Décision

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Droit de la famille — 16339

2016 QCCA 319

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-025186-156

(540-04-012023-138)

 

DATE :

 LE 18 FÉVRIER 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

E... B...

APPELANTE - Demanderesse

c.

 

P... Q...

INTIMÉ - Défendeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           La Cour est saisie de l'appel du jugement du 19 février 2015 par lequel la Cour supérieure, district de Laval (l'honorable Pierre Béliveau), confie à l'intimé la garde de l'enfant des parties, accorde à l'appelante des droits d'accès supervisés et prononce diverses ordonnances accessoires.

* *

[2]           Il n'est pas nécessaire de résumer longuement les faits, s'agissant d'une dispute acrimonieuse entre parents, anciens conjoints de fait, qui recherchent chacun la garde exclusive de leur enfant (maintenant âgée de 6 ans et demi). La mésentente entre eux est profonde et s'est accrue à la faveur de cinq signalements contre l'intimé auprès de la DPJ (trois) et de la police (deux), dénonçant de la négligence envers l'enfant et des comportements sexuels inappropriés. Quatre de ces signalements ont été faits de manière anonyme, l'appelante reconnaissant être l'auteure du cinquième. Le juge de première instance est d'avis que les signalements anonymes proviennent également de l'appelante, ce que nie cette dernière. Tant la police que la DPJ ont rejeté ces signalements, après enquête.

[3]           L'instance, devant la Cour supérieure, a été ponctuée de demandes intérimaires. Il ressort de la lecture de l'ensemble des procédures et de la preuve reproduites au dossier d'appel que l'appelante, qui exerçait la garde provisoire de l'enfant pendant l'instance, ne collabore guère avec l'intimé. Elle tend ainsi à appliquer les ordonnances (même lorsqu'elles entérinent des ententes) de manière étroite et littérale, refusant d'y déroger pour accommoder occasionnellement l'intimé, qui, lui-même, ne montre pas toujours beaucoup de souplesse. On doit donc recourir constamment au tribunal pour régler toutes sortes de difficultés ou solliciter des permissions à propos de ceci ou de cela, alors que, avec un peu de bonne volonté, les parties auraient dû régler cela entre elles, d'emblée. Ces tribulations judiciaires finissent souvent par un consentement amiable, mais au prix d'efforts en réalité inutiles. Les relations des parties n'en sont que plus tendues.

[4]           Sur le fond, le juge de première instance tranche au terme d'un procès de deux jours, tenu les 18 et 19 février 2015. Le 18, l'appelante fait entendre ses témoins et témoigne elle-même. Au cours de la journée, le juge formule quelques questions et observations, notamment au sujet de certaines incohérences du témoignage de l'appelante. Au matin du 19, l'avocate de cette dernière demande, verbalement, la récusation du juge. L'appelante est apparemment contrariée par les propos tenus la veille par le juge et y voit une forme de partialité, qui l'inquiète. Le juge refuse de se récuser. L'avocate de l'appelante sollicite alors le report de l'affaire afin que sa cliente puisse interjeter appel, ce qui lui est également refusé. L'appelante prend ensuite la parole pour réitérer ses motifs de reproche à l'endroit du juge, annonce qu'elle n'entend pas se soumettre au contre-interrogatoire amorcé le jour précédent, puis quitte la salle. Son avocate indique au juge qu'en prévision du rejet de la requête en récusation, l'appelante a signé un acte révoquant son mandat de représentation, acte qu'elle produit. Le juge suggère qu'il est peut-être possible qu'elle demeure présente comme amicus curiae, pour voir aux intérêts de l'appelante, mais l'avocate, vu la révocation expresse de son mandat, décline l'invitation.

[5]           Malgré le départ de l'appelante et de son avocate, le juge poursuit donc l'audience, en commençant par le témoignage de l'intimé. Celui-ci raconte sa version des choses et, à compter d'un certain moment, fait grand cas de ses inquiétudes à propos de l'appelante, dont il craint qu'elle ne mette l'enfant en danger (enfant dont, à ce moment-là, elle a toujours la garde, qui lui a été confiée de manière intérimaire). Le juge, partageant la même crainte prononce, dans l'attente de son jugement final, une ordonnance intérimaire confiant la garde de l'enfant à l'intimé, sans accès à l'appelante. L'ordonnance est faxée à l'école de l'enfant (ainsi qu'à celle qui était encore l'avocate de l'appelante ce matin-là, avant la révocation de son mandat). Par la suite, l'avocate de l'intimé reçoit un appel téléphonique. On l'informe que l'enfant ne s'est pas présentée à l'école ce jour-là, ni d'ailleurs le jour précédent. Le juge suspend l'audience de façon à ce que l'intimé puisse voir ce qu'il en est et récupérer l'enfant. On saura plus tard qu'il aura fallu une intervention policière et une intervention téléphonique de la DPJ pour que l'appelante accepte que l'enfant, qui est en effet avec elle, rejoigne l'intimé.

[6]           Le procès reprend avec le témoignage de la fille aînée de l'intimé (ce dernier n'est plus dans la salle d'audience, mais a consenti à cette façon de faire). À son retour, l'intimé poursuit son témoignage. L'appelante, de son côté, ne revient pas. Les parents de l'appelante, toutefois, qui ont témoigné au premier jour du procès, s'y présentent de nouveau, à la demande de l'intimé et du juge. Ce dernier souhaite en effet s'assurer de leur consentement et de leur collaboration aux mesures de supervision qu'il envisage déjà d'ordonner au chapitre des droits d'accès de l'appelante.

[7]           Au terme de l'audience, le juge, statuant sur les requêtes, prononce diverses ordonnances, dont voici l'essentiel :

—        La garde exclusive de l'enfant est confiée à l'intimé, avec les précisions suivantes :

[52]      Pour plus de certitude, DÉCLARE que le défendeur pourra choisir seul l’établissement scolaire que fréquentera l’enfant, les professionnels de la santé que celle-ci consultera et qu’il pourra seul retenir les services d’un psychologue pour cette dernière;

[…]

[54]      AUTORISE le défendeur à demander seul l’émission d’un passeport pour l’enfant et à signer seul tous les documents requis à cette fin;

[55]      AUTHORIZES Defendant to travel alone with the child and without Plaintiff's written authorization, being understood that he must notify Plaintiff at least seven days prior to his departure, such notice containing all relevant informations relating to such travel;

[56]      Afin de faciliter la tâche du défendeur, ORDONNE à la demanderesse de signer, si requis de ce faire, tous les documents utiles à cette fin, étant entendu que le défaut de ce faire n'empêchera nullement ce dernier de voyager seul avec l’enfant, comme l'autorise le paragraphe précédent;

[57]      ORDONNE à la demanderesse, dès signification du présent jugement, de remettre à Mme A... B... ou N... G... le passeport de l’enfant ainsi que tout son matériel scolaire et ORDONNE à celles-ci de remettre ces documents au défendeur dans les plus brefs délais;

— Les droits d'accès suivants sont accordés à l'appelante, droits qui devront être exercés sous la supervision de ses propres parents :

[59]      ACCORDE à la demanderesse des droits d’accès supervisés par Mme A... B... et/ou Mme N... G...;

1.   Une fin de semaine sur deux, du vendredi après l’école ou la garderie jusqu’au dimanche soir à 17h00 et ce, à partir de la fin de semaine du 27 février 2015;

2.   Une semaine durant l’été suite à un avis de deux semaines au défendeur;

3.   Une semaine à l’occasion des vacances de fin d’année, l’enfant devant être avec le défendeur pour la fête de Noël lors des années impaires et avec la demanderesse lors des années paires;

[60]      Pour plus de certitude, ORDONNE que Mme A... B... et/ou Mme N... G... soi(en)t toujours dans leur résidence avec l’enfant lorsque la demanderesse y est et qu’elle(s) accompagne(nt) toujours cette dernière si celle-ci sort avec l’enfant;

[61]      ORDONNE à Mme A... B... et à Mme N... G..., sous toute peine que de droit, d’aviser les autorités policières ainsi que la DPJ dans les plus brefs délais si la demanderesse devait quitter avec l’enfant sans être accompagnée de l’une d’entre elles;

—        Il est interdit à l'appelante « sous toute peine que de droit, de s’approcher à moins de 500 mètres de la résidence du défendeur et de l’enfant ainsi que de l’institution d’enseignement que fréquente celle-ci et du lieu de travail de ce dernier »[1].

[8]           Le juge assortit le tout de certaines ordonnances accessoires : il annule pour le futur les ordonnances alimentaires jusque-là en vigueur, il réserve les droits de l'intimé de réclamer à l'appelante une pension alimentaire pour l'enfant, il ordonne aux parents de l'appelante de lui remettre copie du jugement, etc.

[9]           Le 8 juin 2015, l'appelante obtient de la Cour la permission de faire appel du jugement[2].

* *

[10]        L'appelante conteste toutes les conclusions du jugement de première instance. Son exposé d'appel fait valoir les moyens suivants :

A.         Le juge de première instance a manifestement erré lorsqu'il a apprécié la preuve documentaire et les témoignages pour conclure que la crédibilité de l'appelante était pratiquement nulle.

B.         Le juge de première instance a manifestement erré lorsqu'il a considéré que l'enfant n'est pas perturbée lorsqu'elle part et revient d'un séjour chez l'intimé.

C.        Le juge de première instance a manifestement erré lorsqu'il a considéré que l'appelante était non seulement nerveusement affectée par l'effet de ses contradictions lors de son contre-interrogatoire, mais troublée sur le plan psychologique.

D.        Le juge de première instance a manifestement erré lorsqu'il a considéré que le défendeur a indiqué que l'appelante avait un équilibre psychologique pour le moins précaire et qu'il avait des craintes pour la sécurité de l'enfant à la lumière des événements survenus.

E.         Le juge de première instance a manifestement erré lorsqu'il a pris acte du fait que les explications de la demanderesse sur ses motifs pour ne pas travailler alors qu'elle a une formation universitaire, ainsi que ceux pour lesquels elle n'a pas de téléphone à la maison, laissaient songeur.

F.         Le juge de première instance a manifestement erré lorsqu'il a pris acte du fait que l'intimé pouvait s'occuper seul de l'enfant.

G.        Le juge de première instance a manifestement erré lorsqu'il a pris acte du fait que l'intimé s'objectait à ce que la demanderesse puisse voyager avec l'enfant dans la mesure où elle est d'origine philippine et que celle-ci a maintenu des liens avec sa famille biologique.

H.         Le juge de première instance a erré en droit lorsqu'il a retiré à l'appelante la plupart des attributs de son autorité parentale à l'égard de l'enfant mineure des parties.

I.          Le juge de première instance a erré en droit lorsqu'il a considéré que les trois signalements à la DPJ relatifs à la conduite de l'intimé ont manifestement été signalés et déposés par la demanderesse.

J.         Le juge de première instance a erré en droit lorsqu'il omet ou écarte des portions de témoignages et permet au témoin ordinaire de corroborer les demandes de l'intimé, malgré des contradictions importantes.

K.         Le juge de première instance a erré en droit lorsqu'il interrompt de façon fréquente le témoignage de l'appelante pendant son interrogatoire et contre-interrogatoire.

L.         Le juge de première instance a erré en droit lorsqu'il n'a pas laissé aux témoins de l'appelante le temps suffisant pour s'exprimer en détail au sujet des faits pour lesquels ils témoignaient, au motif que cela engendrerait une perte de temps pour le déroulement de l'audition.

[11]        Lors de l'audience d'appel, cependant, l'avocat de l'appelante, tout en renvoyant à ces motifs, fait principalement reproche au juge d'avoir poursuivi le procès après que l'appelante eût décidé de quitter la salle. En agissant ainsi, le juge a privé l'appelante de son droit d'être entendue pleinement et de contre-interroger les témoins de l'intimé. S'il avait plutôt reporté l'affaire, comme il aurait dû le faire, l'appelante aurait eu le temps de se reprendre et l'occasion de recourir aux services d'un nouvel avocat, ce qui aurait permis le déroulement équitable de l'instance.

[12]        L'avocat ajoute que la décision est d'autant moins justifiée que le juge estime que l'appelante a certains troubles psychologiques. Ce n'est certes pas le cas (et la preuve ne contient rien qui soutienne une telle affirmation), mais si le juge le croyait, n'aurait-il pas dû, logiquement, suspendre l'audition et faire en sorte que l'appelante puisse assurer adéquatement sa défense? En choisissant de procéder ex parte, le juge a plutôt mis en place les conditions d'un jugement fondé sur une preuve biaisée et, ce faisant, il a erré. Il devait permettre à l'appelante de compléter sa preuve, dans le meilleur intérêt de l'enfant.

[13]        À ce propos, il affirme d'ailleurs qu'en raison du jugement de première instance, l'enfant est désormais privée de la présence de sa mère, qui était pourtant, jusque-là, la figure parentale dominante. L'appelante est en outre elle-même privée injustement et sans raison valable de certains attributs de l'autorité parentale.

[14]        L'avocat de l'appelante fait également valoir que sa cliente a été mal représentée, en première instance, par une consœur qui, sans doute liée par les contraintes d'un mandat d'aide juridique, n'aurait pas fait le nécessaire pour la préparer au procès. Il considère aussi que le jugement dont appel est largement fondé sur les seuls incidents du 19 février 2015, qui ont été déterminants, et qu'il ne trouve pour le reste pas véritablement d'assise dans la preuve.

[15]        Pour ces motifs, l'appelante réclame de la Cour qu'elle infirme le jugement de première instance et renvoie l'affaire à la Cour supérieure pour y être tranchée à nouveau. Dans l'intervalle, elle souhaite que la Cour prononce une ordonnance intérimaire sur la garde de l'enfant et ordonne également une expertise psychosociale.

* *

[16]        Il n'y aura pas lieu de faire droit à l'appel, sauf sur un point.

* *

[17]        Examinons d'abord les moyens qu'avance l'appelante au chapitre de la manière dont s'est déroulé le procès.

[18]        Le juge aurait-il dû, dans les circonstances que l'on sait, ajourner l'affaire?

[19]        Notons d'abord que, selon ce qu'on comprend du dossier d'appel, la requête en récusation présentée au juge a été rejetée à bon droit, aucun motif ne justifiant qu'il se dessaisisse de l'affaire. Ses observations, le 18 février 2015, lors de la première journée du procès, s'inscrivent dans la routine judiciaire et n'excèdent pas le champ de ce qui est de mise, de façon usuelle, lors d’une telle audience. Le témoignage de l'appelante soulevait malheureusement bien des interrogations, et il n'était pas anormal que le juge le signale ou le commente.

[20]        Quant à la question posée à la représentante de la DPJ, on constate que, d'une part, le juge a pris certaines précautions avant de la formuler et que, d'autre part, l'avocate du témoin y ayant fait objection, il n'a pas insisté, ajoutant que : « C'est pour ça que j'ai dit je sais pas si je peux la poser, là. Je m'offusque pas qu'on fasse une objection à ma question. Elle est accueillie »[3]. Là encore, il n'y a pas cause de reproche.

[21]        Que la requête en récusation ait été rejetée ne surprend donc pas. La réaction de l'appelante à ce rejet, le 19 février, étonne cependant, de même que ses propos. Qu'elle ait choisi de se retirer, en effet, plutôt que de poursuivre est tout à la fois inapproprié et inacceptable.

[22]        Que devait donc faire le juge?

[23]        Il lui était loisible, il est vrai, de reporter la suite de l'affaire à plus tard. Mais qu'il ait pu le faire ne signifie pas qu'il devait le faire et, dans le contexte, sa décision de continuer est une décision raisonnable. Sans doute - et l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne le confirme - le justiciable a-t-il le droit de se faire entendre, c'est-à-dire le droit de présenter sa preuve et ses arguments et de contrer ceux de la partie adverse. Toutefois, ce droit s'exerce à l'intérieur des balises que fixent, en l'occurrence, le Code de procédure civile et les usages consacrés par la jurisprudence, qui font en sorte que celui ou celle à qui l'on donne l'occasion d'être entendu ne peut pas, à son gré, décider de mettre fin à une audience ou en exiger la suspension ou le report sans raison valable.

[24]        Or, en l'espèce, quoi qu'elle ait pu en penser, l'appelante, soit dit avec égards, n'avait pas de raison valable d'agir comme elle l'a fait, une fois sa requête en récusation rejetée. Le juge ayant refusé de remettre l'affaire à plus tard afin qu'elle puisse faire appel de sa décision de ne pas se récuser, elle ne pouvait pas simplement, pour manifester son insatisfaction, quitter la salle d'audience et refuser de participer au débat (sans compter que, parallèlement, la révocation du mandat de son avocate, préparée avant la demande de récusation et tributaire du jugement sur ce point, signale une intention minant l'idée d'une réaction spontanée). Divers moyens se présentent au justiciable qui souhaite contester la décision d'un juge, mais le boycottage de l'audience n'est pas de ceux-là. Ce comportement est d'autant moins acceptable qu'il porte également atteinte aux droits de la partie adverse, qui n'a pas à être soumise au bon plaisir ou aux coups de tête de l'autre. Il fait fi également de ce que des ressources judiciaires ont été mobilisées pour une audience qui ne peut simplement être ajournée, suspendue ou reprise pour satisfaire les humeurs d'une partie.

[25]        En l'espèce, une première journée de procès a eu lieu, au cours de laquelle l'appelante a pu faire entendre ses témoins et se faire entendre sans entrave, ainsi que le révèle la lecture des notes sténographiques de l'audition du 18 février 2015. Elle était conseillée par une avocate d'expérience et rien ne justifiait, même si l'audience ne lui semblait pas tourner comme elle l'espérait, qu'elle demande la récusation du juge et encore moins qu'elle quitte les lieux après le rejet de cette demande.

[26]        En décidant de continuer l'audition de l'affaire malgré l'absence de l'appelante, le juge a pris ici une décision rationnelle, qui s'accorde de surcroît avec le principe d'une saine administration de la justice. Vu les circonstances, il était également dans l'intérêt de l'enfant des parties que la question de sa garde soit décidée sans plus attendre.

[27]        Par conséquent, sous ce rapport, il n'y a pas matière à casser le jugement de première instance ni à considérer un renvoi du dossier à la Cour supérieure.

* *

[28]        Cela étant, qu'en est-il du fond de l'appel?

[29]        Rappelons que la partie qui se pourvoit contre un jugement prononcé par la Cour supérieure en matière de garde d'enfant porte le lourd fardeau de démontrer l'existence d'une erreur de droit de nature à affecter l'issue du litige ou encore celle d'une erreur de fait manifeste et déterminante[4]. Les cours d'appel sont particulièrement exigeantes sur les deux plans et le sont plus encore lorsque l'affaire repose sur l'appréciation de la crédibilité des témoins, ce qui est ici le cas. C'est ce que soulignait récemment la Cour dans Droit de la famille — 1647[5] :

[2]        On connaît la norme d'intervention applicable en ces matières où le juge de première instance jouit d'une vaste latitude. Une cour d'appel n'infirmera ou ne modifiera une ordonnance que si l'appelant démontre qu'elle est entachée d'une erreur de droit ou de principe ayant un impact véritable sur les conclusions ou encore si elle est entachée d'une erreur de fait manifeste et déterminante [renvoi omis]. Cette norme est d'application particulièrement sévère lorsque les moyens d'appel - comme c'est le cas en l'espèce - portent sur des questions d'appréciation de la preuve et de crédibilité des témoins.

[30]        L'appel, par ailleurs, n'est pas l'occasion pour la partie appelante de tenter de refaire le procès ou de bonifier une preuve qui aurait dû être faite en première instance.

[31]        En l'espèce, l'appelante ne se décharge pas de l'exigeant fardeau qui lui incombe de démontrer que le juge a commis une erreur de droit décisive ou encore une erreur de fait manifeste et déterminante, ou qu'il a mal exercé le pourvoir discrétionnaire qui est le sien d'établir, dans l'intérêt de l'enfant, qui prime en tout (art. 33 C.c.Q.), un régime de garde sur mesure, tenant compte des circonstances assez particulières de l'affaire.

[32]        Notons tout d'abord que, au contraire de ce qu'elle prétend aux paragr. 33 et 34 de son mémoire, le juge n'a pas limité la preuve que l'appelante ou son avocate tentait d'administrer, ni empêché ses témoins de s'exprimer. Ses quelques interventions paraissent, au contraire, tout à fait pertinentes.

[33]        Il ressort ensuite de l'ensemble du témoignage de l'appelante que celle-ci ne désire guère que l'enfant maintienne une relation avec son père et que, pour atteindre ses fins, elle a monté de toutes pièces un scénario qu'elle défend encore devant le juge de première instance. Celui-ci conclut ainsi que c'est l'appelante qui est l'auteure des signalements anonymes portés à répétition contre l'intimé auprès de la police et de la DPJ. La lecture de la preuve confirme cette inférence du juge et le témoignage de l'appelante, qui cherche malgré tout à entretenir le doute sur la conduite de l'intimé envers l'enfant, laisse incrédule.

[34]        Le juge de première instance constate également que l'appelante paraît incapable de s'entendre avec l'intimé sur quoi que ce soit, ce qui provoque d'incessants recours au tribunal, dont elle est largement responsable par son attitude intransigeante. Il ne la croit pas lorsqu'elle affirme que l'enfant est perturbée par ses visites chez son père, affirmation qui, d'ailleurs, contredit les déclarations des autres témoins et la preuve documentaire (notamment celle qui se rapporte au fonctionnement de l'enfant à l'école).

[35]        Au vu des incohérences, contradictions et dénégations futiles entachant son témoignage, et plus encore lorsqu'on le confronte à celui des grands-mères ou des autres témoins, il n'est pas surprenant que le juge n'accorde pas foi aux propos de l'appelante. La preuve, telle que reproduite au dossier d'appel, ne peut que lui donner raison. Qu'il ait en conséquence décidé que le comportement de l'appelante envers l'intimé affecte sa capacité parentale est également, dans les circonstances, une conclusion inéluctable, tout comme celle selon laquelle l'intérêt de l'enfant commande qu'il en confie la garde exclusive à l'intimé.

[36]        Il est certain que les événements survenus le 19 février 2015 ont influencé les déterminations du juge : la décision de l'appelante de quitter la salle et sa résistance, dans le contexte que l'on a vu plus tôt, à remettre l'enfant à l'intimé malgré une ordonnance prononcée en cours d'audience, ont assurément contribué à l'issue du litige. On ne saurait cependant en faire grief au juge, qui pouvait légitimement considérer ces incidents et en tirer certaines conclusions, s'agissant là de faits pertinents.

[37]        La Cour estime également que le juge n'a pas erré aux paragraphes 52 et 54 à 57 du dispositif du jugement, paragraphes reproduits ci-dessous, de nouveau, par commodité :

[52]      Pour plus de certitude, DÉCLARE que le défendeur pourra choisir seul l’établissement scolaire que fréquentera l’enfant, les professionnels de la santé que celle-ci consultera et qu’il pourra seul retenir les services d’un psychologue pour cette dernière;

[…]

[54]      AUTORISE le défendeur à demander seul l’émission d’un passeport pour l’enfant et à signer seul tous les documents requis à cette fin;

[55]      AUTHORIZES Defendant to travel alone with the child and without Plaintiff's written authorization, being understood that he must notify Plaintiff at least seven days prior to his departure, such notice containing all relevant informations relating to such travel;

[56]      Afin de faciliter la tâche du défendeur, ORDONNE à la demanderesse de signer, si requis de ce faire, tous les documents utiles à cette fin, étant entendu que le défaut de ce faire n'empêchera nullement ce dernier de voyager seul avec l’enfant, comme l'autorise le paragraphe précédent;

[57]      ORDONNE à la demanderesse, dès signification du présent jugement, de remettre à Mme A... B... ou N... G... le passeport de l’enfant ainsi que tout son matériel scolaire et ORDONNE à celles-ci de remettre ces documents au défendeur dans les plus brefs délais;

[38]        L'appelante se plaint de ces ordonnances qui, à son avis, ont pour effet de la priver de certains attributs de l'autorité parentale et équivalent à une sorte de déchéance, telle que prévue par l'art 606 C.c.Q., ce qui demeure une sanction exorbitante et extraordinaire.

[39]        On peut comprendre le désarroi de l'appelante, mais, avec égards, elle est l'auteure de son propre malheur (qui ne relève pas de la déchéance, cela dit). L'historique des procédures judiciaires montre en effet son intransigeance devant les moindres demandes de l'intimé et son incapacité de communiquer avec lui (elle a même décidé de se priver de téléphone, plutôt que d'avoir à lui parler - prétextant un harcèlement dont la preuve n'a pas été faite). On n'imagine pas comment, dans ce contexte, les parties pourraient s'entendre sur l'école de l'enfant ou son médecin ou sur l'utilité d'une thérapie psychologique ou encore sur un voyage que l'intimé voudrait faire avec elle.

[40]        La relation qu'entretiennent les parties est si dysfonctionnelle, et ce, principalement en raison du comportement de l'appelante, qu'une collaboration entre elles n'est pas réalistement envisageable. Dans l'état actuel des choses, biffer cette ordonnance du juge condamnerait selon toute vraisemblance les parties à s'adresser au tribunal chaque fois qu'elles divergent d'opinion - et, vu l'attitude de l'appelante, cela risque d'être fréquent. Or, une telle perspective est contraire à l'intérêt de l'enfant, contraire à une saine administration de la justice (art. 19 C.p.c.), contraire au principe de proportionnalité qu'impose le nouvel article 18 C.p.c.[6], et elle ne ferait qu'entretenir le conflit.

[41]        Il est néanmoins nécessaire de rappeler à l'intimé que le fait qu'il puisse choisir ainsi l'école, le médecin ou le psychologue de l'enfant ne signifie pas qu'il doive laisser l'appelante dans le noir à ce sujet : il doit au contraire la renseigner. L'ordonnance du juge, bien sûr, ne signifie pas que l'appelante puisse être expulsée de la vie de l'enfant à ces égards. De plus, dans l'intérêt de l'enfant, il y aurait tout avantage à ce que l'intimé, même s'il peut en définitive prendre seul la décision, tente, autant que faire se peut, d'obtenir le concours de l'appelante, afin de rétablir une relation entre eux, au bénéfice de l'enfant. Enfin, toute autre décision importante relative à cette dernière doit se faire, en principe, de concert.

[42]        Soulignons que, lors de l'audience devant la Cour, l'avocate de l'intimé a affirmé que son client tenait l'appelante au courant des événements affectant la vie de leur fille et, notamment, qu'il lui envoyait des bulletins scolaires de l'enfant, etc. Cela, en effet, est la chose à faire et l'on ne peut qu'encourager le père à continuer dans cette voie.

[43]        Qu'en est-il maintenant des droits d'accès de l'appelante? La situation justifiait-elle que le juge ordonne que ces accès soient supervisés, en l'occurrence par ses propres parents, avec qui elle entretient une excellente relation[7] et en qui l'intimé a confiance? Justifiait-elle que l'enfant n'ait aucun contact avec sa mère, sauf dans le cadre de ces accès supervisés?

[44]        Ici encore, il est clair que le comportement de l'appelante lors du procès (incluant son témoignage du 18 février) a inspiré des craintes au juge, l'intimé ayant lui-même exprimé son inquiétude. Le juge a conclu de l'ensemble de la preuve et des incidents du 19 février, qu'il était préférable de prévoir la supervision des droits d'accès de l'appelante auprès de l'enfant. Enfin, il a laissé le soin de cette supervision aux parents de l'appelante, qui ont la confiance de l'intimé.

[45]        Y a-t-il motif à intervention?

[46]        La Cour estime devoir répondre à cette question par la négative.

[47]        La mesure, certes, est restrictive. Au vu de la preuve, il s'agissait toutefois d'un compromis raisonnable, préservant les intérêts des uns et des autres, dont, au premier chef, celui de l'enfant, et assurant que l'appelante puisse s'occuper de sa fille dans un environnement sympathique et sécuritaire. Par ailleurs, le juge a eu l'avantage de voir et d'entendre les parties et de se faire une idée du risque que présentait l'appelante : peut-être cette crainte était-elle exagérée, mais il est difficile pour une cour d'appel de réformer un tel constat de fait, alors qu'elle n'a pas ce même avantage. Il est donc impossible de conclure que le juge a commis ici une erreur révisable.

[48]        Cette mesure, par ailleurs, n'a pas vocation à la permanence et il n'y a pas de doute qu'un changement d'attitude de l'appelante justifierait la levée de la supervision. Une telle prescription n'est pas la norme et, dans un contexte comme celui de l'espèce, on devrait l'envisager comme une restriction temporaire, qu'un autre tribunal pourrait radier si l'appelante peut faire la démonstration de ce qu'elle n'est pas nécessaire.

[49]        Pour le moment, toutefois, l'appelante n'a pas établi d'erreur manifeste et déterminante à cet égard, que ce soit dans l'évaluation du risque qu'elle présente ou de l'opportunité de la mesure de supervision.

[50]        Finalement, que faire de l'ordonnance figurant au paragraphe 53 du jugement, qui interdit à l'appelante de s'approcher à moins de 500 m de la résidence de l'intimé et de l'enfant ou de l'institution scolaire de cette dernière ou du lieu de travail du père?

[51]        De façon générale, on peut affirmer qu'une ordonnance de ce genre est exceptionnelle, du moins dans un jugement statuant sur la garde d'un enfant. On pourrait même considérer qu'elle ne sera ordinairement pas recommandée, ne serait-ce que parce qu'elle risque d'avoir l'effet d'une rebuffade cinglante à l'endroit de la personne qui est en l'objet et de contribuer ainsi à jeter de l'huile sur le feu.

[52]        Il est certainement des circonstances où une telle ordonnance est indiquée, mais est-ce le cas ici? Il est vrai que certains événements rapportés par l'intimé montrent que l'appelante tend à le suivre ou à suivre l'enfant[8] et on peut y voir une tentative de s'immiscer dans les relations père-enfant ou de les surveiller, voire de les contrôler. Ce type de surveillance, qui dénote une possessivité ou une obsession malsaine, doit être réprouvé. L'ordonnance prononcée par le juge, cependant, ne permet pas véritablement de résoudre cette problématique, qui résulte de l'attitude rigide et suspicieuse de l'appelante. Il aurait été préférable d'ordonner à cette dernière de ne pas se trouver en leur présence, sauf, évidemment, si cela se produit de manière fortuite ou lors des échanges menant à l'exercice des droits d'accès de l'appelante. Une telle ordonnance devrait faire en sorte que l'appelante cesse de talonner, suivre ou épier l'intimé et l'enfant ou d'interférer en se trouvant physiquement à proximité ou dans leur entourage.

[53]        Pour ces raisons, il y aura lieu de modifier en conséquence l'ordonnance prononcée par le juge de première instance, tout en soulignant ici qu'une accumulation de rencontres apparemment inopinées pourrait faire douter de leur caractère fortuit.

[54]        Sauf sur ce point, il n'y a pas lieu de modifier le dispositif du jugement de première instance.

* *

[55]        Certaines observations finales s'imposent ici.

[56]        Il serait dans le plus grand intérêt de l'enfant que se résolve le conflit qui oppose ses parents et qui, malheureusement, dérive principalement de l'attitude de l'appelante, selon ce qui ressort du dossier d'appel.

[57]        On sait que la séparation des parents a un impact sur l'enfant, impact qui est plus grand encore lorsque l'un desdits parents considère la question de la garde comme une guerre à gagner contre l'autre ou préférerait que celui-ci soit exclu de la vie de l'enfant, comme c'est apparemment le cas de l'appelante. Une telle situation ne peut que nuire à l'enfant, qui se trouve ici privée de son droit à une relation parentale paisible, et ce, tant avec sa mère que son père.

[58]        Les préoccupations de la Cour à ce propos se sont accrues lorsqu'elle a pris connaissance, lors de l'audience, d'une requête présentée par l'intimé à la Cour supérieure en août 2015, requête au soutien de laquelle ont été produites les déclarations sous serment des parents de l'appelante[9]. Tant la requête que ces déclarations décrivent des faits troublants dont on ne peut qu'espérer qu'ils ne s'avèrent pas. Évidemment, ces faits n'ont pas encore été prouvés, ils n'ont pas à être tenus pour démontrés et ils ne le seront peut-être pas. Le plumitif de la Cour supérieure révèle de surcroît que les parties ont signé un accord intérimaire - et cela est heureux -, accord entériné par le tribunal. L'audition de la requête est fixée au 1er mars 2016. On doit souhaiter que d'ici là, les parties trouvent un terrain d'entente qui leur permette de renouer minimalement afin que leur fille puisse bénéficier de leur présence et de leur amour autrement que dans le présent contexte. 

* *

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[59]        ACCUEILLE l'appel, à la seule fin de remplacer le paragraphe 53 du dispositif du jugement de première instance par le paragraphe suivant :

[53]      ORDONNE à la demanderesse ne pas se trouver en présence du père ou de l'enfant, autrement que lors de l'exercice de ses droits d'accès supervisés ou à moins d'une rencontre fortuite;

[60]        Le tout, sans frais.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

Me Michaël Barcet

Pour l’appelante

 

Me Sophia Claude

JOLI-CŒUR LACASSE AVOCATS

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

11 février 2016

 



[1]     Jugement de première instance, paragr. 53.

[2]     2015 QCCA 1039.

[3]     Notes sténographiques du 18 février 2015, p. 165, annexes du mémoire de l'appelante, p. 593.

[4]     Voir par ex. : Droit de la famille — 16269, 2016 QCCA 244, paragr. 3; Droit de la famille — 152910, 2015 QCCA 1927, J.E. 2015-1896, paragr. 21; Droit de la famille — 152758, 2015 QCCA 1822, J.E. 2015-1781, paragr. 16; Droit de la famille — 152907, 2015 QCCA 1918, paragr. 5; Droit de la famille — 152574, 2015 QCCA 1676, paragr. 5 et 6; Droit de la famille — 151324, 2015 QCCA 1016, J.E. 2015-1047, paragr. 12; Droit de la famille — 151268, 2015 QCCA 972, paragr. 2 et 3; Droit de la famille — 1527, 2015 QCCA 58, paragr. 1; Droit de la famille — 143082, 2014 QCCA 2225, paragr. 1; Droit de la famille — 142294, 2014 QCCA 1722, notamment au paragr. 6; Droit de la famille — 142291, 2014 QCCA 1721 (j. unique), paragr. 16 et 17; Droit de la famille — 132746, 2013 QCCA 1756, J.E. 2013-1839, paragr. 3 et 4; Droit de la famille — 132082, 2013 QCCA 1310, paragr. 7; Droit de la famille — 13396, 2013 QCCA 317, J.E. 2013-392, paragr. 14. Toutes ces affaires reprennent ou appliquent le principe énoncé par la Cour suprême dans Hickey c. Hickey, [1999] 2 R.C.S. 518, et Van de Perre c. Edwards, [2001] 2 R.C.S. 1014, paragr. 10 à 15.

[5]     2016 QCCA 29.

[6]     Voir également les anciens articles 4.1 et 4.2 du Code de procédure civile, tel qu'il était à l'époque du jugement.

[7]     En réponse à une question posée par la Cour au début de l'audience d'appel, l'intimé a remis copie d'une requête de l'intimé, actuellement pendante devant la Cour supérieure, requête appuyée de déclarations sous serment des parents de l'appelante. Il semblerait, si l'on s'en remet à ces déclarations, que les rapports entre l'appelante et ses parents se soient détériorés.

[8]     Voir notes sténographiques du témoignage de l'intimé, 19 février 2015, p. 46, annexes de l'exposé de l'appelante, p. 713.

[9]     Voir supra, note infrapaginale 7.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.