99011542
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-09-002219-985
(100-05-000436-961)
Le 25 août 1999
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD, J.C.A.
BROSSARD, J.C.A.
LETARTE, J.C.A. (ad hoc)
CLUB APPALACHES INC.,
APPELANTE
c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
INTIMÉ
LA COUR, statuant sur l'appel d'un jugement de la Cour
supérieure du district de Rimouski, rendu le 15 juillet 1998
par l'honorable Jean-Roch Landry, ordonnant et enjoignant
l'intimée, ses membres, ses officiers, mandataires ou
locataires, employés et à toute personne sous sa direction
ayant connaissance de la présente ordonnance: d'enlever les
barrières ou autres moyens de même nature dont elle a le
contrôle pouvant entraver, restreindre ou empêcher le libre
passage ou la libre circulation sur les routes et chemins du territoire décrit dans le jugement, et déclarant que le
jugement ne réduit et ne restreint en rien les droits de
l'intimée en ce qui concerne la publicité par pancartes,
affiches, enseignes ou autre artifice publicisant ou
véhiculant le caractère exclusif de leurs droits de chasse,
de pêche ou autres sur ce même territoire;
Après étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exposés dans l'opinion jointe du juge
Letarte, auxquels souscrivent les juges Beauregard et
Brossard:
REJETTE l'appel du jugement sur l'injonction;
MAINTIENT le dispositif du jugement de première
instance, tel que rédigé;
ACCUEILLE l'appel du jugement sur la requête pour
jugement déclaratoire, aux seules fins de biffer du
dispositif de jugement la mention «des chemins» et de limiter
le droit du Club Appalaches à un droit de passage sur le
territoire en litige.
MARC BEAUREGARD, J.C.A.
ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.
RENÉ LETARTE, J.C.A. (ad hoc)
Me CLAUDE GAGNON
(Mes Saint-Laurent, Gagnon)
Pour l'appelant-intimé
Me LOUIS-P. HUOT
(Mes Huot, Laflamme)
Pour l'intimée-appelante
Date de l'audition: 15 juin 1999
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-09-002214-986
(100-05-000435-963)
Le 25 août 1999
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD, J.C.A.
BROSSARD, J.C.A.
LETARTE, J.C.A. (ad hoc)
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
APPELANT
c.
CLUB APPALACHES INC.,
INTIMÉE
_____LA COUR, statuant sur l'appel d'un jugement de la
Cour supérieure du district de Rimouski, rendu le 15 juillet
1998 par l'honorable Jean-Roch Landry, ordonnant et
enjoignant l'intimée, ses membres, ses officiers, mandataires
ou locataires, employés et à toute personne sous sa direction
ayant connaissance de la présente ordonnance: d'enlever les
barrières ou autres moyens de même nature dont elle a le
contrôle pouvant entraver, restreindre ou empêcher le libre
passage ou la libre circulation sur les routes et chemins du territoire décrit dans le jugement, et déclarant que le
jugement ne réduit et ne restreint en rien les droits de
l'intimée en ce qui concerne la publicité par pancartes,
affiches, enseignes ou autre artifice publicisant ou
véhiculant le caractère exclusif de leurs droits de chasse,
de pêche ou autres sur ce même territoire;
Après étude du dossier, audition et délibéré;
Pour les motifs exposés dans l'opinion jointe du
juge Letarte, auxquels souscrivent les juges Beauregard et
Brossard:
REJETTE l'appel du jugement sur l'injonction;
MAINTIENT le dispositif du jugement de première
instance, tel que rédigé;
ACCUEILLE l'appel du jugement sur la requête pour
jugement déclaratoire, aux seules fins de biffer du
dispositif de jugement la mention «des chemins» et de limiter le droit du Club Appalaches à un droit de passage sur le
territoire en litige.
MARC BEAUREGARD, J.C.A.
ANDRÉ BROSSARD, J.C.A.
RENÉ LETARTE, J.C.A. (ad hoc)
Me CLAUDE GAGNON
(Mes Saint-Laurent, Gagnon)
Pour l'appelant-intimé
Me LOUIS-P. HUOT
(Mes Huot, Laflamme)
Pour l'intimée-appelante
Date de l'audition: 15 juin 1999
COUR D'APPEL
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE QUÉBEC
No: 200-09-002214-986
(100-05-000435-963)
CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD, J.C.A.
BROSSARD, J.C.A.
LETARTE, J.C.A. (ad hoc)
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
APPELANT
c.
CLUB APPALACHES INC.,
INTIMÉE
No: 200-09-002219-985
(100-05-000436-961)
_____________________________________________
CLUB APPALACHES INC.,
REQUÉRANTE
c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC,
INTIMÉ
______________________________________________
OPINION DU JUGE LETARTE
Les deux pourvois soumis à cette Cour portent sur les
droits respectifs des parties sur une partie de la seigneurie
de Nicolas Rioux dans le comté de Rimouski, une superficie
globale d'environ 61 milles carrés. Le Club Appalaches
prétend à des droits réels perpétuels de chasse et de pêche
exclusifs sur tout le territoire exproprié par l'État, de
même que des droits de superficie sur certaines constructions
telles que chalets et autres bâtiments mais aussi, et c'est
surtout là que le bât blesse, sur les routes en forêt. Le
procureur général pour sa part se déclare propriétaire absolu
des immeubles faisant l'objet du litige. D'entrée de jeu, il
reconnaît la réserve de droits de pêche et de chasse à
l'origine de la chaîne de titres, mais soutient qu'il ne
s'agit là que de droits personnels qui de toute façon
auraient été purgés par l'expropriation en 1953 par le
gouvernement du Québec. En ce qui a trait aux droits de
superficie, le procureur général soutient que les conditions
essentielles à leur établissement n'existent pas en l'espèce
et qu'ils seraient au surplus contraires à l'intention
manifestée par les parties dans la chaîne de titres.
LES PROCÉDURES
Requête pour jugement déclaratoire
Le procureur général a pris l'initiative des procédures
judiciaires en juillet 1996 en déposant devant la Cour
supérieure une requête pour jugement déclaratoire dont les
principales conclusions sont les suivantes:
-
DÉCLARER que l'intimée n'a pas et n'a jamais eu de
servitude réelle ni de servitude personnelle
perpétuelle de chasse et de pêche sur le territoire
décrit...;
-
DÉCLARER que par l'expropriation survenue le 21
octobre 1953, tous les droits que pouvait détenir
Garneau ont été transférés au Gouvernement du
Québec qui en est le propriétaire absolu;
-
SUBSIDIAIREMENT, DÉCLARER que si des droits
personnels et viagers de chasse et de pêche ont pu
appartenir audit Raymond Garneau et à l'intimée,
ils se sont éteints par le décès de Garneau survenu
le 11 juillet 1964 et que par conséquent, l'intimée
n'est plus propriétaire de quelque droit de chasse
et de pêche sur le territoire décrit au paragraphe
1.
Les actes invoqués à l'appui de cette requête sont les
suivants:
a)
17 mai 1951: acte de vente de Brown Corporation à
Raymond Garneau, sujet à un bail en faveur du Club Appalaches, fait sous seing privé le 20 octobre
1928;
b)
17 mai 1951: vente par Raymond Garneau du même
immeuble à The D'Auteuil Lumber. Cet acte stipule
qu'il est spécifiquement convenu que les droits de
chasse et de pêche sont réservés par le vendeur...
«for himself, his heirs and assigns forever.»
c)
21 octobre 1953: expropriation par le Gouvernement
du Québec en vertu de la Loi concernant
l'acquisition de certains territoires forestiers
(1)();
d)
3 novembre 1955: vente avec garantie légale par
Raymond Garneau à Club Appalaches «... de tous les
droits de pêche et de chasse» sur les territoires
en litige. À cet acte, intervient D'Auteuil Lumber
qui renonce à la réserve incorporée à l'acte du 17
mai 1951 et qui cède et abandonne «sans garantie
légale ni responsabilité de sa part à la partie de
seconde part (Appalaches) tous les droits,
servitudes et accessoires à l'exercice des droits
de chasse et de pêche sur lesdits territoires que
l'intervenante pourrait avoir ou prétendre avoir»;
e)
9 mai 1956: acte d'échange entre le Gouvernement
du Québec et D'Auteuil Lumber portant sur le
règlement d'une indemnité d'expropriation et
l'acquisition d'une partie additionnelle du domaine
seigneurial non touché par l'expropriation.
Cet acte d'échange contenait la disposition suivante:
RÉSERVES
Il est également convenu que le présent acte n'affecte
aucunement les droits de chasse et de pêche réservés par
Raymond Garneau, de la cité de Québec, courtier, dans un
acte de vente par ce dernier à The D'Auteuil Lumber
Company Limited reçu devant Me Réginald Meredith le 17
mai 1951, enregistré à Rimouski, sous le numéro 91143 et enregistré dans le comté de Témiscouata sous le numéro
115,096, lesquels droits de chasse et de pêche ainsi que
tous leurs accessoires ont été cédés au Club Appalaches
Inc. aux termes d'un acte reçu devant Me Louis
Baillargeon, notaire, le 3 novembre 1955, le
Gouvernement entendant, par ces mêmes présentes,
confirmer et ratifier tous les droits acquis par ledit
Club Appalaches Inc. de monsieur Raymond Garneau et The
D'Auteuil Lumber Company Limited suivant l'acte ci-haut
mentionné reçu devant Me Louis Baillargeon, enregistré
à Rivière-du-Loup sous le numéro 127-331 et à Rimouski
sous le numéro 102717. Cette confirmation et
ratification est faite dans le but de reconnaître
lesdits droits acquis, parce qu'au moment de la
signature de l'acte en dernier lieu relaté, les
procédures en expropriation étaient encore en cours.
Action en injonction
Dans une seconde procédure, intentée quelques jours plus
tard, le procureur général se plaint de ce que le Club
Appalaches empêche ou restreint de façon importante l'accès
au territoire en litige, contrevenant aux dispositions de la
Loi sur les terres du domaine public
(2)(), notamment aux articles
53 à 58 inclusivement. Ces articles permettent à toute
personne de passer ou de séjourner sur les terres du domaine
public, sous réserve de la réglementation applicable, et
interdisent à quiconque d'y ériger tout bâtiment,
installation ou ouvrage ou de construire ou améliorer tout chemin forestier sans avoir obtenu au préalable
l'autorisation écrite du ministre.
Le procureur général demande que soit interdite au Club
Appalaches toute action qui restreint le libre accès du
public à ce territoire.
Les jugements entrepris et les appels
La Cour supérieure a disposé de ces requêtes par deux
jugements datés du 15 juillet 1998. Le procureur général se
pourvoit contre la première décision qui a rejeté sa requête
en jugement déclaratoire mais qui a reconnu au Club
Appalaches des droits réels perpétuels et exclusifs de chasse
et de pêche avec leurs accessoires, ainsi que des droits de
superficie sur certaines constructions, améliorations et
chemins situés sur le territoire décrit dans ses conclusions.
Pour sa part, Club Appalaches se pourvoit contre la seconde
décision accueillant l'action en injonction permanente du
procureur général.
Les faits ne sont pas contestés. Ils avaient d'ailleurs
déjà été résumés par le ministre Bérubé des Terres et Forêts
dans une lettre adressée le 3 octobre 1978 au curé de la
paroisse Saint-Jérôme-de-Matane qui désirait obtenir
certaines précisions concernant les droits de pêche sur un
des lacs de la seigneurie Nicolas Rioux. J'en reproduis les
éléments pertinents, qui décrivent également les prétentions
juridiques du procureur général:
Cette seigneurie a été concédée sous le régime français
au Sieur Nicolas Rioux le 5 avril 1751.
Le titre de concession par le Souverain au Sieur Nicolas
Rioux ne contient aucun dispositif particulier quant aux
lacs et cours d'eau qui peuvent se trouver dans les
limites du territoire concédé. En pareil cas,
l'interprétation des autorités légales du ministère des
Terres et Fôrets a toujours été à l'effet que les lacs
et cours d'eau navigables et flottables sont demeurés
propriété de l'État (il aurait fallu les mentionner
expressément pour qu'ils soient concédés), tandis que
les lacs et cours d'eau non navigables ni flottables
sont passés implicitement à la propriété du seigneur et
de ses ayants droit subséquents (il aurait fallu les
réserver expressément en faveur de l'État pour qu'ils
demeurent sa propriété).
Le lac Bouleaux, dont vous faites mention dans votre
lettre, est considéré non navigable ni flottable par le
ministère des Richesses naturelles.
En 1951, monsieur Raymond Garneau, courtier de Sillery,
a acheté la seigneurie de Nicolas Rioux de la Brown
Corporation.
Aux termes d'un acte de vente passé le 3 novembre 1955,
devant Me Louis Baillargeon, notaire, et enregistré à
Rimouski le 25 novembre 1955, sous le numéro 102717,
monsieur Raymond Garneau a cédé au Club Appalaches tous
les droits de pêche et de chasse sur le territoire ci- après décrit, savoir:
La partie de la seigneurie de Nicolas Rioux dans le
comté de Rimouski, province de Québec, bornée au
sud-ouest par une ligne séparant les comtés de
Rimouski et Témiscouata, au sud-est partie par la
ligne séparant la seigneurie du canton Bédard et
partie par la ligne séparant la seigneurie du
canton Chénier, au nord-est par une partie de
ladite seigneurie appartenant à Price Brothers &
Company Limited et au nord-ouest par une ligne
séparant ladite seigneurie du sixième rang du
cadastre officiel pour la paroisse de St-Mathieu
dans la seigneurie de Nicolas Rioux, à distraire
cependant une petite partie du coin nord-ouest de
ladite seigneurie mesurant environ huit (8) arpents
de front par trente (30) arpents de profondeur,
bornée au nord-ouest par ledit sixième rang du
cadastre officiel pour la paroisse de St-Mathieu,
au sud-ouest par le comté de Témiscouata et sur les
deux autres côtés par autres parties de ladite
seigneurie de Nicolas Rioux. La partie de ladite
seigneurie objet des présentes contient une
superficie de vingt-huit mille cinq cent douze
acres (28,512) plus ou moins.
Le Gouvernement a exproprié, en 1953, les terres de la
seigneurie Nicolas Rioux sises dans les paroisses de St- Simon et de St-Mathieu (Rimouski), ainsi que celles
situées au sud-est de ladite paroisse de St-Mathieu. Le
tout d'une superficie globale de 61 milles carrés.
Cette expropriation a été suivie d'un acte d'échange
passé entre le Gouvernement et The D'Auteuil Lumber
Company Limited en date du 9 mai 1956 et enregistré à
Rimouski le 17 mai 1956, sous le numéro 103971, lequel
acte comprend la réserve suivante, savoir:
«Il est également convenu que le présent acte
n'affecte aucunement les droits de chasse et de
pêche réservés par Raymond Garneau, de la Cité de
Québec, courtier, dans un acte de vente par ce
dernier à The D'Auteuil Lumber Company Limited reçu
devant Me Réginald Meredith le 17 mai 1951,
enregistré à Rimouski sous le numéro 91,143 et
enregistré dans le comté de Témiscouata sous le
numéro 115,096, lesquels droits de chasse et de
pêche ainsi que tous les accessoires ont été cédés
au Club Appalches aux termes d'un acte reçu devant
Me Louis Baillargeon, notaire, le 3 novembre 1955,
le gouvernement entendant, par ces mêmes présentes,
confirmer et ratifier tous les droits acquis par
ledit Club Appalaches de monsieur Raymond Garneau
et de The D'Auteuil Lumber Company Limited suivant
l'acte ci-haut mentionné reçu devant Me Louis
Baillargeon, enregistré à Rivière-du-Loup sous le
numéro 127,331 et à Rimouski sous le numéro
102,717. Cette confirmation et ratification est
faite dans le but de reconnaître lesdits droits
acquis, parce qu'au moment de la signature de
l'acte en dernier lieu relaté, les procédures en
expropriation étaient encore en cours».
Lorsque le Gouvernement de la province de Québec a
acquis une partie de la seigneurie Nicolas Rioux de la
Compagnie d'Auteuil Lumber, il n'a pas acquis les droits
de chasse et de pêche qui n'appartenaient pas à la
Compagnie d'Auteuil, mais bien à monsieur Raymond
Garneau. Monsieur Garneau a cédé ses droits de chasse
et de pêche au Club Appalaches, le 3 novembre 1955.
JUGEMENT SUR LA REQUÊTE EN JUGEMENT DÉCLARATOIRE - POURVOI:
200-09-002214-986
Le premier pourvoi soulève deux questions. Tout
d'abord, il s'agit d'identifier la nature des droits réservés
par Raymond Garneau dans l'acte de vente du 17 mai 1951 et cédés par ce dernier à l'intimée dans l'acte de vente du 3
novembre 1955. Ensuite, s'il s'agit de droits réels
perpétuels, ont-ils survécus à l'expropriation de 1953?
L'appelant soutient que le premier juge a commis une
erreur en concluant que la réserve contenue dans l'acte de
vente du 17 mai 1951 conférait au Club Appalaches des droits
réels perpétuels et exclusifs de chasse et de pêche. Le
texte de la réserve se lit comme suit:
It is specially understood and agreed that all fishing
and hunting rights appertaining to the hereby sold
properties are not included in the present Sale and are
specially reserved by the Vendor for himself, his heirs
et assigns forever. However, if the herein described
property is about to be acquired by the Government of
the province of Quebec, the said Raymond Garneau for
himself, his heirs and assigns, agrees, if requested, to
abandon the fishing and hunting rights herein reserved
by him.
(soulignement ajouté)
S'interrogeant sur la nature juridique des droits de
pêche et de chasse de l'intimée, le procureur général invoque
ce qui suit:
1- L'Arrêt du conseil privé dans l'affaire Matamajaw
Salmon Club n'a aucune incidence dans la présente
instance;
2- La doctrine relative aux droits réels innommés;
3- Les droits de chasse et de pêche réservés par
Raymond Garneau auteur de l'intimée sont de nature
d'une servitude personnelle temporaire ou viagère;
4- Les droits de chasse et de pêche conservés par
Raymond Garneau auteur de l'intimée ne constituent
pas une servitude;
5- Si l'Arrêt Matamajaw Salmon Club du Conseil privé
est applicable en l'espèce quant aux droits de
pêche de l'intimée en eaux non navigables, ce qui
est nié, cette application ne peut valoir quant aux
droits de chasse de l'intimée ou de son auteur.
Le litige pose la question de savoir s'il peut exister
des droits réels autres que ceux déjà énumérés au Code civil
du Bas-Canada et, dans l'affirmative, si les droits conférés
en l'espèce par l'acte de vente du 17 mai 1951 à Raymond
Garneau et cédés par la suite à Club Appalaches peuvent être
de cette nature.
Comme le juge de première instance, je retiens qu'un
courant majoritaire de la doctrine et de la jurisprudence
accepte l'existence de droits réels innommés. Il faut
rappeler que dans l'arrêt
Matamajaw Salmon Club(3)(), dont
l'autorité me paraît incontournable, le Conseil privé a
décidé que les dispositions du Code civil du Bas-Canada n'interdisent pas l'existence de droits réels innommés, tel
le droit de pêche:
Their Lordships, in agreement so far with the Chief
Justice, think that the right here was more than
usufructuary in the older and stricter meaning. It is
their opinion a right to a separable subject or incident
of property. There is no inherent reason for refusing
to treat a fishing right as a self-contained and
separable subject. In the seigniorial cases, they
appear to have been treated as self-contained and
separable.
(...)
The definition in art. 405 of the Quebec Code presents
this analogy that it places no difficulty in the way of
regarding the right of fishing as an item among the
others comprised in the subject matter. It says, in
general terms, that «a person may have on property
either a right of ownership or a simple right of
enjoyment or servitude to exercise.»
Article 406 says that «ownership is the right of
enjoying and of disposing of things in the most absolute
manner, provided that no use be made of them which is
prohibited by law or by regulations.» Article 408
provides that «ownership in a thing, whether moveable or
immoveable, gives the right to all it produces, and to
all that is joined to it as an accessory, whether
naturally or artificially. This right is called the
right of accession.» There appears to be no reason why,
consistently with the language of these articles, there
should not be ownership of a fishing right as a mode of
enjoying and disposing of a separable physical subject
for possession. The title to take the fish is a title
to take a product of the river, and art. 408 recognises
as possible in the law the union with it as an accessory
of the right to use the bed of the river or the banks
when naturally or artificially stipulated for as part of
that which is joined to the fishing right. Their
Lordships not only think that this conclusion is that which is natural having regard to the character of the
transactions which the law of Quebec was probably
fashioned to provide for, but they find confirmation of
the view they take in the authority cited support of it
in the judgments of both Roy, J., and Pelletier, J.
(soulignement ajouté)
Le procureur général propose qu'il faut écarter
l'application de cette décision; il soutient de plus que si
elle doit s'appliquer, on doit la restreindre au droit de
pêche et non pas au droit de chasse. Il invoque alors les
propos suivants du juge Rothman dans l'affaire
O'Brien(4)():
Finally, Appellant refers to the decision of the Privy
Council in Matamajaw Salmon Club c. Duchaine where
fishing rights in a non-navigable and non-floatable
river were held to be transferable separately from
ownership of the land. I do not believe the judgment in
that case is of much help in interpreting the present
clause. Whatever possibility there may be of separating
ownership of a riverbed from ownership of fishing
rights, no such separation ownership is possible in the
case of hunting rights except in those limited and
exceptional cases where a servitude has been created.
L'argument du procureur général doit être rejeté. Il
suffit à cet égard de reprendre l'explication du premier
juge:
Avec égards, le tribunal ne partage pas cet avis. En
effet, la Cour d'appel n'a pas remis en question
l'autorité de l'arrêt Matamajaw. Elle a plutôt décidé
que cet arrêt du Conseil privé, dans lequel il est
établi qu'il est possible de séparer le lit d'un cours
d'eau non navigable et le droit de pêche, n'était
d'aucune utilité pour interpréter la clause particulière
dont elle était saisie. Précisant qu'une telle
séparation de la propriété n'est possible, pour le droit
de chasse, que dans les cas limités et exceptionnels où
une servitude est créée, la Cour d'appel ajoutait
également, par les propos de monsieur le juge Rothman,
qu'il fallait, à cet égard, qu'une intention claire
ressorte de la clause. En effet, dans le doute, il faut
conclure à l'absence de servitude [...].
En l'espèce, il appert des termes employés dans la
réserve de l'acte de vente que les droits de chasse et de
pêche réservés par Raymond Garneau et cédés par la suite à
Club Appalaches étaient de la nature de droits réels
perpétuels. L'analyse faite par le juge de première instance
du libellé de la réserve me paraît convaincante:
En effet, il ressort de la clause plus haut reproduite
que la réserve des droits de chasse et de pêche faite
par Raymond Garneau constitue un démembrement innommé de
la propriété, soit un droit réel concédé de façon
perpétuelle en sa faveur ainsi qu'en faveur de ses
héritiers («heirs») et de ses ayants droit ou ayants
cause («assigns»).
En anglais, le terme «assigns» désigne indistinctement
l'ayant cause ou l'ayant droit, l'ayant cause signifiant
en droit civil, «la personne qui tient un droit ou une
obligation d'une autre dénommée auteur» alors que «la
transmission de droit qu'implique la notion d'ayant droit résulte, tantôt de la loi (...) tantôt d'un acte
juridique (...)».
En analysant les termes de cette clause, et
particulièrement le premier membre de phrase: «It is
specially understood (...) that all fishing rights
(...) are not included in the present sale», il apparaît
clairement que l'intention des parties est de procéder
à la vente des lots sans transférer les droits de chasse
et de pêche, lesquels demeurent la propriété de Raymond
Garneau, l'auteur des ayants droit, et sont, à
perpétuité («forever») la propriété de ses ayants droit,
soit Appalaches, qui en fait ultérieurement
l'acquisition.
D'autres indices de preuve découlant de la conduite des
parties confirment cette interprétation. On remarque d'abord
que dans l'acte de vente du 3 novembre 1955, les droits de
chasse et de pêche sont vendus avec garantie légale:
La partie de première part vend avec garantie légale à
la partie de seconde part acceptant tous les droits de
pêche et de chasse sur les territoires ci-près décrits
[...]
Dans le même acte, la compagnie D'Auteuil Lumber
intervient pour renoncer à son droit de rachat des droits de
chasse et de pêche:
10 - Renoncer à toutes fins que de droit à la clause ci- après reproduite et contenue dans l'acte de vente
intervenu entre la partie de première part et ladite
intervenante devant Me R. Meredith, notaire, en date du
17 mai 1951, sous le numéro de minute 18,907, savoir:
(...)
Furthermore, the said Raymond Garneau obliges himself
and his legal representatives not to sell said fishing
and or hunting rights, except to the purchaser or its
legal representatives.
Enfin, l'élément qui me semble le plus significatif se
trouve dans la réserve contenue dans l'acte d'échange du 9
mai 1956 d'où il apparaît que l'État reconnaît les droits
acquis par le Club Appalaches de Raymond Garneau:
RÉSERVES
Il est également convenu que le présent acte n'affecte
aucunement les droits de chasse et de pêche réservés par
Raymond Garneau, de la Cité de Québec, courtier, dans un
acte de vente par ce dernier à The D'Auteuil Lumber
Company Limited [...], lesquels droits de chasse et de
pêche ainsi que leurs accessoires ont été cédés au Club
Appalaches [...], le Gouvernement entendant, par ces
mêmes présentes, confirmer et ratifier tous les droits
acquis par ledit Club Appalaches de monsieur Raymond
Garneau et The D'Auteuil Lumber Company Limited suivant
l'acte ci-haut mentionné [...]. Cette confirmation et
ratification est faite dans le but de reconnaître
lesdits droits acquis parce qu'au moment de la signature
de l'acte en dernier relaté, les procédures
d'expropriation étaient encore en cours.
Il faut par ailleurs rejeter la prétention du procureur
général que l'expropriation de 1953 a purgé les droits acquis
par Club Appalaches. D'une part, ce dernier n'a reçu aucun
avis d'expropriation prévu par les articles
3 et
14 de la Loi concernant l'acquisition de certains territoires forestiers
(5)().
D'autre part, il a déjà été souligné que l'État a reconnu
expressément les droits acquis par le Club Appalaches dans
l'acte d'échange.
Reste maintenant la question des droits superficiaires.
La décision du juge d'instance reconnaît à l'intimée des
droits de superficie sur certaines constructions et
améliorations, telles que les camps, chalets et chemins, qui
ont été construits par elle ou ses auteurs. Comme les droits
de chasse et de pêche, ces droits découleraient de l'acte de
vente du 17 mai 1951:
The hereby sold properties are accepted by the Purchaser
subject to the lease affecting part thereof in favour of
Appalaches Club de Pêche et de Chasse, formerly the
Maple Leaf Fish and Game Club of Sherbrooke, P.Q.
executed sous seing privé [...}. Nevertheless, the
Vendor reserves all his rights as Lessor under the said
Leases which were transferred to him by Brown
Corporation by the Deed of Sale, in his favour, above
referred to.
Pour connaître les droits du locateur dont il est
question dans cet extrait, il faut se référer au bail consenti le 20 octobre 1928 par Brown Corporation au Club
Appalaches:
GÉNÉRAL: The Lessee agree [...} that they will at the
termination of this lease, leave on said premises as the
property of the Lessors and their heirs or assigns,
without cost or liability on the part of said lessors or
betterments and improvements of any kinds, all buildings
and erections now on said premises or hereafter placed
thereon by said Lessee [...].
Le bail du 20 octobre 1928 accorde donc le droit au
locateur de reprendre à la fin du bail, sans aucune
indemnité, la propriété des constructions et améliorations
faites par le locataire. Les camps et chalets font
évidemment partie de cette catégorie. Toutefois, en est-il
de même pour les chemins aménagés par Club Appalaches, alors
qu'il était locataire? Le bail fait mention d'un droit de
passage sur le territoire en faveur du locataire, pour se
rendre au territoire ou en revenir, mais pas davantage.
L'assiette de l'exercice de ce droit n'est pas définie et
n'est assujettie à aucune limite:
[...] with the right to erect thereon buildings or camps
approved by the Lessor before building, as to locations
and dimensions, which shall be used only as sportsmen's
lodges, with the right to take timber from said premises
for the erection of said buildings, and with the right
to pass over other lands of the Lessor in going to and
from said premises.
En conséquence, je suis d'avis que l'aménagement de
chemins par le locataire n'est pas une construction ou une
amélioration au sens du bail mais résulte simplement de
l'exercice de fait par ce dernier de son droit de passage.
Il ne s'agit donc pas d'un droit du locateur réservé dans
l'acte de vente du 17 mai 1951 en vertu duquel le Club
Appalaches peut prétendre détenir la propriété superficiaire.
D'ailleurs corrigeant son tir, l'intimée a admis à l'audience
que les droits qu'elle revendique sur les chemins n'étaient
pas de cette nature. Je suis donc d'avis que le premier juge
a commis une erreur sur cet aspect, que l'assiette des
chemins est la propriété du procureur général et que le Club
Appalaches ne peut y prétendre aucun droit de superficie.
En résumé, je conclus que le Club Appalaches détient des
droits réels de chasse et de pêche perpétuels et exclusifs
ainsi que les droits accessoires nécessaires à leur exercice
sur le territoire de la seigneurie Nicolas Rioux. En ce qui
a trait aux droits de superficie, je retiendrais les
conclusions du juge de première instance quant aux chalets et
autres constructions mais je retrancherais la propriété superficiaire des chemins sur lesquels l'intimée ne possède
de toute façon qu'un droit de passage en vertu des droits
accessoires à l'exercice de ses droits de chasse et de pêche.
JUGEMENT SUR LA DEMANDE EN INJONCTION PERMANENTE - POURVOI:
200-09-002219-985
Le deuxième pourvoi met en jeu l'application de
l'article
53 de la Loi sur les terres du domaine public
(6)() dont
le procureur général exigeait le respect dans sa demande en
injonction permanente:
53. Toute personne peut passer sur les terres du
domaine public, sauf dans la mesure prévue par une loi
ou par un règlement du Gouvernement.
Toutefois, le droit de passer et de séjourner sur les
terres sous l'autorité du Ministre exerce conformément
aux normes prescrites par le Gouvernement une voie
réglementaire.
J'ai conclu que le Club Appalaches n'avait pas de droit
de propriété superficiaire sur les chemins situés sur le
droit appartenant à la province mais qu'il était le détenteur
exclusif de tous les droits de chasse et de pêche.
Cette double conclusion contient des germes de discorde
dont la solution globale n'est sûrement pas judiciaire. Si,
dans le cadre des droits exclusifs qu'ils possèdent, les
membres du Club Appalaches ont seuls droit de pêcher et de
chasser, dans le respect de la réglementation publique
applicable, les citoyens ont un égal droit d'accès au
territoire pour y pratiquer d'autres activités. Il pourra
s'agir de randonnées pédestres ou motorisées en forêt, même
en période de chasse, ou de baignades ou balades en chaloupe
ou en canot dans ou sur les plans d'eau. Il n'est certes pas
facile de déterminer ici de quelle façon les uns devront
respecter les droits des autres. Qu'il suffise au tribunal
d'interdire toute entrave ou restriction au libre passage et
à la libre circulation dans le territoire décrit au dossier
et de permettre au Club Appalaches de publiciser
l'exclusivité de ses droits de pêche et de chasse.
Au cours de la période visée par les procédures
d'injonction, le Club Appalaches a exercé des contrôles
incompatibles avec le libre accès du public au territoire en
litige:
- des barrières installées sur le territoire ne sont
ouvertes que de la fin novembre de chaque année,
soit à la fin des opérations, jusqu'à la mi-mai de
chaque année, date de la reprise des opérations;
- ses représentants ou employés bloquent les chemins
et vérifient les motifs pouvant justifier la
circulation de certains citoyens, décident du
sérieux des motifs avant d'accorder le droit de
passage et exigent la signature des registres de
Club Appalaches de la part des gens qui désirent
circuler sur le territoire;
- à certaines entrées, un câble d'acier est fixé à un
poteau à l'aide d'un crochet;
- à l'entrée St-Mathieu, la barrière est surveillée
par un gardien de la mi-mai au 20 novembre de
chaque année;
- il a installé une barrière de métal cadenassée sur
le 5ème Rang de Ste-Françoise.
Il y a donc lieu d'intervenir pour que cessent ces
entraves.
Si dans l'avenir, le Club Appalaches a lieu de se
plaindre de dommages à sa propriété ou d'entraves à ses
droits de pêche et de chasse, il lui appartiendra d'exercer
les recours appropriés contre les personnes responsables.
Elle ne saurait limiter l'accès au domaine public.
POUR CES MOTIFS, je propose de rejeter l'appel du
jugement sur l'injonction et de
MAINTENIR le dispositif du
jugement de première instance tel que rédigé et d'
ACCUEILLIR
l'appel du jugement sur la requête pour jugement déclaratoire
aux seules fins de biffer du dispositif de jugement la
mention «des chemins» et de limiter le droit du Club
Appalaches à un droit de passage sur le territoire en litige.
____________________________________
RENÉ LETARTE, J.C.A. (ad hoc)
1.
15-16 Georges VI, ch. 38.
2. L.R.Q., ch. T-8.1.
3. Matamajaw Salmon Club c. Duchaine (1921) D.L.R. 391.
4. O'Brien c. Ross,
[1984] C.A. 78
.
5. L.R.Q. 1951, ch. C-38.
6. L.R.Q., c. T-8.1.