Décision

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Gabarit EDJ

R. c. Vaillancourt

2016 QCCS 6182

 

JB3703

 
COUR SUPÉRIEURE

(chambre criminelle et pénale)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LAVAL

 

N:

540-01-059861-131

 

DATE :

15 décembre 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE JAMES L. BRUNTON, j.c.s.

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SA MAJESTÉ LA REINE

 

c.

 

GILLES VAILLANCOURT (001)

 

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PEINE

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A.   INTRODUCTION

[1]       L’accusé, Gilles Vaillancourt, a plaidé coupable à trois chefs d’accusation :

-      complot pour commettre des fraudes entre janvier 1996 et le 30 septembre 2010 ;

-      fraude entre les mêmes dates ;

-      abus de confiance entre les mêmes dates.

[2]       Au début de l’activité criminelle en 1996, les chefs de complot et de fraude étaient punissables par un maximum de 10 ans d’emprisonnement. À la fin de l’activité criminelle en 2010, ces crimes étaient punissables par un maximum de 14 ans d’emprisonnement.

[3]       La peine pour le crime d’abus de confiance est demeurée inchangée durant toute la période de l’activité criminelle - soit un maximum de 5 ans d’emprisonnement.

[4]       Considérant un nombre de facteurs importants, les parties ont soumis une recommandation conjointe sur la peine qui devrait être imposée. Elles proposent une période d’incarcération d’une durée de 6 ans.

[5]       La Cour décrira la criminalité sanctionnée avant d’analyser la recommandation conjointe qui est avancée.

B.   LA CRIMINALITÉ

[6]       Durant la période pertinente, soit de 1996 à la fin 2010, l’accusé était le maire de la Ville de Laval. Durant cette période, les parties admettent qu’il existait un système de collusion et de corruption dans l’adjudication et l’attribution des contrats publics de la Ville.

[7]       Citant la pièce S-1 (Exposé conjoint des faits), on note que :

-      Contrairement à d’autres dossiers en matière de collusion où des entreprises […] s’entendent à l’insu du donneur d’ouvrage, ce système était à la connaissance du maire Gilles Vaillancourt et de certains fonctionnaires de l’administration municipale.

-      L’enquête a démontré qu’une ristourne sous forme de pourcentage (en argent comptant avant le calcul des taxes) de la valeur des contrats publics octroyés par la Ville de Laval était remise par les participants au dit système, soit les entreprises de construction et les firmes d’ingénierie. Cette contribution leur permettait de bénéficier du système de collusion implanté à la Ville de Laval.

[8]       Il est impossible de chiffrer, avec précision, les gains illicites que l’accusé a accumulés dû à ses activités criminelles au cours des ans. Dans une poursuite civile, la Ville de Laval lui a réclamé environ douze millions huit cent mille dollars (12 800 000 $). Comme nous allons le constater, la Ville lui a consenti une quittance finale, conditionnelle suite à son engagement de lui remettre l’équivalent d’environ huit millions six cent mille dollars (8 600 000 $).

C.   LA RECOMMANDATION CONJOINTE

[9]       La recommandation conjointe consiste en l’imposition d’une peine de 6 ans d’incarcération, moins le temps que l’accusé aura purgé entre le moment des représentations sur la peine et le prononcé du présent jugement. Les parties demandent une dispense de l’imposition de la suramende compensatoire, compte tenu de l’incarcération et du remboursement proposés.

[10]    Les parties avancent les facteurs aggravants suivants :

-           la préméditation et la planification des actes criminels ;

-           la fréquence, l’ampleur et la durée de la fraude, commise sur une période de 14 ans ;

-           le fait que la fraude ait été commise dans un contexte d’abus de confiance et la position privilégiée de l’accusé au sein de la Ville de Laval. En tant que maire, il jouissait de la confiance des membres de l’administration de la Ville et de ses citoyens ;

-           les sommes détournées constituent des deniers publics ;

-           d’importants moyens d’enquête ont été déployés pour découvrir la fraude.

[11]    Les parties avancent les facteurs atténuants suivants :

-           son plaidoyer de culpabilité, entraînant ainsi l’économie des ressources institutionnelles ;

-           son âge ;

-           son absence d’antécédents judiciaires ;

-           le respect des conditions de remise en liberté ;

-           son implication communautaire ;

-           le fait que sa réhabilitation est amorcée depuis qu’il a confié le mandat d’entreprendre des discussions avec la poursuite afin d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité, soit avant l’enquête préliminaire ayant débuté le 7 avril 2015 ;

-           le remboursement substantiel au profit des contribuables de la Ville de Laval, qui n’aurait pas été de cette valeur n’eut été de la volonté de remboursement de l’accusé et des mesures qu’il a entreprises pour le rapatriement des fonds détenus à l’étranger.

[12]    Le remboursement, qui s’élève à environ huit millions six cent mille dollars (8 600 000 $), consiste en les sommes suivantes :

-           le transfert de sommes provenant de comptes bancaires détenus en Suisse, soit une somme d’environ sept millions de dollars canadiens (7 000 000 $ CA). Au moment des représentations sur la peine, un million six cent soixante-dix-huit mille dollars canadiens (1 678 000 $ CA) avaient été reçus par le DPCP, et cinq millions trois cent mille dollars canadiens (5 300 000 $ CA) étaient en transit. En date du 6 décembre 2016, la Cour a été informée que la somme en transit était arrivée ;

-           le transfert de la résidence de l’accusé, qui est évaluée à environ un million de dollars canadiens (1 000 000 $ CA) ;

-           la renonciation irrévocable à toute pension provenant de la Ville de Laval, soit environ trente mille dollars canadiens (30 000 $ CA) par année ;

-           le versement par l’accusé d’une somme de trois cent mille dollars canadiens (300 000 $ CA) comptant à la Ville de Laval.

D.   ANALYSE

[13]    Dans l’arrêt R. c. Anthony-Cook, 2016 CSC 43, la Cour suprême a noté qu’un ou une juge ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public.

[14]    Citant la Cour suprême :

34.   […] Le rejet dénote une recommandation à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner. Il s’agit indéniablement d’un seuil élevé - et à juste titre, […].

[15]    Cette Cour est d’avis que l’acceptation de la recommandation conjointe avancée dans ce dossier ne déconsidérait pas l’administration de la justice et ne serait pas contraire à l’intérêt public.

[16]    La Cour note que la recommandation est présentée par des avocats d’expérience qui ont été confrontés à une situation complexe. Il y avait plusieurs intervenants intéressés dans le dossier - le DPCP, la Ville de Laval, les autorités fiscales, l’administrateur du programme de remboursement créé dans la Loi visant principalement la récupération des sommes payées injustement à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publics, RLRQ ch. R-2.2.0.0.3, ainsi que les autorités suisses.

[17]    La Cour souligne le travail exemplaire de Me Richard Rougeau, Me Claude Dussault, Me Patrice Peltier-Rivest, Me Nadine Touma et Me Stéphanie Lozeau, et les autres membres du Barreau et de la Chambre des notaires ayant participé aux négociations qui ont débuté en avril 2015.

[18]    Considérant les facteurs aggravants et atténuants retenus par les parties, la Cour considère la recommandation conjointe juste dans les circonstances.

[19]    Parmi ces facteurs, la Cour souligne notamment les suivants :

-           la préméditation, la planification, la fréquence et l’ampleur de la fraude commise sur une période de 14 ans ;

-           le contexte de l’abus de confiance et le rôle principal de l’accusé, en tant que maire, dans l’accomplissement de l’activité criminelle ;

-           le plaidoyer de culpabilité ;

-           le remboursement substantiel au profit des contribuables de la Ville de Laval.

[20]    Durant les représentations sur la peine, l’accusé a exprimé ses remords et a attiré l’attention de la Cour sur ce qu’il décrit comme ses réalisations marquantes à la Ville de Laval au cours de ses mandats à la mairie. Si la Cour accepte que ses remords soient sincères, elle laissera le soin aux autres - les citoyens et citoyennes de la Ville de Laval, les historiens et les commentateurs sociaux et politiques - de poser un verdict sur ses réalisations.

[21]    Pour la Cour, elle a devant elle un homme qui a abusé de la confiance de sa position privilégiée durant 14 ans. Il mérite amplement la peine qui est recommandée.

 

 

[22]    EN CONSÉQUENCE, LA COUR :

[23]    PREND ACTE du remboursement d’environ huit millions six cent mille dollars (8 600 000 $) négociés entre M. Gilles Vaillancourt et diverses entités et qui est décrit au paragraphe 12 du présent jugement;

[24]    IMPOSE à M. Gilles Vaillancourt une peine de 5 ans, 11 mois et 15 jours d’emprisonnement sur le chef 2 de la dénonciation ;

[25]    IMPOSE à M. Gilles Vaillancourt une peine de 5 ans, 11 mois et 15 jours d’emprisonnement sur le chef 4 de la dénonciation ;

[26]    IMPOSE à M. Gilles Vaillancourt une peine de 3 ans, 11 mois et 15 jours d’emprisonnement sur le chef 8 de la dénonciation ;

[27]    ORDONNE que ces peines soient purgées concurremment ;

[28]    DISPENSE M. Gilles Vaillancourt de payer la suramende compensatoire.

 

 

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JAMES L. BRUNTON, j.c.s.

 

Me Claude Dussault

Me Richard Rougeau

Me Patrice Peltier-Rivest

Avocats de la Poursuite

 

Me Nadine Touma

Me Stéphanie Lozeau

Avocates de Gilles Vaillancourt

 

 

Date d’audience :

1er décembre 2016

 

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