Poirier et Sécurité-Policiers Ville de Montréal |
2015 QCCLP 6768 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 13 mars 2015, monsieur Claude Poirier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou révocation d’une décision rendue par celle-ci le 24 janvier 2014.
[2] Par sa décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la contestation du travailleur, confirme la décision rendue le 31 août 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative, et déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 15 mai 2012.
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience qui s’est tenue le 11 novembre 2015 à Saint-Hyacinthe. L’employeur, Sécurité-Policiers Ville de Montréal, y est représenté. L’affaire a été mise en délibéré le 3 décembre 2015, date à laquelle le tribunal a reçu les argumentations supplémentaires écrites qu’il a demandées à l’audience.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer sa décision du 24 janvier 2014 et de convoquer les parties à une nouvelle audience sur le fond de sa contestation.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont tous deux d’avis que la requête en révision ou révocation du travailleur devrait être rejetée. En effet, les pièces T-1 et T-2 à T-5 produites au soutien de cette requête n’existaient pas lors de l’audience qui a conduit à la décision attaquée du 24 janvier 2014 et, suivant la jurisprudence applicable en semblable matière, elles ne peuvent donc pas être considérées comme étant des faits nouveaux.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider en l’instance s’il y a matière à réviser ou révoquer la décision qu’elle a prononcée le 24 janvier 2014.
[7] Les articles 429.49 et 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoient ce qui suit :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[8] L’article 429.49 de la loi énonce clairement le caractère final, exécutoire et sans appel des décisions de la Commission des lésions professionnelles. Par cet article, le législateur a voulu assurer la stabilité et la sécurité juridique des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles.
[9] Toutefois, l’article 429.56 de la loi permet la révision ou la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles.
[10] Le travailleur n’invoque pas en l’espèce le fait de ne pas avoir été entendu, pour des raisons jugées suffisantes. Il ne soulève pas non plus l’existence dans la décision rendue d’erreurs manifestes de fait et de droit équivalant à un vice de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Il allègue plutôt la découverte de faits nouveaux qui, s’ils avaient été connus en temps utile, auraient pu justifier une décision différente.
[11] Il convient de rappeler l’objet de la contestation du travailleur devant la Commission des lésions professionnelles, à savoir qu’il a subi une lésion professionnelle le 15 mai 2012, lui résultant d’un accident du travail. Le travailleur, un policier au service de l’employeur depuis près de 30 ans, prétend que celui-ci a exercé son droit de gérance à son égard de façon abusive et malicieuse, en le forçant à quitter le service et en lui préparant un plan d’encadrement qui ne correspond pas aux reproches formulés dans son évaluation du rendement.
[12] Dans le cadre de l’audience de cette contestation qui s’est tenue sur deux journées, les 14 et 15 janvier 2014, l’employeur met preuve des rapports d’accusations disciplinaires contre le travailleur datés du 16 octobre 2013 (pièce E-1 en liasse) pour avoir, à des dates ou périodes précises, dérogé à son horaire de travail, manqué de courtoisie à l’égard d’une collègue de travail et pour ne pas s’être présenté à la Cour sans justification. L’audition de la contestation des trois rapports n’a pas encore eu lieu au moment de l’audience tenue en janvier 2014. La preuve révèle également que le 4 mai 2012, le travailleur dépose une plainte pour harcèlement psychologique à la Direction des ressources humaines qui, au jour de l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles, n’est toujours pas traitée.
[13] Dans sa décision du 24 janvier 2014, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’employeur n’a pas utilisé de façon abusive son droit de gérance, pour des motifs qui seront discutés plus tard dans la présente décision.
[14] Un an plus tard, le 27 janvier 2015, l’employeur, par l’entremise de son chef de division des ressources humaines, monsieur François Landry, avise le travailleur que sa plainte pour harcèlement psychologique du 4 mai 2012, pour des événements survenus entre les 17 avril et 3 mai 2012, est fondée (pièce T-1). Monsieur Landry mentionne que la plainte a été traitée conformément à la Politique de respect de la personne de la Ville de Montréal et qu’à la suite de son enquête et d’une analyse exhaustive des faits, il retient que messieurs Pierre Rizkallah et Bertrand Taillefer ont eu à l’égard du travailleur des propos et comportements vexatoires, selon la définition du harcèlement psychologique prévu à la politique ci-haut mentionnée et à la Loi sur les normes du travail[2] et la notion de personne raisonnable.
[15] Plus tard, le 18 février 2015, le chef de division de la Division des affaires internes chez l’employeur, monsieur Dominic Wérotte, informe le travailleur du retrait des trois accusations disciplinaires portées contre lui le 16 octobre 2013 (pièces T-2 à T-5).
[16] C’est à la suite de la réception des pièces T-1 et T-2 à T-5 que le travailleur dépose sa requête en révision ou révocation le 13 mars 2015. À l’audience sur la présente requête, le tribunal siégeant en révision et révocation a déterminé que la requête en révision ou révocation du travailleur a été produite dans les 45 jours de la connaissance de la pièce T-1, conformément à l’article 429.57 de la loi qui se lit comme suit :
429.57. Le recours en révision ou en révocation est formé par requête déposée à la Commission des lésions professionnelles, dans un délai raisonnable à partir de la décision visée ou de la connaissance du fait nouveau susceptible de justifier une décision différente. La requête indique la décision visée et les motifs invoqués à son soutien. Elle contient tout autre renseignement exigé par les règles de preuve, de procédure et de pratique.
La Commission des lésions professionnelles transmet copie de la requête aux autres parties qui peuvent y répondre, par écrit, dans un délai de 30 jours de sa réception.
La Commission des lésions professionnelles procède sur dossier, sauf si l'une des parties demande d'être entendue ou si, de sa propre initiative, elle le juge approprié.
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1997, c. 27, a. 24.
[17] Jurisprudence[3] et doctrine[4] à l’appui, le travailleur fait valoir que les pièces T-1 et T-2 à T-5 constituent des faits nouveaux sous la forme d’admissions et d’aveux de personnes en autorité chez l’employeur, soutenant ses prétentions selon lesquelles il a subi de l’abus de droit de gérance. Ces admissions, bien qu’elles n’étaient pas constatées par écrit, existaient mais étaient inconnues du travailleur lors de la première audience, d’où sa prétention à l’égard d’un fait nouveau. Autrement dit, ces faits n’avaient pas été fournis par l’employeur.
[18] Le travailleur poursuit en soulevant que les pièces T-1 et T-2 à T-5 ne sont que la manifestation d’un état de faits qui existait avant la première audience. En effet, sa plainte a été déposée le 4 mai 2012 et les accusations disciplinaires signifiées le 22 octobre 2013. « Conséquemment », soutient-il dans son argumentation écrite du 27 novembre 2015, « les personnes en autorité chez l’employeur avaient en leur possession tous les faits pertinents à la communication des admissions et des aveux au travailleur. Tous les faits pertinents étaient connus et contrôlés par l’employeur à la suite de la plainte ».
[19] Le travailleur termine ses prétentions en faisant valoir qu’il serait contraire à l’équité, au mérite réel de son cas et de la justice que le premier juge administratif base ses motifs sur les accusations disciplinaires, alors qu’en réalité l’employeur n’a plus rien à lui reprocher.
[20] L’employeur prétend pour sa part que le résultat de l’enquête et le retrait des accusations disciplinaires ne constituent pas un fait nouveau. Si tel était le cas, ce serait là remettre en cause le principe de la stabilité des décisions. En réalité, le résultat de l’enquête et le retrait des accusations disciplinaires relèvent plutôt d’une appréciation, d’une évaluation que messieurs Landry et Wérotte ont fait en leur qualité de gestionnaire.
[21] Dans tous les cas, soutient l’employeur, le résultat de l’enquête T-1 ne saurait lier le tribunal. De plus, la pièce T-1 ne saurait être un élément déterminant. Même si celle-ci avait été connue au moment de l’audition à la Commission des lésions professionnelles, le tribunal aurait apprécié la preuve qui lui aurait été présentée. La décision du premier juge administratif n’est pas basée sur l’existence de la plainte ou des accusations disciplinaires. Elle est plutôt fondée sur la preuve qui a été présentée et l’appréciation de celle-ci.
[22] Ceci étant dit, qu’en est-il dans le cas sous étude?
[23] Dans l’affaire Bourdon c. CLP[5], la Cour supérieure rappelle les critères élaborés par la Commission des lésions professionnelles, à savoir la démonstration probante des trois conditions suivantes :
- la découverte postérieure d’un fait nouveau;
- la non-disponibilité de cet élément au moment où s’est tenue l’audience initiale;
- le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il avait été connu en temps utile.
[24] Ces critères ont été repris par la suite, notamment dans les affaires F.D. et Compagnie A[6], Ghaderi et Services financiers NCO[7] et, particulièrement, dans A et Ministère de la Sécurité publique[8] où le tribunal s’exprime comme suit :
[30] En ce qui a trait à la découverte d’un « fait nouveau » inconnu « en temps utile » et pouvant justifier une décision différente, la Commission des lésions professionnelles a maintes fois eu l’occasion d’en rappeler les caractéristiques essentielles, comme le souligne la décision rendue dans l’affaire Résidences Le Monastère-SEC enr. et Lavoie9:
[32] La jurisprudence12 a établi trois critères afin de conclure à l’existence d’un fait nouveau soit :
1 - la découverte postérieure à la décision d’un fait qui existait au moment de l’audience;
2 - la non-disponibilité de cet élément de preuve au moment où s’est tenue l’audience initiale;
3 - le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eut été connu en temps utile.
[33] Cette même jurisprudence enseigne que le « fait nouveau » ne doit pas avoir été créé postérieurement à la décision du premier juge administratif. Il doit plutôt avoir existé avant cette décision, mais avoir été découvert postérieurement à celle-ci, alors qu’il était impossible de l’obtenir au moment de l’audience initiale. Il doit également avoir un effet déterminant sur le sort du litige13.
[34] Dans le cas qui nous occupe, la visite médicale postérieure à la décision, à laquelle la travailleuse était en attente depuis plus d’un an et demi, et le traitement chirurgical proposé, ne peuvent manifestement pas être considérés comme étant deux faits nouveaux au sens de la Loi.
[35] Il ne s’agit ni d’une « découverte » postérieure d’un élément non disponible, puisque la travailleuse savait qu’elle consulterait un chirurgien, ni un élément déterminant dans l’établissement du lien de causalité, question qu’avait à répondre le Tribunal. Il s’agit d’un simple traitement proposé postérieurement à une condition qui existait depuis longtemps et qui était déjà prouvée. La travailleuse aurait très bien pu demander de ne pas fixer la cause en audience tant que sa consultation médicale n’avait pas été faite, si cet élément pouvait être déterminant à ce que le Tribunal avait à trancher.
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12 Bourdon c. Commission des lésions professionnelles [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, 107558-73-9811, 17 mars 2000, Anne Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy et Groupe RCM inc., 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque; Roland Bouchard (succession) et Construction Norascon inc. et als, 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau.
13 Bourdon c. C.L.P., Id.
[Nos soulignements]
[31] Ainsi, entre autres, un fait survenu postérieurement à l’audience initiale ne saurait être considéré à titre de « fait nouveau » au sens de l’article 429.56 de la loi, car cela équivaudrait à permettre l’ajout d’une « preuve future » à une enquête initiale déclarée close sur la base de laquelle une décision finale et sans appel a été rendue10 :
[44] Accepter l’ajout d’une « preuve future » permettrait de réviser de façon perpétuelle les décisions de la Commission des lésions professionnelles qui sont finales et sans appel.
[…]
[34] De même, le recours en révision ne peut servir à changer une stratégie librement adoptée et permettre ainsi à une partie de bonifier sa cause après qu’un jugement défavorable ait été rendu12 :
La rédaction même de la loi constitutive de la C.A.L.P. assure une stabilité et une sécurité juridique aux décisions rendues par ce tribunal administratif. Il est contraire aux principes relatifs à l’administration de la preuve devant tous les tribunaux de permettre qu’une partie qui peut obtenir une preuve en temps utile, mais ne le fait pas puisse obtenir la révision d’une décision pour ce motif.
[35] Le recours en révision « n’autorise pas une partie à venir combler les lacunes de la preuve qu’elle a eu l’occasion de faire valoir en premier lieu »13.
[…]
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9 2010 QCCLP 8259.
10 Bouchard (Succession) et Construction Norascon inc. et al., C.L.P. 210650-08-0306,18 janvier 2008, L. Nadeau.
12 Hall et Commission des lésions professionnelles [1998] C.L.P. 1076, p. 1083 (C.S.). Voir, au même effet : Bossé et Mirinox, C.L.P. 352202-31-0806, 6 novembre 2009, C. Racine, (09LP-158) ; Lessard et Les produits miniers Stewart inc., C.L.P. 88727-08-9705, 19 mars 1999, J. - G. Roy, requête en révision judiciaire rejetée [1999] C.L.P. 825 (C.S.).
13 Vêtements Golden Brand Canada ltée et Casale, C.L.P 100304-60-9804, 16 décembre 1998, É. Harvey; Magasin Laura PV inc. et CSST, C.L.P 76356-61-9601, 15 février 1999, S. Di Pasquale; Poitras et Christina Canada inc., C.L.P 100370-62-9803, 7 mars 2000, M. Zigby, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Longueuil, 505-05-006180-001, 9 janvier 2001, j. Tremblay.
[Nos soulignements]
[25] En l’espèce, avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal siégeant en révision ou en révocation conclut que les pièces T-1 et T-2 à T-5 produites par le travailleur ne peuvent constituer des faits nouveaux, selon la jurisprudence applicable.
[26] Manifestement, le résultat de la plainte pour harcèlement psychologique (pièce T-1 du 27 janvier 2015) et le retrait des accusations disciplinaires (pièces T-2 à T-5 du 18 février 2015) sont des faits survenus après le prononcé de la décision du 24 janvier 2014 de la Commission des lésions professionnelles.
[27] Suivant la jurisprudence précitée, les pièces T-1 et T-2 à T-5 ne peuvent être qualifiées comme étant un « fait nouveau » au sens de l’article 429.56 de la loi car elles n’existaient pas déjà « au moment de l’audience » qui a conduit à la décision du 24 janvier 2014.
[28] Comme mentionné dans l’affaire Optique Télécom inc. et Beaudoin[9], « admettre qu’il s’agit d’un fait nouveau [sentence arbitrale rendue après la décision de la Commission des lésions professionnelles] équivaudrait à permettre l’ajout d’une preuve future à une enquête initiale déclarée close sur la base de laquelle une décision finale et sans appel a été rendue ».
[29] Dans son argumentation, le travailleur fait valoir que la décision sur sa plainte pour harcèlement psychologique et le retrait des accusations disciplinaires sont l’aboutissement de démarches déjà en cours au moment de l’audience de janvier 2014 à la Commission des lésions professionnelles.
[30] Il faut donner à cet argument la même réponse que celle faite dans l’affaire Ministère de la Sécurité publique[10]. Cette prétention du travailleur confirme la pertinence des pièces T-1 et T-2 à T-5 par rapport à la preuve offerte devant le premier juge administratif, mais ne change rien au fait que la décision sur la plainte pour harcèlement et le retrait des accusations disciplinaires sont survenus après l’audience de janvier 2014 et la décision du 24 janvier 2014. Ce n’est évidemment pas le dépôt de sa plainte et les accusations disciplinaires portées contre lui que le travailleur veut faire ici reconnaître à titre de « fait nouveau », mais bien plutôt le sort que sa plainte et les accusations disciplinaires ont connu après la décision du 24 janvier 2014.
[31] D’autre part, si tant le travailleur considérait le sort de sa plainte pour harcèlement psychologique et des accusations disciplinaires portées contre lui comme étant pertinent ou ayant un impact important pour la sauvegarde de ses droits dans la présentation de sa preuve, il avait la possibilité de demander un report de l’audience de janvier 2014 ou une suspension de la mise au rôle d’audience de l’affaire, dans l’attente des résultats de cette plainte et des accusations. À la rigueur, il aurait également pu avoir demandé au premier juge administratif de surseoir à son délibéré dans l’attente du sort de sa plainte et des accusations portées contre lui. Ce qui n’a pas été fait.
[32] Au surplus, même dans l’optique où le tribunal devait considérer les pièces T-1 et T-2 à T-5 comme étant des faits nouveaux au sens du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi, ce qui n’est pas le cas, le travailleur ne démontre pas le caractère déterminant qu’auraient eu ces éléments de preuve sur le sort du litige s’ils avaient été connus en temps utile.
[33] En effet, la pièce T-1 qui déclare fondée la plainte pour harcèlement psychologique est avare de détails et n’a donc rien de déterminant qui puisse emporter une décision différente de celle rendue. Rien dans cette lettre ne laisse en effet transparaître la nature des faits enquêtés et retenus par monsieur Landry, contrairement au contenu de la décision dont le travailleur demande la révocation, qui ont amené monsieur Landry à conclure à l’existence de propos et de comportements vexatoires constituant du harcèlement psychologique au sens de la Politique de respect de la personne de la Ville de Montréal, ce qui, soit dit en passant, est différent de l’objet de la contestation devant le premier juge administratif, à savoir l’admissibilité d’une lésion professionnelle en fonction de la Loi sur les accidents et les maladies professionnelles. Nous sommes ici dans deux mondes qui, bien que parallèles, sont différents.
[34] Par ailleurs, la preuve offerte ne permet pas au tribunal siégeant en révision et révocation de connaître la raison pour laquelle il y a eu retrait des accusations disciplinaires contre le travailleur. Ce dernier y voit là un aveu ou une reconnaissance de l’abus du droit de gérance dont il allègue avoir été victime. Or, la décision de retirer les accusations peut tout aussi bien en avoir été une d’opportunité pour être cohérent avec la décision rendue sur la plainte pour harcèlement psychologique, sans pour autant constituer un aveu de quoi que ce soit.
[35] D’ailleurs, selon la doctrine[11], l’aveu a pour objet un acte juridique ou un fait défavorable à son auteur. Les pièces T-1 et T-2 à T-5 ne sauraient donc constituer un aveu car elles ne sont pas de nature à produire des conséquences juridiques contre leurs auteurs.
[36] Finalement, c’est en fonction de l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée que le premier juge administratif a décidé de ne pas faire droit aux prétentions du travailleur. Sa décision ne repose donc pas sur l’existence seule des accusations disciplinaires. Les paragraphes 60 et 61 de la décision sont d’ailleurs éloquents à ce sujet puisqu’au-delà de ces accusations, le tribunal retient que le travailleur était souvent en retard et prenait de nombreuses pauses auxquelles il n’avait pas droit, qu’il avait des problèmes relationnels avec ses collègues de travail et avait une grave lacune au chapitre du travail en équipe.
[37] Le travailleur invoquait également d’autres gestes répréhensibles que son employeur aurait commis à son égard notamment au regard de son évaluation du rendement et de la stratégie d’encadrement mise en place, ce que le premier juge administratif n’a finalement pas retenus. À cet égard, la pertinence des pièces T-1 à T-5 devient donc discutable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision ou en révocation déposée par le travailleur, monsieur Claude Poirier.
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Bernard Lemay |
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Me Julien David Hobson |
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TRUDEL, NADEAU, AVOCATS |
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Représentant de la partie requérante |
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Madame Stéphanie Boisvert |
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VILLE DE MONTRÉAL SANTÉ ET MIEUX-ÊTRE |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] RLRQ, c. N-1.1.
[3] Walter et DHL Express Canada inc., 2012 QCCLP 1599; Cormier c. Commission des lésions professionnelles, 2009 QCCS 730.
[4] Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE, La preuve civile, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008, p. 755, 758-762.
[5] [1999] C.L.P. 1096 (C.S.).
[6] 2015 QCCLP 3316.
[7] 2015 QCCLP 2164.
[8] 2012 QCCLP 4510.
[9] 2015 QCCLP 360.
[10] Précitée, note 8.
[11] Précitée, note 4.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.