelot paie 40 $ pour l’intervention.
[12] Deux mois plus tard, ses parents découvrent qu’elle a le nombril percé et ils exigent alors qu’elle enlève le bijou.
[13] Suite à l’enlèvement du bijou, Chantal Berthelot doit se désinfecter le nombril deux ou trois fois par jour pendant trois semaines.
[14] Avec leur fille, les demandeurs rencontrent madame Roussin à sa bijouterie et celle-ci, sans admettre quelque responsabilité que ce soit, leur offre le remboursement du prix payé pour le perçage du nombril.
[15] Cette offre est refusée et les parents sont indignés par le comportement de Suzanne Roussin qui semble reporter sur eux les problèmes qu’ils peuvent avoir avec leur fille.
[16] À l’audience, Marc Berthelot qualifie le comportement de madame Roussin de « ridicule », « non responsable » et « non professionnel », lui reprochant de porter atteinte à son autorité parentale.
[17] Les parties ont produit en preuve une vidéocassette présentant un dossier intitulé « Les risques du perçage corporel », tiré de l’émission de télévision de Radio-Canada, La Facture, diffusée le 9 mars 2004.
[18] Cette émission fait état des risques inhérents au perçage de la langue, de la lèvre et du menton.
[19] Cependant, la question des risques pouvant être reliés au perçage du nombril n’y est aucunement abordée.
[20] Tel que présenté dans cette émission, le perçage corporel semble correspondre à des critères de beauté et d’esthétique reconnus par les jeunes qui adhèrent à cette mode.
[21] La photo non datée produite en preuve ainsi que les images de l’émission diffusée le 9 mars 2004, laissent voir un petit point rouge sous le nombril de Chantal Berthelot, indiquant l’endroit où le perçage a été effectué.
LE DROIT
[22] L’article 157 du Code civil du Québec prévoit que :
« Le mineur peut, compte tenu de son âge et de son discernement, contracter seul pour satisfaire ses besoins ordinaires et usuels. »
[23] L’article 220 ajoute que le mineur peut gérer seul « le produit de son travail et les allocations qui lui sont versées pour combler ses besoins ordinaires et usuels ».
[24] Plusieurs lois autorisent le mineur à poser seul de nombreux actes juridiques comme donner son consentement à son adoption à partir de l’âge de dix ans (arts 549 et suivants C.c.Q.), ouvrir un compte de banque (Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, art. 437), avoir accès à son dossier médical (Loi sur les services de santé et des services sociaux, L.R.Q., ch. S-4.2, arts 20 et 21), etc.
[25] Dès l’âge de quatorze ans, le mineur est réputé majeur pour tous les actes relatifs à son emploi, son art ou sa profession (art. 156 C.c.Q.) et peut consentir seul aux soins requis et non requis par son état de santé (arts 14 et 17 C.c.Q.).
[26] Ces différentes dispositions font dire à l’Honorable Jean-Louis Baudouin et au professeur Pierre-Gabriel Jobin dans la 5e édition de leur traité sur Les obligations que le législateur a « ajusté le droit à la vie moderne courante ».[1]
[27] La philosophie générale du système de protection du mineur vise à le protéger contre certains abus, en imposant des formalités de protection prévues par la loi pour certains actes importants et en lui conférant, pour le reste, « la capacité du majeur avec tous les recours généraux que celui-ci possède».[2]
[28] Pouvant « exercer seul certains droits, comme le ferait le majeur », le mineur « n’est donc qu’un semi-incapable. »[3]
L’ANALYSE
[29] La preuve révèle que le contrat conclu par Chantal Berthelot le 17 octobre 2003, au montant de 40 $, ne vise pas des soins de santé, mais bien une intervention permettant l’installation d’un bijou sur son nombril.
[30] Le perçage du nombril répond à une mode attirant les jeunes et à laquelle n’est relié, selon la preuve, aucun risque susceptible de nuire à leur santé.
[31] Compte tenu du coût de l’opération, de l’engouement des jeunes pour cette mode et de l’absence de conséquence négative sur la santé des jeunes, il y a lieu de conclure que le perçage du nombril constitue un besoin ordinaire et usuel qu’une jeune fille de treize ans et sept mois peut légalement satisfaire sans l’autorisation de ses parents.
[32] La preuve révèle que Chantal Berthelot n’a subi aucun préjudice financier et qu’elle savait très bien ce qu’elle faisait au moment où elle a contracté avec Roussin Parfumerie inc.
[33] Personne ne l’a forcée à se faire percer le nombril. Il s’agit plutôt d’un choix personnel suivant une mode chez les jeunes.
[34] Chantal Berthelot ne s’est jamais plainte d’une agression quelle qu’elle soit en rapport avec le perçage de son nombril, que ce soit à l’audience ou à l’émission de La Facture.
[35] Elle ne s’est jamais plainte non plus de conséquences négatives sur sa santé et son bien-être physique.
[36] Elle n’a donc subi aucune atteinte à son intégrité physique étant entendu qu’une atteinte à « l’intégrité physique doit laisser des marques, des séquelles qui, sans nécessairement être physiques ou permanentes, dépassent un certain seuil », l’atteinte devant « affecter de façon plus que passagère l’équilibre physique, psychologique ou émotif ».[4]
[37] L’absence de préjudice financier ainsi que l’absence d’atteinte à l’intégrité physique confirment que le perçage du nombril ne fait pas partie des actes importants imposant le respect des formalités de protection prévues par la loi.
[38] Ne faisant pas partie non plus des soins requis ou non requis par l’état de santé du mineur, le perçage du nombril fait donc partie des besoins ordinaires et usuels d’une jeune adolescente de treize ans et sept mois, capable de juger et d’apprécier avec justesse les conséquences de sa décision de désobéir à ses parents.
[39] Le seul problème découlant du perçage du nombril de Chantal Berthelot vise sa relation avec ses parents et elle est la seule responsable de sa décision d’agir à l’encontre de leur volonté.
[40] Il ne s’agit pas ici d’encourager une mineure à contrevenir à l’autorité parentale, mais bien un constat empêchant de responsabiliser les tiers eu égard au respect de l’autorité parentale lorsque ces tiers contractent avec un mineur pour satisfaire un besoin ordinaire et usuel, lorsque ce mineur est doué de discernement.
[41] Concluant que Chantal Berthelot pouvait contracter seule le perçage de son nombril, on ne peut pas reprocher à Roussin Parfumerie inc. de n’avoir pas respecté les règles de conduite qui s’imposent à elle en matière contractuelle.
[42] En l’absence de faute contractuelle, Roussin Parfumerie inc. a donc contracté légalement avec Chantal Berthelot et aucune règle de conduite particulière ne s’imposait à elle eu égard au respect de l’autorité parentale.
[43] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE l’action avec dépens établis à la somme de 148 $ payable à Roussin Parfumerie inc. et 106 $ payable à Suzanne Roussin.
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__________________________________ SUZANNE VILLENEUVE, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
4 janvier 2006 |
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AVIS :
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