Moses c. Chagnon |
2020 QCCQ 2502 |
||||||
COUR DU QUÉBEC |
|||||||
« Division administrative et appel » |
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
TERREBONNE |
||||||
|
|||||||
N° : |
700-80-010987-193 |
||||||
|
|||||||
DATE : |
4 mars 2020 |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
Julie MOSES |
|||||||
Demanderesse |
|||||||
c. |
|||||||
Brigitte CHAGNON et Serge CHARBONNEAU |
|||||||
Défendeurs et RÉGIE DU LOGEMENT Mise en cause |
|||||||
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT SUR DEMANDE INTRODUCTIVE D’INSTANCE POUR PERMISSION D’APPELER |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
[1] Julie Moses (la locataire[1]), demande la permission d’appeler d’une décision de la Régie du logement rendue par la régisseure Isabelle Normand le 11 juin 2019.
[2] La Régie du logement était alors saisie d’une demande en dommages au montant de 84 999,99 $, dommages que Madame Moses aurait subis à la suite d’une chute en janvier 2011, dans l’escalier du logement de Brigitte Chagnon et Serge Charbonneau (les locateurs), alors que cet escalier n’est pas muni d’une main courante.
[3] Dans une décision comportant 96 paragraphes, la Régie du logement attribue 50 % de la responsabilité à chacune des parties et accorde une indemnité de 1 675 $ à la locataire.
[4] Selon la locataire, la Régie du logement spécule en lui attribuant 50 % de la responsabilité. Selon la Régie, elle aurait causé sa chute dans les escaliers en se rendant de façon précipitée répondre à la porte alors qu’elle n’est pas chaussée et qu’elle ne connaît pas les lieux.
[5] Ce constat comporterait une faiblesse apparente dans le raisonnement de la régisseure tant au niveau de l’interprétation des principes applicables qu’en appuyant son raisonnement sur des éléments non prouvés.
[6] Pour Julie Moses, l’absence de main courante devrait être considérée comme la faute prépondérante des locateurs.
[7] La locataire soutient également que la régisseure a manifestement erré dans l’appréciation des dommages. Ainsi, son commentaire « que la propension de la locataire à vouloir tout inclure dans sa réclamation nuit à sa crédibilité », démontre qu’elle n’a pas procédé à un examen objectif des dommages réclamés. Elle suggère également que les pleurs de Madame Chagnon durant l’instruction de la cause auraient « pu susciter une sympathie indue de la juge administrative ».
[8] Par ailleurs, malgré que la preuve médicale démontre un déficit anatomo physiologique (DAP) de 3 %, aucun dommage n’est accordé pour la perte de capacité de gain. Une somme de 2 000 $[2] est accordée pour la perte à son intégrité.
[9] Les seuls autres postes de dommages accordés sont le remboursement des frais d’expertise médicale (1 000 $) et les frais de médicaments (350 $).
[10] Selon les locateurs, l’instruction de la cause s’est tenue sur 2 journées pendant lesquelles la régisseure a procédé à une analyse approfondie de la preuve soumise par la locataire qui n’a tout simplement pas réussi à relever son fardeau tant au niveau de l’existence que du caractère direct et prévisible des chefs de dommages rejetés.
[11] Selon la locataire, les questions en jeu devant être soumises à la Cour du Québec par cet appel sont les suivantes :
1) Est-ce que la juge administrative a correctement évalué le degré de la faute des locateurs vu l’absence de main courante?
2) Est-ce que la juge administrative a, de façon objective, correctement évalué les dommages pécuniaires et moraux réellement subis par la locataire?
3) Est-ce que le fardeau de la preuve imposé à la locataire était trop lourd dépassant la balance des probabilités qui devraient être applicables en l’espèce?
4) Est-ce que le montant finalement accordé à la locataire de 1 675 $ est juste et raisonnable dans les circonstances?
[12] Ainsi, la décision attaquée présenterait une faiblesse apparente compte tenu des erreurs manifestes, déterminantes et grossières dans l’application des faits, erreur déterminante dans l’administration de la preuve.
[12] La demande d’appel est soumise aux dispositions de l’article 91 de la Loi sur la Régie du logement[3]:
91. Les décisions de la Régie du logement peuvent faire l’objet d’un appel sur permission d’un juge de la Cour du Québec, lorsque la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour du Québec.
(…)
[13] La jurisprudence de notre Cour trace les balises comme suit; il doit s’agir :
a) d’une question sérieuse et méritoire;
b) d’une question nouvelle;
c) d’une question controversée;
d) d’une question d’intérêt général.[4]
[14] La permission peut également être accordée lorsque la question soumise en est une qui met en cause des intérêts supérieurs de la justice, notamment lorsque la Régie refuse d’exercer sa compétence ou lorsqu’il y a faiblesse apparente de la décision attaquée, un critère qui inclut les concepts de l’erreur en droit, de la mauvaise application des règles de preuve ou du non-respect des règles de justice naturelle, incluant l’insuffisance de la motivation de la décision.[5]
[15] Dans la décision Dupuis c. Bouchard[6], le juge Pokomandy J.C.Q. décrit les circonstances dans lesquelles des demandes pour permission d’appeler ne devraient pas être accordées :
[25] Une permission d'appeler d'une décision de la Régie du logement à la Cour du Québec ne sera pas accordée si elle ne vise qu'à reprendre une preuve factuelle, simplement parce qu'une des parties est insatisfaite de l'appréciation des témoignages.
[26] Une demande qui vise essentiellement une révision de l'appréciation générale de la qualité ou de la suffisance de la preuve ne suffira pas pour obtenir une autorisation d'appeler.
[16] Dans le présent cas, les parties, représentées par avocat, ont pu s’exprimer devant la régisseure pour présenter leur point de vue respectif. La locataire a déposé, en plusieurs occasions, une preuve documentaire volumineuse. Personne ne prétend qu’elle ait été empêchée de produire les éléments de preuve qu’elle jugeait pertinents.
[17] La régisseure a évalué les éléments de preuve soumis et elle en discute abondement dans sa décision. Elle évalue également la crédibilité de la locataire.
[18] Il s’agit bien du rôle de la Régie d’apprécier les témoignages des parties et d’en dégager une interprétation qui soit la plus probable. La Cour du Québec ne doit pas, en principe, intervenir dans cet examen.
[19] Elle explique de façon détaillée le principe de la responsabilité et cite des autorités permettant de donner assises à un partage de responsabilité en matière de chute dans un escalier non muni d’une main courante. Il existe des précédents pour un partage 50/50 et elle explique les raisons pour lesquelles elle retient cette conclusion.
[20] Le faux pas et la conclusion que la locataire n’était pas familière avec l’état des lieux, elle y est emménagée la veille, trouvent appui dans la preuve et ne sont pas pure spéculation.
[21] Quant à l’appréciation des dommages, les questions formulées font clairement voir que la locataire n’est pas d’accord avec les conclusions et qu’elle souhaite avoir une deuxième chance de faire valoir les mêmes moyens.
[22] À première vue, l’attribution de dommages totalisant 3 350 $ - 50 % peut surprendre, mais la régisseure traite de chaque poste, expose le principe et motive les raisons qui soutiennent sa décision.
[23] Selon la régisseure, la preuve de la locataire n’est pas prépondérante et les dommages réclamés sont indirects ou pourraient reposer sur une autre cause dont un accident de la route en 2012 et d’autres problèmes de santé.
[24] Lorsque lue intégralement, la décision ne souffre pas de faiblesse apparente en fonctions d’erreurs manifestes et déterminantes. Le Tribunal n’en serait pas nécessairement arrivé aux mêmes conclusions de faits sur tous les postes, mais là n’est pas le critère permettant la permission d’appeler de cette décision.
[25] La Régie a considéré l’ensemble des principes juridiques pertinents qui doivent la guider dans l’appréciation de la preuve soumise.
[26] L’appréciation de preuve, les principes de droit analysés et les conclusions ne souffrent pas de faiblesse apparente.
[27] En l’instance, le Tribunal n’y voit pas une question considérée sérieuse, controversée, nouvelle ou d’intérêt général, ou mettant en cause les intérêts supérieurs de la justice permettant à la Cour du Québec d’intervenir.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[28] REJETTE la demande introductive d’instance pour permission d’en appeler de la décision de la régisseure Isabelle Normand du 11 juin 2019;
[29] LE TOUT avec frais de justice.
. |
|
|
|
|
__________________________________ PATRICK CHOQUETTE, J.C.Q. |
|
|
Me Umberto Macri Avocat de Julie Moses Me Stéphanie Perron Avocate de Brigitte Chagnon et Serge Charbonneau
|
|
Date d’audience : 21 février 2020 |
[1] La référence au patronyme des parties ou aux termes locateurs/locataire a pour seul but d’alléger le texte et ne doit pas être considérée comme une marque de discourtoisie.
[2] - 50 %.
[3] L.R.Q., c. R-8.1.
[4] Structures Métropolitaines Inc. c. Lizotte, 2016 QCCQ 452 (CanLII).
[5] Idem, Paradis c. Léonard 2013 QCCQ 994.
[6] 2012 QCCQ 3863 (CanLII).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.