Décision

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Gabarit EDJ

Savoie c. Thériault-Martel

2014 QCCS 1869

JM2455

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

LONGUEUIL

 

N° :

505-17-005378-114

 

DATE :

 1er mai 2014

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE Gary D.D. Morrison, J.C.S.

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EDDY SAVOIE

Demandeur / Requérant

c.

PIERRETTE THÉRIAULT-MARTEL

Défenderesse / Intimée

 

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TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DU JUGEMENT

RENDU SÉANCE TENANTE LE 22 AVRIL 2014[1]

SUR UNE REQUÊTE POUR UNE ORDONNANCE

DE HUIS CLOS, DE NON-DIVULGATION ET DE NON-PUBLICATION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le Tribunal est saisi d’une requête de Eddy Savoie, pour une ordonnance de huis clos partiel, de mise sous scellés de documents, de non-divulgation et de non-publication, et ce dans le contexte de la réclamation de Pierrette Thériault-Martel, en dommages, dommages moraux et dommages punitifs pour la somme de 260 000 $.

[2]           La réclamation de Thériault-Martel est fondée sur l’art. 54.4 C.P.C.[2], et ce suite au jugement de cette Cour rendu le 10 septembre 2013 rejetant la poursuite en diffamation de Savoie à cause de sa nature abusive, étant qualifiée de poursuite-bâillon. 

[3]           Pour les fins de l’audition sur la requête de Thériault-Martel, originalement fixée pour le mois de décembre 2013, un subpoena duces tecum a été signifié à Savoie, lui ordonnant d’amener à la Cour les documents qui sont  indiqués sur une longue liste en annexe au subpoena et ce, afin d’établir sa situation patrimoniale.

[4]           C’est en prévision de l’audition sur la requête de Thériault-Martel, maintenant fixée au 28 avril 2014, que Savoie demande des ordonnances de confidentialité.

[5]           Selon Savoie, les ordonnances de confidentialité qu’il recherche sont nécessaires pour protéger son droit à la sécurité physique et mentale, de lui et de sa famille, et pour protéger ses intérêts commerciaux ainsi que sa vie privée.

1-           LE DROIT APPLICABLE AUX ORDONNANCES DE CONFIDENTIALITÉ

[6]           La pierre angulaire de tout débat juridique sur les ordonnances de confidentialité  est le principe de la publicité des débats juridiques.

[7]           L’article 13 C.P.C. consacre le principe à l’effet que les audiences des tribunaux sont publiques.  L’article prévoit que le Tribunal ne peut ordonner le huis clos que « dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public ».

[8]           L’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne[3] rappelle aussi le caractère public des audiences et que le Tribunal peut ordonner le huis clos pour les mêmes causes que celles établies à l’art. 13 C.P.C., soit l’intérêt de la morale ou de l’ordre public.

[9]           Selon le philosophe anglais Jeremy Bentham, cité par le juge Dixon de la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt A.G. (Nova-Scotia) c. MacIntyre[4] « Là où il n'y a pas de publicité, il n'y a pas de justice.» «La publicité est le souffle même de la justice ».

[10]        Plus récemment dans l’arrêt Vancouver Sun (Re)[5], la Cour Suprême du Canada nous enseigne que :  « La publicité est nécessaire au maintien de l’indépendance et de l’impartialité des tribunaux.  Elle fait partie intégrante de la confiance du public dans le système de justice et de sa compréhension de l’administration de la justice ».

[11]        Donc, la publicité est la règle, et le secret ou la confidentialité, l’exception.

[12]        Cette approche est essentielle parce qu’elle favorise  « la confiance du public dans la probité du système judiciaire »[6].

[13]        Les critères applicables afin de déterminer si l’exception de confidentialité devrait être reconnue ont été formulés et raffinés par la Cour Suprême du Canada dans les arrêts R. c. Oakes[7], Dagenais c. Société Radio Canada[8] et R. c. Mentuck[9].  Dans ce dernier arrêt, la Cour Suprême du Canada nous enseigne qu’une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si elle est nécessaire pour écarter « un risque sérieux » pour la bonne administration de la justice et, de plus, que si ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public.

[14]        Dans l’interprétation de ces critères, les tribunaux doivent être prudents afin d’éviter une application trop large.  Autrement dit, les ordonnances de confidentialité demeurent l’exception et leur portée doit être le plus limitée que possible.

[15]        Dans cette optique, le risque sérieux doit être « un danger grave » que l’on cherche à éviter pour la bonne administration de la justice[10].  Donc, l’embarras, l’humiliation, l’inconfort ou l’inconvénient potentiel associé à la divulgation de l’information par la partie qui demande des ordonnances de confidentialité n’est pas suffisant pour avoir préséance sur le droit fondamental de la publicité des débats judiciaires[11].

[16]        En ce qui concerne l’exception dans un contexte « commercial ou financier », les tribunaux ont déjà reconnu que l’exception de confidentialité pouvait s’appliquer mais uniquement dans un cas « d’intérêt commercial important ».

[17]        La Cour Suprême du Canada nous enseigne qu’un intérêt commercial important n’a pas à être évalué uniquement de la perspective subjective d’une partie mais plutôt il doit s’agir d’un intérêt « qui peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité »[12].

[18]        Autrement dit, de façon objective, le public a intérêt à garder secrète ou confidentielle l’information que possède la partie qui demande une ordonnance de confidentialité.

[19]        Donc, deux (2) questions se posent :

-      Premièrement, la demande de Savoie de garder confidentielle l’information de nature financière quant à sa situation patrimoniale satisfait-elle au critère de risque sérieux, dont un danger grave que l’on cherche à éviter pour la bonne administration de la justice?

-      Deuxièmement, si tel n’est pas le cas, ladite demande de Savoie satisfait-elle au critère d’intérêt commercial important?

2-           ANALYSE

[20]        Au soutien de sa requête, Savoie a déposé un affidavit détaillé. 

[21]        Selon lui, depuis le jugement rendu le 10 septembre 2013, il a été la cible de nombreux messages insultants, des menaces et de deux (2) tentatives d’extorsion par des anciens employés de Groupe Savoie.  Il décrit les messages reçus comme étant « haineux, insultants et agressifs ».

[22]        En conséquence, Savoie et sa famille sont, selon lui, inquiets pour leur sécurité.  De plus, il ajoute qu’ils craignent que le risque d’être agressés ou séquestrés augmente de façon importante si l’étendue de la situation patrimoniale de Savoie était révélée et diffusée publiquement.

[23]        Cela dit, le Tribunal considère que l’affidavit de Savoie ne contient pas beaucoup de détails quant aux messages et menaces dont il se plaint.  Son affidavit contient des commentaires plutôt généraux.

[24]        Savoie ne mentionne pas qu’il ou des membres de sa famille ont été physiquement menacés autre que, peut-être, lors d’une deuxième tentative d’extorsion, quand un de ses anciens employés menaçait de « régler mon cas ».  S’il s’agit d’une menace physique, Savoie ne confirme pas qu’il l’a portée à l’intention des autorités policières.  Il ne dit pas non plus s’il a refusé de payer les 5 000 $ demandés par son ex-employé et, s’il ne l’a pas fait, s’il y a eu des conséquences. 

[25]        Si Savoie se sentait en danger suite à une telle menace, le Tribunal aurait pensé qu’il aurait agit de façon à protéger sa sécurité et celle de sa famille.  La preuve ne révèle pas une telle réaction.

[26]        De plus, les faits décrits dans l’affidavit de Savoie ne sont pas liés à sa situation financière.  Les faits sont plutôt associés à la publication du jugement par lequel sa poursuite contre Thériault-Martel a été qualifiée de poursuite-bâillon.

[27]        Dans telles circonstances, la preuve ne supporte pas une conclusion à l’effet que la divulgation de l’information quant à la situation patrimoniale de Savoie mettrait sa sécurité ou celle de sa famille en danger.

[28]        De plus, de la preuve, le Tribunal est d’avis que les inquiétudes et craintes de Savoie et de sa famille sont purement subjectives et, donc, insuffisantes.

[29]        Dans telles circonstances et vu la preuve, le Tribunal est d’avis que Savoie n’a pas satisfait à son fardeau de preuve d’établir que des ordonnances de confidentialité sont nécessaires pour le protéger des risques réels et importants à sa sécurité.

[30]        Donc, il ne s’agit pas d’un cas où il existe un risque sérieux qui constitue un danger grave que l’on cherche à éviter pour la bonne administration de la justice.

[31]        Le Tribunal doit maintenant analyser le deuxième argument soulevé par Savoie. 

[32]        En ce qui concerne la prétention de Savoie à l’effet que son information financière constitue un intérêt commercial important et qu’elle devrait être protégée par les ordonnances de confidentialité recherchées, il est important de se rappeler que selon l’art. 1621 C.C.Q.[13], lorsque la loi prévoit l’attribution de dommages punitifs, comme dans le cas de l’art. 54.4 C.P.C., le Tribunal doit tenir compte de la situation patrimoniale du débiteur.  Cela dit, l’information financière dont demande Thériault-Martel par rapport à sa réclamation en dommages punitifs s’agit-elle d’une importance personnelle et privée ou s’agit-il, sur une base objective, dans l’intérêt du public de voir à la confidentialité d’une telle information?

[33]        Certes, Savoie a un intérêt privé à garder l’information confidentielle.  Il explique que le Groupe Savoie emploie environ 1600 personnes avec qui le Groupe est appelé à négocier les conditions de travail.  De plus, comme entrepreneur, il doit négocier le développement de nouveaux projets. 

[34]        Savoie craint que sa capacité de négocier avec ses employés et avec des tiers soit diminuée s’il est obligé de dévoiler son patrimoine personnel.

[35]        Cela est davantage compliqué vu que les compagnies du Groupe Savoie sont, selon le procureur de Savoie, intrinsèquement liées à sa personne et ce, à un tel point que pour connaître la valeur de son patrimoine personnel on doit connaître la valeur de toutes ses compagnies. 

[36]        Il n’est donc pas difficile de comprendre que la divulgation de sa situation patrimoniale représente pour Savoie un inconvénient important.

[37]        Mais l’inconvénient important n’est pas le test à appliquer.  La question est de savoir s’il existe un intérêt public qui justifie que l’on garde confidentielle l’information en question.

[38]        Le Tribunal est d’avis qu’il n’y a pas d’intérêt public, évalué sur une base objective, à garder une telle information confidentielle.

[39]        En effet, chaque entreprise et chaque homme ou femme d’affaires pourraient plaider que la divulgation des informations financières pourrait avoir un effet négatif sur leur capacité de négocier avec des employés ou des tiers.  Il s’agit d’un intérêt privé.

[40]        De plus, Savoie n’a pas satisfait à son fardeau de démontrer de quelque façon que le public possède l’intérêt de protéger son  information financière.

[41]        Un exemple d’intérêt public de garder confidentielle certaines informations se trouve dans l’arrêt Sierra Club du Canada[14].  Il s’agissait d’une demande d’information concernant la construction et la vente à la Chine de deux (2) réacteurs nucléaires CANDU. La Cour Suprême du Canada est intervenue et a accordé des ordonnances de confidentialité.  Dans le présent cas, nous sommes loin d’un tel intérêt du public.

[42]        Nonobstant tout ce qui précède, le Tribunal considère qu’un commentaire additionnel est approprié dans le présent cas.  Il ne s’agit pas ici d’un cas où Savoie serait obligé de divulguer de l’information quant à sa situation patrimoniale sans même savoir si le Tribunal conclura quant à l’existence de sa faute.  Le Tribunal a déjà conclu quant à l’acte fautif de Savoie, soit sa poursuite abusive.  Tout ce qu’il reste est la détermination par le Tribunal des dommages suite à l’audition fixée au 28 avril 2014.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[43]        REJETTE la requête du requérant Savoie pour des ordonnances de confidentialité;

[44]        LE TOUT, avec dépens.

 

 

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Gary D.D. Morrison, J.C.S.

 

 

 

 

Me Luc Alarie

ALARIE LEGAULT

Procureurs du Demandeur / Requérant

 

Me Eric Oliver

Me Justine St-Jacques

MUNICONSEIL AVOCATS

Avocats-conseils pour le Demandeur / Requérant

 

Me Jean-Pierre Ménard

Me Marie-Ève Giguère

MÉNARD MARTIN, AVOCATS

Procureurs de la Défenderesse / Intimée

 

Me Christian Leblanc

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN

Intervenants pour Société Radio Canada et LaPresse

 

 

Dates d’audience :

17 et 22 avril 2014

 

 

Transcription

demandé le :

 

22 avril 2014

 



[1]     Cette transcription modifie en partie le libellé du jugement rendu oralement, principalement à des fins de présentation et ce en conformité avec les principes énoncés dans Kellogg’s Company of Canada c. Procureur Général du Québec, [1978] C.A. 258.  Toutefois, conformément à l’art. 472 C.P.C., le dispositif n’a pas été modifié.

[2]     Code de procédure civile.

[3]     RLRQ, c. C-12.

[4]     [1982] 1 R.C.S. 175.

[5]     [2004] 2 R.C.S. 332, par. 25.

[6]     Société Radio-Canada c. Nouveau Brunswick (Procureur général), [1996] 3 R.C.S. 480.

[7]     [1986] 1 R.C.S. 103.

[8]     [1994] 3 R.C.S. 835.

[9]     [2001] 3 R.C.S. 442.

[10]    Id., par. 34.

[11]    Dionne c. Tremblay, REJB 1999-12570 (C.A.).; Nouvelliste (Le) c. Commission d’examen des troubles mentaux, 2012 QCCS 712; Centre de la communauté sourde du Montréal métropolitain c. Institut Raymond-Dewar, 2012 QCCS 2454; Cinar Corporation c. Weinberg, 2006 QCCS 5444.

[12]    Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522, par. 55.

[13]    Code civil du Québec.

[14]    Précitée, note 12.

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