CANADA C O U R D U Q U É B E C PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE TROIS-RIVIÈRES (Chambre civile)
No : 400-22-002575-013
Trois-Rivières, le 16 octobre 2001
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE
NICOLE MALLETTE, J. C. Q. (JM1598)
JEAN-MARIE TOUZIN,
Demandeur;
CONTRE
ASSURANCES GÉNÉRALES DES CAISSES DESJARDINS INC.,
Défenderesse et
demanderesse en garantie;
ET
MATÉRIAUX CASCADES INC.,
Mise en cause et
défenderesse en garantie.
Le Tribunal est saisi d’une requête pour permission d’obtenir la communication de documents et d’éléments matériels, pour permission d’interroger des tiers et pour extension de délai.
Le demandeur poursuit la défenderesse en réclamation de prestations d’assurance, pour des dommages causés à son immeu-ble suite à un incendie.
La défense a été produite et la présente requête survient suite à un interrogatoire après défense.
A) LA DEMANDE DE COMMUNICATION DE DOCUMENTS ET D’ÉLÉMENTS MATÉRIELS :
a) les notes personnelles de l’expert en sinistres, Cossette :
En regard de la renonciation au caractère privilégié d’un document, les auteurs BÉCHARD et BOULANGER[1], réfèrent aux décisions suivantes :
« Un document susceptible d’être déclaré privilégié ne l’est plus lorsque le témoin y réfère pendant son témoignage :
Commercial Union Assurance Co. of Canada c. Nacan Products Ltd., [1991] R.D.J. 399 (C.A.), JJ. McCarthy, Malouf et Chevalier, pp. 406 et 407 :
(…) À ce sujet, je fais miennes ces remarques de A.M. Watt, Q.c. contenues dans un article publié dans la Revue Légale :
(…)
« (…) This is so even if the document is privile-ged; the witness waives the privilege by using the documents to testify in chief. »
Le professeur Léo Ducharme est du même avis :
« Les écrits utilisés comme aide-mémoire ne peuvent pas être produits de plein droit au dossier de la cause. Celui qui contre-interroge a toutefois le droit d’exiger qu’ils soient produits pour les fins du contre-interrogatoire. Le témoin ne peut se soustraire à cette obligation même s’il s’agit d’un document privilégié. En faisant usage du document, il a renoncé par le fait même à son caractère confidentiel. »
Voir aussi City of Outremont c. Barron.
Je suis d’avis que cette règle s’applique tout aussi bien à l’examen après défense qu’au stade de l’instruction.
Je suis donc d’avis que, si au cours de son interrogatoire, le déposant Ménard s’est référé à des écrits dont il a fait usage pour se rafraîchir la mémoi-re ou pour y cueillir les renseignements factuels ou techniques que requérait la réponse à une question par ailleurs légale et admissible, il doit en donner communication à l’appelante. Je précise qu’il n’est pas ici question de les produire au dossier, mais uniquement d’en donner connaissance et de laisser en prendre copie. (j. Chevalier)
Bayrische Vereinsbank A.G. c. Wightman, J.E. 97-613 (C.S.), j. Halperin, p. 5 :
Having regard for that conclusion and the views expressed by Professor Ducharme, examining coun-sel in the present case should be entitled to take communication of the document "dont il [le témoin] a fait usage", whatever its contents. That would be so even if the document were possibly to contain privileged information, although that does not appear to be the case here.
Outremont (City) c. Barron, [1953] B.R. 588, p. 588 :
Even if the document were originally considered as being privileged, when a witness giving evidence consults the document, the privilege, if it ever exis-ted, is lost and the opposite party has an absolute right to see the document upon which the witness is basing his evidence. »
En l’espèce, le demandeur prétend que la défenderesse a renoncé à la confidentialité des notes personnelles de son représen-tant, monsieur Jean Cossette, en lui permettant d’y faire référence durant tout l’interrogatoire après défense.
Est-ce le cas?
À la lecture des notes sténographiques, on constate que Monsieur Cossette a traité la demande d’indemnisation du demandeur et qu’il a requis les services d’autres experts pour les rapports d’évaluation des dommages.
Il a référé à son dossier pour préciser des dates, des montants et des événements mais le procureur de la défenderesse s’est objecté à fournir le document. Dès le départ, ce dernier a précisé qu’il ne s’agissait pas de notes personnelles mais bien du dossier de l’assureur et donc d’un document privilégié. (p. 17, notes sténographi-ques)
À la lecture des notes sténographiques, on constate que les « notes » sont en fait un résumé chronologique des interventions du représentant de l’assureur lors du traitement de la demande d’indemnité. Il s’agit bel et bien du dossier de l’assureur, préparé pour l’usage des avocats en cas de poursuite éventuelle et donc, d’un document privilégié.
Cependant, suivant la jurisprudence citée, même s’il s’agit d’un document privilégié, la défenderesse peut y avoir accès puisqu’en en faisant usage, lors de l’interrogatoire, il y a eu renonciation au caractère confidentiel du document.
b) Les photographies :
Le demandeur demande d’avoir accès aux photographies des dommages causés à l’immeuble et aux arbres. Ces photographies ont été prises par les experts mandatés par la défenderesse dans le cadre de demandes d’évaluation des dommages.
À ce niveau, le Tribunal considère que les photographies font partie des rapports d’expertise (qui appartiennent à la défenderesse).
Or, il a déjà été décidé qu’outre son caractère privilégié, un rapport d’expert n’est pas un écrit se rapportant au litige[2].
Le demandeur souhaite les interroger sur les faits dont ils ont eu personnellement connaissance, ayant visité les lieux et ayant pu constater les dommages causés à l’immeuble.
En l’occurrence, il s’agit des experts ayant été mandatés par la défenderesse pour fournir des rapports d’évaluation de dommages.
Il a déjà été décidé que la requête pour permission d’interroger toute autre personne (art. 397, al. 4, 398, al. 3) ne peut être utilisée dans le but d’interroger l’expert de la partie adverse[3]. Habilement, le procureur du demandeur soutient que c’est plutôt à titre de témoin ordinaire qu’il désire les interroger.
Si c’est le cas, encore fallait-il alléguer les faits et les
raisons qui justifieraient le Tribunal d’exercer sa discrétion.
Ainsi, il a déjà été décidé que « la seule prétention qu’une
personne serait au courant de certains faits et que la partie a intérêt à l’interroger ne contient pas l’allégation de faits spécifiques et des raisons particulières justifiant l’octroi de la permission »[4].
Dans ce contexte, la permission doit être refusée.
C) DEMANDE D’EXTENSION DE DÉLAI :
Les motifs invoqués justifient la demande.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE partiellement la requête;
ORDONNE à la défenderesse de communiquer au demandeur le document auquel monsieur Jean Cossette faisait référence lors de l’interrogatoire, à l’exclusion de tout document
relevant des rapports de la firme d’évaluation Laurent Bourassa et de la firme d’Ingénieurs forestiers François Légaré;
PROLONGE les délais des procédures spéciales d’administration de la preuve prévus à l’article 481.8 C.p.c. au 1er février 2002;
LE TOUT, frais à suivre.
J. C. Q.
Me André Laporte,
(Laporte & Lavallée)
Procureurs du demandeur;
Me Jacques Beaudoin,
(Lajoie, Beaudoin, Héon)
Procureurs de la défenderesse et
demanderesse en garantie;
Me Michel Green,
(Robinson, Sheppard, Shapiro)
Procureurs de la mise en cause et
défenderesse en garantie.
[1] Donald BÉCHARD et Marc BOULANGER, Manuel de l’objection, Carswell,
2e édition, p. 720 et 721;
[2] Sofati Ltée c. Cast (1983) Ltd, [1988] R.D.J., 336 (C.A.);
[3] Bérubé - Massicotte c. O’Connors, J.E., 86-934, (C.S.); Clynavor Ltée c.
Champagne, J.E., 85-1096 (C.P.);
[4] Raffiani c. Mailhot, J.E., 85-865, (C.S.), p. 4;
Couture c. Cantin, (1993) R.D.J., 229 (C.A.);
Atelier d’Usinage G.D. Inc. c. Produits d’énergie du Canada Inc., [1994], R.D.J., 172,
176 (C.A.).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.