DÉCISION
[1] Le 27 décembre 2001, monsieur Yousri Abdel-Meguid (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 21 novembre 2001, à la suite d'une révision administrative.
[2] Dans cette décision, la CSST confirme la décision qu'elle a rendue, le 18 juin 2001, et déclare que le travailleur doit rembourser l'indemnité de remplacement du revenu qu'il a perçue sans droit, du 14 au 27 mai 1998, soit la somme de 1 130,50 $.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[3] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision de la CSST et de déclarer qu'il n'est pas tenu de rembourser l'indemnité de remplacement du revenu qu'il a perçue, du 14 au 27 mai 1998.
[4] Bien qu'il ait été dûment convoqué, General Motors du Canada ltée (l'employeur) n'est pas représenté lors de l'audition de la présente requête.
LES FAITS
[5] Le travailleur a exercé l'emploi de technicien monteur chez l'employeur pendant près de trente ans. Il est retraité depuis le 27 juin 1997.
[6] Le 9 juin 1998, il présente au bureau de la CSST une demande d'indemnités de remplacement du revenu dans laquelle il allègue que, le 13 mai 1998, il a été victime d'une récidive, rechute ou aggravation d'une lésion professionnelle subie à l'occasion d'un accident du travail survenu, le 21 février 1996.
[7]
Le 21 octobre 1998, la CSST accepte la demande d'indemnités du
travail et, se conformant aux dispositions du deuxième alinéa de l'article
[8] Cette décision, confirmée à la suite d'une révision administrative, est contestée par l'employeur devant la Commission des lésions professionnelles.
[9] Le 1er juin 2001, la Commission des lésions professionnelles fait droit à la contestation de l'employeur, infirme la décision de la CSST et déclare que le travailleur «n'a pas subi une lésion professionnelle le 13 mai 1998, soit une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 21 février 1996».
[10] Le 18 juin 2001, la CSST avise le travailleur qu'il doit rembourser la somme de 1 130,50 $ qui lui a été versée «pour les ou une partie des 14 premiers jours de» son incapacité de travailler parce que sa demande d'indemnités de remplacement du revenu a été refusée.
[11] Le travailleur demande la révision de cette décision.
[12]
Le 21 novembre 2001, la CSST rejette la demande de révision du
travailleur et confirme la décision du 18 juin 2001. Elle déclare que le travailleur doit rembourser les indemnités de
remplacement du revenu qui lui ont été versées «dans le cadre de l'application
de l'article
[13] Contestant cette dernière décision devant la Commission des lésions professionnelles, le travailleur déclare qu'il a toujours été de bonne foi dans le présent dossier et qu'il n'est pas tenu de rembourser les indemnités de remplacement du revenu qui lui ont été versées, du 14 au 27 mai 1998.
L'AVIS DES MEMBRES
[14]
Le membre issu des associations syndicales exprime son avis,
le 24 avril 2002. Il estime que la
présente requête devrait être accueillie car, suivant les dispositions de
l'article
[15] Le membre issu des associations d'employeurs exprime son avis, le 14 mai 2002, dans les termes suivants :
«Le membre issu des associations d'employeurs considère que l'indemnité versée durant les 14 premiers jours d'incapacité est toujours recouvrable, et ce, peu importe qu'elle soit versée directement par la CSST en vertu de l'article 124 ou par l'employeur en vertu de l'article 60.
L'objectif visé par les articles 60 et 124 est le même comme
l'a bien expliqué la CALP dans l'affaire Poisson
et J.M. Asbestos inc.,
«Un mécanisme très particulier mis
en place par le législateur permet à un travailleur d'éviter de subir une préjudice
par suite du délai qui doit inévitablement s'écouler entre la production de sa
demande d'indemnisation et la réception d'une première prestation d'indemnités
de remplacement du revenu. Ce mécanisme
est décrit aux articles
Quand un employeur verse l'indemnité représentant les quatorze premiers jours, il est par la suite remboursé par la CSST (art. 60, 3ième alinéa). En fin de compte, c'est toujours la CSST qui indemnise le travailleur lors des 14 premiers jours.
Le législateur a voulu que tous les travailleurs soient traités de la même façon quant au paiement des 14 premiers jours, et ce, sans égard à leur situation professionnelle. Il n'y a donc aucune raison justifiant qu'ils soient traités différemment en ce qui a trait au recouvrement des prestations.»
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[16] Pour les motifs ci-après exposés, la Commission des lésions professionnelles doit accueillir la présente requête.
[17]
L'article
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour dommages corporels et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
________
1985, c. 6, a. 1.
[18]
Suivant l'article
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
________
1985, c. 6, a. 44.
[19] Rappelons que, suivant la jurisprudence, la LATMP doit recevoir une interprétation large, qui respecte son caractère éminemment social et son but réparateur et qui favorise les personnes à qui le législateur a voulu accorder un avantage, en l'occurrence les travailleurs[2].
[20]
L'article
60. L'employeur au service duquel se trouve le travailleur lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle lui verse, si celui - ci devient incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, 90 % de son salaire net pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement travaillé, n'eût été de son incapacité, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité.
[…]
________
1985, c. 6, a. 60; 1993, c. 5, a. 1.
[21] Les troisième et quatrième alinéas du même article énoncent qu'après avoir reçu une demande d'indemnités de remplacement du revenu du travailleur, la CSST rembourse à l'employeur le salaire ainsi versé et si, par la suite, elle «décide que le travailleur n'a pas droit à cette indemnité, en tout ou en partie, elle doit lui en réclamer le trop perçu».
[22] Par ces dispositions, le législateur a voulu qu'un travailleur ne se retrouve pas sans ressource pécuniaire entre le jour où il devient incapable d'exercer son emploi en raison d'une lésion professionnelle et le jour où la CSST commence à lui verser une indemnité de remplacement du revenu.
[23] Soulignons que le législateur n'a pas donné à l'employeur la responsabilité de déterminer si le travailleur a droit ou non d'être indemnisé. Cette décision appartient à la CSST. L'employeur n'a donc pas le choix. Quel que soit son avis, il doit verser au travailleur 90 % de son salaire net pendant les quatorze (14) premiers jours de son incapacité. Il sera plus tard remboursé par la CSST.
[24]
Dans le présent dossier, le travailleur était retraité
lorsqu'il a présenté une demande d'indemnités de remplacement du revenu au
bureau de la CSST, le 9 juin 1998.
Aucun employeur n'était donc tenu de lui verser un salaire en vertu de
l'article
[25]
La CSST devait dès lors se conformer aux dispositions
suivantes du deuxième alinéa de l'article
124. […]
Cependant, la Commission verse au travailleur à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60 l'indemnité de remplacement du revenu pour chaque jour ou partie de jour où ce travailleur aurait normalement gagné un revenu d'emploi, n'eût été de son incapacité d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle, pendant les 14 jours complets suivant le début de cette incapacité, si ce travailleur lui fournit l'attestation médicale visée dans l'article 199.
________
1985, c. 6, a. 124.
[26] Le 1er juin 2001, la Commission des lésions professionnelles a déclaré que le travailleur «n'a pas subi une lésion professionnelle, le 13 mai 1998». En conséquence, celui-ci n'avait pas droit de recevoir des indemnités de remplacement du revenu.
[27]
Toutefois, l'article
[28]
Se fondant sur les termes de l'article 363 in fine, la CSST a déclaré, dans sa
décision du 21 novembre 2001, que le travailleur devait rembourser les
indemnités de remplacement du revenu qui lui avaient été versées «dans le cadre
de l'application de l'article
[29] Or, comme on l'a vu plus haut, le travailleur a perçu des indemnités de remplacement du revenu, du 14 au 27 mai 1998, en vertu de l'article 124, deuxième alinéa, précité. La décision du 21 novembre 2001 était donc erronée sur ce point.
[30] Est-ce qu'on peut soutenir que, par analogie, les dispositions de l'article 363 in fine s'appliquent aux indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur en vertu du deuxième alinéa de l'article 124 ?
[31] La Commission des lésions professionnelles ne le croit pas.
[32] L'article 363 énonce une règle : un travailleur de bonne foi qui reçoit des prestations de la CSST n'a pas à les rembourser lorsque, plus tard, il fait l'objet d'une décision défavorable de la Commission des lésions professionnelles.
[33]
L'article
129. La Commission peut, si elle le croit à propos dans l'intérêt du bénéficiaire ou dans le cas d'un besoin pressant du bénéficiaire, verser une indemnité de remplacement du revenu avant de rendre sa décision sur le droit à cette indemnité si elle est d'avis que la demande apparaît fondée à sa face même.
Si par la suite la Commission rejette la demande ou l'accepte en partie, elle ne peut recouvrer les montants versés en trop de la personne qui les a reçus, sauf si cette personne :
1° a obtenu ces montants par mauvaise foi; ou
2° a droit au bénéfice d'un autre régime public d'indemnisation en raison de la blessure ou de la maladie pour laquelle elle a reçu ces montants.
Dans le cas du paragraphe 2°, la Commission ne peut recouvrer les montants versés en trop que jusqu'à concurrence du montant auquel a droit cette personne en vertu d'un autre régime public d'indemnisation.
________
1985, c. 6, a. 129.
[34]
Outre le cas des indemnités obtenues par mauvaise foi, le
législateur n'a énoncé expressément à l'article
[35] Si le législateur avait voulu que l'exception à la règle de l'article 363 s'applique à l'indemnité de remplacement du revenu versée en vertu du deuxième alinéa de l'article 124, il se serait exprimé autrement.
[36]
Les termes utilisés aux articles
[37] Cet article 363 n'énonce pas qu'un travailleur doit rembourser l'indemnité de remplacement du revenu qu'il a reçue en vertu de l'article 124, deuxième alinéa.
[38] La Commission des lésions professionnelles conclut donc dans le présent dossier que le travailleur, dont la bonne foi n'est pas contestée, n'est pas tenu de rembourser l'indemnité de remplacement du revenu qu'il a perçue, du 14 au 27 mai 1998, et qu'en conséquence, la décision rendue par la CSST, le 21 novembre 2001, doit être infirmée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Yousri Abdel-Meguid;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 21 novembre 2001, à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n'est tenu de rembourser à la Commission de la santé et de la sécurité du travail l'indemnité de remplacement du revenu qu'il a perçue, du 14 au 27 mai 1998.
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Fernand Poupart |
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Commissaire |
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André Leduc, avocat |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] L.R.Q., ch. A-3.001)
[2] Betts et Gallant c. Workmen's Compensation Board, [1934]
1D.L.R. 438 (C.S.C.); Workmen's
Compensation Board c. Theed,
[1940] R.C.S. 553; Deschênes et Société canadienne des métaux Reynolds ltée,
AVIS :
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