Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Bourgoin et Division Gastier MP inc. (Électricité)

2015 QCCLP 1769

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

26 mars 2015

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

535125-62-1403

 

Dossier CSST :

140848185

 

Commissaire :

Me Francine Charbonneau

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Jean-Jacques Malenfant, associations syndicales

Assesseur :

Marcel M. Boucher, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Benjamin Bourgoin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Division Gastier M.P. Inc. (Électricité)

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE QUESTION PRÉLIMINAIRE

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 3 mars 2014, monsieur Benjamin Bourgoin (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 21 février 2014, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 27 janvier 2014 initialement. Elle déclare que le travailleur n’a pas subi de maladie pulmonaire professionnelle, qu’il n’a pas droit  aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi) et qu’il doit rembourser à la CSST  la somme de 1 251,79 $ dans la mesure où cette décision deviendra finale.

[3]           L’audience s’est tenue à Longueuil le 27 février 2015 en présence du travailleur, de la représentante de Division Gastier M.P. Inc. (Électricité) (l’employeur), madame Manon Lalonde, et de leur avocat respectif.

[4]           Le dossier a été mis en délibéré quant à la question préliminaire soulevée à la date de l’audience le 27 février 2015.

QUESTION PRÉLIMINAIRE

[5]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle se prononce sur le diagnostic de rhinite chronique exacerbée au travail par l’exposition à la poussière.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont du même avis. Il y a lieu de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle se prononce sur le diagnostic de rhinite allergique exacerbée par la poussière de son lieu de travail.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle se prononce sur le diagnostic de rhinite chronique exacerbée au travail par l’exposition à la poussière.

[8]           Au chapitre des faits, rappelons qu’en avril 2013, le travailleur, âgé de 25 ans, est électricien apprenti, troisième année au service de l’employeur.

[9]           Le 4 avril 2013, il consulte le docteur Claude Choquette en lien avec un événement du 2 avril 2013. Le docteur diagnostique une irritation bronchique et ... mot illisible... liés à l’exposition à des contaminants aériens. Le médecin remplit une attestation médicale initiale à l’intention de la CSST et suggère de faire voir le travailleur par un pneumologue.

[10]        Les 11 avril et 2 mai 2013, le docteur Choquette pose le diagnostic d’irritations des voies respiratoires secondaires à une atmosphère toxique au travail.

[11]        En vertu des dispositions de l’article 226 de la Loi, la CSST dirige le travailleur au Comité des maladies professionnelles pulmonaires.

[12]        Le 29 août 2013, les membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles se réunissent et rencontrent le travailleur. Ils notent que celui-ci leur est dirigé pour une possibilité d’asthme professionnel et qu’il a travaillé dans un dépanneur jusqu’à l’âge de 19 ans, puis comme mécanicien au Walmart en 2007 et 2008. Pendant deux étés, il a travaillé dans la construction comme poseur de revêtement de planchers en acrylique et uréthane. De 2011 à octobre 2012, il travaillait comme électricien dans le domaine de la construction de condominiums. Depuis octobre 2012, il travaille comme électricien dans le projet de construction du nouveau centre universitaire de santé à Montréal.

[13]        Le travailleur a commencé à présenter des symptômes de congestion en janvier 2013. Progressivement, il a présenté de l’essoufflement, est devenu sibilant, a toussé, craché et a vécu des épisodes de sinusite pour lesquels il a dû consulter et prendre des antibiotiques. Il a vu une amélioration de sa condition les fins de semaine et durant les vacances. Au mois d’avril, un épisode d’essoufflement aigu avec cillement respiratoire a nécessité une consultation à l’urgence. Un arrêt de travail a été recommandé et depuis, le travailleur rapporte une amélioration de sa condition.

[14]        Les membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles considèrent qu’il y a une possibilité que le travailleur ait eu une rhinite, sinusite et asthme d’origine professionnelle même si le diagnostic d’asthme n’est pas prouvé et même si l’agent sensibilisant n’a pas été identifié. Ils veulent poursuivre l’investigation et dirigent le travailleur à la Clinique d’asthme professionnel  de l’hôpital Sacré-Cœur pour des tests de provocation spécifique. Ils émettront un avis complémentaire par la suite.

[15]        À l’issue de son évaluation et de tests de provocation bronchique, le docteur André Cartier, pneumologue, de la Clinique d’asthme professionnel, conclut en date du 18 novembre 2013 que le travailleur présente une rhinite chronique qui a été exacerbée au travail par l’exposition aux poussières et fumées provenant de son milieu de travail.  Il n’y a aucun élément pour l’instant permettant de retenir un diagnostic d’asthme ou d’asthme professionnel.

[16]        Le 18 novembre 2013 également, le docteur Cartier remplit un rapport médical CSST en lien avec un événement du 2 avril 2013. Il ne trouve pas d’évidence d’asthme. Le travailleur présente une légère rhinite.

[17]        Dans un avis complémentaire du 28 novembre 2013, les membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles notent que les tests cutanés d’allergie faits ont démontré une atopie importante et il est plausible que la rhinite allergique du travailleur ait été exacerbée par les poussières dans son lieu de travail. Les membres  concluent qu’ils n’ont pas les éléments nécessaires pour leur permettre de poser un diagnostic de maladie pulmonaire professionnelle.

[18]        À l’instar des membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles, les membres du Comité spécial des Présidents étudient à leur tour le dossier du travailleur. Dans leur avis du 16 janvier 2014, ils entérinent les conclusions émises par les membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et retiennent qu’il n’y a pas d’évidence d’asthme ni d’asthme professionnel chez ce travailleur qui est porteur d’une rhinite allergique.

[19]        Le 27 janvier 2014, la CSST rend deux décisions. Liée par le rapport du Comité spécial des maladies professionnelles pulmonaires qui détermine qu’il y a absence de maladie professionnelle pulmonaire, elle refuse la réclamation du travailleur et ajoute qu’il n’a pas droit aux prestations prévues par la Loi. Elle lui réclame donc la somme de 1 251,79 $ qui lui a été versée en trop. Le travailleur conteste ces décisions.

[20]        Le 21 février 2014, l’instance de révision de la CSST rend une décision. Elle rappelle qu’en vertu des dispositions de la Loi, elle est liée par les conclusions émises par le Comité spécial des Présidents, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas les modifier et n’a pas le pouvoir d’accepter de nouvelles preuves médicales. Le Comité spécial des Présidents a conclu que le travailleur ne présente pas de maladie pulmonaire professionnelle sous forme d’asthme ou d’asthme professionnel. Elle confirme la décision initiale du 27 janvier 2014 et déclare que le travailleur n’a pas subi de maladie pulmonaire professionnelle, qu’il n’a pas droit  aux prestations prévues par la Loi et qu’il doit rembourser à la CSST  la somme de 1 251,79 $ dans la mesure où cette décision deviendra finale.

[21]        Le travailleur en appelle de cette décision à la Commission des lésions professionnelles.

[22]        À l’audience, le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a subi une maladie professionnelle, soit une rhinite chronique exacerbée au travail par une exposition à la poussière. Dans les faits, il demande au tribunal de reconnaître l’aggravation de sa condition personnelle.

[23]        L’employeur soumet que la CSST ne s’est pas prononcée sur le diagnostic de rhinite qui n’est pas une maladie pulmonaire et demande au tribunal de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle se prononce à ce sujet. L’employeur rappelle que le dossier a été traité par le comité des maladies pulmonaires, ce qui ne donne pas ouverture à l’obtention d’un rapport infirmant ou à l’avis du Bureau d’évaluation médicale. En retournant le dossier à la CSST pour qu’elle se prononce sur le diagnostic de rhinite, l’employeur pourra obtenir un rapport infirmant et documenter le dossier.

[24]        Le tribunal fait droit aux prétentions de l’employeur et s’explique.

[25]        Le chapitre VI de la Loi est intitulé : Procédure d’évaluation médicale. Il comprend deux sections. La section I qui prévoit les dispositions générales commence à l’article 199 pour se terminer à l’article 225 inclusivement de la Loi. La section II  prévoit les dispositions particulières aux maladies professionnelles pulmonaires et s’étend des articles 226 à 233 de la Loi inclusivement.

[26]        Selon l’article 226 de la Loi, lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la CSST alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la CSST le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires. Le comité examine le travailleur et fait un rapport. Celui-ci est soumis à un comité spécial des présidents qui doit confirmer les conclusions retenues ou les infirmer et y substituer les siennes (articles 230 et 231 de la Loi).

[27]        Aux fins de rendre une décision sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la CSST est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial selon l’article 233 de la Loi.

[28]        Dans les autres cas, les dispositions des articles 204 et 209 de la Loi donnent à la CSST ou à l’employeur le droit d’exiger que le travailleur se soumette à l’examen de leur médecin désigné, d’obtenir, le cas échéant, un rapport qui infirme les conclusions du médecin traitant entre autres sur le diagnostic et d’acheminer la contestation au Bureau d’évaluation médicale.

[29]        Les articles 224 et 224.1 de la Loi édictent que la CSST est liée par le diagnostic posé par le médecin qui a charge du travailleur, s’il n’est pas contesté, ou par l’avis du Bureau d’évaluation médicale, le cas échéant.

[30]        Rappelons que selon son article 1, la Loi d’interprétation[2] s'applique à toute loi du Parlement du Québec, à moins que l'objet, le contexte ou quelque disposition de cette loi ne s'y oppose. De plus, suivant son article 41.1, les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet.

[31]        Il faut donc interpréter les différentes dispositions de la Loi les unes par rapport aux autres. Il appert que le législateur a stipulé une procédure particulière dans le cas de maladies pulmonaires professionnelles et une procédure d’évaluation médicale générale applicable à tous les autres cas.

[32]        Deux constats s’imposent. Les dispositions particulières l’emportent sur les générales et s’appliquent uniquement aux maladies pulmonaires. Elles doivent être interprétées restrictivement parce limitant les droits des parties, la CSST ou l’employeur, d’obtenir un rapport infirmant documentant leur opposition, le cas échéant.

[33]        Il faut donc circonscrire la notion de maladie pulmonaire.

[34]        Il y a une présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la Loi. Selon ces dispositions, les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail. Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

[35]        Quant aux maladies pulmonaires, la présomption de maladie professionnelle de l’article 29 de la Loi fait référence à l’Annexe I, section V qui se lit ainsi :

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION V

 

MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES

ORGANIQUES ET INORGANIQUES

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

 

 

1.     Amiantose, cancer pulmonaire ou mésothéliome causé par l'amiante:

un travail impliquant une exposition à la fibre d'amiante;

2.     Bronchopneumopathie causée par la poussière de métaux durs:

un travail impliquant une exposition à la poussière de métaux durs;

3.     Sidérose:

un travail impliquant une exposition aux poussières et fumées ferreuses;

4.     Silicose:

un travail impliquant une exposition à la poussière de silice ;

5.     Talcose:

un travail impliquant une exposition à la poussière de talc:

6.     Byssinose:

un travail impliquant une exposition à la poussière de coton, de lin, de chanvre et de sisal;

7.     Alvéolite allergique extrinsèque:

un travail impliquant une exposition à un agent reconnu comme pouvant causer une alvéolite allergique extrinsèque;

8.     Asthme bronchique:

un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant.

             1985, c. 6, annexe I.

 

 

[36]        En relisant les maladies qui y sont énumérées, force est de constater que la rhinite ne s’y trouve pas, mais que la CSST était justifiée devant un diagnostic d’asthme bronchique de diriger le dossier au comité des maladies pulmonaires.

[37]        Le législateur n’a pas donné de définition d’une maladie « pulmonaire ». Il faut donc donner à ce mot son sens courant selon les définitions du dictionnaire.

[38]        Suivant  le Larousse ou le Petit Robert, le mot « pulmonaire » est défini comme « qui concerne le poumon » ou « est relatif au poumon ». Le poumon est défini comme étant « l’organe pair de la respiration contenue dans la cage thoracique » ou encore « chacun des deux organes de la respiration logés dans la cage thoracique ». Une rhinite est une inflammation de la muqueuse des fosses nasales.

[39]        La rhinite n’est donc pas un diagnostic en lien avec une affection des poumons, mais une pathologie des fosses nasales.

[40]        Il semble donc que l’employeur ait raison de soutenir que la rhinite n’est pas un diagnostic pulmonaire ou une maladie pulmonaire.

[41]        En vertu des articles 369 et 377 de la Loi, la Commission des lésions professionnelles statue à l’exclusion de tout autre tribunal sur les recours formés à l’encontre d’une décision contestée de l’instance de révision de la CSST. Elle a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence. Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être rendue en premier lieu.

[42]        En l’espèce, le tribunal pourrait conclure qu’il est valablement saisi du refus de la réclamation du travailleur. Il pourrait choisir d’actualiser le dossier et de se saisir du diagnostic de rhinite, et ce, bien sûr pour éviter des retards ou des coûts additionnels.

[43]         En ce faisant, cependant, le tribunal a l’intime conviction qu’il brimerait les droits des parties, incluant la CSST ou l’employeur, d’obtenir un rapport infirmant et de documenter le dossier ou de décliner ce choix.

[44]        Le tribunal voit mal comment dans un souci de saine administration de la justice, il pourrait court-circuiter les droits des parties. Actualiser un diagnostic qui a pu être validé ou contesté par un rapport infirmant ne semble léser personne, mais changer la procédure applicable en cours de route sans donner l’occasion aux parties de corriger le tir est un pas que le tribunal ne peut franchir.

[45]        Par ailleurs, le travailleur a réclamé à la CSST. On ne peut lui tenir rigueur d’un diagnostic qui, sommes toutes, a été lent à venir et a nécessité des tests et l’avis d’experts. Aussi, il convient de protéger ses droits.

[46]        Le tribunal est d’avis que le dossier doit être retourné à la CSST pour qu’elle se prononce sur le diagnostic de rhinite. Entre-temps, il réserve les droits du travailleur et suspend le dossier pour permettre l’adjonction de nouvelles contestations.   

 PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête préliminaire de l’employeur, Division Gastier M.P. Inc. (Électricité);

RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour qu’elle se prononce sur le diagnostic de rhinite allergique exacerbée par la poussière du lieu de travail;

SUSPEND la mise au rôle du présent dossier jusqu’à l’adjonction de la contestation de la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail statuant sur le diagnostic de rhinite;

RÉSERVE les droits du travailleur, monsieur Benjamin Bourgoin, de l’employeur, Division Gastier M.P. Inc. (Électricité) et de la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

 

 

 

__________________________________

 

Francine Charbonneau

 

 

 

 

Maître Jean-Sébastien Deslauriers

F.I.P.O.E.

Représentante de la partie requérante

 

 

Maître Pierre Méthot

Leblanc, Lamontagne et Associés

Représentants de la partie intéressée

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           RLRQ, c. I-16.

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