Bond et Groupe TVA |
2007 QCCLP 6881 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 7 décembre 2006, Groupe TVA (l’employeur) dépose une requête en révision ou révocation à l’encontre de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 23 octobre 2006.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la contestation de monsieur Luc Bond (le travailleur) et déclare qu’il a subi une lésion professionnelle le 30 mai 2005.
[3] L’audience s’est tenue à Chicoutimi, le 24 octobre 2007, en présence de la représentante de l’employeur, du procureur de l’employeur, du travailleur et de son représentant. Tel qu’il en avait avisé le tribunal, le procureur de la CSST ne s’est pas présenté à l’audience.
[4] La cause a été mise en délibéré le 24 octobre 2007.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer la décision qu’elle a rendue pour le motif que le premier commissaire a violé les règles de justice naturelle.
[6] De façon subsidiaire, l’employeur prétend qu’il y a lieu de réviser cette décision parce qu’elle comporte plusieurs vices de fond de nature à l’invalider. Si cette prétention est acceptée, il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur n’a pas subi une maladie professionnelle.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis que le premier commissaire n’a pas violé les règles de justice naturelle. La transcription de l’audience tenue par le premier commissaire révèle plutôt que l’expert de l’employeur, le docteur Louis-René Bélanger, chirurgien orthopédiste, a pu compléter la démonstration qu’il souhaitait faire devant le premier commissaire et qu’il a pu compléter son témoignage relativement à la sollicitation des structures épicondyliennes, bien que le premier commissaire ait initialement refusé que l’expert fasse sa démonstration sur lui-même.
[8] Quant aux autres prétentions de l’employeur, le membre issu des associations d’employeurs est d’opinion que la décision est affectée de vices de fond de nature à l’invalider puisqu’elle ne comporte aucune motivation sur le plan juridique et que le premier commissaire a, en plus, fait reporter le fardeau de prouver l’absence de lésion professionnelle sur les épaules de l’employeur. Il accueillerait la requête et révoquerait la décision rendue.
[9] Le membre issu des associations syndicales est d’opinion, quant à lui, que la décision est insuffisamment motivée mais qu’on ne peut conclure, vu la référence faite à l’article 2 de la Loi sur les accidents et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi), à une absence totale de motivation. De plus, à son avis, il n’y a pas de vice de fond relativement au fardeau de la preuve. C’est pourquoi, il rejetterait la requête.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[10] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a matière à réviser ou révoquer la décision qu’elle a rendue.
[11] L’employeur exerce le recours prévu à l’article 429.56 de la loi qui se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
LE MANQUEMENT AUX RÈGLES DE JUSTICE NATURELLE
[12] Il convient de disposer en premier lieu de ce moyen qui, s’il est retenu, règle le sort de la requête et commande la révocation de la décision rendue.
[13] L’employeur prétend avoir été empêché par le premier commissaire d’offrir une preuve portant sur l’absence de sollicitation professionnelle des structures épicondyliennes.
[14] Selon les prétentions de l’employeur, le premier commissaire aurait interrompu le témoignage de son expert et il l’aurait empêché de compléter la démonstration qu’il entendait faire.
[15] La commissaire soussignée a lu attentivement la transcription de l’audience tenue par le premier commissaire les 29 mars et 18 septembre 2006.
[16] Il en ressort nettement que le docteur Bélanger a pu exprimer son avis à l’effet qu’une position d’extension passive du poignet, par opposition à une position d’extension active, ne sollicite pas les muscles extenseurs attachés à l’épicondyle (voir les pages 22 et 23 de la transcription de l’audience du 18 septembre 2006).
[17] De même, le docteur Bélanger a pu exprimer son opinion à l’effet que l’activité de préhension de la caméra sollicite beaucoup plus les muscles fléchisseurs que les muscles extenseurs (voir la page 24 des mêmes notes).
[18] Et, en réponse aux questions du premier commissaire, le docteur Bélanger a pu démontrer de visu que l’extension active du poignet amène une contraction des muscles épicondyliens, ce qui n’est pas le cas lors de l’extension passive du poignet (voir la page 29 de la transcription de l’audience du 18 septembre 2006).
[19] Le premier commissaire a ensuite questionné le docteur Bélanger sur l’existence d’une sollicitation des épicondyliens lors de la préhension forcée de la main. Le docteur Bélanger a alors reconnu que les extenseurs étaient, à titre de muscles antagonistes aux fléchisseurs, en contraction au cours de cette activité (voir la page 30 de la transcription du 18 septembre 2006).
[20] Le premier commissaire n’a commis aucun manquement aux règles de justice naturelle. L’employeur a pu faire sa preuve. Ceci étant, ce premier moyen est mal fondé.
LES VICES DE FOND DE NATURE À INVALIDER LA DÉCISION
[21] L’employeur propose plusieurs moyens. Il plaide notamment que la décision repose sur une absence totale de motivation et qu’elle comporte plusieurs erreurs manifeste de droit.
[22] L’article 429.50 de la loi impose un devoir de motivation à la Commission des lésions professionnelles :
429.50. Toute décision de la Commission des lésions professionnelles doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.
Dans la division de la prévention et de l'indemnisation des lésions professionnelles, le commissaire fait état dans la décision de l'avis exprimé par les membres visés à l'article 374 qui siègent auprès de lui ainsi que des motifs de cet avis.
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1997, c. 27, a. 24.
[23] Si l’allégation d’absence totale de motivation est fondée, la commissaire soussignée doit conclure qu’il s’agit d’un vice de fond de nature à invalider la décision[1]. L’absence totale de motivation est même parfois considérée comme un manquement aux règles de justice naturelle[2] qui justifie la révocation automatique de la décision.
[24] Il faut cependant distinguer l’absence totale de motivation de la motivation succincte ou abrégée[3]. La Commission des lésions professionnelles n’a pas en effet le devoir de commenter tous les faits allégués par les parties ni de trancher tous leurs arguments. Il suffit que son raisonnement soit exprimé de façon intelligible[4].
[25] Les principes étant établis, il s’agit d’apprécier si, en l’espèce, la décision rendue par le premier commissaire repose sur une absence totale de motivation.
[26] Le travailleur qui est cameraman souffre d’une épicondylite droite. Le diagnostic n’est pas en litige. Il a soumis une réclamation à la CSST et produit à l’appui une expertise médicale du docteur Pierre du Tremblay, chirurgien orthopédiste, qui conclut qu’il existe un lien entre le travail et la pathologie puisque la manipulation de la caméra (l’effort pour déplacer la caméra) et la contraction soutenue au niveau des épicondyliens pour maintenir la caméra en place sont susceptibles d’avoir provoqué la pathologie. Le travailleur a également déposé une note de son médecin de famille qui associe la pathologie au fait de manipuler la caméra qui pèse 25 livres près de 40 fois par quart de travail.
[27] Devant le premier commissaire, le travailleur a plaidé que la pathologie est reliée aux risques particuliers du travail.
[28] De son côté, l’employeur a fait entendre le docteur Louis-René Bélanger, chirurgien orthopédiste, qui est d’avis que la position d’extension passive soutenue du poignet droit qu’adopte le travailleur pendant le tournage à l’épaule ne met pas à contribution les muscles s’attachant à l’épicondyle droit. Comme indiqué précédemment, le docteur Bélanger a reconnu que la préhension de la main droite sur la caméra pour la tenir en place sur l’épaule implique une certaine contraction des muscles épicondyliens. Néanmoins, il affirme au cours de son témoignage que l’intensité de la sollicitation professionnelle est insuffisante pour constituer un risque de développement de la pathologie.
[29] La décision rendue par le premier commissaire est à l’effet suivant :
« […]
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Dans sa prise de décision, la Commission des lésions professionnelles a tenu compte de l’avis de ses membres, de l’ensemble de la preuve documentaire au dossier, des documents déposés à l’audience, du témoignage du travailleur, de monsieur Marco Bélanger et du docteur Louis René Bélanger qui a témoigné à titre de témoin expert et de l’argumentation des parties.
[9] Au soutien de sa décision, la Commission des lésions professionnelles réfère aux éléments de la preuve, tant documentaire que testimoniale, pertinents à la détermination des questions en litige.
[10] Le 3 juin 2005, le travailleur consulte la docteure Nancy Beaumont qui prescrit des traitements de physiothérapie en raison d’une épicondylite du coude droit. Le travailleur ne cesse pas son travail et aucun arrêt de travail n’est prescrit.
[11] Le diagnostic n’est pas contesté. La relation avec les activités de son travail et le diagnostic n’a pas été reconnue par la CSST, c’est l’objet du présent dossier.
[121] Le travailleur, caméraman, doit procéder sur différents sites d’événement afin d’effectuer son travail, qui consiste à manipuler une caméra de 25 livres. Pour effectuer ce travail, il peut le faire à l’épaule, soit porter directement la caméra sur son épaule. Ce travail nécessite plusieurs flexions extensions du bras à chaque fois qu’il place la caméra sur son épaule ou lorsqu’il la redescend. Ce geste implique la mise en tension des sites anatomiques du coude.
[13] Le travailleur peut aussi utiliser un trépied diminuant de beaucoup la manœuvre avec le bras, car une fois la caméra installée, les déplacements se font alors que la caméra est supportée par le trépied.
[14] Puis, il y a la méthode où le travailleur peut utiliser le monopode. Il s’agit d’un compromis entre les deux autres méthodes (sur l’épaule, sur un trépied), puisque la caméra a un support qui allège le fardeau sur l’épaule. Toutefois, comme pour le travail avec la caméra à l’épaule, le travailleur doit la supporter en partie avec la main pour la diriger, pour tenir le ballant, pour l’actionner et la faire fonctionner.
[15] La main du travailleur doit, pour faire ce travail, supporter une partie du poids de la caméra avec une prise en pince. Le tribunal n’a pas vu à l’audience ni à la description des gestes effectués dans le cadre de son travail, que la main du travailleur était en position neutre où seul le mouvement des doigts était mis à contribution. Lorsque portée à l’épaule ou sur le monopode, le support de la caméra, le fonctionnement, son poids et son instabilité nécessitent la mise à contribution de l’ensemble des muscles, tendons et structures de l’avant-bras.
[16] Le travailleur indique que sa douleur est apparue graduellement au début du mois de mai 2005 et qu’il a consulté, à son retour, après 10 jours d’absence, pendant lesquels le travailleur a déménagé et peinturé sa nouvelle demeure.
[17] Toutefois, il appert que la peinture s’est déroulée sur une longue période et comme pour le déménagement, le travailleur a eu de l’aide d’amis et de parents. La preuve ne permet pas d’inférer que ces activités sont responsables à elles seules de l’apparition de la tendinite qu’a présentée le travailleur, puisqu’il a toujours mentionné que la symptomatologie est apparue au début du mois de mai 2005 et qu’elle n’a jamais été suffisamment incapacitante pour l’empêcher d’effectuer ses tâches.
[18] Dans une lettre du 27 novembre 2005, la docteure Beaumont mentionne qu’après une analyse des activités du travailleur, qu’elle est d’avis que le seul mouvement pouvant être impliqué dans la présente situation est la manutention au travail de la caméra pesant 25 livres et qu’il doit la manipuler environ une quarantaine de fois par jour.
[19] Le travailleur est aussi examiné par le docteur Pierre du Tremblay. Dans une expertise produite le 6 décembre 2005, il précise que le travailleur doit faire des mouvements de préhension forte pour soulever une caméra entre 20 à 40 fois par jour, ce qui provoque une contraction au niveau des épicondyliens en raison de la prise de force aux poignets et que, lors de son travail, il y a prise contraignante pour maintenir la caméra en place, ce qui est suffisant pour provoquer une épicondylite. Le geste de préhension de la caméra étant un geste qui provoque une contraction subite au niveau des épicondyliens, sans compter la position contraignante pour maintenir la caméra en place.
[20] Le travailleur est examiné par le docteur Louis R. Bélanger. Il produit une expertise le 25 janvier 2006. À l’audience, il agit à titre de témoin expert.
[21] Selon ses constatations, le travail de caméraman ne met pas à contribution le site lésionnel, car le travailleur a alors les muscles épicondyliens en position neutre. Le tribunal ne peut adhérer à cette conclusion. La description des tâches du travailleur à l’audience et ce qui apparaît au dossier ne permettent pas de conclure que les gestes du travailleur ne mettent pas à contribution le site lésionnel.
[22] L’allégation, qu’à l’aube de la quarantaine il est fréquent de rencontrer des patients avec une épicondylite, n’a pas été démontrée et est trop imprécise pour constituer un élément de preuve à être considéré.
[23] La seule affirmation d’un témoin expert n’est pas suffisante. Il doit y avoir une démonstration des éléments sur lesquels il s’appuie. Le témoin expert peut donner son opinion devant le tribunal, contrairement à un témoin ordinaire. Toutefois, son témoignage doit être basé sur des éléments, des faits mis en preuve, et une déclaration ex cathedra, ne peut constituer cette preuve.
[24] Le témoignage du témoin expert doit être basé sur des éléments mis en preuve afin que les distinctions et les éléments puissent être analysés et interrogés. La position de la caméra sur l’épaule n’est pas une position statique. Les nombreux déplacements et mouvements mettent une pression sur le membre qui supporte la caméra et nécessitent une prise ferme de toute la main. La caméra n’est pas uniquement déposée au creux de la main. Le docteur Bélanger semble avoir eu une description incomplète des tâches du travailleur.
[25] Le tribunal retient les opinions des docteurs Beaumont et du Tremblay et est d’avis que les gestes décrits à l’audience permettent de déclarer que le travailleur a présenté une maladie professionnelle en relation avec son travail en vertu des dispositions de l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
[…]
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[26] Il n’est pas nécessaire de regarder l’application de l’article 30, ni de l’article 29 compte tenu des conclusions auxquelles le tribunal en arrive. Toutefois, le tribunal précise que le diagnostic d’épicondylite est prévu à l’annexe II de la loi puisqu’une épicondylite est une tendinite à la région de l’épicondyle.
[27] L’employeur a déposé une décision rendue le 15 juin 2004 dans le dossier Bourget et Réseau télévision Global QC S.C.2. Une remarque s’impose. Le travail effectué par monsieur Bourget semble différent de celui du travailleur, car nous pouvons lire au paragraphe 18 de cette décision que monsieur Bourget effectuait son travail dans le cadre d’entrevues,, ce qui semble différent des tâches décrites par le travailleur à l’audience.
[28] La preuve prépondérante tant factuelle que médicale permet d’établir la relation entre les tâches du travailleur et sa lésion. Il y a lieu de faire droit à sa requête.
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2 C.L.P. 224748-62A-0401, 15 juin 2004, D. Rivard. (Sic)
[30] La commissaire soussignée constate, en premier lieu, que le premier commissaire n’énonce pas la règle de droit qui s’applique à la solution du litige, en référant à la définition de la maladie professionnelle qui apparaît à l’article 2 de la loi. De même, le premier commissaire ne décrit pas le fardeau de la preuve et il n’indique pas sur qui il repose. Sur cet aspect, la motivation est nettement insuffisante. La révocation ou la révision ne sont pas permises pour autant de façon automatique, puisqu’il demeure possible que le premier commissaire ait de facto correctement appliqué les règles de droit pertinentes.
[31] Mais il n’est est rien. En effet, le premier commissaire commet une erreur manifeste de droit lorsqu’il affirme qu’il n’est pas « nécessaire de regarder l’application de l’article 30, ni de l’article 29, compte tenu des conclusions auxquelles (il) en arrive », soit que le travailleur souffre d’une maladie professionnelle.
[32] Pour s’en convaincre, il convient de référer à la définition de la maladie professionnelle prévue à l’article 2 de la loi ainsi qu’aux articles 29 et 30 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
(Nos soulignements)
[33] De l’avis de la commissaire soussignée et avec égards pour le premier commissaire, le raisonnement selon lequel il n’est pas nécessaire de considérer les articles 29 et 30 pour disposer d’un litige portant sur une allégation de maladie professionnelle n’est pas défendable sur le plan juridique.
[34] Le texte de l’article 30 dispose en effet, de façon claire et sans aucune ambiguïté possible, du fardeau de la preuve en reprenant tous les éléments de la définition de maladie professionnelle énoncée à l’article 2. La lecture combinée de ces deux dispositions conduit nécessairement à la conclusion que le fardeau repose sur le travailleur qui doit démontrer :
- qu’il a contracté la maladie par le fait ou à l’occasion de son travail;
- que la maladie est reliée directement aux risques particuliers de son travail, ou qu’elle est caractéristique de son travail.
[35] Le premier commissaire ne pouvait donc évacuer la définition de maladie professionnelle et l’article 30 de la loi de son analyse.
[36] La formulation du paragraphe [26] de la décision rendue par le premier commissaire laisse entendre au surplus, ce qui constitue une autre erreur manifeste de droit, que le recours à l’article 2 de la loi dispense le travailleur de rencontrer les exigences de l’article 30 de la loi. Or, il n’y a ni contradiction ni différence aucune entre les éléments de la définition de maladie professionnelle prévue à l’article 2 de la loi et le contenu de l’article 30.
[37] Le premier commissaire se limite au surplus à conclure, aux paragraphes [25] et [28] de sa décision, que la preuve prépondérante permet d’établir « la relation entre les tâches du travailleur et sa lésion » et qu’il y a lieu, pour ce motif, de faire droit à la requête du travailleur.
[38] Or, le seul fait que le travail sollicite une structure donnée n’entraine pas forcément la conclusion que la maladie affectant cette structure est caractéristique ou reliée directement aux risques particuliers du travail.
[39] Le travailleur devait faire la preuve du risque particulier relié directement au travail ou de l’aspect caractéristique de la maladie par rapport au travail. Le premier commissaire devait quant à lui apprécier cette preuve avant de conclure à l’existence d’une maladie professionnelle, ce qu’il n’a pas fait. L’erreur de droit qu’il commet en évacuant l’article 30 de la loi et la définition de la maladie professionnelle de son analyse s’avère donc déterminante sur l’issue du litige. C’est pourquoi, on a conclu dans d’autres affaires que l’omission de considérer et d’appliquer une règle de droit constitue un vice de fond de nature à invalider la décision[5].
[40] Il y a donc ici matière à réviser la décision rendue. La commissaire soussignée n’est toutefois pas en mesure de procéder à le faire à la lumière de la preuve offerte au premier commissaire. Des parties essentielles de la preuve sont incompréhensibles à la seule lecture de la transcription de l’audience.
[41] Qui plus est, l’affaire soulève des questions de crédibilité, que la commissaire soussignée ne peut ici véritablement évaluer sans avoir eu l’occasion de voir les témoins et d’apprécier leur comportement. Dans les circonstances, il convient de révoquer la décision rendue[6].
[42] Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’en disposer, la commissaire soussignée tient à ajouter que certaines des prétentions de l’employeur sont mal fondées. Il en va ainsi de sa prétention à l’effet que le premier commissaire a écarté de façon arbitraire l’opinion du docteur Bélanger qui n’était pas contredite et qu’il a, en fait, substitué sa propre opinion à celle de cet expert.
[43] En fait, l’opinion du docteur Bélanger était contredite sur certains aspects par l’opinion du docteur du Tremblay et par le rapport succinct du médecin de famille du travailleur qui a été produit au dossier.
[44] Qui plus est, il appartenait au premier commissaire d’apprécier la preuve qui lui a été faite et il n’était pas tenu de retenir l’opinion d’un expert, même dans les cas où elle s’avère non contredite.
[45] Dans l’affaire Pelletier et Commission des lésions professionnelles et Atwill-Morin & Fils inc. et CSST[7], la Cour supérieure a rejeté la requête en révision judiciaire présentée à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles qui avait écarté l’opinion d’un expert portant sur le lien de causalité.
[46] Quant au rôle du tribunal et sa compétence à apprécier une opinion médicale, le juge Wéry s’est exprimé comme suit :
[36] La CLP n’a pas tiré de cette opinion la conclusion que suggère la requérante, entre autres en raison d’autres éléments de preuve qui allaient à l’encontre de celle-ci.
[37] En effet, la CLP a retenu - et cela n’a pas été contesté par les parties - que Durand est décédé en raison d’un infarctus dont l’origine n’était pas reliée à son travail. Elle a aussi conclu que le retard pris pour amener le travailleur à l’hôpital, de même que les manœuvres aériennes pour le descendre du toit de l’église, n’avaient pas eu d’effet déterminant sur son décès.
[38] L’appréciation du témoignage d’un expert médical est au cœur de la compétence de la CLP.
[39] Or, une preuve médicale peut être contredite ou nuancée par autre chose qu’une autre preuve médicale. Elle peut l’être par les faits mis en preuve qui peuvent venir corroborer, nuancer ou encore contredire l’opinion de l’expert.
[40] S’il fallait conclure, chaque fois qu’un tribunal ne retient pas l’opinion d’un expert, que c’est parce qu’il se fonde nécessairement sur une autre opinion d’expert (la sienne) qui serait irrecevable, cela aurait pour effet de forcer les tribunaux à retenir, dans tous les cas, une preuve d’expert unique qui lui serait présentée.
[41] Comme on le sait, un tribunal n’est jamais tenu de retenir l’opinion d’un expert, fût-elle non contredite. Dans l’arrêt Roberge3, la juge l’Heureux-Dubé ne laisse pas de doute à cet égard :
Le juge, cependant, reste l’arbitre final et n’est pas lié par le témoignage des experts4.
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3 Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S. 374 .
4 id., 430.
(Nos soulignements)
[47] Par ailleurs, le fait de retenir l’opinion d’un médecin qui ne s’est pas présenté à l’audience de préférence à celle de celui qui a été entendu à l’audience ne constitue pas en soi une erreur et n’est certainement pas un motif de révision[8].
[48] De même, le fait de s’écarter d’un courant jurisprudentiel, même majoritaire, ne constitue pas un vice de fond de nature à invalider une décision, lorsque l’interprétation retenue est défendable[9]. L’employeur devait donc démontrer que l’interprétation du premier commissaire selon laquelle l’épicondylite est une tendinite au sens de l’annexe I de la loi est non défendable, ce qu’il n’a pas fait.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision et révocation de Groupe TVA, l’employeur;
RÉVOQUE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 23 octobre 2006;
INFORME les parties qu’elles seront convoquées à une nouvelle audience portant sur la contestation déposée par monsieur Luc Bond, le travailleur, à l’encontre de la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 21 septembre 2005 à la suite d’une révision administrative.
[1] Cité de la Santé de Laval et Heynemand, 69547-64-9505, 26 octobre 1999, Anne Vaillancourt, (99LP-160).
[2] Société des services Ozanam inc. c. Commission municipale du Québec, [1994] R.J.Q., 364.
[3] Mitchell inc. c. C.L.P., C.S. 500-05-046143-986, 21 juin 1999, j. Courville, D.T.E. 99T-711 ; Beaudin et Automobile J.P.L. Fortier inc., [1999] C.L.P. 1065 , requête en révision judiciaire rejetée, [2000] C.L.P. 700 (C.S.); Manufacture lingerie Château inc. et C.L.P. C.S. 500-05-065039-016, 1er octobre 2001, j. Poulin, (01-LP-92).
[4] Duguay et Boîte Major inc. 133845-71-0003, 19 juillet 2002, C.-A. Ducharme; Beaulieu et Commission scolaire des Phares, 128786-01A-9912, 24 février 2006, C.-A. Ducharme, (05LP-298).
[5] Côté et Interballast inc., [2000] C.L.P. 1125 ; Doré et Autobus Trans-Nord ltée, 152762-64-0012, 02-04-23, M. Bélanger; Larivière et Produits d'acier Hason inc. (Les), 142509-63-0007, 03-04-30, L. Nadeau, (03LP-23), requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Joliette, 705-17-000660-033, 04-02-23, j. Borenstein; Champagne et Ville de Montréal, 236011-63-0406, 06-02-23, S. Di Pasquale.
[6] Fortier et Hydro-Québec, précitée note 8; Harvey et Brasserie Labatt ltée, 246947-02-0410, 22 janvier 2007, N. Lacroix.
[7] 705-05-005546-018, C.S. Joliette, 19 avril 2002, A. Wéry, j.c.s.
[8] Voir par analogie Contact Pontiac Buick et Ouimet, 113823-64-9904, 11 octobre 2001, S. Di Pasquale, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. 700-05-011334-012, 5 avril 2002, j. Mayrand.
[9] CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); Amar c. CSST, [2003] C.L.P. 606 (C.A.).
AVIS :
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