Décision

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Modèle de décision CLP - juillet 2015

Terrana et Commission scolaire de Montréal

2018 QCTAT 398

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL

(Division de la santé et de la sécurité du travail)

 

 

Région :

Laval

 

Dossier :

644245-61-1708

 

Dossier CNESST :

137816120

 

 

Montréal,

le 24 janvier 2018

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Alain Suicco

______________________________________________________________________

 

 

 

Antonina Terrana

 

Partie demanderesse

 

 

 

et

 

 

 

Commission scolaire de Montréal

 

Partie mise en cause

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 10 août 2017, madame Antonina Terrana (la travailleuse) dépose au Tribunal administratif du travail (le Tribunal) un acte introductif afin de contester une décision rendue le 31 juillet 2017 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la Commission confirme la décision initialement rendue le 15 mars 2017 et déclare qu’à la suite de la lésion professionnelle subie le 5 avril 2011, la travailleuse n’était pas atteinte d’une invalidité grave et prolongée au sens de l’article 93 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           À l’audience tenue le 10 janvier 2018, la travailleuse est présente et représentée. La Commission scolaire de Montréal (l’employeur), bien que dûment convoquée, est absente et non représentée.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           La travailleuse demande au Tribunal de reconnaître qu’elle est atteinte d’une invalidité grave et prolongée au sens de l’article 93 de la loi et conséquemment, la Commission doit assumer la contribution de l’employeur à son régime de retraite, tel que prévu à l’article 116 de la loi.

LES FAITS

[5]           La travailleuse, maintenant âgée de 58 ans, a été victime d’une lésion professionnelle le 5 avril 2011, alors qu’elle occupait la fonction d’enseignante pour l’employeur.

[6]           Les diagnostics reconnus sont ceux de rhinite chronique, conjonctivite, laryngite et une fatigue chronique, à la suite d’une contamination fongique survenue dans son milieu de travail, soit à l’école où elle enseignait.

[7]           La rhinite et la conjonctivite ont été consolidées le 31 janvier 2013 sans atteinte permanente, mais avec des limitations fonctionnelles dont celles d’éviter de travailler dans un milieu contaminé avec des moisissures.

[8]           Quant à la fatigue chronique, une atteinte permanente évaluée à 18 % a été accordée de même que les limitations fonctionnelles suivantes :

Elle ne peut maintenir des activités physiques et mentales que légères

Elle ne peut travailler à temps plein

Elle doit pouvoir adapter son rythme de travail selon sa fatigue physique et mentale

            On doit éviter le plus possible de la soumettre à des situations stressantes.

 

 

[9]           Le 28 octobre 2016, la Commission a déterminé que la travailleuse était inapte au travail.

[10]        À l’audience, la travailleuse a témoigné.

[11]        Elle déclare qu’elle est en arrêt de travail depuis l’accident survenu le 5 avril 2011. Elle ajoute qu’il y a eu deux tentatives de retour au travail sur de très courtes périodes en 2014.

[12]        Eu égard à son problème de fatigue chronique, la travailleuse indique qu’elle ressent beaucoup de douleurs musculaires et articulaires. Elle souffre également d’anxiété et présente des problèmes de mémoire. Compte tenu de sa fatigue, elle ne fait plus d’activités physiques et en ce qui concerne les activités à la maison, elle précise qu’elle doit faire des pauses très fréquemment. Elle conclut en disant  qu’elle est comme ça depuis 2011. Pour elle, « il est impensable de penser à quelque travail que ce soit, parce qu’elle n’a pas assez d’énergie et qu’elle est trop anxieuse ».

[13]        À la fin de son témoignage, elle dépose un rapport médical complété par la docteure Ghislaine Roederer (pièce T-1).

[14]        La docteure Roederer indique que la travailleuse est sa patiente depuis le  début des années 2000 et que depuis son arrêt de travail en 2011, ses problèmes de santé ont été très bien investigués. La médecin indique également que « en 2012, une consultation en neurologie a mis en évidence une encéphalopathie secondaire aux moisissures (ralentissement psychomoteur) ». Un rapport à cet effet a également été déposé à l’audience (pièce T-2).

[15]        La docteure Roederer ajoute que depuis le mois d’avril 2011, deux tentatives de retour au travail se sont révélées infructueuses en raison «  de récidive de fatigue, céphalées et symptômes de rhinite ». La médecin conclut que l’état de la travailleuse ne s’est pas amélioré depuis et qu’elle considère donc que la travailleuse « est inapte à exercer tout travail ».

LES FAITS ET LES MOTIFS

[16]        Le Tribunal doit décider si la travailleuse peut bénéficier de l’application de l’article 116 de la loi. Les dispositions pertinentes au présent litige se lisent comme suit :

93.  Une personne atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée est considérée invalide aux fins de la présente section.

 

Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.

 

Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.

__________

1985, c. 6, a. 93.

 

 

116.  Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est atteint d'une invalidité visée dans l'article 93 a droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l'établissement où il travaillait au moment de sa lésion.

 

Dans ce cas, ce travailleur paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, et la Commission assume celle de l'employeur, sauf pendant la période où ce dernier est tenu d'assumer sa part en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l'article 235.

__________

1985, c. 6, a. 116.

 

[17]        L’article 116 de la loi prévoit qu’une personne qui subit une lésion professionnelle entraînant une invalidité grave et prolongée a le droit de continuer de participer au régime de retraite offert dans l’établissement où elle travaillait au moment de sa lésion. Pour avoir droit de continuer à participer au régime de retraite offert dans l’établissement au moment de sa lésion, la personne doit démontrer avoir été victime d’une lésion professionnelle et démontrer que celle-ci a entraîné une invalidité au sens de l’article 93 de la loi.

[18]        Dans le présent dossier, le litige repose essentiellement sur l’interprétation donnée au terme « invalidité physique ou mentale grave et prolongée », tel que défini à l’article 93 de la loi.

[19]        Le Tribunal est d’avis que la preuve, non seulement prépondérante mais probante, indique clairement que la travailleuse est atteinte d’une invalidité physique grave et prolongée au sens de l’article 93 de la loi.

[20]        En effet, tant le témoignage tout à fait crédible de la travailleuse à l’audience que le rapport médical de la docteure Roederer indiquent clairement que l’invalidité de la travailleuse est grave, à un point tel qu’elle la rend régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. D’ailleurs, depuis l’arrêt de travail du mois d’avril 2011, la travailleuse n’est pas retournée à son emploi sauf pour deux très courtes tentatives en 2014.

[21]        De la même façon, il apparaît clairement que la travailleuse ne pourrait occuper un emploi rémunérateur.

[22]        D’ailleurs, les notes évolutives de la Commission datées du 22 août 2016 et qui sont à l’origine de la décision rendue le 28 octobre 2016 indiquent que : « la travailleuse est une dame inapte au travail ».

[23]        De même, le fait que la travailleuse n’ait jamais occupé véritablement un emploi rémunérateur depuis le mois d’avril 2011, amène raisonnablement à conclure qu’aucun employeur sérieux voudrait l’embaucher, étant donné l’ensemble de ses limitations fonctionnelles et de sa condition, telle qu’elle l’a décrite à l’audience et confirmée par sa médecin traitante.

[24]        Le Tribunal souligne enfin au même effet, qu’il est d’avis qu’il n’est pas question d’introduire une notion de délai à l’article 116, alors qu’aucun délai n’y est indiqué, conformément à la jurisprudence[2] du présent tribunal.

[25]        Conséquemment, le Tribunal est d’avis que la travailleuse est atteinte d’une invalidité physique et mentale grave et prolongée, au sens de l’article 93 de la loi. Ainsi, la Commission devra assumer la contribution de l’employeur en vertu du régime de retraite auquel la travailleuse contribue et ce, conformément à l’article 116 de la loi.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :

ACCUEILLE la contestation déposée par madame Antonina Terrana, la travailleuse;

INFIRME la décision rendue le 31 juillet 2017 par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse est atteinte d’une invalidité physique et mentale prolongée au sens de l’article 93 de la loi et conséquemment, elle a droit de bénéficier de l’application de l’article 116 de la loi;

ORDONNE à la Commission d’assumer la contribution de l’employeur au régime de retraite de la travailleuse au sens de l’article 116 de la loi.

                                                                                 

 

__________________________________

 

Alain Suicco

 

 

Me Diane Turbide

TURBIDE, LEFEBVRE, PARIZEAU

Pour la partie demanderesse

 

 

Date de l’audience :             10 janvier 2018

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Demers et Centres Jeunesse de Montréal 305083-61-0612, 12 septembre 2007, S. Di Pasquale.

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