Décision

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Routiers Experts 2000 inc.

2011 QCCLP 5584

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

22 août 2011

 

Région :

Laval

 

Dossier :

422730-61-1010

 

Dossier CSST :

135331858

 

Commissaire :

Philippe Bouvier, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Routiers experts 2000 Inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

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[1]           Le 28 octobre 2010, la compagnie Routiers Experts 2000 inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 22 octobre 2010 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 2 juillet 2010 et déclare que la totalité des coûts dus en raison de l’accident du travail subi par monsieur Normand Lamarche (le travailleur), le 23 septembre 2009, doit être imputée au dossier de l’employeur.

[3]           Une audience s’est tenue le 16 juin 2011 à Laval en présence de l’employeur et de son représentant. Le 14 juillet 2011, l’employeur informe la Commission des lésions professionnelles qu’il n’a pas de document supplémentaire à déposer. La cause a été mise en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’accident du travail subi par le travailleur le 23 septembre 2009 est attribuable à un tiers et de transférer le coût des prestations dues en raison de cet accident du travail à l’ensemble des employeurs.

LA PREUVE

[5]           Le travailleur occupe un poste de camionneur pour le compte de l’employeur, et ce, depuis quelques années. En audience, le travailleur indique que le 23 septembre 2009, il doit transférer de Saint-Siméon à Québec une remorque chargée de 55 000 livres de papier recyclé.

[6]           Il quitte Saint-Siméon à la suite d’un transfert de remorque, tôt le matin, vers 4 h 15 alors qu’il y a une légère brume. Le travailleur indique que rendu à la hauteur du Massif de la Petite-Rivière-Saint-François, la brume est plus opaque. En descendant une côte vers Saint-Joachim, il maintient la vitesse de son camion à environ 70 à 75 km/h, en raison de la brume. Il actionne son frein moteur. Cette côte est à une voie en descendant et à deux voies en montant, la limite de vitesse s’établit à 90 km/h.

[7]           Le travailleur indique qu’il passe à cet endroit vers 6 h 30, il fait sombre, il y à peine quelques rayons de soleil qui pointent, la brume est plus épaisse qu’à Saint-Siméon. À 100 mètres devant lui, il aperçoit deux taches rouges, il croit que c’est une voiture qui est sur l’accotement, il se tasse un peu vers la gauche.

[8]           Rendu à 30 mètres, le travailleur distingue une grosse masse ombragée de forme rectangulaire, très foncée. C’est la toile verte d’une remorque n’ayant aucune lumière. Du côté gauche, le travailleur voit une éclaircie, il se dirige donc vers celle-ci se disant que s’il y a impact, c’est le côté passager de son camion qui en absorbera le choc. Le travailleur dirige donc son camion vers la gauche, en traversant la double ligne médiane séparant les voies.

[9]           C’est à ce moment que l’impact se produit. Il frappe le devant du tracteur de l’autre camion qui occupe la voie de gauche. Le côté gauche de son camion frotte sur la glissière en bordure de la route. Le travailleur ferme les yeux. Sous la force de l’impact, un incendie se déclenche, les flammes sortent sous le siège du passager et du côté de sa portière; se croyant sur le garde-fou, il ouvre sa porte et saute par-dessus le feu. Le travailleur tombe dans un fossé d’une hauteur de 20 à 30 pieds.

[10]        Le travailleur subit une fracture du tibia gauche, une entaille au genou droit et des ecchymoses sur le crâne. Dans une décision rendue le 5 novembre 2009, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour un accident du travail ayant causé la fracture du tibia gauche.

[11]        À la suite de cet accident, le camion du travailleur est une perte totale. D’ailleurs, il ressort de la preuve qu’un règlement est intervenu entre la compagnie d’assurance de la compagnie VicWest corporation, propriétaire de l’autre camion impliqué dans l’accident et l’employeur.

[12]        De plus, le travailleur dépose un avis de non-responsabilité émis par la Société de l’assurance automobile du Québec confirmant qu’il n’est pas responsable de l’accident. Il ajoute qu’il n’a reçu aucun constat d’infraction pour cet accident de la part des policiers qui ont rédigé un rapport d’accident qui a été déposé en preuve.

[13]        Monsieur Denis Landry qui s’occupe de formation et sécurité pour la firme Beaudry sécurité et personnel témoigne à l’audience à la demande de l’employeur. Il explique que le 23 septembre 2009, il reçoit un appel vers 7 h afin qu’il se rende sur les lieux de l’accident. Il constate que c’est brumeux et qu’il tombe une petite bruine.

[14]        En arrivant sur les lieux de l’accident, il voit des débris devant la remorque du camion du travailleur. Il cherche la cabine, il ne la voit pas. C’est alors qu’il constate que les débris représentent les restes carbonisés de la cabine du camion du travailleur. Il dépose une série de photographies qu’il a prises à son arrivée sur les lieux de l’accident. Ces photos témoignent de la présence de brouillard et quant au camion, elles confirment la violence de l’impact et la grande étendue des dommages.

[15]        Sur place, il fait enquête sur les circonstances de l’accident. Il parle aux policiers ainsi qu’à différents témoins. Selon ce qu’on lui a dit, le camion de la compagnie VicWest devait faire une livraison chez une entreprise sur la route 138. Pour ce faire, le conducteur de ce camion a tenté de reculer pour entrer sa remorque dans l’entrée de l’entreprise. En effectuant cette manœuvre, le tracteur de son camion a traversé la double ligne jaune bloquant ainsi la voie de gauche.

[16]        Monsieur Landry qui œuvre dans le monde du camionnage depuis 21 ans dont les deux dernières dans le domaine de la sécurité considère que la manœuvre du conducteur du camion de Vicwest n’était pas sécuritaire en raison notamment des conditions climatiques mais aussi en raison du fait que ce camion n’était pas muni de gyrophares. Il confirme que c’est la compagnie d’assurance de la compagnie Vicwest qui a assumé les dommages matériels.

[17]        Enfin, l’employeur dépose un article[1] dans lequel on fait état de l’accident survenu le 23 septembre 2009. Dans cet article, le journaliste note l’épais brouillard sévissant ce jour-là.

[18]        Le 1er décembre 2009, l’employeur formule auprès de la CSST sa demande de transfert d’imputation.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[19]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert d’imputation en vertu du second alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).

[20]        Cet article énonce ce qui suit :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[21]        Le premier alinéa de cet article consacre le principe général d’imputation que le coût d’une lésion professionnelle doit être imputé au dossier financier de l’employeur. Or, dans le présent dossier, l’employeur soulève l’exception prévue au second alinéa de cet article selon laquelle il peut bénéficier d’un transfert d’imputation si l’accident du travail dont est victime le travailleur est attribuable à un tiers et de ce fait qu’il est injuste qu’il en supporte le coût des prestations. L’application de cette exception du principe général d’imputation implique donc la preuve des éléments suivants :

·         L’existence d’un accident du travail;

·         la présence d’un tiers;

·         que l’accident du travail soit attribuable à un tiers;

·         l’effet injuste de l’imputation pour l’employeur.

 

 

[22]        Dans la décision Ministère des Transports et CSST[3], une formation de trois juges administratifs procède à une étude approfondie de cette exception prévue au deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. La grille d’analyse élaborée par la Commission des lésions professionnelles dans cette décision vient cristalliser l’état du droit dans l’interprétation du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.

[23]        La notion de tiers n’est pas définie dans la loi. Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[4], la Commission des lésions professionnelles retient la définition suivante de tiers :

[276]    Les soussignés estiment qu’est donc un « tiers » au sens de l’article 326 de la loi, toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier201. Ainsi, par exemple, un élève, un client ou un bénéficiaire est un tiers.

____________

201         Cette description des « collègues de travail » s’inspire des termes utilisés au paragraphe introductif de la définition de travailleur énoncée à l’article 2 de la loi ainsi que des termes utilisés aux articles 439 et 441.

 

 

[24]        Au chapitre de la notion d’« attribuable à un tiers », la formation de trois juges administratifs décide que l’interprétation suivante doit prévaloir :

[240]    Ce que l’article 326 de la loi exige en effet, c’est que l’accident soit attribuable à un tiers188, non pas que l’employeur soit exempt de la moindre contribution à son arrivée.

 

[241]    D’où la règle voulant que l’accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon « majoritaire »189 à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %190. Les soussignés endossent cette interprétation retenue de longue date par la CALP et la Commission des lésions professionnelles.

 

[242]    En somme, l’accident est attribuable à quiconque s’en trouve être le principal auteur191 pour avoir joué un rôle déterminant dans les circonstances qui l’ont provoqué.

 

[243]    Rien ne s’objecte à ce que pour les fins de l’application de la règle, les apports combinés de plusieurs personnes équivaillent à celui d’une seule, dans la mesure où ensemble ceux-ci ont fait en sorte que l’accident se produise.

 

[244]    Rien, non plus, n’interdit de conclure que l’accident est attribuable à une ou plusieurs personnes dont l’identité n’a pu être établie192, en autant que le prochain élément de la condition préalable soit démontré, c’est-à-dire qu’il s’agit bel et bien de tiers.

____________

188         Restaurant Chez Trudeau inc. et Foyer Général inc., 192626-62B-0210, 7 avril 2003, M. -D. Lampron, (03LP-15).

189         Équipement Germain inc. et Excavations Bourgoin & Dickner inc., 36997-03-9203, 30 septembre 1994, J.-G. Roy, (J6-21-05); Protection Incendie Viking ltée et Prairie, 51128-60-9305, 2 février 1995, J.-C. Danis, révision rejetée, 15 novembre 1995, N. Lacroix; General Motors du Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 866 , révision rejetée, 50690-60-9304, 20 mars 1997, É. Harvey; Northern Telecom Canada ltée et CSST, [1996] C.A.L.P. 1239 ; A. Lamothe 1991 inc. et Macameau, [1998] C.L.P. 487 ; Agence de personnel L. Paquin inc. et Santragest inc., 126248 -62A-9911, 1er mai 2000, N. Lacroix; Sécurité Kolossal inc. et Agence métropolitaine de transport, 100174-72-9804, 26 mai 2000, Marie Lamarre; Société immobilière du Québec et Centre jeunesse Montréal, 134526-71-0003, 23 octobre 2000, C. Racine ; Hôpital Sacré-Coeur de Montréal et CSST, 134249-61-0003, 29 novembre 2000, G. Morin.

190         CSST et Les Industries Davie inc., 95042-03B-9803, 18 février 1999, P. Brazeau ; Hydro-Québec et CSST, 118465-01A-9906, 14 avril 2000, Y. Vigneault.

191         Société immobilière du Québec et Centre Jeunesse de Montréal, [2000] C.L.P. 582  ; Les Coffrages CCC inc. et Terramex inc., 294890-63-0607, 19mars 2007, M. Juteau.

192         Laiterie Dallaire et Zavodnik, 35021-08-9112 et autres, 10 novembre 1992, L. McCutcheon; Centre jeunesse de Montréal et CSST, 218751-63-0310, 16 décembre 2004, F. Dion-Drapeau; Paul-Henri Truchon & Fils inc., 288532-64-0605, 7 septembre 2006, J.-F. Martel ; Services Ultramar inc., [2007] QCCLP 344  ; Centre d'hébergement Champlain-Limoilou, 289124-31-0605, 23 mars 2007, J.-L. Rivard, révision rejetée, 12 octobre 2007, A. Suicco.

 

 

[25]        Bien qu’un accident du travail soit attribuable à un tiers, encore faut-il que l’imputation des coûts de cet accident du travail au dossier de l’employeur représente une injustice. Dans la décision Ministère des Transports et CSST[5], la Commission des lésions professionnelles dégage de l’ensemble de la jurisprudence, les facteurs qui doivent être pris en compte pour analyser cette notion d’injustice :

[339]    Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :

 

-  les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;

 

-  les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;

 

-  les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.

 

[340]    Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.

 

 

[26]        Dans le présent dossier, il n’y a pas d’équivoque sur la nature de la lésion professionnelle du travailleur puisque dans sa décision du 5 novembre 2009, la CSST reconnaît que le travailleur a été victime d’un accident du travail le 23 septembre 2009.

[27]        Quant à l’identification du tiers, la Commission des lésions professionnelles considère que le conducteur du camion appartenant à la compagnie Vicwest est un tiers par rapport au travailleur et à l’employeur puisqu’il n’est pas l’employé de ce dernier et qu’il n’entretient aucun rapport juridique avec l’employeur du travailleur.

[28]        Au chapitre de déterminer si l’accident du travail est attribuable à un tiers, la Commission des lésions professionnelles s’étonne du refus de la CSST de considérer le rôle joué par le camionneur de l’autre camion. Le raisonnement tenu par la CSST en révision administrative selon lequel l’accident du travail est seulement attribuable au saut effectué par le travailleur pour se sortir de la cabine de son camion en flammes est réducteur, voire incompatible avec l’ensemble des circonstances entourant la survenance de l’accident du travail.

[29]        La Commission des lésions professionnelles juge que les manœuvres effectuées par le camionneur à l’emploi de la compagnie Vicwest alors qu’il empiète sur la voie de gauche en voulant reculer son camion dans une entrée ont contribué de façon majoritaire à la survenance de l’accident du travail survenu le 23 septembre 2009. Certes, la présence de brume et le saut du travailleur sont des facteurs à considérer dans la survenance de l’accident. Toutefois, n’eut été de la conduite du chauffeur de l’autre camion, le travailleur n’aurait pas subi d’accident du travail. Celui-ci est donc attribuable à un tiers.

[30]        Au cœur du litige demeure la question de déterminer si le fait d’imputer à l’employeur le coût des prestations de l’accident du travailleur qui est attribuable à un tiers constitue une injustice.

[31]        L’employeur soumet que le travailleur a été pris dans un guet-apens, dans un piège en raison de la manœuvre non sécuritaire du chauffeur de l’autre camion. Il prétend que le geste posé par ce chauffeur, de reculer et d’empiéter sur la voie de gauche, contrevient à l’article 417 du Code de la sécurité routière[6] :

417. Le conducteur d'un véhicule routier ne peut faire marche arrière à moins que cette manœuvre puisse être effectuée sans danger et sans gêne pour la circulation.

 

 

Circulation publique.

En outre des chemins publics, le présent article s'applique sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler.

 

 

1986, c. 91, a. 417; 1996, c. 56, a. 86.

 

 

[32]        Dans l’affaire Société de l’assurance automobile du Québec[7], la Commission des lésions professionnelles analyse la jurisprudence du tribunal relativement à la demande de transfert d’imputation dans les accidents de travail attribuables au mauvais comportement routier d’un tiers. À cet égard le tribunal écrit :

[23]      À la suite des décisions de la formation de trois juges administratifs précitée, le tribunal a été appelé à rendre un grand nombre de décisions appliquant les critères mentionnés précédemment, notamment dans le cas d’accident de la route dû à l’omission d’un conducteur de faire un arrêt obligatoire5, à une distraction d’un conducteur utilisant son téléphone cellulaire6, à une omission d’arrêter à un feu rouge7, à des omissions d’arrêter un véhicule conduit par un tiers qui était muni de très vieux pneus8 ou qui « a manqué de frein9 ».

 

[24]      Dans tous ces cas, le tribunal a conclu que ce type d’accident de la route constituait un fait courant susceptible de se produire sur les voies de circulation, de façon habituelle et que, même si dans certains cas le comportement du tiers constituait un manquement aux règles de l’art ou à un règlement, cela n’entraînait pas nécessairement que les faits puissent être qualifiés comme étant extraordinaires, inusités, rares ou exceptionnels.

 

[…]

 

[28]      Le tribunal ne peut donc considérer que l’employeur supporte injustement le coût des prestations dues en raison d’un accident causé par l’inattention d’un tiers comme c’est le cas dans le présent dossier.

 

[29]      Si le tribunal acquiesçait à la demande de l’employeur, cela l’amènerait à accueillir pratiquement toutes les demandes de transfert d’imputation des coûts d’accidents résultants [sic] de l’inattention d’un autre conducteur, ce qui est malheureusement la cause en grande partie des accidents de la route.

 

 

____________

5           Bétonel ltée et CSST, C.L.P. 336933-31-0712, 16 mai 2008, H. Thériault.

6           Ste-Foy Toyota inc., C.L.P. 327399-31-0709, 26 mai 2008, M.A. Jobidon.

7           U.A.P. inc. et Réfrigération Thermo King Montréal, C.L.P. 291046-31-0606, 23 juillet 2008, P. Simard.

8           Commission Scolaire des Affluents, C.L.P. 328405-63-0709, 12 août 2008, M. Gauthier; G4S Service Valeurs Canada ltée et CSST, C.L.P. 286899-71-0604, 15 août 2008, M. Cuddihy.

9           Fonds Cons. AML Réseau Routier, C.L.P. 297399-31-0608, 3 septembre 2008, J.-L. Rivard.

 

 

[33]        En somme, dans le cas d’un accident du travail attribuable au comportement d’un tiers sur le réseau routier, ce n’est pas parce que ce dernier contrevient à une règle de sécurité routière que l’employeur subit nécessairement une situation d’injustice. Certes, un tel comportement doit être pris en compte dans l’analyse du tribunal, mais il ne peut constituer le seul critère d’appréciation de l’injustice de l’imputation.

[34]        L’employeur soumet également, que le tribunal ne peut analyser sa demande de transfert d’imputation en fonction des risques inhérents puisqu’étant assujetti au régime de financement rétrospectif, il est cotisé en fonction de son expérience et non en fonction des risques. Cet argument ne tient manifestement pas la route puisque le critère des risques inhérents en matière de transfert d’imputation vise à apprécier si les circonstances de l’accident font partie des risques de l’activité économique exercée par l’employeur. Le régime de cotisation qui s’applique à un employeur n’a aucune pertinence dans le cadre de l’analyse d’une demande de partage d’imputation.

[35]        Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles prend en considération dans son analyse de la demande de l’employeur, le comportement du conducteur de l’autre camion et les conditions climatiques prévalant le 23 septembre 2009. Pris isolément, chacun de ces facteurs est insuffisant en soi pour accorder un transfert d’imputation. En effet, l’exercice d’une activité économique reliée au transport implique malheureusement la survenance d’accidents routiers. Toutefois en les analysant les uns par rapport aux autres, la Commission des lésions professionnelles juge que l’employeur supporte injustement les coûts de la lésion professionnelle du travailleur survenue le 23 septembre 2009.

[36]        Il ressort de la preuve que le conducteur, outre la contravention au Code de la sécurité routière, adopte un comportement téméraire et dangereux manœuvrant son camion à reculons sur une voie publique empiétant sur la voie de circulation opposée. Une telle manœuvre est d’autant plus risquée et dangereuse puisqu’elle est exécutée alors que les conditions climatiques sont exécrables. En effet, dans leur témoignage, le travailleur et monsieur Landry décrivent la présence d’un épais brouillard. D'ailleurs, la preuve documentaire, composée des photos de monsieur Landry et d’un article d’un site internet d’information, confirme l’opacité de ce brouillard.

[37]        Dans ce contexte, le tribunal conclut au caractère extraordinaire et inusité de l’accident en raison de la manœuvre téméraire de l’autre conducteur conjuguée aux conditions climatiques. De fait, les circonstances de l’accident relèvent du piège auquel n’a pu échapper le travailleur malgré le fait qu’il ait ajusté la conduite de son camion pour tenir compte de la présence d’un épais brouillard.

[38]        En conséquence, le tribunal considère que l’employeur doit bénéficier d’un transfert d’imputation en vertu de l’article 326 alinéa 2 de la loi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de la compagnie Routiers experts 2000 inc., l’employeur;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 22 octobre 2010 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par monsieur Normand Lamarche, le travailleur, le 23 septembre 2009, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.

 

 

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Philippe Bouvier

 

 

 

 

Monsieur Gérald Corneau

GCO Santé et Sécurité inc.

Représentant de la partie requérante

 



[1]           Cet article est tiré du site internet Zone 911.com qui s’affiche comme étant le site web de l’urgence au Québec.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001.

[3]           [2007] C.L.P. 1804 .

[4]           Précitée note 3.

[5]           Précitée note 3.

[6]           L.R.Q., c. C-24.2.

[7]           C.L.P. 351109-31-0806, 23 février 2009, M. Racine.

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