Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Barkley et Service Sani-Tri

2011 QCCLP 2578

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

7 avril 2011

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

422805-08-1010

 

Dossier CSST :

135918860

 

Commissaire :

Simon Lemire, juge administratif

 

Membres :

Marcel Grenon, associations d’employeurs

 

André Cotten, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Robert Barkley

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Service Sani-Tri

Cogesis inc.

 

Parties intéressées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 22 octobre 2010, monsieur Robert Barkley (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 16 septembre 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST infirme la décision du 19 juillet 2010, déclare que le travailleur a omis, en date du 18 juin 2010, sans raison valable, de se soumettre à un examen médical prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et déclare qu’elle est en droit de réduire ou de suspendre le paiement d’une indemnité versée au travailleur.

[3]           L’audience s’est tenue le 14 février 2011 à Rouyn-Noranda en présence du travailleur et de l’employeur, Service Sani-tri, qui étaient représentés. Cogesis inc. n’était pas présent ni représenté.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a un motif valable de n’avoir pu se soumettre, le 18 juin 2010, à un examen médical prévu à la loi.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Conformément à l’article 429.50 de la loi, le commissaire soussigné a obtenu l’avis des membres sur la question faisant l’objet de la contestation.

[6]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur, car le fait d’avoir oublié ses billets d’avion constitue un acte manqué, puisqu’il ne voulait pas prendre l’avion, et c’est là son principal motif. De plus, il n’a pas avisé en temps utiles de sa phobie de prendre l’avion.

[7]           Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le travailleur a manqué son avion de façon involontaire, alors que de bonne foi il s’était préparé à faire ce voyage pour subir un examen médical demandé par l’employeur, ce qui constitue un motif valable.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Dans sa prise de décision, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de l’avis des membres, de l’ensemble de la preuve documentaire au dossier, des documents déposés à l’audience, du témoignage du travailleur et de celui de monsieur Carl Bergeron et de l’argumentation des parties.

[9]           Au soutien de sa décision, la Commission des lésions professionnelles réfère aux éléments de preuve, tant documentaire que testimoniale, pertinents à la détermination des questions en litige.

[10]        Le travailleur subit une lésion professionnelle le 1er avril 2010 reconnue par la CSST qui verse les prestations prévues par la loi.

[11]        Dans le cadre du suivi du dossier, l’employeur demande au travailleur de se présenter le 18 juin 2010 à 13 heures à la clinique médicale Plexo à Montréal afin de rencontrer le docteur Jules Boivin, comme l’autorise l’article 209 de la loi qui précise :

209.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

__________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

 

[12]        L’employeur a fait parvenir au travailleur l’avis de convocation et les billets d’avion ainsi que les sommes qui lui seront remboursées.

[13]        Le travailleur rencontre alors monsieur Carl Bergeron afin de lui signifier qu’il n’a pris l’avion qu’une seule fois et qu’il a peur de prendre l’avion. Il mentionne qu’il en avait déjà avisé l’employeur, mais que monsieur Bergeron n’était pas en fonction à ce moment-là et ignorait la phobie du travailleur.

[14]        Le travailleur est alors avisé qu’il est trop tard pour se faire rembourser les billets d’avion et il a consenti à prendre l’avion le jour dit pour se conformer à la demande de l’employeur. D’ailleurs, monsieur Carl Bergeron, qui a témoigné à l’audience, confirme en tous points la version du travailleur.

[15]        Afin de se préparer à ce rendez-vous, le travailleur doit obtenir les films radiologiques se rapportant à sa lésion professionnelle. Le travailleur fait les démarches pour obtenir ces rapports et déplace les billets d’avion en les enlevant de l’enveloppe dans laquelle il les avait reçus.

[16]        Le travailleur fait toutes les démarches et rassemble les documents nécessaires, et le 18 juin 2010, il se rend à l’aéroport de Rouyn-Noranda qui est située à environ une heure de route de son domicile. Il arrive à l’aéroport environ 50 minutes à une heure avant l’heure du départ. Dans le stationnement de l’aéroport, il constate qu’il n’a pas ses billets d’avion et comme il demeure trop loin pour aller les chercher et revenir à temps, il n’entre pas dans l’aéroport. On lui reproche qu’avec des billets électroniques, il lui aurait été facile de s’en faire émettre d’autres, mais pour une personne qui a pris une fois l’avion dans sa vie, ces technicalités lui sont inconnues. La preuve démontre que c’est en raison de l’oubli de ses billets d’avion qu’il n’a pu prendre le vol du 18 juin 2009.

[17]        La bonne foi du travailleur dans le dossier ne fait aucun doute : il a fait toutes les démarches qu’on lui a demandées pour compléter son dossier afin de se présenter à l’examen demandé par l’employeur. Il n’a jamais refusé d’aller se faire examiner. Il reproche, et c’est justifié, qu’on lui a imposé un voyage en avion alors qu’il avait fait mention de sa phobie auprès de l’employeur et de la CSST. Toutefois, le nouveau directeur, monsieur Carl Bergeron n’était pas au fait de cette phobie.

[18]        Les dispositions de l’article 142, paragraphe 2, alinéa a), prévoient :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

1° si le bénéficiaire :

 

a)  fournit des renseignements inexacts;

 

b)  refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

b)  pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;

 

c)  omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;

 

d)  omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;

 

e)  omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;

 

f)  omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

 

[19]        Cet article doit être lu avec l’article 143 qui prévoit :

143.  La Commission peut verser une indemnité rétroactivement à la date où elle a réduit ou suspendu le paiement lorsque le motif qui a justifié sa décision n'existe plus.

__________

1985, c. 6, a. 143.

 

 

[20]        Les dispositions de l’article 142 de la loi est un moyen de coercition permettant à la CSST d’intervenir lorsqu’un travailleur ne respecte pas ses obligations, moyen efficace. Toutefois, il s’agit d’une mesure drastique qui doit être utilisée de façon judicieuse et il ne faut pas prendre n’importe quel prétexte pour suspendre les indemnités de remplacement du revenu, ce qui affecte les revenus du travailleur, mais sûrement aussi ceux de toute sa famille. Il faut donc que le motif soit sérieux, qu’il soit assimilable à de la mauvaise foi, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[21]        Les dispositions de l’article 142 sont là pour obliger un travailleur à faire face à ses obligations. Dans le présent dossier, le travailleur n’a jamais refusé de se soumettre à cet examen. Au contraire, il a mis de côté sa phobie de l’avion pour satisfaire la demande de son employeur. La malchance, peut-être due au stress relié au vol d’avion qui l’effraie, a voulu qu’il oublie les billets d’avion alors que la distance est trop grande entre son domicile et l’aérogare pour qu’il aille chercher les billets et revenir à temps. Il s’agit là d’un motif valable d’avoir omis le 18 juin 2010 de se présenter devant le docteur Boivin.

[22]        D’ailleurs, le travailleur s’est bel et bien présenté par la suite pour subir cet examen et la CSST aurait dû alors appliquer les dispositions de l’article 143, ce qu’elle n’aura pas besoin de faire puisque le tribunal conclut que le travailleur avait un motif raisonnable le 18 juin 2010 pour ne pas se présenter à son examen.

[23]        L’employeur a tenté d’attaquer la crédibilité du travailleur sur de nombreux détails, mais celui-ci a toujours maintenu la même version. De plus, il est bon de rappeler qu’un tribunal préfèrera toujours la version crédible d’un témoin entendu à l’audience plutôt que des notes et des écrits qui constituent du ouï-dire et dont on ne peut apprécier la crédibilité ni questionner.

[24]        C’est donc la version du travailleur que le tribunal retient.

[25]        L’employeur a aussi déposé plusieurs décisions dont la première rendue le 26 octobre 2005 dans l’affaire Daigle et Air Inuit ltée[2], où le requérant reproche une erreur d’écriture dans son agenda. Le commissaire reconnaît la négligence du travailleur, mais ajoute que les indemnités ne pourraient être suspendues au-delà du jour de l’examen puisque dès le lendemain, le travailleur était disponible. Il me semble qu’il s’agit là d’une décision juste et sensée.

[26]        La deuxième décision, dans l’affaire Sauvé et Alloyco International inc.[3], le travailleur a raté un examen du Bureau d'évaluation médicale en raison de la prise d’un sédatif la veille du rendez-vous et qu’il ne s’est pas réveillé à temps. La commissaire reproche au travailleur la prise d’un sédatif la veille d’un examen et l’essai d’un nouveau réveil matin le jour de cet examen. Il est facile de comprendre que la commissaire n’a pas cru le travailleur et que son histoire était cousue de fil blanc. Les deux autres décisions parlent de phobies et ne concernent donc pas notre dosser.

[27]        Il y a lieu de faire droit à la requête du travailleur.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Robert Barkley;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 16 septembre 2010 à la suite d’une révision administrative;

RÉTABLIT la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 19 juillet 2010;

DÉCLARE que monsieur Robert Barkley avait une raison valable pour ne pas se présenter à l’examen médical demandé par son employeur le 18 juin 2010.

 

 

 

__________________________________

 

Simon Lemire

 

 

 

 

Christine Guénette

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Louis-Charles Bélanger

Bélanger, Barrette ass,

Représentant de la partie intéressée Service Sani-tri

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           C.L.P 252014-03B-0412, 264044-03B-0506, 26 octobre 2005, C. Lavigne

[3]           C.L.P. 242988-72-0409, 1er décembre 2004, P. Perron.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.