COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE
LÉSIONS PROFESSIONNELLES
QUÉBEC MONTRÉAL, le 27 février 1997
DISTRICT D'APPEL DEVANT LE COMMISSAIRE: Jeffrey-David
KUSHNER
DE MONTRÉAL
RÉGION: ASSISTÉ DE L'ASSESSEUR: Dr Mihail Arhirii
ÎLE-DE-MONTRÉAL
DOSSIER:
63068-60-9409 AUDIENCE TENUE LE: 23 janvier 1996
DOSSIER CSST: RÉOUVERTURE D'ENQUÊTE LE: 27 mai 1996
029204278
PRIS EN DÉLIBÉRÉ LE: 2 juillet 1996
DOSSIER BR:
61522779
À: Montréal
LA SUCCESSION NICODEMO MAZZONE
3370, Bressani
Montréal (Québec)
H1Z 1H3
PARTIE APPELANTE
et
LES COFFRAGES C.C.C. LTÉE
435, rue De Port-Royal, Ouest
Montréal (Québec)
H3L 2C3
PARTIE INTÉRESSÉE
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE
LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL
1, Complexe Desjardins, 34e étage
Montréal (Québec)
H5B 1H1
PARTIE INTERVENANTE
D É C I S I O N
Le 30 septembre 1994, la succession du travailleur monsieur
Nicodemo Mazzone (la succession) en appelle devant la Commission
d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission
d'appel) d'une décision unanime du Bureau de révision de l'Île-
de-Montréal (le Bureau de révision) rendue le 16 septembre 1994.
Par cette décision, le Bureau de révision confirme la décision
rendue le 2 mars 1993 par la Commission de la santé et de la
sécurité du travail (la Commission) et déclare que le décès du
travailleur n'est pas relié aux conséquences de l'événement du 8
décembre 1961.
OBJET DE L'APPEL
La succession demande à la Commission d'appel d'infirmer la
décision du Bureau de révision, de déclarer que le décès de
monsieur Mazzone est relié aux conséquences de l'événement
survenu le 8 décembre 1961 et de déclarer en conséquence qu'elle
a ainsi droit aux indemnités de décès prévues par la loi.
À l'audience tenue devant la Commission d'appel, la succession
ainsi que l'employeur du travailleur, les Coffrages C.C.C. Ltée,
sont présents et représentés. La Commission, bien que partie
intervenante dans le dossier, ne s'est pas présentée à
l'audience.
LES FAITS
À l'audience devant la Commission d'appel, les parties ont
indiqué qu'elles n'avaient pas une preuve additionnelle à faire,
autre que celle déjà au dossier. Ainsi, la Commission d'appel se
réfère aux faits pertinents trouvés au dossier.
I. LE CONTEXTE DU LITIGE
Le 26 février 1993, la fille du travailleur dépose à la
Commission une réclamation «au nom de sa mère, conjointe de mon
père Nicodemo Mazzone», rédigée comme suit:
«D'abord vous trouverez ci-joint une copie du
certificat de décès confirmant que mon père est décédé
des suites de sa sclérose en plaque; le 12 février
dernier.
C'est compte tenu de ce décès que ma mère souhaite
maintenant être indemnisée conformément à la loi.
Pouvez-vous me rejoindre pour me faire part des
indemnités auxquelles ma mère aurait droit?
J'anticipe que votre Commission acceptera d'indemniser
ma mère suite au décès de mon père puisqu'il est non
équivoque que mon père est décédé des suites de sa
sclérose en plaque pour laquelle il était déjà
indemnisé par votre Commission. Le décès de mon père
résulte donc de son accident de travail du 8 décembre
1961.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
L'attestation de la déclaration de décès signée par le docteur
Fernand Delorme indique comme causes du décès:
«a) Status sclérose en plaque sévère;
b) Broncho-pneumonie bilatérale
c) Decomp card globale aigue»
Le docteur Delorme mentionne aussi deux autres états morbides
importants ayant contribué au décès à savoir:
« - Athéromatose assez sévère et
- Diabète»
Le rapport d'autopsie signé par le docteur Delorme, dicté le 15
février 1993 et transcrit le 17 février 1993, précise les
diagnostics pathologiques suivants:
«1. Status sclérose en plaques.
Status traumatisme crânien en 1966.
2. Bronchopneumonie bilatérale avec présence de
sécrétions muco-purulentes abondantes dans la
trachée et les bronches.
3. Athéromatose modérée des artères coronaires et
plus sévère de l'aorte thoracique et abdominale.
Décompensation cardiaque globale aigue:
A) Dilatation marquée des deux ventricules.
B) Stase viscérale.
4. Hypertrophie bénigne de la prostate.
5. Atrophie musculaire
6. (Diabète)
CAUSE DU DECES
La cause du décès chez ce malade est
vraisemblablement attribuable d'une part à une
bronchopneumonie avec production abondante de
sécrétions muco-purulentes qui se sont accumulées dans
la trachée et les bronches et d'autre part à une
décompensation cardiaque aigue vraisemblablement
greffée sur un état d'hypertension pulmonaire
terminale. Ceci chez un malade porteur d'une sclérose
en plaques sévère.» (sic)
Le 2 mars 1993 la Commission refuse la réclamation dans ces
termes:
«Nous avons appris le décès de votre conjoint.
Veuillez accepter nos condoléances.
Nous vous informons que nous ne pouvons accepter votre
demande de prestations parce qu'il s'agit d'un décès
relié à une maladie non reconnue au sens de la Loi sur
les accidents du travail. En effet, monsieur mazzone
est décédé d'une sclérose en plaque associé a un
diabète, une broncho pneumonie et une decomp.
cardiaque.» (sic)
Le 10 mars 1993, la succession demande la révision de la décision
de la Commission.
Par sa décision unanime du 16 septembre 1994, le Bureau de
révision rejette la demande de révision de la succession,
confirme la décision de la Commission du 2 mars 1993 et déclare
que le décès du travailleur, le 12 février 1993 n'est pas relié
aux conséquences de l'événement du 8 décembre 1961. Voici les
motifs invoqués par le Bureau de révision à l'appui de sa
décision:
«DÉCISION DU BUREAU DE RÉVISION
Le Bureau de révision doit décider si la Commission a
rendu une décision finale, en 1975, au niveau de la
relation entre l'événement du 8 décembre 1961 et la
maladie démyénilisante, la sclérose en plaques, dont le
travailleur est décédé le 12 février 1993 et dans la
négative, s'il y a relation entre cette maladie et
l'événement et par voie de conséquence entre
l'événement et le décès.
Nous savons que le travailleur avait été hospitalisé
entre le 1er et le 14 avril 1970 à l'Hôtel-Dieu de
Montréal. Il travaillait à l'époque comme gardien dans
une entreprise et il avait eu une perte de conscience
au cours de son travail. Il avait été examiné par le
docteur Boughen qui avait une hémiparésie gauche et un
signe de Babinski à gauche, ajoutant qu'il avait été
hospitalisé pour cette lésion, le 15 janvier 1962, à la
suite d'un accident du travail ce qui n'est pas exact,
comme nous l'avons expliqué plus haut.
Monsieur Mazzone n'a pas souffert d'hémiparésie, ni
d'ophtalmologie internucléaire en 1962. Les notes
évolutives de l'hôpital n'en parlent pas et d'autre
part, il avait été examiné, à l'époque, et plus
précisément le 25 février 1962 par le docteur Saucier
qui avait conclu à un examen neurologique normal, sans
hémiparésie ni inversion des réflexes. Il l'avait
dirigé en ophtalmologie pour soigner un défaut de
convergence oculaire à l'oeil gauche, ajoutant que s'il
y avait un déficit anatomo-physiologique, il serait
d'ordre ophtalmologique. En ophtalmologie, le docteur
Blain avait diagnostiqué une diplopie résultant d'un
déplacement du globe oculaire sur son axe. Il n'avait
pas été question d'ophtalmoplégie internucléaire,
lésion qui est mentionnée dans les notes du docteur
Boughen au mois d'avril 1970, comme un signe de maladie
démyénilisante.
Nous pouvons donc conclure que cette maladie, la
sclérose en plaques, s'est manifestée pour la première
fois au début de l'année 1970, c'est-à-dire huit ans
après l'événement du 8 décembre 1961.
D'autre part, le comité conjoint du 4 mars 1975 dont le
docteur Andrukaitis fait partie, se prononce sur
l'incapacité permanente totale, sans se prononcer sur
la relation entre cette incapacité et la sclérose en
plaques. Il fait l'historique du dossier médical,
mentionne l'absence d'antécédents, décrit l'état actuel
du patient, rapporte les résultats des examens
cliniques et recommande de le déclarer en incapacité
permanente totale avec le bénéfice du doute sans dire
un mot du diagnostic et sans dire à quoi finalement il
accorde le bénéfice du doute. Une recommandation
humanitaire en somme, qui tient compte de l'état
général du patient, mieux faite pour la Régie des
rentes du Québec que pour la Commission des accidents
du travail.
Nous ne croyons pas non plus que la Commission avait
reconnu la sclérose en plaques en relation avec
l'événement du 8 décembre 1961, dans sa décision du 5
mai 1975 comme le prétend la succession. Le diagnostic
de sclérose en plaques n'était pas encore posé à
l'époque. Il n'y avait que des hypothèses dont celle
du docteur Andrukaitis que ce médecin ne juge même pas
utile de reprendre dans le rapport du comité conjoint
et les membres du comité s'abstiennent de se prononcer
sur la relation.
Enfin, dans la décision du 5 mai 1975, l'agent
d'indemnisation précise explicitement que les experts
ne croient pas, à toutes fins pratiques, que
l'incapacité permanente totale du travailleur soit
reliée directement à l'accident ou aux conséquences de
cet accident. Pourquoi l'a t-il accordé dans ces
conditions ? Dans un but humanitaire, sans nul doute,
à la suite de l'intervention de «différents personnages
de notre commission», selon son expression.
D'ailleurs un mois plus tard, à la suite d'une nouvelle
intervention du député de Saint-Anne à l'époque,
monsieur Georges Springate auprès du président de la
Commission, monsieur le juge Maurice Tessier,
l'incapacité permanente totale reconnue à partir du 5
mai 1975 est calculée et payée au travailleur
rétroactivement à la date de l'accident, soit au 8
décembre 1961 (r.e. : Voir lettre de monsieur Tessier
du 18 juin 1975, la décision du 21 juillet 1975 et la
lettre de l'agent d'indemnisation à monsieur Georges
Springate, en date du 25 juillet 1975). On ne peut pas
dire, dans ces conditions, que la Commission avait mis
le travailleur en incapacité permanente totale à cause
de sa sclérose en plaques puisque monsieur Mazzone ne
souffrait pas de sclérose en plaques en 1961. Il était
même parfaitement autonome et lui-même écrivait à la
Commission le 28 février 1967 que sa blessure ne lui
faisait plus mal, qu'il était «guéri normalement» et
qu'il cherchait à retourner à son travail habituel
(R.E. : Voir questionnaire S-10 du 28 février 1967).
Il avait travaillé par la suite et il avait fallu
soustraire les journées de travail de sa rente
rétroactive d'incapacité permanente totale (r.e. : Voir
lettre du docteur Jean Marion à la Commission, le 19
juin 1975).
En conclusion, nous sommes parfaitement conscients et
tout à fait d'accord avec l'acte humanitaire de la
Commission envers un travailleur souffrant déjà d'un
trouble visuel important (diplopie) résultant des
suites d'un accident du travail, soudain attaqué par
une maladie comme la sclérose en plaques qui lui ôte le
reste de ses moyens mais de là à dire que, en le
mettant en incapacité permanente totale, la Commission
avait reconnu implicitement la relation entre cette
maladie et l'événement du 8 décembre 1961, il y a un
pas que nous ne saurions franchir.
Tenant compte de ce qui précède, l'argument de la
succession à l'effet que la Commission avait reconnu
implicitement la relation entre la sclérose en plaques
et l'événement dans sa décision finale du 5 mai 1975,
est rejetée.
Nous devons maintenant nous demander s'il y a
effectivement relation entre cette maladie et
l'événement du 8 décembre 1961 et par conséquent, entre
l'événement et le décès.
La succession n'a fourni aucune preuve médicale à
l'appui de cette relation, préférant concentrer son
argumentation sur les conséquences juridiques alléguées
de la décision finale du 5 mai 1975 et sur la relation
entre la sclérose en plaques et le décès via la
broncho-pneumonie bilatérale et la décompression
cardiaque. Nous devons donc nous prononcer à la
lumière des évaluations médicales déjà mentionnées.
La preuve au dossier, au niveau de la relation, se
trouve dans le rapport du docteur Andrukaitis du 24
juillet 1974 où il suggère : «la possibilité d'une
maladie démyénilisante probablement aggravée par le
traumatisme crânien dont a souffert le requérant» (re :
rapport du docteur Andrukaitis, 24/07/74, page 2,
dernier paragraphe).
Aucune preuve médicale n'est apportée, par la suite, à
l'appui de cette probabilité qui est infirmée une
dizaine d'années plus tard par le docteur Lemieux, dans
son rapport du 24 octobre 1984 et aucune preuve
additionnelle n'a été soumise au cours de l'audition
pour expliquer comment l'événement du 8 décembre 1961 a
pu aggraver une maladie qui n'existait pas à l'époque
de sa survenance. Nous ne pouvons accepter cette
relation sur une simple probabilité et nous n'avons
d'autre choix. Nous ne pouvons que retenir l'opinion
du docteur Lemieux qui recommande de rejeter la
relation.
POUR CES MOTIFS, le Bureau de révision :
REJETTE la demande de révision.
CONFIRME la décision de la Commission du 2 mars 1993.
DÉCLARE que le décès du travailleur, le 12 février
1993, n'est pas relié aux conséquences de l'événement
du 8 décembre 1961.»
Le 28 et le 30 septembre 1994, la succession loge son appel
devant la Commission d'appel, d'où le présent litige.
II. L'ASPECT MÉDICAL SUR LA OU LES CAUSES DE DÉCÈS
Dans une lettre du 27 juillet 1993, adressée à l'avocat de la
succession, le docteur F. Delorme émet l'opinion suivante:
«(...)
à mon avis la cause principale du décès chez Monsieur
Mazzone est effectivement de la sclérose en plaques.
Les autres pathologies qui ont contribué de façon
immédiate au décès telles la bronchopneumonie et la
décompensation cardiaque sont reliées à la sclérose en
plaques. En effet, M. Mazzone souffrait d'une sclérose
en plaques sévère comme en témoigne le rapport de
l'examen du cerveau et de la moelle épinière fait par
le Dr Françoise Robert, neuropathologiste.»
La Commission d'appel constate à ce stade que le docteur Delorme
ne se prononce pas sur une relation possible entre l'événement
(accident du travail) du 8 décembre 1961 et la pathologie du
travailleur, soit la sclérose en plaques qui a entraîné son
décès.
Dans une lettre du 25 août 1993, à l'avocat de la succession, le
docteur Lionel Lemieux, neurologue, répond ainsi aux questions
qui lui étaient posées:
«(1) À la question de savoir si la sclérose en plaques
fut la cause principale du décès de M. Mazzone, je dois
dire que cette maladie ne provoque pas la mort par
elle-même mais par ses complications, lesquelles sont
rendues inévitables du fait de la maladie neurologique.
Le plus souvent, les patients ainsi touchés meurent
d'infection pulmonaire secondaire à l'immobilité, ou à
l'aspiration de particules de corps étrangers, ou
encore de complications rénales, ou encore de
dénutrition, etc.
(2) La broncho-pneumonie est probablement la
complication la plus fréquente qui emporte les sujets
atteints de sclérose en plaques, non pas par défaut du
système immunitaire, mais du fait de l'immobilité, de
la faiblesse des muscles de la cage thoracique rendant
la respiration difficile, de l'aspiration de
particules. Une insuffisance cardiaque chronique
causant la stase pulmonaire pourrait également se
compliquer de broncho-pneumonie.
(3) L'athéromatose des artères coronariennes et de
l'aorte n'est certainement pas causée par la sclérose
en plaques, même si celle-ci pourrait théoriquement la
favoriser, par suite de l'immobilité. Il s'agirait
alors d'un facteur tout à fait accessoire et
négligeable.
(4) Il n'y a pas de relation établie entre la sclérose
en plaques et le diabète.
(5) Il n'y a pas de doute que la sclérose en plaques
dont M. Mazzone était porteur et qui le rendait
grabataire a favorisé la complication pulmonaire dont
il est décédé.»
Dans sa lettre, le docteur Lemieux écrit aussi:
«Le 18 octobre 1984, j'examinais M. Mazzone, à la
demande de la C.S.S.T., dans le but de donner une
opinion sur la relation entre la sclérose en plaques
dont M. Mazzone était porteur et qui le rendait
invalide et l'accident de 1961. Je disposais alors
d'une abondante documentation médicale s'échelonnant de
1961 à 1980. Mon examen et l'étude de cette
documentation ne laissaient aucun doute sur le
diagnostic de sclérose en plaques et j'émis l'opinion
qu'il était indubitable qu'il s'agissait d'une maladie
personnelle, aucunement reliée à l'accident de 1961.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
Dans une lettre du 8 octobre 1993, adressée à l'avocat de la
succession, madame la docteure Françoise Robert,
neuropathologiste, écrit:
«(...) je désire confirmer que j'ai bien pratiqué
l'examen neuropathologique du cerveau et de la moelle
épinière de monsieur Nicodermo Mazzone. Cet examen
nous permet de confirmer la présence de lésions de
sclérose en plaques au niveau des hémisphères
cérébraux, du tronc, de cervelet et de la moelle. Les
lésions sont en partie des lésions anciennes et en
partie des lésions évolutives.
Le décès des malades atteints de sclérose en plaques
est très souvent précipité par une bronchopneumonie.
Une révision du dossier de ce malade nous a permis de
constater la présence à plusieurs reprises d'infections
respiratoires dont une en 1990. Je pense donc, comme
le docteur Delorme d'ailleurs, que la cause immédiate
du décès ici est une bronchopneumonie avec insuffisance
cardiaque directement reliée à la sclérose en plaques.
Je ne vois pas de rapport entre la maladie neurologique
et le diabète.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
À ce stade, la Commission d'appel retient donc deux
constatations. D'abord, tous les médecins sont d'accord sur la
cause du décès, à savoir une bronchopneumonie et l'insuffisance
cardiaque (ou décompensation cardiaque) reliées ( ou
complications) à la sclérose en plaques.
Deuxièmement, seul le docteur Lemieux, qui avait examiné le
travailleur en 1984, exprime une opinion sur la non-relation
autre que la sclérose en plaques (qu'il considère comme une
condition personnelle) et l'accident du 8 décembre 1961.
On pourrait dire que la succession n'a pas présenté de preuve
médicale à l'effet que son décès était dû ou relié à l'accident
du travail du 8 décembre 1961. Cependant, ce que son avocat
prétend, c'est que la Commission avait reconnu implicitement la
relation entre son accident et la sclérose en plaques parce
qu'elle lui avait reconnu en 1975 une incapacité totale
permanente de 100% à partir de 1962.
Pour pouvoir répondre à cette prétention, il vaut la peine de
«creuser» à fond dans le dossier médical, ce que la Commission
d'appel propose de faire ici.
III. LE DOSSIER MÉDICAL CONCERNANT L'ACCIDENT INITIAL
La réclamation initiale se lit ainsi:
«REPORT OF ACCIDENT AND CLAIM
- Date de l'événement: 8 décembre 1961
- Date de l'arrêt de travail: 8 décembre 1961.
- Description:
«While stripping walls a piece of wood 4 X 4 fell on
the claimant head and a steel jack on his back.»
- Lésions:
«Head and back injuring» (sic)»
Le premier rapport du médecin est signé par le docteur P. Potvin,
le 13 décembre 1961, suite à l'examen du 8 décembre 1961. Ce
médecin fait état de «commotion cérébrale, contusions épaule
droite», il prescrit du repos, de la glace et un arrêt de travail
de cinq semaines.
Un autre rapport du docteur Potvin, du 26 décembre 1961, fait
état de «céphalée latérale droite et de douleur à l'oeil (...)»
Le rapport final rempli par le docteur Potvin le 15 janvier 1962,
mentionne que le «patient se plaint continuellement de douleurs à
la tête et à l'épaule», et qu'il le réfère au docteur Parenteau
pour examen neurologique.
Dans son rapport intérimaire du 29 janvier 1962, le docteur
Parenteau mentionne qu'il a examiné le travailleur le 15 janvier,
pour des «séquelles de traumatisme crânien» et qu'il a été
hospitalisé le même jour pour une artério-carotide droite. Une
consultation en ophtalmologie a aussi été demandée au docteur
Demers ainsi qu'un électro-encéphalogramme.
Dans un rapport du 21 février 1962, le docteur Demers indique
qu'il a examiné le travailleur le 26 janvier et le 16 février
1962 et il décrit ainsi le résultat de ses examens:
«Troubles subjectifs de diplopie inchangés. Diplopie
homonyme horizontale dans le regard à droite surtout en
bas. Nystagmus surtout dans le regard à gauche.»
Le docteur Demers lui prescrit des exercices musculaires
(pratiquer le regard à droite) et un test «au verre rouge à 1
mètre».
Le 23 février 1962, le docteur Jean Saucier examine le
travailleur à la demande de la Commission. Dans son rapport, il
mentionne que le travailleur a subi une commotion cérébrale et
des contusions à l'épaule droite, que la radiographie crânienne
n'a pas montré de fracture, ni celles de l'épaule droite. Lors
de son examen le docteur Saucier indique:
«Aujourd'hui, Mazzone se plaint de céphalée, de
malaises très légers au niveau de son épaule droite,
qui, du reste, fonctionne bien, et d'une fatigabilité
telle que tout travail lui paraît impossible. Il se
plaint enfin et surtout de diplopie dans le regard vers
la droite.
Après avoir constaté que l'artériogramme carotidien
droit a été négatif, et le EEG s'est montré normal, le
docteur Saucier écrit:
«A l'examen (...) Tous les temps de l'enquête
neurologique sont négatifs, à l'exception de
la convergence oculaire qui est très
incomplète au niveau de l'oeil gauche. Les
tests grossiers de confrontation semblent
bien mettre en évidence une diplopie, lorsque
le blessé regarde vers la droite. Par
ailleurs, les mouvements des globes sont
complets et non-douloureux. Le fond de
l'oeil est normal.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
Le docteur Soucier recommande la continuation de l'arrêt de
travail et une expertise en ophtalmologie pour établir le taux
d'incapacité partielle permanente (I.P.P.).
Le 13 mars 1962, le travailleur est examiné, à la demande de la
Commission, par le docteur Emile Blain, ophtalmologiste. Ce
médecin indique dans son rapport que:
«Le réclamant allègue qu'il voit double constamment.
Il affirme qu'à cause de cela, il ne peut faire aucun
travail convenablement. De plus, il se plaint de
ressentir occasionnellement, du côté frontal droit, des
douleurs assez aigues qui l'obsèdent et le rend
nerveux.
(...)
N.B. Il existe chez ce sujet de la franche diplopie
homonyme qui n'est pas discutable, mais dont l'origine
ne s'explique pas pour le moment.
Conclusion: Admettons la présence de cette diplopie
homonyme sans en définir davantage la cause, mais en
reconnaissant quand même qu'elle est fort probablement
d'origine traumatique (...).
Pour le moment, l'incapacité partielle permanente en
cours est de l'ordre de dix pour cent (10%) à cause de
la diplopie, mais cette incapacité partielle permanente
pourrait se modifier en plus ou en moins à l'occasion
de la révision projetée.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
Dans un rapport subséquent, du 8 juin 1962, le docteur Blain
décrit ainsi les résultats de son examen:
«Oeil droit: aucun symptôme objectif décelable sauf que
le globe oculaire lui-même semble légèrement déplaxé
sur son axe. Le segment antérieur parait en bon état,
les milieux transparents sont clairs, et le fond d'oeil
semble normal. Cependant, l'acuité visuelle sans
correction n'est que de 20/100 environ et n'est pas
améliorable. Il existe ici un trouble musculaire
possiblement dû au traumatisme subi lors de l'accident.
Et il en résulte une diplopie franche qui était
horizontale au début, mais qui semble s'orienter
maintenant vers le sens oblique.
Oeil gauche: l'acuité visuelle sans correction est de
20/20. Quand on force ce globe oculaire à regarder à
l'extrémité de son secteur temporale, on détermine un
léger degré de nystagmus. En fait, cet oeil n'est pas
en cause en rapport avec le dit accident.
Conclusion: (...) Dans l'état actuel des choses, le
réclamant n'est pas en état de travailler parce qu'il y
voit constamment double, et si on le forçait à prendre
le travail, le sujet serait exposé, à cause de cette
diplopie, à de nouveaux accidents.
Nous pouvons présumer dès maintenant que les phénomènes
diplopiques ne disparaîtrait qu'avec l'élimination
fonctionnelle de l'oeil droit, ce qui n'avancerait
guère les choses. Aussi, pouvons-nous considérer que
du point de vue fonctionnel, l'incapacité partielle
permanente est de neuf pour cent (9%) et à ce
pourcentage, on devrait ajouter jusqu'à nouvel ordre,
une invalidité supplémentaire de dix pour cent (10%) à
cause de la diplopie.» (sic)
Le docteur Blain revoit le travailleur le 17 janvier 1963 à la
demande de la Commission. Il maintient le pourcentage
d'incapacité partielle permanente à 19% dont 10% à cause de la
diplopie et 9% à cause de l'insuffisance visuelle de l'oeil
droit.
La Commission entérine ses recommandations dans sa décision du 5
février 1963, établissant le pourcentage d'incapacité permanente
à 19%, et le montant de l'indemnité à 22.33 $ par mois.
Le 17 mai 1966, le docteur Blain examine à nouveau le
travailleur. Il note dans son rapport que «la diplopie homonyme
persiste toujours, par déséquilibre musculaire d'origine
centrale, et que l'acuité visuelle sans correction est de 20/50
sans amélioration possible». Il note à l'oeil gauche «la
présence d'un léger nystagmus dans le regard vers la gauche».
Considérant qu'il y a eu une amélioration de l'acuité visuelle de
l'oeil droit par rapport à l'examen antérieur, il propose que le
taux d'incapacité partielle permanente soit réduit à 13.5%, dont
10% pour la persistance de la diplopie et 3.5% pour la diminution
visuelle centrale.
La Commission donne suite à ses recommandations dans sa décision
du 30 mai 1966, établissant le taux d'incapacité partielle
permanente à 13.5%.
Le 17 mars et le 21 avril 1967, le travailleur est examiné par le
docteur A. Demers qui écrit dans son rapport à la Commission daté
du 24 avril 1967:
«Consultation re:
Se plaint toujours de déplagie dans le regard à droite.
Muscles pupilles égales, réflexes vifs - test sous
couvert axes parallèles, nystagmus de grande amplitude
de l'oeil gauche en abduction - Diplagie dans le regard
à droite avec le verre rouge. Champ visuel de contrôle
conseillé.
Le 21-4-67 - Champ visuel télescopique.
Fundi: milieu bien transparent.
Pupilles: bien colorées, excavation
Physiologique, contours bien délimité, rétines
intactes.
Examen neurologique de contrôle conseillé.» (sic)
La Commission d'appel constate à qu'il n'y a aucun autre rapport
détaillé de 1967 à 1970 au dossier.
En avril 1970, le travailleur est hospitalisé à l'Hôtel-Dieu de
Montréal et suivi par le docteur Boghen qui écrit dans son
rapport du 22 avril 1970:
«le 10 avril 1970
Consultation en Neurologie
En janvier 62 hospitalisé ici pour hémi-parésie
gauche qui aurait fait suite à un accident en décembre,
1961.
A ce moment on note un nystagmus dans le regard
vers la gauche, d'autres anomalies des mouvements
conjugués ainsi que syndrome hémi-parétique gauche. Je
prétends qu'il y a eu aggravation.
Examen:
De toute évidence grand simulateur et
acteur. On retient de l'examen -
Ophtalmoplégie internucléaire plus
évident dans le regard vers la gauche.
Hémiparésies des membres à gauche R.O.T.
plus vifs à gauche, au membre inférieur
Babinski gauche.
Opinion:
Syndrôme hémicorps gauche seulement, et
il n'y a pas eu d'autres poussées.
A cause de son comportement il est très
difficile de l'évaluer re: aggravation,
je n'ai pas de bonne raison de croire
qu'y en ai eu.
Note au départ:
Impossible de le questionner - on à
l'impression qu'il fait exprès pour ne pas comprendre.
De toute façon, que son tableau neurologique soit post-
traumatique comme le suggère la coincidence dans le
temps avec l'accident et l'absence de poussées, ou
démyénilisant comme le suggère l'ophtalmoplégie
internucléaire, il est stationnaire de l'aveu propre du
malade. Il n'y a donc pas lieu ni de poursuivre
l'investigation ni d'envisager d'autres traitements»
(sic)
(Les soulignements sont les nôtres.)
La Commission d'appel doit donc remarquer que le docteur Boghen
est le premier à parler d'un syndrome neurologique démyénilisant
et d'ophtalmoplégie internucléaire et le premier à avoir pensé à
la possibilité d'une sclérose en plaques (sans toutefois le
mentionner comme telle) qui est une maladie démyénilisante,
l'ophtalmoplégie internucléaire faisant partie des «signes
précis» de cette maladie, selon Harrison's Principles of Internal
Medicine sixth edition (1970) pp 1799 - 1803: «An internuclear
ophtalmoplegia, when present bilaterally, is virtually a
diagnosis of multiple sclerosis».
Le résumé du dossier médical concernant le séjour du travailleur
à l'Hôtel-Dieu de Montréal (du 1er au 14 avril 1970) fait état
des examens suivants:
«ELECTROENCEPHALOGRAMME: (Dr. Guy Comtois) L'EEG montre
quelques anomalies au niveau de la région fronto-
temporale droite.
Pneumo-encéphalographie: (Dr. P. Fauteux, 3 avril 70)
L'injection d'air dans les espaces sous-arachnoidiens
lombaires donne une bonne visualisation du système
ventriculaire. Le 4ème ventricule et l'aqueduc sont de
dimensions et de positions normales. Le 3ème
ventricule et le septum pellucidum sont sur la ligne
médiane mais le diamètre transversal du 3ème ventricule
est modérément augmenté. Les ventricules latéraux
conservent des dimensions sensiblement égales mais
légèrement dilatées de façon diffuse. La corne
temporale droite n'est pas visible tandis qu'à gauche,
elle est de position et de calibre normaux. Les
citernes de la base sont sans particularité. On
observe un agrandissement modéré de quelques sillons
sous-arachnoïdiens frontaux et pariétaux antérieurs
gauches. Il n'y a pas d'évidence de lésion intra-
crânienne expansive.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
La Commission d'appel tient à mentionner que les images de la
pneumoencéphalographie semblent tout à fait compatibles avec
celles qu'on retrouve dans une sclérose en plaques «modérée».
Cependant, le diagnostic principal retenu est celui de «séquelles
de trauma crânien» et non celui de sclérose en plaques, lequel
est mentionné ainsi lors de la consultation du 1er avril 1970
chez le docteur Boghen:
«Neurologie:
L'ophtalmoplégie intermédiaire suggère le diagnostic de
S.E.P. (sclérose en plaques) Toutefois, le syndrome
concerne l'hémicorps gauche seulement et il n'y a pas
eu d'autres poussées»
Dans une lettre du 4 février 1971, la Commission écrit au
travailleur:
« Suivant l'opinion de notre bureau médical, il
n'existe aucune relation entre la condition pour
laquelle vous avez été hospitalisé du 1er au 14 avril
1970 et votre accident du 8 décembre 1961.
Par conséquent, les frais médicaux et
l'hospitalisation devront être acquittés par vous-
même.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
Le 19 novembre 1971, le travailleur est examiné par le docteur
Michel Mathieu, à la demande de la Commission. Ce médecin
exprime ainsi son opinion:
«Nous croyons pouvoir affirmer que du point de vue
oculaire ce patient, actuellement, ne présente aucune
séquelle de l'accident qu'il a eue sauf la parésie de
son droit interne et des secousses nystagmiques de
l'oeil gauche; le tout étant difficile à rattacher à
des lésions précises. Il n'existe aucun doute que ce
patient déploie une mise en scène afin de s'attirer une
sympathie ou d'influencer l'évaluation de son état. Je
me demande, toutefois, s'il n'existe pas une entité
neurologique qui se manifesterait d'une certaine façon
et je crois qu'il faudrait être très prudent pour
conclure d'emblée à de la simulation. L'accident,
semble-t-il, n'a pas été suffisamment grave pour amener
des lésions intra-crâniennes importantes, mais en
relisant le dossier j'ai trouvé une opinion qui
semblait indiquer la possibilité d'une maladie
démyélinisante. Je crois qu'il y aurait lieu de faire
une réévaluation dans ce sens au cas où ce jeune homme
serait effectivement affecté par une telle maladie qui
pourrait être complètement étrangère à son accident.»
(sic)
(Les soulignements sont les nôtres.)
Dans une lettre du 3 février 1972, la Commission informe le
travailleur que suite à l'examen médical du 15 décembre 1971, «il
est démontré que vous pourriez maintenant faire du travail léger
approprié à votre condition actuelle» et que l'«indemnité pour
incapacité partielle permanente déjà accordée sur le plan
ophtalmologique à 7% est maintenue». Ainsi, la Commission dirige
le travailleur au service de la réadaptation sociale.
Le 18 août 1972, le travailleur est examiné par le docteur Gilles
Bertrand de l'Institut neurologique de Montréal, à la demande du
docteur Foucher, médecin du travailleur. Dans son rapport de
consultation, dont il envoie copie à la Commission, le docteur
Bertrand indique:
«En ce moment, le malade présente des signes
neurologiques évidents de lésion du tronc cérébral et
il est probable que tous ces signes neurologiques sont
des séquelles de son traumatisme de 1961. Il arrive
parfois que certains signes neurologiques
n'apparaissent que plus tard, cependant l'intervalle
parait plutôt long et l'on peut se demander si quelque
chose de nouveau n'est pas surajouté à la lésion
initiale.
(...)
Du point vue compensation, (...) si tous ces signes
actuels sont secondaires à son accident, il me semble
que ceci représente un taux d'invalidité très élevé et
qu'il y aurait lieu de réévaluer son dossier.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
Le 15 novembre 1972, le docteur Gauvin, ophtalmologiste, fait
état des observations suivantes:
«(...) à force d'un examen poussé et ardu, j'ai obtenu
une acuité visuelle de 20/30 aux deux yeux de loin et
de près, et un champ visuel normal par confrontation.
Par contre, le malade ne m'a pas parlé de sa diplopie
et c'est à l'examen que j'ai noté qu'il y a avait
paralysie du droit interne droit, ainsi qu'une
hypotropie de l'oeil droit, possiblement à cause d'une
parésie du droit supérieur du même oeil, avec
évidemment une diplopie dans la région centrale du
champ visuel binoculaire.»
Le 17 janvier 1973, le docteur Bertrand revoit le dossier médical
du travailleur et émet l'opinion suivante:
«En comparant les divers examens faits par différents
neurologues et le mien, il semble cependant que son
état neurologique s'est détérioré progressivement.
Comme il avait déjà subi une angiographie carotidienne
peu de temps après son accident, et une
pneumoencéphalogramme en 1970 qui n'ont ni l'un ni
l'autre, montré de lésion expansive ou de
tumeur,l'hypothèse d'une lésion démyélinisante ou
dégénérative pour expliquer la progression de ses
symptômes semble maintenant la plus plausible.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
Le 2 avril 1974, le docteur S. Blicker examine le travailleur et
écrit dans la lettre qu'il adresse à son avocat:
«At present he is left with headaches and diplopia (as
well as nystagmus). There is weakness of the left leg
and thigh - and trembling of the left leg and both
hands (intention tremor)
It is clear that all of this man's present medical
problems are a direct result of his head injury on Dec.
8, 1961 - although the exact nature of the intracranial
has remained unclear - other than the existence of the
original hematoma. As well, for a labourer, these
injuries have been virtually completely disabling.
In summary, this man's injury on Dec. 8, 1961 have
left him totally disabled permanently since that time.»
(sic)
Le 24 juillet 1974, le docteur E. Andrukaitis, neurologiste,
examine le travailleur et arrive à la conclusion suivante:
« Encéphalopathie post-traumatique avec hémiparésie
gauche. Possibilité d'une maladie démyénilisante,
probablement aggravée par le traumatisme crânien dont a
souffert le requérant. Après avoir pris note du
dossier, je ne vois pas de nécessité d'un traitement ou
opération. Dans mon opinion, il souffre d'une
incapacité totale et permanente. Je recommande qu'il
doit être réexaminé dans un an. Je recommande aussi la
physiothérapie. Je ne peux pas éliminer un manque de
relation entre l'état actuel du requérant et son
accident.» (sic)
(Les soulignements sont les nôtres.)
Le 4 mars 1975, le travailleur est examiné par un comité conjoint
constitué par les docteurs E. Andrukaitis, Y. Léger, A. Godon et
J. Marion.
Dans leur rapport envoyé à la Commission, ces médecins font un
historique détaillé de l'évolution de la condition du travailleur
depuis son accident. Ils citent, entre autres, l'opinion du
docteur Duchastel qui avait examiné le travailleur le 15 décembre
1971 et «était d'opinion qu'on pouvait éliminer complètement la
notion de sclérose en plaques».
Les résultats de cet examen conjoint sont reproduits ci-après:
«ETAT ACTUEL:- Le requérant ne travaille pas depuis
1961. Il se plaint de douleurs à la région temporo-
pariétale droite, de faiblesse de l'hémicorps gauche,
de tremblements intentionnels et de diplopie. Il ne
peut marcher sans s'appuyer à cause de faiblesse du
membre inférieur gauche.
Il est âgé de 43 ans, marié, deux enfants. Son
épouse travaille.
EXAMEN NEUROLOGIQUE:- On note une légère hémi-
parésie gauche centrale, léger Nystagmus horizontal
gauche et vertébral gauche moins marqué. On note une
faiblesse de convergence à droite. Il n'y a pas
d'atrophie optique appréciable à l'examen du fond de
l'oeil. Les mouvements alternés de la langue sont
ralentis. On note que l'épaule gauche est basse. Les
réflexes des membres supérieurs sont normaux. Il y a
léger Hoffman à gauche.
Au niveau des deux bras les mensurations ne
démontrent pas d'atrophie. Le réflexe nauséeux est
normal. Au niveau du membre inférieur gauche, on note
une atrophie de 1 1/2cms. Les réflexes sont plus vifs
à gauche. Babinski à gauche.
Différents tests neurologiques sont
impossibles, le requérant ne pouvant rester à la
position debout sans s'appuyer.
EXAMEN PSYCHIATRIQUE:- Il s'agit d'un
réclamant qui répond aux questions par l'intermédiaire
d'un interprète. Il est limité dans ses réponses et
met l'accent sur les déficiences qu'il présente. On ne
retrouve pas de signe de diminution des facultés
intellectuelles. La mémoire est bonne et il peut
donner aux questions d'information des réponses
adéquates. Dès qu'on lui demande si sa mémoire est
bonne alors, il dit qu'il a des troubles de mémoire et
alors il ne sait même plus le jour présent. Le
réclamant, d'après les informations reçues, mène une
vie végétative c'est à dire n'a à peu près aucun
intérêt. Il se comporte comme un enfant qui a besoin
de supervision constante. Le sommeil et l'appétit sont
bons. Il n'existe pas de cauchemar. Le requérant se
perçoit et vit comme un invalide. Il a peur de tout et
se sent impuissant à faire quoi que ce soit.
Insécurité marquée. Il n'apparait pas anxieux
cependant. Il se dit impuissant et vit cette
impuissance en demandant à l'entourage de le traiter
comme tel.
Bénéfices secondaires importants. Limitations
marquées. Syndrôme hystérique grave.»
Suite à cet examen, les quatre médecins ne posent pas de
diagnostic neurologique précis. Ils expriment cependant
l'opinion suivante:
« Opinion:-A la suite de cet examen, nous sommes
d'opinion de recommander l'acceptation de cette
réclamation tout en accordant le bénéfice du doute au
requérant considérant les légers signes neurologiques
constatés au point de vue oculaire, hémiparésie gauche
et faiblesse de convergence, atrophie du membre
inférieur gauche.
Nous recommandons une incapacité totale
permanente considérant que le requérant est, dans son
état actuel, incapable de faire un travail quelconque.
Nous suggérons un nouvel examen par comité dans deux
ans.
Le requérant a déjà reçu une incapacité partielle
permanente de 7% le 29 août 1972.»
Dans une lettre du 5 mai 1975 adressée à l'avocat du travailleur
de l'époque, Me Norton Segal, la Commission écrit:
«A la suite d'une longue expertise en comité conjoint
où les experts ont fait l'historique chronologique du
présent cas, nos experts constatent également que tous
les troubles qu'a subis M. Mazzone depuis le 8 décembre
1961, l'on amené graduellement à une condition
d'impotence fonctionnelle totale. Ils ont également
découvert que cette incapacité totale n'est pas à toute
fin pratique directement reliée à l'accident et aux
suites de l'accident. Cependant, considérant tout ce
que comporte ce dossier ainsi que l'opinion d'un autre
de nos experts neurologues qui s'est prononcé dans ce
cas, selon son rapport du 24 juillet 1974, l'opinion
est émise d'accorder pour une période de deux ans, une
incapacité totale permanente, c'est-à-dire 100%, tenant
compte toutefois que nous avons déjà payé une
incapacité globale de 7%, le 28 août 1972. Ceci porte
donc à déterminer de l'incapacité totale permanente
sujette à révision dans deux ans, mais le pourcentage
sera de 93% additionnel pour base de calcul.
Du côté de réadaptation au travail, il ne faut
pas y songer et aucun soin médical ou chirurgical ou
même paramédical ne semble être de mise dans le présent
cas, c'est pourquoi nos services paieront le 93%
d'incapacité partielle permanente additionnel et une
révision aura lieu par un comité d'experts en mars ou
en avril 1977.» (sic)
(Les soulignements sont les nôtres.)
Dans une autre lettre, du 5 juin 1975, la Commission apporte les
précisions suivantes:
«Further to your letter dated May 14, 1975, kyndly be
advises that 93% disability represents monthly payment
in the amount of $109.30.
To answer your second question, be advise that no
retroactive indemnity is being payed or allowed in this
case by our expert. This indemnity starts on the day
of the examination on March, 1, 1975.
There will be revision of the case February 1977.»
(sic)
Le 21 juillet 1975, la Commission adresse une nouvelle lettre à
l'avocat du travailleur, dans laquelle elle l'informe que:
«(...) the indemnity following the disability of 93%
which has been established in this case, will be paid
retroactively to June 23, 1962.»
Le même jour, la Commission adresse au travailleur la lettre
suivante:
«Faisant suite à l'examen médical auquel vous avez été
soumis par notre médecin le 19 juin 1975, il nous fait
plaisir de vous informer que le pourcentage de votre
incapacité partielle permanente a été augmentée à 100%,
et ce rétroactivement au 23 juin 1962.
D'ici peu, vous recevrez un chèque représentant les
arrérages de la rente mensuelle qui aurait dû vous être
payée à compter du 23 juin 1962.»
Le 3 mai 1977, le travailleur est examiné par un comité d'experts
constitué des docteurs, F. Charest, E. Andrukaitis, Y. Léger et
J. Marion. Après leur examen, les médecins expriment leur
opinion comme suit:
«A la suite de cet examen, nous constatons qu'il n'y a
pas eu tellement de modification au point de vue
neurologique, et nous recommandons d'accorder une
incapacité totale permanente du requérant sans
revision.»
Le docteur Villota, neurologue, qui examine le travailleur le 11
mai 1977 arrive à la conclusion qu'il présente une «atteinte
mentale et surtout pyramidale bilatérale, avec incapacité
complète pour travailler et dépendance absolue de la famille,
même pour faire sa toilette, mais pas de signe d'hypertension
intra-crânien».
Le 20 mai 1977, la Commission informe le travailleur qu'à la
suite de l'examen médical passé devant le comité conjoint le 3
mai 1977, «il a été décidé de fixer définitivement votre
incapacité totale permanente à 100% moins le 7% déjà payé, ce qui
maintient votre pourcentage à 93% final». Ainsi, la Commission
l'informe aussi qu'il recevra sa vie durant une rente mensuelle
relative à ce pourcentage.
Le 28 février 1978, le travailleur est examiné par le docteur
Adolfo Perez De Léon, neurologue à l'hôpital Hôtel-Dieu de
Montréal qui exprime son opinion de la façon suivante:
«Impression:
Le syndrome neurologique de monsieur Mazzone semble
avoir légèrement progressé depuis 1970. En tout cas,
le syndrome pyramidal est maintenant franc
bilatéralement.
Entre un syndrome neurologique post-traumatique
(nature?) et une sclérose en plaques qui, somme toute,
évoluerait lentement je choisirais maintenant la
deuxième alternative.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
À la demande du docteur De Léon, le travailleur est vu le 10 mars
1978 par le docteur R. Allard, physiatre qui note que le
travailleur a eu un traumatisme crânien en 1961, qu'il présente
des troubles moteurs depuis 1962, qu'il ne parle pas à toute fin
pratique, se lève sans aide, marche avec une canne, patron de
flexion à la marche, loge externe à 3 plus ou moins. Il ne croit
pas pouvoir aider le patient sur le plan moteur.
Le docteur Ravvin, qui examine le travailleur le 12 juin 1979,
écrit ainsi dans son rapport de consultation:
«However at the present time, he is described by his
relatives as becoming worse, he cannot walk, eat or
lift a fork.
On physical examination mental function and speech are
good. There is anosmia in the right nostril. There is
evidence of a left internuclear opthalmaplegia. There
is minimal right facial weakness. He has a left
spastic paralysis both arm and leg.
In conclusion there is evidence of a brain stem lesion
likely on the basis of injury from the previous
accident. There is question whether there has been
significant deterioration since the time of the
accident. However in order to evaluate this further, I
have asked for his previous records from Hotel Dieu
Hospital and I will do a CT Scan to re-evaluate the
brain.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
Le résultat du Ct Scan du 11 juillet 1979 se lit comme suit:
«Exams with and without contrast.
No collection of blood seen. Large cistema magna.
Moderate cerebral atrophy, generalized. Bones intact.»
Le 20 novembre 1979, le docteur Ravvin interprète les résultats
du C.T. Scan dans le sens que:
«(...) there is evidence of cerebral atrophy which is
likely a sequal of the brain confusion from the
accident.» (sic)
Le docteur P. Racine, urologue, qui examine le travailleur le 19
mars 1980 pour des troubles urinaires (pollakiurie, incontinence
urinaire et épisode d'hématurie depuis plusieurs mois), note
qu'il s'agit d'un patient «qui souffre d'une maladie neurologique
depuis plusieurs années, de type sclérose en plaque, avec
paralysie spastique des membres inférieurs» (sic).
Le 11 septembre 1980, le travailleur est examiné par le docteur
P. Bourgeau, neurologue qui écrit dans son rapport à la
Commission:
«L'examen neurologique actuel met en évidence un
patient prostré qui répond à peine aux questions et
présente un état de spasticité généralisé très marqué,
fortement prédominante cependant au niveau des membres
inférieurs. La moindre stimulation produit une
extension marquée et douloureuse des deux membres
inférieurs et du membre supérieur gauche. Les réflexes
osto-tendineux sont d'ailleurs très vifs au niveau du
membre supérieur gauche et des membres inférieurs
bilatéralement avec des Babinski bilatéraux.
Au niveau des nerfs crâniens, nous notons des
pupilles qui sont égales mais une ophtalmo-plégie
inter-nucléaire qui est évidente, particulièrement
marqué dans le regard vers la gauche. Le reste des
nerfs crâniens est difficilement évaluable compte tenu
du peu de collaboration de la part du patient qui
réagit très peu au commande simple. La sensibilité est
impossible à déterminer et la démarche est également
impossible compte tenu que la moindre stimulation
provoque une spasticité énorme tant au niveau du tronc
qu'au niveau des membres inférieurs et du membre
supérieur gauche.
En conclusion, il nous apparait très clair à
l'heure actuelle que ce patient présente depuis la fin
des années 60 une maladie évolutive, de type
dégénératif ou débilisant, tant au niveau du tronc
cérébral qu'au niveau de la moelle épinière. En effet,
la possibilité de sclérose en plaque m'apparait très
forte devant le tableau actuel.
Le patient a donc continué à se détériorer de
façon très marquée dans les dernières années, en
particulier depuis un an. Il est rendu à l'heure
actuelle dans un état de dépendance total et a perdu
toute autonomie.
Dans le contexte, nous avons suggéré à la famille
d'amener le requérant immédiatement à l'urgence de
l'Hôtel-Dieu de Montréal pour qu'il soit hospitalisé,
réévalué en vu d'une thérapie à tout le moins de
support.
Je suggère fortement à la C.S.S.T. de rechercher
et obtenir un rapport d'évaluation complet des médecins
traitants que le patient aura vu et verra s'il est
hospitalisé à l'Hôtel-Dieu de Montréal. A l'heure
actuelle, quant à nous, il est totalement incapacité et
n'a plus aucune autonomie et il ne nous apparait plus
possible pour le requérant de demeurer à domicile dans
ce contexe.» (sic)
À noter à ce stade que c'est le premier médecin qui considère que
le travailleur présente «depuis la fin des années 60 une maladie
évolutive de type dégénératif ou débilisant» (sic) et qui affirme
que «la possibilité de sclérose en plaques» lui apparait très
forte devant le tableau actuel.
Le 27 septembre 1980, la Commission décide, suite à la
recommandation de son service médical, d'imputer 75% du coût de
la réclamation du fonds spécial et 25% au dossier de l'employeur.
Il est aussi important de noter que le docteur St-Pierre, chef du
Bureau médical de la Commission écrit le 1er octobre 1984:
«L'association de traumatisme et de sclérose en plaques
est une coincidence. Il est improbable et peu
vraisemblable que dans ce cas le traumatisme eut causé
la sclérose en plaques. Pas assez vraisemblable en
tous cas pour accorder le bénéfice du doute.» (sic)
(Les soulignements sont les nôtres.)
À la demande de la Commission, le travailleur est examiné par le
docteur L. Lemieux, neurologue, le 18 octobre 1984, «dans le but
d'opinion ou la relation entre l'état actuel du requérant et
l'accident de travail qui serait survenu le 8 décembre 1961».
Après avoir fait un historique détaillé de l'évaluation du
dossier du travailleur et décrit son état actuel et les
observations faites lors de l'examen clinique, ce médecin énonce
les conclusions suivantes:
«1- Il ne fait pas de doute que ce requérant est
porteur, au moment du présent examen, d'un
syndrome neurologique grave, comportant surtout
une paraplégie spastique et un syndrome
cérébelleux bilatéral au niveau des membres
supérieurs, avec des signes d'ophtalmoplégie
internucléaire. Ce syndrome semble avoir été
gravatif avec vraisemblablement, des épisodes plus
aiguës. C'est ainsi, par exemple, qu'à un moment,
l'acuité visuelle de l'oeil droit était diminuée
pour être améliorée par la suite.
(...)
2- Le présent examinateur n'a aucun doute que
syndrome neurologique présenté par le requérant
est sans aucun rapport avec l'accident de 1961.
Il s'agit, selon toute vraisemblance, d'une
maladie démyénilisante, du type de la sclérose en
plaque et ne reconnaît pas une étiologie
traumatique.
3. Le présent examinateur ne croit pas qu'il y ait
lieu de retenir, en relation avec l'accident du 8
décembre 1961, quelque DAP que ce soit d'ordre
neurologique ou d'ordre ophtalmologique» (sic)
(Les soulignements sont les nôtres.)
Une note manuscrite du docteur St-Pierre, datée du 29 octobre
1994, du Bureau médical de la Commission est à l'effet suivant:
«Il faudrait le transférer à un autre organisme que la
CSST. Aucune relation entre l'état actuel et
l'accident de travail de 1961. Condition strictement
personnelle. Aucun DAP. Il n'aurait jamais dû en
avoir». (sic)
L'agente de la Commission, dans une note interne datée du 15
novembre 1994, écrit ce qui suit:
«Je déplore les diagnostics médicaux divergents qui
nous ont fait dans ce dossier mais je crois que dans ce
cas en particulier, en prenant le plus d'éléments en
considérations possibles, on ne peut renverser des
décisions prises depuis 23 ans.» (sic)
Après l'audience qui fut tenue le 23 janvier 1996, la Commission
d'appel, pendant son délibéré, a décidé d'ordonner une
réouverture d'enquête, pour permettre aux parties d'envoyer leurs
commentaires sur les extraits de l'oeuvre Harrison's Principles
of Internal Medicine, 6ième sixth édition, McGraw Hill, 1970 pp.
1797 - 1803. La succession a envoyé ses commentaires le 11 juin
1996; l'employeur, également le 11 juin également tandis que la
Commission, le 26 juin 1996 dont la Commission d'appel a eu
réception le 2 juillet 1996 et qui devint en conséquence, la date
de prise en délibéré. La Commission d'appel a pris connaissance
des commentaires des parties avec intérêt, mais considère qu'il
n'est pas nécessaire de les reproduire ici.
ARGUMENTATION DES PARTIES
I. ARGUMENTATION DE LA SUCCESSION
Le procureur de la succession a déposé un sommaire de ses
prétentions appuyé par une liste impressionnante de jurisprudence
et de doctrine. Voici donc le résumé de ce sommaire:
«À la lumière des faits recueillis par les membres du
comité en 1975, la Commission des accidents de travail
(C.A.T.) a reconnu que l'incapacité du travailleur
était reliée à son accident de travail de 1961.
L'incapacité, résultant d'une maladie démyélinisante, a
donné ouverture à l'indemnisation. Malgré le fait que
les médecins aient diagnostiqué une sclérose en
plaques, la Commission a poursuivi l'indemnisation du
travailleur et ainsi, a de facto reconnu la relation
entre cette incapacité médicale et l'accident de 1961.
Cette décision de la Commission n'a jamais été
contestée d'une façon ou d'une autre, à un moment ou un
autre: elle est devenue finale et par conséquent a
valeur de chose jugée.
En 1993, le travailleur décède des symptômes reconnus
et indemnisés par la C.A.T., soit la paralysie
évolutive à cause d'une maladie démyélinisante. Tous
les médecins reconnaissent que c'est la démyélinisation
qui a entraîné le décès du travailleur. La conjointe
de monsieur Mazzone était ainsi en droit de s'attendre
à recevoir les prestations d'indemnité de décès, son
époux recevant depuis 1961 des indemnités pour
incapacité reliée à son accident de travail et étant
décédé suite à cette même incapacité. Rappelons que la
C.S.S.T. a reconnu le caractère irrévocable de ce lien
causal en s'abstenant d'agir sur l'opinion du 24
octobre 1984 du neurologue Lionel Lemieux qui conclut à
une maladie démyélinisante de type sclérose en plaques.
En un mot, Monsieur Mazzone est décédé de la maladie
pour laquelle il était indemnisé. Sa succession a donc
droit d'être indemnisée pour ce décès. Mais, ce n'est
pas tout:
Il faut regarder ce dossier et l'analyser dans
l'objectif même de cette loi indemnisatrice, une loi à
caractère social où, lorsqu'un doute existe, le
travailleur devrait en bénéficier. C'est dans cet
objectif que le législateur a édicté une présomption à
l'article
95
L.A.T.M.P. Cette présomption permet au
travailleur d'avoir un fardeau de preuve allégé s'il
décède alors qu'il est indemnisé pour une maladie
professionnelle par la C.S.S.T. Il sera alors présumé
décédé de cette maladie. Afin de renverser cette
présomption, la partie qui conteste le droit à
l'indemnisation devra démontrer que le travailleur
n'est pas décédé de cette maladie mais d'une autre
cause. À défaut d'établir une telle preuve de façon
prépondérante, les bénéficiaires désignés à la
L.A.T.M.P. auront droit à l'indemnité de décès.
Dans le présent cas, non seulement le travailleur est
indemnisé jusqu'au jour de son décès pour une
incapacité reliée à un accident de travail, mais les
médecins reconnaissent que monsieur Mazzone est décédé
de cette incapacité, ce que l'employeur ne nie pas.
Afin de respecter l'esprit de la loi et le principe de
la stabilité des décisions, l'employeur devait
démontrer, de façon prépondérante, que monsieur Mazzone
n'est pas décédé et l'incapacité pour laquelle il était
indemnisé lors de son décès. Non seulement l'employeur
n'a pas établi une autre cause de décès, mais il
reconnaît que le travailleur est décédé de son
incapacité. Ces circonstances graves, précises et
concordantes créent une présomption de fait similaire à
celle de l'article
95
L.A.T.M.P.
Malgré l'absence de présomption édictée par le
législateur en matière d'indemnisation reliée à un
accident de travail, nous soutenons que l'objectif de
la L.A.T.M.P. et son caractère d'ordre social exige un
élément de preuve permettant d'écarter une
reconnaissance de faits déjà établie. Nous maintenons
que toute autre interprétation serait non seulement
inéquitable mais illégale en constituant une décision
non fondée en faits et en droit. Ainsi, la décision de
la C.S.S.T., confirmée par le B.R.P., ayant pour effet
de remettre en cause une relation causale déjà reconnue
par la C.S.S.T., et ce malgré un diagnostic de sclérose
en plaques établi, en l'absence de tout élément de
preuve nouveau permettant d'écarter le lien avec
l'indemnisation précédente, est mal fondée en faits et
en droit.»
Voir aussi, jurisprudence à l'appui, un sommaire des différents
points soulevés par la succession dans l'argumentation écrite
soumise:
«. RECONNAISANCE DU LIEN CAUSAL ENTRE L'INCAPACITÉ DU
TRAVAILLEUR ET L'ACCIDENT DE 1961:
1) La Commission des accidents du travail (C.A.T.) et
sa remplaçante la Commission de la santé et
sécurité du travail (C.S.S.T.) ont reconnu ce lien
causal, ne serait-ce que par l'indemnisation de
l'incapacité et de l'assistance médicale.
(...)
2) Aucune contestation ne fut logée par quiconque à
l'encontre de l'ensemble de ces décisions et
principalement à l'encontre des décisions du 5 mai
1975 (reconnaissant une I.T.P. de 100%) et celle
du 20 mai 1977 (maintenant de façon définitive et
à vie cette I.T.P. de 100%).
Cette absence de contestation confère un
caractère final et exécutoire à cette
indemnisation et au lien causal et ne peut être
remis en cause dans une décision ultérieure:
(...)
3) Nonobstant le fait que le diagnostic de sclérose
en plaques était connu depuis plus de 10 ans, il
est maintenant bien établi dans la jurisprudence
de la C.A.L.P. qu'une opinion médicale ne saurait
justifier la reconsidération d'une décision dûment
rendue.
(...)
4) Ainsi, la décision de la C.S.S.T. d'indemniser la
sclérose en plaques est devenue irrévocable et le
nouvel article
365
L.A.T.M.P. (en vigueur au
moment du décès du 12 février 1993) ne saurait
remettre en cause cette question.
(...)
5) Le caractère irrévocable du lien causal entre la
sclérose en plaques et l'accident de travail de
1961, ne saurait ici être remis en cause même s'il
était prouvé aujourd'hui que ce lien causal est
inexistant. En d'autres mots, la décision sur le
lien causal ne saurait être remise en cause même
si elle apparaissait maintenant erronée, ce que
nous nions de toute façon avec vigueur.
(...)
6) Il en est de même de l'indemnisation erronée d'une
condition personnelle.
(...)
7) Autrement dit, il y a chose jugée sur cette
question du lien causal.
(...)
. ERREUR DE DROIT ET DE FAIT DE LA DÉCISION DE LA
C.S.S.T.:
1) La C.S.S.T. a erronément exercé sa juridiction en
ce qu'elle:
i) a confondu la détermination de la
cause du décès avec celle de la
cause de la maladie.
ii) La C.S.S.T. ne s'est penchée
que sur la cause de la
maladie.
iii) La C.S.S.T. a ignoré la cause du
décès.
(...)
. LE CARACTÈRE SOCIAL DE LA LOI ET L'ÉQUITÉ.
i) la L.A.T.M.P. doit être appliquée et
interprétée de façon à favoriser la
réalisation de ses objectifs, à savoir
l'indemnisation des conséquences d'une
lésion professionnelle.
(...)
ii) En cas de doute, il faut interpréter la
loi et les faits de façon à favoriser
l'existence d'un droit plutôt que sa
déchéance.
(...)»
À l'audience, le procureur de la succession reprend l'essentiel
de son sommaire, en se référant à la jurisprudence et la doctrine
déposées. Il rappelle alors les points suivants.
Il y a chose jugée eu égard à l'indemnisation pour la sclérose en
plaques. Sur le prétexte du décès, on ne pourrait pas remettre
en question le droit acquis et la décision initiale. La sclérose
découle bel et bien de l'accident et le travailleur décède des
suites de la sclérose.
La Commission a de facto reconnu la relation entre la sclérose en
plaques et l'accident initial. Elle avait pleine connaissance de
l'aspect médical et a démontré une volonté claire de poursuivre
l'indemnisation. À cet égard, le procureur de la succession
reprend les opinions médicales ainsi que les décisions
antérieures de la Commission pour dire qu'au moment de la
reconnaissance de l'incapacité totale, la Commission connaissait
déjà l'existence de la maladie démyénilisante. En 1975, elle
applique sa décision quant à l'indemnisation rétroactivement et
les décisions antérieures n'ont jamais été contestées par
personne. Il s'agit donc de chose jugée.
De plus, il n'y avait pas ouverture à la reconsidération, ni en
1984 lorsque la Commission savait depuis 1975 qu'il s'agissait
d'une maladie démyénilisante, ni au moment du décès.
Se référant à la doctrine, il affirme que la reconsidération ne
peut se faire que dans les cas prévus par le législateur. Les
parties ont droit à la stabilité des décisions.
Pour toutes les raisons énoncées dans son sommaire et l'audience,
il demande l'accueil de l'appel de la succession.
II. ARGUMENTATION DE L'EMPLOYEUR
Se référant à l'article 97, le procureur de l'employeur soumet
que la véritable question est de savoir si le travailleur est
décédé en raison de sa lésion professionnelle.
Il affirme que jamais la Commission a reconnu un lien entre
l'événement initial et la sclérose en plaques. La preuve
démontre bien que le travailleur n'est pas décédé des
conséquences de sa lésion professionnelle. Pour l'employeur, il
y a une décision implicite qui ne reconnaît pas le lien. Par la
suite, le procureur de l'employeur réplique aux arguments de la
succession et soumet que même si on comprend bien les
considérations humanitaires, on ne peut cependant écarter les
considérations médicales et juridiques. Ainsi, il demande à la
Commission d'appel de maintenir la décision du Bureau de
révision.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Référons d'emblée aux articles pertinents de la loi:
«57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu
s'éteint au premier des événements suivants:
1 lorsque le travailleur redevient capable
d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;
2 au décès du travailleur; ou
3 au soixante-huitième anniversaire de naissance
du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion
professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans,
quatre ans après la date du début de son incapacité
d'exercer son emploi.»
«58. Malgré le paragraphe 20 de l'article 57,
lorsqu'un travailleur qui reçoit une indemnité de
remplacement du revenu décède d'une cause étrangère à
sa lésion professionnelle, cette indemnité continue
d'être versée à son conjoint pendant les trois mois qui
suivent le décès.»
«95. Le travailleur qui décède alors qu'il reçoit une
indemnité de remplacement du revenu par suite d'une
maladie professionnelle pouvant entraîner le décès est
présumé décédé en raison de cette maladie.
Cette présomption ne s'applique que si la Commission
a la possibilité de faire faire l'autopsie du
travilleur.»
«97. Le décès d'un travailleur en raison d'une lésion
professionnelle donne droit aux indemnités prévues par
la présente section.»
La Commission d'appel considère important de rappeler tout
d'abord la nature et la teneur des décisions principales dans
cette affaire.
Il s'agit, avant tout, de la décision de la Commission rendue le
2 mars 1993 suite à la demande de la succession aux bénéfices des
indemnités de décès. La Commission a bien décidé de ne pas
accepter la réclamation de la succession puisqu'elle a considéré
que le décès n'est pas relié à une maladie reconnue par notre
loi, mais bien d'une sclérose en plaques et ses complications.
Saisi de la demande de révision de la succession, le Bureau de
révision, pour les motifs connus et cités ci-haut, a décidé que
le décès de monsieur Mazzone n'est pas relié aux conséquences de
l'accident du travail reconnu au 8 décembre 1961, et qu'ainsi, la
succession n'a pas droit aux indemnités de décès.
Saisi de l'appel de la succession à l'encontre de ce cheminement
judiciaire, la Commission d'appel doit se considérer en pleine
compétence pour décider de deux questions essentielles, à savoir:
1. Est-ce qu'il y a relation entre le décès du travailleur et
l'événement du 8 décembre 1961 et ses conséquences?
et
2. Est-ce que la succession a droit aux indemnités de décès?
I. LA RELATION ENTRE LE DÉCÈS DU TRAVAILLEUR ET L'ÉVÉNEMENT DU
8 DÉCEMBRE 1961
La Commission d'appel retient de la preuve volumineuse au dossier
ainsi que les décisions antérieures, les conclusions suivantes.
L'accident du 8 décembre 1961 a été accepté avec le diagnostic de
«commotion cérébrale et contusions à l'épaule droite».
Dès janvier 1962, les médecins parlent des séquelles de
traumatisme crânien (docteur Parenteau) et des «troubles
subjectifs de diplopie; - diplopie - homonyme horizontale
nystagmus (docteur Demers). Ces signes devraient être reliés
rétrospectivement à la sclérose en plaques, car on sait (voir
Harrison's Principles of Internal medecine 1970, pages 1799 à
1803) que:
«Classical features (of multiple sclerosis) include:
impairement of vision, nystagmus, dysarthria, etc.»
About 40 percent of patients with multiple sclerosis
have an episode of optic neuritis as their initial
symptom.»
«Diplopia may be a common presenting complaint as a
result of brainstem lesions. These lesions may cause an
internuclear ophtalmoplegia due to involvement of the
medial longitudinal fasciculus and characterized by
inability to adduct one or the other eye on lateral in
either direction or by nystagmus present to a greater
degree in the abducting thru the adductor's eye.»
«An internuclear ophtalmoplegia when present
bilaterally is virtually diagnostic of multiple
sclerosis.»
«Nystagmus and cerebral ataxia, with or without
wearness and spasticity of the limbs, represent another
common syndrome and reflect involvment of the
cerebellar and corticospinal tracts and their
connexions.»
Ces signes (diplopie et nystagmus) ont été retrouvés par le
docteur Blain en mars 1962; ce médecin écrivait cependant que si
la diplopie franche homonyme n'est pas discutable, son «origine
ne s'explique pas pour le moment», tout en ajoutant qu'«elle est
fort probablement d'origine traumatique» (sic).
Il accordait en mars 1962, un taux d'incapacité partielle
permanente de 10% pour cette diplopie, taux qu'il augmentait à
19% en juin 1962, et maintenait en janvier 1963. Ce taux a été
reconnu par la Commission dans sa décision du 5 février 1963.
Ce n'est qu'en avril 1970 que le docteur Boghen parle d'un
syndrome neurologique démyenilisant, et encore dans des termes
assez imprécis:
«De toute façon, que son tableau neurologique soit
post-traumatique comme le suggère la coïncidence dans
le temps avec l'accident et l'absence des poussées, ou
démyénilisant, comme le suggère l'ophtamoplégie
internucléaire, il est stationnaire de l'aveu propre du
malade.»
En novembre 1971, le docteur M. Mathieu retrouve encore la
présence d'une parésie de l'oeil droit et des secousses
nystagmiques de l'oeil gauche «le tout étant difficile à
rattacher à des lésions précises: Il se demande si le
travailleur «ne serait effectivement affecté par une telle
maladie (i.e. une maladie demyénilisante) qui pourrait être
complètement étrangère à son accident» (Le soulignement est le
nôtre.)
En août 1972, le docteur Bertrand considère que «le malade
présente des signes neurologiques évidents de lésion du tronc
cérébral et il est probable que tous ces signes neurologiques
sont des séquelles de son traumatisme de 1961.» Il ajoute:
«Cependant, l'intervalle paraît plutôt long et l'on peut se
demander si quelque chose de nouveau n'est pas sur-ajouté à la
lésion initiale. (Le soulignement est le nôtre.)
En janvier 1973, le docteur Bertrand arrive à la conclusion que
«l'hypothèse d'une lésion démyélinisante ou dégénérative pour
expliquer la progression de ses symptômes semble maintenant la
plus plausible».
Par contre, en avril 1974, le docteur Bliker attribue les
troubles neurologiques à l'accident initial. Il écrit:
«It is clear that all of this man's present medical
problems are a direct result of his head injury on
December 8th, 1961!»
Aussi, le docteur Andrukaitis en juillet 1974, qui parle
«d'encephalopathie post-traumatique avec hémiparésie gauche»,
évoque la «possibilité d'une maladie démyénilisante probablement
aggravée par le traumatisme crânien dont a souffert le
requérant.»
Le comité médical conjoint qui a émis son opinion sur
l'incapacité totale permanente de 100% en mars 1975 n'a pas
tranché le problème du diagnostic (il parle des «légers signes
neurologiques constatés au point de vue oculaire, hémiparésie
gauche et faiblesse de convergence, atrophie du membre inférieur
gauche»).
En acceptant le taux d'incapacité totale permanente de 100%
recommandé par ce comité conjoint, il est loin d'être évident que
la Commission a reconnu soit implicitement ou explicitement la
relation entre l'accident du travail du 8 décembre 1961 et la
pathologie qui rendait le travailleur totalement incapable à
reprendre le travail.
Rappelons que déjà, le 4 février 1971, la Commission a décidé
qu'il n'existe aucune relation entre la condition pour laquelle
le travailleur fut hospitalisé du 1er au 14 avril 1970 et
l'accident du 8 décembre 1961.
Quant à la décision du 5 mai 1975, son étude ne permet pas, et
ceci avec tout égard, de conclure comme la succession le prétend,
que la Commission a reconnu implicitement la relation entre la
pathologie invalidante et l'accident de 1961. La Commission a
pris la peine, se référant à ses experts, de déclarer:
«Ils ont également découvert que cette incapacité
totale n'est pas à toute fin pratique reliée à
l'accident et aux suites de l'accident.»
La Commission d'appel considère très difficile d'inférer de cette
décision de la Commission, qu'elle avait accepté implicitement
cette relation. Il nous semble que le contraire soit beaucoup
plus vrai.
Ainsi, il faut conclure que la décision du 5 mars 1975 est
déclaratoire de la présence d'une incapacité totale et au droit
aux indemnités; mais elle est aussi déclaratoire du fait que
l'incapacité n'est pas complètement reliée aux conséquences de
l'accident du travail. On est donc loin d'une décision implicite
reconnaissant une incapacité totalement reliée à l'accident de
1961. Conclure autrement équivaudrait, et ceci avec tout égard,
à vider cette décision de tout son sens.
C'est donc à notre avis, par une gymnastique intellectuelle qui
nous apparaît bien difficilement acceptable, qu'on devrait
conclure que la Commission a implicitement reconnu la sclérose en
plaques comme étant la ou une partie de la lésion professionnelle
ou encore, ses conséquences.
En 1978, le docteur A. Perez de Léon, neurologue à l'hôpital
Hôtel-Dieu de Montréal, où le travailleur avait été hospitalisé
en 1970 alors que le docteur Boghen évoquait la possibilité d'une
maladie démyélinisante, exprime clairement son opinion:
«Entre un syndrome neurologique post-traumatique
(nature ?) et une sclérose en plaques -- je choisirais
maintenant la deuxième alternative»
Les résultats du CT Scan cérébral effectué en juillet 1979 ont
été interprétés par le docteur Ravvin comme:
«...evidence of cerebral atrophy which is likely a
sequel of the brain contusion from the accident»
alors qu'ils auraient aussi bien pu être les signes d'une
sclérose en plaques évolutive!
C'est en septembre 1980 que le docteur Bertrand exprime l'opinion
suivante:
«Ce patient présente depuis la fin des années 60, une
maladie évolutive, de type dégénératif ou débilisant
(sic! plus probablement "démyénilisant") tant au niveau
du tronc cérébral qu'au niveau de la moelle épinière.
en effet, la possibilité de sclérose en plaques
m'apparaît très forte devant le tableau actuel.»
(Les soulignements sont les nôtres.)
C'est toujours en septembre 1980 que la Commission décide
d'imputer 75% du coût de la réclamation au fond spécial, et
seulement 25% au dossier de l'employeur.
La Commission d'appel fait sienne l'opinion émise en 1984 par le
docteur St-Pierre du Bureau médical de la Commission, qui
considère que l'«association du traumatisme et de la sclérose en
plaques est une coïncidence» et celle du docteur L. Lemieux qui
nie toute relation entre l'accident et la sclérose en plaques:
«Le présent examinateur n'a aucun doute que le syndrome
neurologique présenté par le requérant est sans aucun
rapport avec l'accident de 1961. Il s'agit, selon
toute vraisemblance, d'une maladie démyélinisante, du
type de la sclérose en plaques et ne reconnaît pas une
étiologie traumatique.»
En résumé, la Commission d'appel retient de cet exposé long mais
nécessaire, qu'il est clair tant sur le plan médical que
juridique:
1. Que le décès du travailleur résulte des complications
pulmonaires de sa sclérose en plaques;
2. Qu'il souffrait de cette maladie depuis le début des années
1960, quand les médecins avaient constaté la présence de
diplopie et de nystagmus;
3. Que cette maladie s'est progressivement aggravée, conduisant
à son incapacité à reprendre tout travail (d'où la
reconnaissance de l'incapacité totale permanente à 100% en
1975, rétroactivement à 1962);
4. Qu'il n'y a pas de relation directe entre le décès et
l'accident de 1961;
5. Et que la sclérose en plaques n'a jamais été reconnue par la
Commission comme étant due ou bien une conséquence de son
accident du travail.
À cet égard, n'est-il pas utile de rappeler la décision claire et
explicite rendue le 4 février 1971 par la Commission rejetant la
relation entre la nécessité de l'hospitalisation et les soins à
ce moment-là, soit une telle investigation qui fut nécessaire par
la sclérose? Et aussi, l'opinion de docteur Lemieux, citée
précédemment.
La Commission d'appel ne peut s'empêcher de remarquer, tout comme
le Bureau de révision, que la succession n'a fourni aucune preuve
médicale à l'appui de cette relation, se contentant de fonder ses
représentations, comme le Bureau de révision a bien dit, sur "les
conséquences juridiques alléguées..." (sic)
II. LE DROIT DE LA SUCCESSION AUX INDEMNITÉS DE DÉCÈS
Ce long exercice impose, pour tous les motifs déjà invoqués, les
conclusions suivantes, à savoir:
1. Le droit du travailleur à l'indemnité de remplacement du
revenu s'éteint au moment de son décès, tel que le prévoit
l'article 57;
2. Le travailleur est décédé des suites de sa sclérose en
plaques et ses complications, et, pour les raisons déjà
expliquées, d'une cause étrangère à sa lésion
professionnelle. Ainsi, la présomption énoncée à l'article
95 est renversée par la preuve très prépondérante puisqu'il
n'y a aucune relation entre le décès et l'accident du
travail survenu le 8 décembre 1961;
3. Le conjoint du travailleur a droit à l'indemnité de
remplacement du revenu pour la période de trois mois suivant
le décès (article 58);
4. La succession n'a pas droit à l'indemnité de décès prévue à
l'article 97 parce que le travailleur n'est pas décédé en
raison de sa lésion professionnelle, mais d'une condition
personnelle, une cause étrangère à sa lésion
professionnelle, soit d'une sclérose en plaques et de ses
complications.
Le soussigné considère important de dire qu'il sympathise
beaucoup avec les nombreux problèmes et difficultés que, certes,
a dû rencontrer la famille du travaileur et que la situation que
la famille a dû vivre ne lui est pas indifférente.
Cependant, la Commission d'appel ne peut conclure, compte tenu de
la preuve au dossier ainsi que des articles de la loi, que la
succession a droit aux indemnités de décès.
Il s'ensuit que l'appel doit être rejeté.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS
PROFESSIONNELLES:
REJETTE l'appel logé le 30 septembre 1994 par la succession du
travailleur, monsieur Nicodemo Mazzone;
CONFIRME la décision rendue le 16 septembre 1994 par le Bureau de
révision ainsi que celle rendue le 2 mars 1993 par la Commission
de la santé et de la sécurité du travail;
DÉCLARE que le travailleur est décédé d'une cause étrangère à la
lésion professionnelle survenue le 8 décembre 1961;
DÉCLARE en conséquence que la succession n'a pas droit aux
indemnités de décès prévues par la loi;
DÉCLARE cependant que madame Mazzone a droit aux indemnités de
remplacement du revenu versées au travailleur pendant les trois
mois suivant son décès.
Jeffrey-David Kushner,
Commissaire
LE CORRE & ASSOCIÉS
(Me Jean-François Gilbert)
2550, boul. Daniel Johnson
Bureau 650
Laval (Québec)
H7T 2L1
Représentant de la partie appelante
LEBLANC, VANIER, TETREAULT & ASSOCIÉS
(Me Marie Fortin)
7905, Louis-H. Lafontaine
Bureau 300
Anjou (Québec)
H1K 4E4
Représentante de la partie intéressée
PANNETON, LESSARD
(Me Nancy Thibodeau)
1, Complexe Desjardins
34ème étage
Montréal (Québec)
H5B 1H1
Représentante de la partie intervenante
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.