Terrebonne Ford inc. |
2014 QCCLP 2035 |
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[1] Le 30 octobre 2013, Terrebonne Ford inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 8 octobre 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare que l’employeur doit demeurer imputé de la totalité du coût des prestations liées à la lésion professionnelle subie par monsieur Guy St-Pierre le 9 août 2012.
[3] L’employeur a renoncé à l’audience qui devait avoir lieu le 20 mars 2014 à Saint - Jérôme et a plutôt opté pour le dépôt d’une argumentation écrite et d’une preuve médicale additionnelle. Il a demandé par conséquent que la Commission des lésions professionnelles procède sur analyse de dossier. Le dossier fut mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que certains coûts imputés à son dossier ne découlent pas de l’accident du travail subi, et ce, en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Subsidiairement, il soumet que le délai de consolidation en cause découle de la prescription prématurée de traitements pouvant s’assimiler à une blessure ou à une maladie au sens des articles 31 et 27 de la loi.
LA PREUVE
[5] Monsieur St-Pierre occupe le poste de mécanicien pour le compte de l’employeur. Il est victime d’un accident du travail le 9 août 2012 en forçant à l’aide d’une clé. Il s’inflige à ce moment une torsion du troisième doigt de la main gauche.
[6] Il consulte à l’urgence le jour même et le docteur Cataford diagnostique une entorse du troisième doigt de la main gauche. Il lui prescrit un arrêt de travail, l’application de glace, la prise d’anti-inflammatoires et une radiographie simple est réalisée. À l’interprétation du cliché, le docteur Ouellet constate un aspect osseux normal et une petite formation métallique de 2 mm à la région palmaire vis-à-vis le carpe.
[7] Le 13 août suivant, le docteur Cataford produit un premier rapport médical destiné à la CSST sur lequel il inscrit le diagnostic d’entorse du troisième doigt gauche. Il prescrit la poursuite de l’arrêt de travail, la prise de médicaments, de même que l’application de glace et de chaleur en alternance. Il suggère également à monsieur St-Pierre de procéder à des séances de physiothérapie.
[8] Le travailleur amorce effectivement des traitements de physiothérapie dès le lendemain. Il est signalé au rapport initial de physiothérapie que les objectifs à atteindre sont la diminution de la douleur et de l’inflammation, l’augmentation des amplitudes articulaires des doigts, de même que de la force de ceux-ci, ainsi que l’augmentation de la force de préhension. Un autre but concerne la reprise des activités de la vie quotidienne et le retour au travail.
[9] Le 27 août 2012, le travailleur consulte un autre médecin qui maintient le plan de soins en cours.
[10] Le 3 septembre, monsieur St-Pierre revoit le docteur Cataford qui fait alors état d’une amélioration de 80 %. Il estime par ailleurs nécessaire de continuer la physiothérapie.
[11] Deux semaines plus tard, ce même médecin constate une absence d’évolution de la condition du travailleur et lui suggère de consulter en médecine sportive. Il propose également de tenter l’ergothérapie.
[12] Le 27 septembre 2012, le travailleur consulte donc le docteur Bakalem. Ce dernier émet le diagnostic de tendinite du poignet. Il rapporte une évolution favorable à 70% et recommande à son tour de poursuivre les traitements de physiothérapie et de commencer des séances d’ergothérapie. Il ajoute que le suivi doit se faire avec le docteur Cataford.
[13] Le 2 octobre 2012, ce dernier médecin autorise une assignation temporaire.
[14] Cette même journée, le travailleur commence l’ergothérapie.
[15] La semaine suivante, le docteur Cataford fait état à nouveau d’une bonne évolution et propose un arrêt de travail et des traitements pour une semaine afin de permettre au travailleur de prendre des vacances.
[16] Le 12 octobre 2012, ce médecin rédige un formulaire intitulé Avis motivé du médecin qui a charge. Il relate encore une fois une amélioration de près de 70 %, mais fait état d’une douleur à l’effort, de même que d’une endurance et d’une force diminuées. Il estime donc nécessaire de poursuivre les séances de physiothérapie et d’ergothérapie.
[17] Le 29 octobre, le docteur Cataford ajoute le diagnostic de ténosynovite aiguë. Il ne le reprend pas par ailleurs à la visite suivante du 12 novembre, date à laquelle une légère amélioration est notée.
[18] Le 12 novembre également, une seconde radiographie simple de la main gauche est réalisée. Au rapport consécutif à cet examen, on retrouve la conclusion suivante :
Miniscule corps étranger radio-opaque d’à peine 2 mm de long situé dans les tissus mous région palmaire du poignet vis-à-vis la première rangée des os et du carpe. Ébauche d’arthrose intercarpienne du premier rayon.
[19] Trois jours plus tard, le travailleur revoit le docteur Bakalem qui retient une synovite du poignet. Il demande alors à ce que le travailleur subisse une échographie.
[20] Le 21 novembre 2012, la CSST accepte le nouveau diagnostic de ténosynovite du troisième doigt gauche. Par contre, le 28 novembre 2012, elle refuse le diagnostic de ténosynovite extenseur du poignet.
[21] Au début du mois de décembre, le docteur Cataford estime nécessaire que le travailleur soit pris en charge en physiatrie considérant les douleurs et faiblesses persistantes.
[22] Le 6 décembre 2012, monsieur St-Pierre est donc évalué par le physiatre Imbeault. Ce dernier pose à ce moment le diagnostic d’atteinte musculo-ligamentaire du troisième rayon de la main gauche.
[23] D’un point de vue thérapeutique, il suggère la cessation de toute approche et propose un mois de repos complet.
[24] Ce médecin signale à son rapport qu’en début de condition, plutôt que d’être référé en physiothérapie ou en ergothérapie, le travailleur aurait dû être immobilisé pendant quelques semaines par technique plâtrée ou par orthèse thermoplastique. Monsieur St-Pierre l’informe d’ailleurs que chaque lundi matin, avant que ne commencent les traitements de physiothérapie, la douleur était quasi disparue pour reprendre de plus belle après les soins.
[25] Le 8 janvier 2013, le docteur Imbeault indique que le travailleur va beaucoup mieux, qu’il existe toujours un phénomène de crépitations, mais que la force est augmentée. Il propose en conséquence une tentative de retour au travail régulier.
[26] Le mois suivant, ce physiatre spécifie que monsieur St-Pierre accomplit son travail régulier, mais qu’il est toujours incommodé par la douleur. Il suggère malgré tout de continuer dans la même voie, mais ajoute des séances de physiothérapie.
[27] Le 18 février 2013, l’employeur convoque monsieur St-Pierre en expertise. Le médecin désigné est le chirurgien orthopédiste Pierre-André Clermont.
[28] Lors de cette évaluation, le travailleur se dit apte à refaire toutes ses tâches au travail malgré certains symptômes résiduels et l’examen objectif s’avère sans particularité.
[29] En conclusion, le docteur Clermont pose le diagnostic d’entorse métacarpophalangienne du majeur gauche qu’il consolide le même jour sans la désignation de séquelles permanentes.
[30] À la section Pertinence et suffisance des traitements, cet expert écrit que les traitements reçus à date ont été suffisants et devraient être cessés. Il ajoute ne pas voir d’indication de poursuivre les traitements de physiothérapie considérant l’excellente évolution avec les traitements prodigués par les médecins traitants.
[31] Le 15 mars suivant, le docteur Imbeault commente les conclusions du docteur Clermont. Il exprime bien comprendre la position de ce dernier, mais estime nécessaire que le travailleur continue quelques séances de physiothérapie considérant qu’il a repris son travail régulier. Il ajoute qu’au départ, il a l’impression que la physiothérapie a été commencée de façon un peu prématurée, c'est-à-dire en moins d’une semaine après l’événement traumatique, ce qui a probablement causé un phénomène d’entretien de la pathologie ligamentaire pour des raisons assez évidentes, une altération mécanique de la phase prolifératrice de sa lésion ligamentaire.
[32] Considérant le désaccord entre les médecins, le dossier est acheminé au Bureau d’évaluation médicale.
[33] Le 2 avril 2013, le docteur Imbeault décide de mettre fin aux traitements malgré les douleurs résiduelles et juge qu’il y a lieu de laisser évoluer la condition du travailleur. Il maintient par ailleurs le travail régulier.
[34] Le docteur David G. Wiltshire, orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale, signe un avis le 9 mai 2013 en regard de la période de consolidation de la lésion professionnelle et de la nécessité de traitements.
[35] À la suite d’un questionnaire et d’un examen objectif, le docteur Wiltshire est d’opinion que le travailleur présente encore des stigmates d’une entorse métacarpophalangienne du majeur gauche avec une perte de force d’abduction et d’adduction, sensibilité provoquée par la palpation des muscles intrinsèques et aussi un manque de force de préhension et une douleur provoquée par le geste d’hyperextension de la métacarpophalangienne du majeur gauche.
[36] Il prévoit une amélioration de tous ces problèmes avec le passage du temps et conclut par conséquent que la lésion n’est pas consolidée. Il ajoute que le meilleur traitement à poursuivre est de continuer les travaux réguliers. Il ne voit pas d’indication par ailleurs pour des traitements de physiothérapie. Il prévoit que le travailleur regagnera sa force de préhension dans un délai variant entre deux ou quatre mois.
[37] Le 28 mai 2013, le docteur Imbeault produit un Rapport final sur lequel il fait état d’une douleur résiduelle de la main gauche, mais qui devrait se normaliser à long terme. Il ajoute que la médecine ne peut rien lui offrir. Il ne désigne finalement au rapport aucune séquelle permanente.
[38] Le 30 mai 2013, l’employeur s’adresse à la CSST afin que cet organisme lui accorde un transfert de coûts en vertu du second alinéa de l’article 326 de la loi à compter du 14 août 2012. Il estime être obéré injustement du fait d’une amorce précoce des traitements de physiothérapie ayant causé un phénomène d’entretien de la pathologie ligamentaire et donc d’une prolongation anormale de la période de consolidation.
[39] Le 13 juin 2013, le docteur Wilthshire rédige un avis complémentaire dans lequel il accepte les conclusions du médecin qui a charge selon lesquelles la lésion est consolidée le 28 mai 2013 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Il réitère que le traitement à poursuivre est de retourner aux activités normales puisqu’avec le temps, les problèmes résiduels rentreront dans l’ordre.
[40] Le 23 août 2013, la CSST refuse la demande de transfert de coûts. Cette décision est maintenue lors de la révision administrative.
[41] Le 19 mars 2014, l’employeur achemine à la Commission des lésions professionnelles une opinion sur dossier du docteur Alain Bois, de même qu’une argumentation écrite.
[42] Dans son rapport d’expertise, le docteur Bois, après avoir procédé à une revue du dossier, se dit tout à fait d’accord avec le docteur Imbeault voulant qu’une entorse de l’articulation métacarpophalangienne du troisième doigt nécessite une mise au repos pour une certaine période allant de deux semaines à quatre semaines selon la sévérité de l’entorse. Après cette période, il y a lieu d’entreprendre des traitements de physiothérapie. Il mentionne que c’est le même principe qu’on applique pour une autre articulation comme pour la cheville par exemple.
[43] Il est d’avis par conséquent que dans ce dossier, les traitements ont commencé de façon beaucoup trop précoce pour mobiliser l’articulation et la faire forcer, ce qui a retardé la guérison de la lésion. Il relate que normalement, la durée de consolidation d’une telle entorse se situe entre quatre et huit semaines.
[44] La représentante de l’employeur soumet pour sa part en argumentation que les coûts imputés à l’employeur ne découlent pas de l’accident du travail, mais plutôt d’une erreur quant à la prématurité des traitements de physiothérapie prescrits par le médecin qui a charge. Elle réclame en conséquence un transfert de coûts à compter du 4 octobre 2012 en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi puisqu’à compter de cette date, les coûts ne découlent plus de l’accident du travail, mais d’une cause extrinsèque. Elle réfère à cet égard aux opinions des docteurs Imbeault et Bois.
[45] De façon subsidiaire, elle avance que les complications découlant de la prescription de traitements prématurés peuvent être assimilées à une blessure ou à une maladie au sens des articles 31 et 327 de la loi.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[46] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer le bien-fondé de la demande de transfert de coûts formulée par l’employeur au motif que certains traitements de physiothérapie ayant été prescrits par le médecin qui a charge auraient entraîné une prolongation de la période de consolidation, et ce, à la lumière des articles 326 ou 327 de la loi.
Article 326 de la loi
Le droit
[47] L’article 326 de la loi prévoit ce qui suit en matière d’imputation des coûts :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[48] Le premier alinéa de cette disposition prévoit donc le principe général voulant que la CSST impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail.
[49] Par ailleurs, en vertu du deuxième alinéa, la CSST peut accorder un transfert d’imputation des coûts si l’employeur démontre l’une des deux seules exceptions prévues en présence d’un accident du travail, à savoir qu’il supporte injustement le coût des prestations dues en raison d’un accident causé majoritairement par un tiers ou encore s’il est obéré injustement.
[50] Considérant le texte de cette disposition, le tribunal ne peut donc, de l’avis de la soussignée, et sans se substituer au législateur, ajouter une nouvelle exception n’ayant pas été prévue spécifiquement.
[51] Dans les dernières années, la Commission des lésions professionnelles, en présence d’une demande de transfert de coûts de la part d’un employeur, s’est tournée vers le second alinéa de l’article 326 de la loi et s’est interrogée notamment sur la signification exacte des termes « obéré injustement ».
[52] Dans l’affaire Institut de réadaptation de Montréal[2], la Commission des lésions professionnelles signale, après avoir effectué une revue de la jurisprudence en la matière, une évolution importante en regard de l’interprétation de ces concepts.
[53] Au départ, le tribunal requiert une démonstration prépondérante d’une situation financière précaire. Ultérieurement, il adopte plutôt une interprétation libérale située à l’autre extrémité du spectre et se satisfait d’une preuve voulant que toute somme qui ne doit pas pour une question de justice être imputée à l’employeur, l’obère injustement.
[54] Puis, un retour du balancier s’opère et l’interprétation majoritairement retenue par les décideurs exige que l’employeur démontre qu’il assume un fardeau financier significatif, mais aussi qu’il est injuste qu’il assume ces coûts dans les circonstances.
[55] De manière plus précise, la Commission des lésions professionnelles indique dans l’affaire Location Pro-Cam inc. et CSST et Ministère des Transports du Québec [3] que dans une situation où l’employeur désire obtenir un transfert de coûts en s’appuyant sur la notion d’obéré injustement il doit démontrer les deux éléments suivants :
1- Une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter;
2- une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident de travail en cause.
[56] Tout récemment, une nouvelle approche a cependant vu le jour en regard de ce type de demande et se retrouve notamment dans l’affaire Supervac 2000[4]. Il y est mentionné essentiellement qu’en présence d’une demande de transfert partiel de coûts, cette dernière doit être analysée en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi afin de déterminer si les prestations ont été imputées en raison de l’accident du travail, et ce, sans que la requête ne soit soumise à aucun délai de prescription.
[57] Dans cette affaire, après une analyse sémantique, le tribunal considère en effet que l’utilisation des termes due en raison d’un accident du travail retrouvés à cet alinéa présuppose l’existence d’un lien direct entre l’imputation des prestations versées et l’accident du travail. Ainsi, lorsqu’une partie des coûts est jugée générée par une situation étrangère n’ayant pas de lien direct avec la lésion professionnelle, le tribunal considère injustifiable, en vertu du premier alinéa de l’article 326 de la loi, que les sommes demeurent imputées au dossier de l’employeur.
[58] Bien que ce sillon fraîchement tracé par certains décideurs semble de prime abord séduisant, ce n’est pas la voie que la soussignée choisira d’emprunter quant à l’analyse juste d’une imputation des coûts adéquate, et ce, même si les sentiers à suivre s’avèrent en apparence plus laborieux.
[59] La soussignée souligne au passage qu’un souci de cohérence au sein du tribunal doit bien sûr animer tout décideur, mais que le choix d’une méthode d’analyse distincte dans les circonstances en cause ne brime en rien cet objectif puisque l’approche adoptée ne scelle pas automatiquement l’issue du litige. En effet, le recours aux exceptions du second alinéa de l’article 326 de la loi permet, tout comme l’approche relative à l’analyse du premier alinéa de cette disposition, d’obtenir des résultats similaires, c'est-à-dire d’accorder ou non un transfert de coûts.
[60] Dans l’affaire Supervac 2000[5], le tribunal s’attarde longuement à un examen des notions concernées en fonction de la méthode d’interprétation des lois applicables. Après une revue de la jurisprudence sur la question, il retient qu’il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de loi et l’intention du législateur[6].
[61] Il cite notamment certains passages de l’affaire Rizzo & Rizzo Shoes Ltd[7] dans laquelle le juge Iacobucci précise ce qui suit :
27. (…) Selon un principe bien établi en matière d’interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D’après Côté, op. cit., on qualifiera d’absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d’autres dispositions ou avec l’objet du texte législatif (aux pp. 430 à 4232). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu’on peut qualifier d’absurdes les interprétations qui vont à l’encontre de la fin d’une loi ou en rendent un aspect inutile ou futile.
[62] Il réfère également au second alinéa de l’article 41 de la Loi d’interprétation[8] qui prévoit qu’une loi doit recevoir une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.
[63] C’est dans cet esprit et animée de ces principes que la soussignée considère que l’interprétation de l’article 326 de la loi doit respecter le caractère indemnitaire de la loi et le cadre financier établi par le législateur pour en assurer la viabilité.
[64] L’objectif premier de cette loi, tel qu’édicté en son article 1, est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires. Ce processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d’une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d’une lésion, le paiement d’indemnités de remplacement du revenu, d’indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d’indemnités de décès.
[65] Afin de soutenir cette finalité, un système de financement établissant une participation adéquate et déterminée des employeurs cotisant a été instauré par le législateur, à l’instar d’un régime d’assurances. Les dispositions traitant de cet aspect de la loi sont spécifiquement prévues au chapitre IX de celle-ci et on y retrouve notamment l’article 326 de la loi.
[66] Il est pertinent de noter que l’article 281 de la loi, de même que les articles 97 et suivants du Règlement sur le financement[9] consacrent le rôle central du coût d’indemnisation d’une lésion professionnelle lors du calcul de la cotisation de certains employeurs. Ces dispositions renforcent l’importance du principe général d’imputation prévu à l’alinéa premier de l’article 326 de la loi selon lequel un employeur doit assumer financièrement le coût d’un accident du travail survenu alors qu’un travailleur est à son emploi.
[67] La soussignée considère que les dispositions relatives à la réparation et au financement forment un tout indissociable et qu’elles se nourrissent les unes des autres. Ainsi, alors que la réparation ne peut être réalisée en l’absence d’un support financier, l’imputation légitime des coûts permet une responsabilisation nécessaire des employeurs en regard des lésions qui surviennent à leurs travailleurs en fonction des modes de financement choisis par ces derniers. Une imputation fondée sur une adéquation entre un accident du travail et les conséquences qui en découlent pour un employeur donne aussi l’assurance que les employeurs, individuellement, se préoccuperont à la source de la prévention des lésions professionnelles.
[68] Conséquemment, lorsque le tribunal conclut dans l’affaire Supervac 2000[10] qu’il y a lieu de scinder complètement les questions portant sur l’imputation des coûts, de celles du droit au versement à des indemnités de remplacement du revenu, il fait fi de l’esprit de la loi et la prive de l’accomplissement véritable de son objet.
[69] Qui plus est, la soussignée est d’opinion que cette nouvelle approche engendre un résultat quelque peu inconséquent lorsqu’il est établi, en présence d’un événement de nature personnelle, que les prestations accordées à un travailleur à la suite d’un accident du travail ne sont plus versées en lien avec ce dernier, mais plutôt en raison de cet événement étranger à la lésion professionnelle qui est pourtant toujours active.
[70] En bref, il semble, selon ce raisonnement, que la survenance d’une situation étrangère gomme temporairement l’existence de la lésion professionnelle. Le droit à l’indemnité de remplacement du revenu, prévu notamment à l’article 44 de la loi, se trouve en quelque sorte éteint temporairement pour une cause non prévue à l’article 57 de la loi, soit la survenance d’une cause étrangère à la lésion, et ce, alors que le travailleur continue pourtant de bénéficier des prestations prévues à la loi.
[71] La Commission des lésions professionnelles ne croit pas que la superposition d’une nouvelle situation ou d’un autre incident à la lésion professionnelle autorise l’annihilation de cette dernière. Il n’y a en effet pas remplacement de la lésion professionnelle et celle-ci continue à engendrer des effets juridiques, tel que le versement de prestations comme le prévoient les articles 44 et suivants de la loi.
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
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1985, c. 6, a. 46.
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
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1985, c. 6, a. 57.
[72] En toute logique, le versement de la prestation en cause ne peut que découler ou être justifié, selon ce qui est prévu à la loi, de la lésion professionnelle et en conséquence, l’imputation qui y est reliée également.
[73] En vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, il n’existe aucun mécanisme permettant de conclure ou même d’inférer que la reprise du versement d’une prestation, à la suite de l’incidence d’une situation étrangère distincte de la lésion professionnelle, résulte ou est attribuable à cette dernière plutôt qu’à l’accident du travail. Cet état de fait, par ailleurs, n’empêche pas la Commission des lésions professionnelles d’examiner si l’imputation rattachée au versement desdites prestations est juste en regard des exceptions que le législateur a spécifiquement prévu notamment au second alinéa de l’article 326 de la loi, comme elle le fait depuis la création de la loi.
[74] Il y a lieu de rappeler que le versement d’une indemnité de remplacement du revenu est de manière générale du ressort de la CSST et que le paiement autorisé du salaire du travailleur par son employeur au cours d’une assignation temporaire ne modifie en rien le droit en cause. Ainsi, lorsque survient un événement qui empêche la poursuite de cette mesure de réadaptation, il y a simplement reprise du versement par la CSST et non interférence ou bris du lien de causalité établi entre la prestation versée et la lésion professionnelle.
[75] Sur cet aspect toujours, il est intéressant de noter que dans l’affaire J.M. Bouchard & fils inc.[11], dont les principes sont utilisés à titre de source d’inspiration à la nouvelle approche du tribunal, le décideur accorde un transfert d’imputation partiel de certains coûts en se basant effectivement sur le premier alinéa de l’article 326 de la loi. Il conclut cependant de la sorte au motif qu’un employeur ne doit pas supporter dans son dossier financier les coûts du versement d’indemnités de remplacement du revenu relié à une lésion professionnelle survenue chez un autre employeur.
[76] Cette analyse, de l’avis de la soussignée, s’accorde avec le texte du premier alinéa de l’article 326 de la loi puisqu’une partie du coût des prestations imputées à l’employeur n’est alors pas due en raison de l’accident du travail qui s’est produit chez ce dernier, mais résulte au contraire d’une lésion professionnelle survenue chez un autre employeur, ce qui est fort différent de la situation présentée dans l’affaire Supervac 2000[12].
[77] La soussignée ne retient pas non plus l’argument soumis dans cette dernière décision voulant que le second alinéa de l’article 326 concerne uniquement les demandes de transfert de coûts total en raison du vocable utilisé et du délai qui y est prévu.
[78] Tout d’abord, en ce qui a trait aux termes employés «impute le coût des prestations», plutôt que «imputer tout ou partie du coût des prestations» comme à l’article 329 de la loi, le tribunal est d’opinion que cet argument de texte est peu convaincant. En effet, alors que dans le cas de l’article 329 de la loi, il est clair que le législateur réfère à un partage de l’assiette de coûts entre l’employeur et les employeurs de toutes les unités en terme de pourcentage, l’article 326 de la loi autorise plutôt un transfert ou un retrait de certains coûts, qui, à l’évidence, peut se faire sur une période complète ou déterminée dans le temps selon les éléments invoqués, comme l’interprète d’ailleurs la Commission des lésions professionnelles depuis fort longtemps.
[79] Il en va de même du raisonnement rattaché au délai d’un an de la survenance de l’accident du travail auquel est soumise toute demande d’un employeur, que le tribunal juge peu applicable lors des demandes de transferts de coûts partiels dans l’affaire Supervac 2000[13] au seul motif que le délai est alors fréquemment dépassé lorsque la situation permet de présenter une requête.
[80] La Commission des lésions professionnelles rappelle à cet égard que le tribunal n’a jamais rencontré de difficultés d’application particulières sur cet aspect de la disposition puisqu’il recourt alors systématiquement à la notion de motif raisonnable expliquant le dépassement du délai prévu.
[81] Au surplus, le tribunal tient à souligner que cette interprétation voulant qu’il n’existe aucun délai afin de présenter une demande de transfert de coûts partiel, en plus de constituer une substitution au législateur, fait en sorte de classer ce type de requête dans une catégorie unique. En effet, une lecture attentive des dispositions portant sur l’imputation des coûts permet de constater que lorsqu’un transfert ou partage de coûts est requis par un employeur expressément, plutôt qu’établi à l’initiative de la CSST, le législateur a prévu systématiquement un délai pour présenter la demande.
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
(Nos soulignements)
[82] En effet, dans le cas des articles 327, 328 et 330 de la loi, il n’y a aucun délai de prévu puisque la relecture de l’imputation se fait automatiquement par la CSST dès que se matérialisent les situations prévues à ces dispositions, soit une lésion professionnelle sous 31 de la loi, la survenance d’une maladie professionnelle ou d’un désastre.
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
328. Dans le cas d'une maladie professionnelle, la Commission impute le coût des prestations à l'employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer cette maladie.
Si le travailleur a exercé un tel travail pour plus d'un employeur, la Commission impute le coût des prestations à tous les employeurs pour qui le travailleur a exercé ce travail, proportionnellement à la durée de ce travail pour chacun de ces employeurs et à l'importance du danger que présentait ce travail chez chacun de ces employeurs par rapport à la maladie professionnelle du travailleur.
Lorsque l'imputation à un employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle n'est pas possible en raison de la disparition de cet employeur ou lorsque cette imputation aurait pour effet d'obérer injustement cet employeur, la Commission impute le coût des prestations imputable à cet employeur aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités ou à la réserve prévue par le paragraphe 2° de l'article 312.
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1985, c. 6, a. 328.
330. La Commission peut imputer le coût des prestations dues à la suite d'un désastre à la réserve prévue par le paragraphe 1° de l'article 312.
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1985, c. 6, a. 330.
(Nos soulignements)
[83] De l’avis de la soussignée, un tel résultat d’absence de délai n’est pas compatible avec les autres dispositions de même nature et s’avère par conséquent peu harmonieux dans une lecture globale du texte législatif concerné.
[84] En définitive, la soussignée est d’avis qu’en présence d’une demande de transfert de coûts partiel, à la lumière de ces éléments, il est plus approprié de maintenir la méthode d’analyse majoritaire qui était préconisée antérieurement à l’affaire Supervac 2000[14], et ce, malgré le constat de certaines variables en regard de l’application des notions en jeu, qui gagneraient effectivement à être quelque peu peaufinées ou raffinées.
[85] Le tribunal tire une telle conclusion afin d’éviter de se retrouver devant une finale pour le moins contradictoire voulant qu’un travailleur ait droit à des indemnités de remplacement du revenu puisqu’il est incapable d’exercer son emploi, indemnités qui découlent selon la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles strictement d’une lésion professionnelle, mais que le versement et l’imputation de celles-ci ne résultent pas de la lésion professionnelle en raison de la superposition d’une cause étrangère.
[86] Il en va de toute évidence de la stabilité des décisions rendues et de la légitimité de l’interprétation choisie.
Application factuelle
[87] Considérant la position retenue par la soussignée, l'employeur, puisqu’il allègue dans sa demande initiale être obéré injustement, doit dans le présent dossier démontrer une situation d’injustice présentant une proportion significative des coûts imputés à son dossier.
[88] L’employeur considère en l’espèce qu’il est injuste qu’il supporte les coûts reliés à la lésion professionnelle de monsieur St-Pierre au-delà du 4 octobre 2012 puisque selon les avis du physiatre Imbeault et du docteur Bois, les traitements précoces de physiothérapie qui ont été administrés ont prolongé la période de consolidation qui aurait dû se limiter à huit semaines.
[89] Le tribunal juge dans un premier temps qu’il n’est pas, dans ce contexte particulier, en présence d’une situation étrangère aux risques que l’employeur doit supporter. Il estime au contraire que celle-ci se situe au cœur même de l’application de la loi.
[90] Or, il a été établi par la jurisprudence[15] du présent tribunal que l’appréciation de ce qui est injuste doit s’effectuer dans le contexte de la loi, de sorte que l’application d’une disposition législative ne doit pas être interprétée comme obérant injustement l’employeur.
[91] Il semble utile de rappeler que conformément aux articles 224 et 358 de la loi, une partie ne peut contester les conclusions médicales du médecin qui a charge à défaut par l’employeur ou par la CSST d’avoir engagé le processus de contestation médicale.
[92] En l’espèce, il ressort de la preuve que l’employeur enclenche ce mécanisme uniquement en février 2013, alors qu’un nouveau médecin traitant assure le suivi du travailleur. Il faut par conséquent en conclure qu’antérieurement à cette date, ce dernier ne désapprouve pas le plan de soins établi ou à tout le moins n’estime pas nécessaire de le questionner. Pourtant le reproche adressé au docteur Cataford par l’employeur concerne précisément cette période.
[93] Au surplus, il appert des évaluations réalisées dans le cadre de ce processus de contestation médicale que ni le docteur Clermont, ni le docteur Wiltshire ne font état d’une erreur médicale de la part du docteur Cataford qui aurait pu influer d’une manière ou d’une autre sur le sort de la lésion.
[94] Le docteur Clermont, spécialiste choisi par l’employeur, affirme au contraire que le travailleur présente une excellente évolution avec les traitements prodigués par les médecins traitants, ce qui l’amène à consolider la lésion au jour de son examen. Il importe de noter que ce médecin ne mentionne pas que l’amélioration de la condition découle uniquement de l’approche thérapeutique du docteur Imbeault.
[95] Il est pertinent de souligner également que le docteur Imbeault écrit dans sa note du 15 mars 2013 qu’il a l’impression que la physiothérapie a été commencée de façon un peu prématurée. De tels propos, de l’avis de la soussignée, dénotent un manque de conviction certain et s’assimilent davantage à une hypothèse. D’ailleurs, ni ce médecin ni le docteur Bois n’appuient la thèse avancée à l’aide de littérature médicale ou scientifique.
[96] En somme, la soussignée conclut que le choix d’un plan thérapeutique par le médecin qui a charge, alors qu’il n’est pas contesté en temps opportun selon les mécanismes prévus à la loi, et surtout alors qu’il n’est pas démontré erroné ultérieurement à l’aide d’une preuve prépondérante, ne peut s’apparenter à une injustice d’aucune façon.
[97] De plus, la Commission des lésions professionnelles tient à ajouter que même si elle avait conclu à une situation d’injustice, elle n’aurait pas davantage fait droit à la requête de l’employeur considérant l’absence de démonstration prépondérante que cette situation porte une proportion significative des coûts imputés à son dossier.
[98] En effet, bien que l’employeur allègue que la consolidation de la lésion professionnelle aurait dû être décrétée en date du 4 octobre 2012, mais qu’elle s’est plutôt prolongée jusqu’au 28 mai 2013, il appert du dossier que durant cette période additionnelle de traitements, le travailleur est majoritairement en assignation temporaire ou de retour au travail régulier. Il ne reçoit donc pas d’indemnités de remplacement du revenu, ce qui emporte pour conséquence que peu de prestations sont imputées au dossier de l’employeur.
[99] Ainsi, puisque le tribunal ne dispose d’aucun autre renseignement sur cet aspect du dossier et que le fardeau de démontrer un impact financier appartient à l’employeur, le tribunal se doit de conclure que ce dernier n’est pas obéré.
[100] En définitive, le tribunal juge qu’il ne peut accorder le transfert de coûts réclamés puisque l’exception au principe général d’imputation ne peut s’appliquer, l’employeur n’ayant pas démontré qu’il a été obéré injustement dans le cadre de la lésion professionnelle subie par monsieur St-Pierre.
Article 327 de la loi
[101] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant déterminer si l’employeur peut bénéficier d’un transfert d’imputation en vertu des articles 31 et 327 de la loi.
[102] Ces dispositions énoncent ce qui suit :
31. Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :
1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;
2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.
Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).
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1985, c. 6, a. 31.
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
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1985, c. 6, a. 327.
[103] Tel que le rappelle la juge administrative Perron dans l’affaire Vêtements Golden Brand Canada ltée et Ana Maria Gallardo[16] l’article 31 a été introduit en 1985 dans la loi à la suite d’un jugement de la cour supérieure[17] qui a mis en lumière, qu’en certaines occasions, il arrive qu’une rupture du lien de droit survienne entre une lésion professionnelle et les conséquences découlant d’un soin ou d’une omission de soins.
[104] Par cette création juridique, il est clair que le législateur a voulu pallier à ce bris de causalité et s’assurer qu’un travailleur continue d’être indemnisé, même en de telles circonstances. De façon corollaire, il a permis, par le biais de l’article 327 de la loi, que dans ce contexte bien précis, un employeur ne supporte pas indûment le fardeau financier qui y est relié alors que les coûts afférant ne découlent pas de la lésion professionnelle.
[105] De l’avis du tribunal, l’utilisation des termes est considérée dans le texte de loi implique nécessairement que la blessure ou la maladie faisant suite au soin ou à son omission se distingue de la lésion professionnelle et de sa suite logique.
[106] À cet égard, la soussignée souscrit aux propos du juge administratif Ducharme[18] lorsqu’il mentionne que l’article 31 de la loi vise une nouvelle blessure ou maladie distincte de la lésion professionnelle et de ses soins et non pas les conséquences plus importantes que celles auxquelles on devait s’attendre.
[107] Ainsi, pour établir que la blessure ou la maladie dont souffre un travailleur à la suite de soins ou de son omission peut acquérir un caractère professionnel au sens du premier paragraphe de l’article 31 de la loi il faut :
-une lésion professionnelle initiale;
-l’administration de soins en lien avec la lésion professionnelle ou une omission de ceux-ci;
-la survenance d’une nouvelle blessure ou maladie reliée de façon prépondérante au précédent critère et qui se détache clairement de la lésion professionnelle et de son évolution.
[108] Dans le présent dossier, l’employeur argue que les complications retrouvées découlent de la prescription de traitements prématurés. Il ne détermine par ailleurs d’aucune façon le diagnostic relié à ces complications.
[109] Dans les faits, il ressort de la preuve que les blessures admises par la CSST en lien avec l’accident du travail sont une entorse et une ténosynovite du troisième doigt gauche et qu’aucun autre diagnostic n’est émis par la suite, outre celui de ténosynovite du poignet qui est cependant refusé.
[110] En l’absence d’une nouvelle blessure ou maladie qui se distingue de la lésion professionnelle, les paramètres exigés à l’article 31 de la loi ne sont donc pas rencontrés et il ne saurait être question d’un transfert de coût en vertu de l’article 327 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par l’employeur, Terrebonne Ford inc.;
CONFIRME la décision rendue le 8 octobre 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit demeurer imputé de la totalité du coût des prestations liées à la lésion professionnelle subie par monsieur Guy St-Pierre le 9 août 2012.
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Isabelle Piché |
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Me Isabelle Montpetit |
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Béchard, Morin, avocats |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q.,c.A-3.001.
[2] C.L.P. 372859-63-0903, 20 janvier 2010, L. Morissette.
[3] C.L.P. 114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon.
[4] 2013 QCCLP 6341.
[5] Précitée, note 4.
[6] Desjardins et Commission scolaire des Draveurs, C.L.P., 283906-07-0603, 14 décembre 2006, formation de trois juges administratifs.
[7] [1998] 1 R.C.S. 27.
[8] L.R.Q., c. I-16.
[9] c. A-3.001, r. 7.
[10] Précitée, note 4.
[11] C.L.P. 372840-02-0903, 17 mai 2010, M. Sansfaçon.
[12] Précitée, note 4.
[13] Précitée, note 4.
[14] Précitée, note 4.
[15] Ville de Drummondville et CSST, [2003] C.L.P. 1118, requête en révision rejetée, [2004] C.L.P. 1856(C.S.).
[16] C.L.P. 293361-71-0606, 26 novembre 2008, P. Perron.
[17] C.S. 200-05-004636-754, 25 août 1982, A. Gervais, j.c.s.
[18] Jack Victor ltée et Perez Cuevas, C.L.P. 209450-72-0306, 11 mai 2004, C.-A. Ducharme.
AVIS :
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