COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287 |
Date : 20141017 Dossier : 35226, 35231 |
Entre :
Pétrolière Impériale
Appelante
et
Simon Jacques, Marcel Lafontaine, Association pour la protection automobile, procureur général du Québec et directeur des poursuites pénales du Canada
Intimés
- et -
Procureur général de l’Ontario, Couche-Tard inc., Alimentation Couche-Tard inc., Dépan-Escompte Couche-Tard inc., Céline Bonin, Richard Bédard, Carole Aubut, Ultramar ltée, Luc Forget, Jacques Ouellet, Pétroles Therrien inc., Distributions Pétrolières Therrien inc., Irving Oil Inc./Opérations pétroles Irving ltée, Groupe Pétrolier Olco inc., Coop fédérée, Robert Murphy, Gary Neiderer, 9142-0935 Québec inc., 9131-4716 Québec inc., Groupe Denis Mongeau inc., France Benoît, Richard Michaud, Luc Couturier, Guy Angers, Philippe Gosselin & Associés ltée, André Bilodeau, Carol Lehoux, Claude Bédard, Stéphane Grant, Pétroles Cadrin Inc., Daniel Drouin, Pétroles Global inc./Global Fuels Inc., Pétroles Global (Québec) inc./Global Fuels (Quebec) inc., Provigo Distribution inc., Christian Payette, Pierre Bourassa, Daniel Leblond, Dépanneur Magog-Orford inc, 2944-4841 Québec inc., Société coopérative agricole des Bois-Francs, Gestion Astral inc., Lise Delisle, 134553 Canada inc., Garage Luc Fecteau et fils inc., Station-Service Jacques Blais inc., 9029-6815 Québec inc., Garage Jacques Robert inc., Gérald Groulx Station Service inc., Services Autogarde D.D. inc., 9010-1460 Québec inc., Armand Pouliot, Julie Roberge, Station-Service Pouliot et Roberge s.e.n.c., 9038-6095 Québec inc., 9083-0670 Québec inc., Gestion Ghislain Lallier inc., 2429-7822 Québec inc., 2627-3458 Québec inc., 9098-0111 Québec inc., 2311-5959 Québec inc., Gaz-O-Pneus inc., C. Lagrandeur et fils inc., Universy Galt Service inc., Valérie Houde, Sylvie Fréchette, Robert Beaurivage, 9011-4653 Québec inc., Pétroles Remay inc., Variétés Jean-Yves Plourde inc. et 9016-8360 Québec inc.
Intervenants
Et entre :
Couche-Tard inc., Alimentation Couche-Tard inc., Dépan-Escompte Couche-Tard inc., Céline Bonin, Richard Bédard, Ultramar ltée, Pétroles Therrien inc., Distributions Pétrolières Therrien inc, Opérations pétroles Irving ltée, Groupe Pétrolier Olco inc., Coop fédérée, Robert Murphy, Gary Neiderer, 9142-0935 Québec inc., 9131-4716 Québec inc. et Groupe Denis Mongeau inc.
Appelants
et
Simon Jacques, Marcel Lafontaine, Association pour la protection automobile, procureur général du Québec, directeur des poursuites pénales du Canada, France Benoît, Richard Michaud, Luc Couturier, Guy Angers, Philippe Gosselin & Associés ltée, André Bilodeau, Carol Lehoux, Claude Bédard, Stéphane Grant, Pétroles Cadrin inc., Daniel Drouin, Pétroles Global inc./Global Fuels Inc., Pétroles Global (Québec) inc./Global Fuels (Québec) inc., Provigo Distribution inc., Christian Payette, Pierre Bourassa, Daniel Leblond, Dépanneur Magog-Orford inc., 2944-4841 Québec inc., Société coopérative agricole des Bois-Francs, Gestion Astral inc., Lise Delisle, 134553 Canada inc., Garage Luc Fecteau et fils inc., Station-Service Jacques Blais inc., 9029-6815 Québec inc,, Garage Jacques Robert inc., Gérald Groulx Station-Service inc., Services Autogarde D.D. inc., 9010-1460 Québec inc., Armand Pouliot, Julie Roberge, Station-Service Pouliot et Roberge s.e.n.c., 9038-6095 Québec inc., 9083-0670 Québec inc., Gestion Ghislain Lallier inc., 2627-3458 Québec inc., 2429-7822 Québec inc., Universy Galt Service inc., 9098-0111 Québec inc., 2311-5959 Québec inc., Gaz-O-Pneus inc., C. Lagrandeur et fils inc., Valérie Houde, Sylvie Fréchette, Robert Beaurivage, 9011-4653 Québec inc., Pétroles Remay inc., Variétés Jean-Yves Plourde inc., 9016-8360 Québec inc., Carole Aubut, Luc Forget et Jacques Ouellet
Intimés
- et -
Procureur général de l’Ontario
Intervenant
Traduction française officielle : Motifs de la juge en chef McLachlin et motifs de la juge Abella.
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Wagner
Motifs de jugement conjoints : (par. 1 à 88)
Motifs concordants : (par. 89 à 91)
Motifs dissidents : (par. 92 à 107) |
Les juges LeBel et Wagner (avec l’accord des juges Rothstein, Cromwell et Moldaver)
La juge en chef McLachlin
La juge Abella |
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pétrolière impériale c. jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287
Pétrolière Impériale Appelante
c.
Simon Jacques, Marcel Lafontaine, Association
pour la protection automobile, procureur général du
Québec et directeur des poursuites pénales du Canada Intimés
et
Procureur général de l’Ontario, Couche-Tard inc., Alimentation
Couche-Tard inc., Dépan-Escompte Couche-Tard inc., Céline
Bonin, Richard Bédard, Carole Aubut, Ultramar ltée, Luc Forget,
Jacques Ouellet, Pétroles Therrien inc., Distributions Pétrolières
Therrien inc., Pétroles Irving inc./Opérations pétroles Irving ltée,
Groupe Pétrolier Olco inc., Coop fédérée, Robert Murphy, Gary
Neiderer, 9142-0935 Québec inc., 9131-4716 Québec inc., Groupe
Denis Mongeau inc., France Benoît, Richard Michaud, Luc
Couturier, Guy Angers, Philippe Gosselin & Associés ltée, André
Bilodeau, Carol Lehoux, Claude Bédard, Stéphane Grant, Pétroles
Cadrin inc., Daniel Drouin, Pétroles Global inc./Global Fuels Inc.,
Pétroles Global (Québec) inc./Global Fuels (Quebec) Inc., Provigo
Distribution inc., Christian Payette, Pierre Bourassa, Daniel
Leblond, Dépanneur Magog-Orford inc., 2944-4841 Québec inc.,
Société coopérative agricole des Bois-Francs, Gestion Astral inc.,
Lise Delisle, 134553 Canada inc., Garage Luc Fecteau et fils inc.,
Station-Service Jacques Blais inc., 9029-6815 Québec inc., Garage
Jacques Robert inc., Gérald Groulx Station Service inc., Services
Autogarde D.D. inc., 9010-1460 Québec inc., Armand Pouliot,
Julie Roberge, Station-Service Pouliot et Roberge s.e.n.c., 9038-6095
Québec inc., 9083-0670 Québec inc., Gestion Ghislain Lallier inc.,
2429-7822 Québec inc., 2627-3458 Québec inc., 9098-0111 Québec
inc., 2311-5959 Québec inc., Gaz-O-Pneus inc., C. Lagrandeur et
fils inc., Universy Galt Service inc., Valérie Houde, Sylvie Fréchette,
Robert Beaurivage, 9011-4653 Québec inc., Pétroles Remay inc.,
Variétés Jean-Yves Plourde inc. et 9016-8360 Québec inc. Intervenants
- et -
Couche-Tard inc., Alimentation Couche-Tard inc., Dépan-Escompte
Couche-Tard inc., Céline Bonin, Richard Bédard, Ultramar ltée,
Pétroles Therrien inc., Distributions Pétrolières Therrien inc.,
Opérations pétroles Irving ltée, Groupe Pétrolier Olco inc., Coop
fédérée, Robert Murphy, Gary Neiderer, 9142-0935 Québec inc.,
9131-4716 Québec inc. et Groupe Denis Mongeau inc. Appelants
c.
Simon Jacques, Marcel Lafontaine, Association pour la protection
automobile, procureur général du Québec, directeur des poursuites
pénales du Canada, France Benoît, Richard Michaud, Luc Couturier,
Guy Angers, Philippe Gosselin & Associés ltée, André Bilodeau, Carol
Lehoux, Claude Bédard, Stéphane Grant, Pétroles Cadrin inc., Daniel
Drouin, Pétroles Global inc./Global Fuels Inc., Pétroles Global (Québec)
inc./Global Fuels (Québec) Inc., Provigo Distribution inc., Christian
Payette, Pierre Bourassa, Daniel Leblond, Dépanneur Magog-Orford
inc., 2944-4841 Québec inc., Société coopérative agricole des Bois-Francs,
Gestion Astral inc., Lise Delisle, 134553 Canada inc., Garage Luc
Fecteau et fils inc., Station-Service Jacques Blais inc., 9029-6815 Québec
inc., Garage Jacques Robert inc., Gérald Groulx Station-Service inc.,
Services Autogarde D.D. inc., 9010-1460 Québec inc., Armand Pouliot,
Julie Roberge, Station-Service Pouliot et Roberge s.e.n.c., 9038-6095
Québec inc., 9083-0670 Québec inc., Gestion Ghislain Lallier inc.,
2627-3458 Québec inc., 2429-7822 Québec inc., Universy Galt Service
inc., 9098-0111 Québec inc., 2311-5959 Québec inc., Gaz-O-Pneus inc.,
C. Lagrandeur et fils inc., Valérie Houde, Sylvie Fréchette, Robert
Beaurivage, 9011-4653 Québec inc., Pétroles Remay inc., Variétés
Jean-Yves Plourde inc., 9016-8360 Québec inc., Carole Aubut, Luc
Forget et Jacques Ouellet Intimés
et
Procureur général de l’Ontario Intervenant
Répertorié : Pétrolière Impériale c. Jacques
2014 CSC 66
Nos du greffe : 35226, 35231.
2014 : 24 avril; 2014 : 17 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Abella, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Wagner.
en appel de la cour d’appel du québec
Preuve — Procédure civile —
Communication de la preuve — Requête sollicitant la communication de documents
déposée dans le cadre d’un recours collectif et demandant la communication par
un tiers d’enregistrements de communications privées interceptées dans le cadre
d’une enquête pénale — Défendeurs dans le recours collectif s’opposant à la
communication au motif qu’il existe des immunités de divulgation de source
légale et prétorienne — Une partie à un recours civil peut-elle demander que
lui soient communiqués des enregistrements de conversations privées interceptées
par l’État dans le cadre d’une enquête pénale? — Comment les modalités et les
limites de la communication doivent-elles être établies? — Code de procédure
civile, RLRQ, ch. C-25, art.
Pour mener à bien l’enquête « Octane »
sur des allégations de complot en vue de fixer les prix de l’essence à la pompe
dans certaines régions du Québec, le Bureau de la concurrence du Canada
obtient, en vertu de la Partie VI du Code criminel, des autorisations
judiciaires qui lui permettent d’intercepter et d’enregistrer plus de 220 000
communications privées. L’enquête conduit au dépôt d’accusations contre 54
personnes, dont certains des appelants. Parallèlement aux procédures pénales,
les intimés intentent un recours collectif reprochant à plusieurs personnes,
dont les appelants, de s’être livrées à des activités anticoncurrentielles, en
violation des devoirs imposés par les art.
D’avis que les éléments de preuve sollicités par les intimés sont pertinents et que ni la Loi sur la concurrence ni le Code criminel ne créent d’immunité de divulgation, la Cour supérieure accueille la requête. Afin d’encadrer le processus de communication des documents et l’étendue de celle-ci, elle ordonne au directeur des poursuites pénales et au Bureau de la concurrence de communiquer uniquement aux avocats et experts participant aux procédures civiles les enregistrements demandés et de filtrer ceux-ci pour protéger la vie privée des tiers complètement étrangers au litige. La Cour d’appel refuse la permission d’appeler de cette décision.
Arrêt (la juge Abella est dissidente) : Les pourvois sont rejetés.
Les juges LeBel, Rothstein,
Cromwell, Moldaver et Wagner : Une partie à un recours civil peut demander
que lui soient communiqués des enregistrements de conversations privées
interceptées par l’État dans le cadre d’une enquête pénale. Bien que l’art.
L’article
Le juge jouit aussi d’une grande
discrétion pour contrôler le processus de communication de la preuve durant la
phase exploratoire de l’instance, pour en établir les modalités et en fixer les
limites. Pour ce faire, il doit soupeser les intérêts en présence, en limitant
les risques d’atteinte à la vie privée et en évitant de restreindre indûment l’accès
aux documents pertinents, pour que les procédures demeurent équitables, que la
recherche de la vérité ne soit pas entravée et que le déroulement de l’instance
ne soit pas retardé de manière injustifiée. Dans les cas où les documents
demandés sont le produit d’une enquête pénale, le juge devra aussi considérer l’impact
de la communication sur le bon déroulement des procédures pénales et le droit
des accusés concernés à un procès juste et équitable. Cependant, au cours de la
phase exploratoire de l’instance, le droit au respect de la vie privée, le bon
déroulement des procédures pénales et le droit à une défense pleine et entière
sont, dans une certaine mesure, protégés par le devoir de confidentialité qui s’impose
aux parties, à leurs avocats et à leurs experts. Le juge dispose néanmoins des
pouvoirs nécessaires pour fixer d’autres modalités. Dans tous les cas, tout en
respectant le principe de proportionnalité qui fait intrinsèquement partie de l’art.
L’ordonnance de la Cour supérieure
en l’espèce respecte ces principes. Il n’existe aucun obstacle factuel ou légal
à la communication des documents que sollicitent les intimés en vertu de l’art.
La juge en chef McLachlin :
En l’espèce, le pouvoir d’obtenir les communications privées interceptées
découle uniquement de l’art.
La juge Abella (dissidente) : En droit canadien, aucune activité de surveillance électronique ne peut être autorisée à l’occasion d’une instance civile en vue de recueillir des éléments de preuve. La surveillance électronique ne peut être autorisée que dans les circonstances limitées énoncées à la partie VI du Code criminel, dans le cadre d’enquêtes relatives à des crimes graves, ou encore en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, en matière d’enquêtes sur des menaces envers la sécurité du Canada. La partie VI reconnaît le caractère exceptionnellement attentatoire de la surveillance électronique, en ce qu’elle permet l’interception de communications privées par l’État uniquement si certaines garanties expresses sont respectées. Tant qu’il n’a pas été statué sur la légalité d’une interception contestée, les communications interceptées ne sont pas admissibles dans une instance pénale.
L’alinéa 193(2)a) ne devrait pas être interprété d’une manière qui écarte les mesures de protection de la vie privée que prévoit la partie VI. Cette disposition ne crée pas un droit d’accès aux communications interceptées et ne peut être invoquée pour prévenir une décision judiciaire relative à la validité d’interceptions. Tant que la validité de ces interceptions n’a pas été constatée ou concédée et que les communications interceptées n’ont pas été admises en preuve dans une instance criminelle, elles conservent à toutes fins utiles leur caractère privé et le public ne peut y avoir accès. Le fait de se fonder sur l’al. 193(2)a) afin de permettre à des plaideurs dans une instance civile d’obtenir la divulgation de communications interceptées dans une enquête criminelle — avant qu’une interception contestée ait été jugée légale — permet à ces mêmes plaideurs de bénéficier indirectement d’une technique d’enquête extraordinaire à laquelle ils n’ont autrement pas droit en vertu de la loi.
Le droit général au respect de la
vie privée ainsi que le droit particulier au respect du secret professionnel
sont expressément protégés dans la Charte des droits et libertés de la
personne du Québec. Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire conféré à l’art.
Jurisprudence
Citée par les juges LeBel et Wagner
Arrêts examinés : Tide Shore Logging Ltd. c. Commonwealth Insurance Co. (1979), 13
B.C.L.R. 316; Ault c. Canada (Attorney General) (2007), 88 O.R. (3d)
541; Canada (Procureur général) c. Charbonneau,
Citée par la juge Abella (dissidente)
R. c. Duarte,
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 24(2).
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, ch. C-12, art. 5, 9.
Code civil du Québec, art. 35, 36, 1457, 2803, 2858.
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, partie VI, art. 183 « infraction », 184, 186(1)b), 187(1)a)(ii) [abr. & remp. 1993, ch. 40, art. 7], (1.3), 189, 190, 193, 196.
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C-34, art. 178.16, 178.2(2).
Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25, art. 2, 4.2, 20, 29, 46, 76, 77, 395, 402, 1045.
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. 1985, app. III, art. 2e).
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27).
Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif et la Loi sur la radiocommunication, L.C. 1993, ch. 40, art. 10(1).
Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34, art. 29, 36.
Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26, art. 40(1).
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985, ch. C-23, art. 12, 21.
Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194.
Regulation of Investigatory Powers Act 2000 (R.-U.), 2000, ch. 23, art. 17, 18.
Supreme Court Rules, B.C. Reg. 310/76, règle 26(11).
Doctrine et autres documents cités
Baudouin, Jean-Louis. Secret professionnel et droit au secret dans le droit de la preuve : Étude de Droit Québecois comparé au Droit Français et à la Common-Law. Paris : L.G.D.J., 1965.
Bellemare, Daniel A. L’écoute électronique au Canada. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 1981.
Brown, Henry S. Supreme Court of Canada Practice 2014. Scarborough, Ont. : Thomson Professional Publishing Canada, 2013.
Côté, Pierre-André, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat. Interprétation des lois, 4e éd. Montréal : Thémis, 2009.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.
Ducharme, Léo. « Rapports canadiens — première partie : la vérité et la législation sur la procédure civile en droit québécois », dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, t. 38, La vérité et le droit — Journées canadiennes. Paris : Économica, 1987, 657.
Ducharme, Léo, et Charles-Maxime Panaccio. L’administration de la preuve, 4e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 2010.
Ferland, Denis, et Benoît Emery. Précis de procédure civile du Québec, vol. 1, 4e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2003.
Fishman, Clifford S., and Anne T. McKenna. Wiretapping & Eavesdropping : Surveillance in the Internet Age, 3rd ed., vol. 4. Eagan, Minn. : Thomson/West, 2007 (loose-leaf updated November 2012).
Grammond, Sébastien. « La justice secrète :
information confidentielle et procès civil »
Hubbard, Robert W., Peter M. Brauti and Scott K. Fenton. Wiretapping and Other Electronic Surveillance : Law and Procedure, vol. 1. Aurora, Ont. : Canada Law Book, 2000 (loose-leaf updated February 2014, release 30).
Marseille, Claude. La règle de la pertinence en droit de la preuve civile québécois. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2004.
Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle éd. Paris : Le Robert, 2012, « fin ».
Québec. Ministère de la Justice. Comité de révision de la procédure civile. Rapport du Comité de révision de la procédure civile : une nouvelle culture judiciaire. Québec : Le Comité, 2001.
Reid, Hubert, avec la collaboration de Simon Reid. Dictionnaire de droit québécois et canadien avec table des abréviations et lexique anglais-français, 4e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 2010, « fins ».
Royer, Jean-Claude, et Sophie Lavallée. La preuve civile, 4e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2008.
Sullivan, Ruth.
Tessier, Pierre. « La vérité et la justice » (1988), 19 R.G.D. 29.
POURVOI
contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Morin, Rochon et Vézina),
POURVOI
contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Morin, Rochon et
Vézina),
Billy Katelanos, Paule Hamelin et Guy Régimbald, pour l’appelante Pétrolière Impériale.
Jean-Philippe Groleau, Louis-Martin O’Neill, Louis Belleau, Julie Chenette, Sylvain Lussier, Elizabeth Meloche, Sidney Elbaz, Rachel April Giguère, Marie-Geneviève Masson, Pascale Cloutier et Fadi Amine, pour les appelants Couche-Tard inc. et autres.
Louis P. Bélanger et Julie Girard, pour l’appelante Ultramar ltée.
Pierre LeBel, Guy Paquette, Nicolas Guimond et Claudia Lalancette, pour les intimés Simon Jacques et autres.
Dominique A. Jobin, Patricia Blair, Émilie-Annick Landry-Therriault et Jean-Vincent Lacroix, pour l’intimé le procureur général du Québec.
François Lacasse et Stéphane Hould, pour l’intimé le directeur des poursuites pénales du Canada.
Deborah Calderwood et Megan Stephens, pour l’intervenant le procureur général de l’Ontario.
Le jugement des juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Wagner a été rendu par
Les juges LeBel et Wagner —
I. Introduction
[1] Les pourvois dont nous sommes saisis portent sur la question de savoir si une partie à un recours civil peut demander que lui soient communiqués des enregistrements de conversations privées interceptées par l’État dans le cadre d’une enquête pénale.
II. L’origine du litige
[2] Au tout début de l’été 2004, le Bureau de la concurrence du Canada entreprend une enquête (« l’enquête Octane ») sur des allégations de complot en vue de fixer les prix de l’essence à la pompe dans certaines régions du Québec. Pour mener à bien cette enquête, le Bureau de la concurrence obtient de la Cour du Québec, en vertu de la partie VI du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 (« C. cr. »), sept autorisations judiciaires qui lui permettent d’intercepter et d’enregistrer plus de 220 000 communications privées.
[3] L’enquête Octane conduit, en 2008, au dépôt d’une série d’accusations contre 13 personnes physiques et 11 personnes morales. L’État reproche à ces personnes d’avoir comploté pour fixer les prix à la pompe dans différentes villes des régions suivantes : Estrie, Chaudière-Appalaches et Centre-du-Québec. En juillet 2010 et septembre 2012, d’autres accusations pour les mêmes infractions sont déposées contre 30 autres personnes, portant ainsi le nombre total d’accusés à 54. Un certain nombre des appelants devant notre Cour ont fait ou font toujours partie de ces accusés.
[4]
Parallèlement aux procédures
pénales, les intimés Simon Jacques, Marcel Lafontaine et l’Association pour la
protection automobile (« Jacques et autres ») intentent, devant la
Cour supérieure du Québec, un recours collectif contre plusieurs personnes,
dont les appelants. Ils leur reprochent d’avoir violé les devoirs que leur
imposent les art.
[5]
Le 8 décembre 2011, dans le but
d’étayer leur recours, les intimés déposent une requête sollicitant la
communication de documents conformément à l’art.
III. Historique judiciaire
A. Décision
de la Cour supérieure (
[6] Le 28 juin 2012, la juge Bélanger, alors juge à la Cour supérieure, accueille la requête des intimés. Elle ordonne au Bureau de la concurrence et au DPP de communiquer uniquement aux avocats et experts participant aux procédures civiles les enregistrements demandés et de filtrer ceux-ci afin de protéger la vie privée des « tiers complètement étrangers au litige » (par. 98).
[7]
Au soutien de sa décision, la juge
Bélanger souligne d’abord que, dans la mesure où un élément de preuve en la
possession d’un tiers est pertinent, les tribunaux détiennent le pouvoir d’en
ordonner la communication (art.
[8]
Ensuite, la juge Bélanger affirme
qu’en raison du caractère exceptionnel de l’interception des conversations
privées, la communication de celles-ci doit être bien encadrée. S’appuyant sur
l’arrêt de notre Cour Glegg c. Smith & Nephew Inc.,
[9] Après avoir énuméré les divers éléments à considérer dans cette pondération, la juge Bélanger conclut que, sous réserve des communications touchant des « tiers complètement étrangers au litige » (par. 98), il doit être fait droit à la demande. En l’espèce, les principes de conduite diligente des procédures et d’égalité des parties, l’importance et la fiabilité de la preuve audio dans la recherche de la vérité, de même que le faible risque d’atteinte à la vie privée et au droit à un procès juste et équitable qu’assurent le devoir implicite de confidentialité et les termes de l’ordonnance sont autant de considérations qui militent en faveur de la communication de la preuve. Toutefois, afin d’éviter d’influencer le déroulement des procédures criminelles, cette communication sera restreinte aux avocats et experts participant à l’instance civile.
[10]
La juge rejette aussi, en quelques
lignes, l’argument subsidiaire d’inopérabilité de l’art.
[11] Finalement, à propos de l’appelante Pétrolière Impériale, la juge Bélanger conclut que l’absence de cette dernière dans les procédures pénales ne modifie pas son statut pour les besoins de la requête. Elle n’est pas un tiers au litige civil et, en ce sens, elle possède les mêmes droits et est tenue aux mêmes obligations que ses co-défendeurs. Pour cette raison, si les conversations interceptées sont pertinentes, elles doivent être communiquées. Quoi qu’il en soit, ajoute la juge, Pétrolière Impériale pourra, au besoin et au moment opportun, s’opposer à la production de la preuve.
[12] En définitive, la juge Bélanger ordonne que les conversations interceptées dans le cadre de l’enquête Octane et déjà communiquées aux accusés dans les procédures pénales soient également communiquées aux avocats et experts participant à l’instance civile. Ces conversations devront toutefois être filtrées pour protéger le droit à la vie privée des tiers complètement étrangers au litige.
B.
Arrêts de la Cour d’appel (
[13]
Dans deux arrêts distincts, les
juges Morin, Rochon et Vézina de la Cour d’appel refusent de réexaminer le
bien-fondé de la décision de première instance, concluant que l’art.
IV. Questions en litige et thèses des parties
A. Les questions en litige
[14]
Les pourvois dont notre Cour est
saisie soulèvent deux questions. Premièrement, la Cour doit se prononcer sur la
validité d’une ordonnance requérant, dans le cadre d’une instance civile, la
communication d’une série de conversations interceptées pour les besoins d’une
enquête pénale. Plus exactement, la Cour doit décider s’il existe un
empêchement à la communication, aux parties à l’instance civile, des
conversations interceptées par l’État durant l’enquête Octane. Deuxièmement, la
Cour doit statuer sur la constitutionnalité de l’art.
L’article
[15]
Subsidiairement, les appelants
demandent à la Cour de décider si la Cour d’appel a commis une erreur en
refusant de les autoriser à faire appel de la décision de la juge Bélanger.
Comme notre Cour a compétence à l’égard de l’appel sur le fond en vertu de sa
loi constitutive (Loi sur la Cour suprême, L.R.C. 1985, ch. S-26, par.
40(1)), nous sommes d’avis qu’il n’est pas nécessaire de répondre à cette
question (voir H. S. Brown,
B. Les thèses des parties
[16]
De façon générale, les appelants
prétendent que la communication des conversations privées interceptées est
incompatible avec les dispositions du Code criminel et de la Loi sur
la concurrence. En conséquence, l’art.
[17]
Les appelants Couche-Tard et
autres indiquent en premier lieu que l’écoute électronique constitue l’atteinte
la plus grave au droit à la vie privée — atteinte qui est exacerbée lorsque
l’enregistrement est par la suite divulgué. En effet, selon eux, l’art.
[18]
Pour sa part, l’appelante
Pétrolière Impériale soutient que la requête des intimés Jacques et autres
constitue une demande illégale d’autorisation d’intercepter des communications
privées, mesure qui leur permettrait de se constituer une preuve qu’ils
n’auraient pu obtenir autrement. En effet, le recours collectif fondé sur l’art.
[19] Globalement, les intimés affirment au contraire qu’aucune règle de droit fédérale n’interdit la communication de conversations interceptées lorsque celles-ci sont jugées pertinentes en vertu du droit provincial. À cet égard, le procureur général du Québec (« PGQ ») et le DPP, également intimés, appuient pour l’essentiel la thèse des intimés Jacques et autres. L’intervenant le procureur général de l’Ontario (« PGO ») insiste toutefois sur l’importance d’encadrer et de contrôler le processus de communication et la portée de celle-ci.
[20]
Les intimés Jacques et autres
rappellent que la partie VI C. cr. protège la vie privée tout en
permettant à ce qu’il y soit porté atteinte, et ce, dans l’intérêt du public à
ce que justice soit rendue. À leur avis, bien qu’une communication ne puisse
être interceptée que dans la poursuite de l’objectif de la lutte contre la
criminalité, la divulgation de communications interceptées est permise dans un
éventail plus large de circonstances déjà prévues au Code criminel. Par
ailleurs, ils soutiennent que l’al.
[21]
Pour sa part, le DPP affirme que,
suivant la méthode moderne d’interprétation des lois, l’al.
[22]
À l’instar du DPP et des autres
intimés, le PGQ exprime l’avis qu’un tribunal siégeant en matière civile peut
autoriser la communication d’éléments de preuve découlant d’activités d’écoute
électronique. L’article
[23]
Pour sa part, le PGO propose une
interprétation conservatrice de l’al.
V. Analyse
A. La communication de la preuve durant la phase exploratoire
[24]
Il y a de cela près de 20 ans, le
juge Cory rappelait que « [l]’objectif ultime d’un procès, criminel ou
civil, doit être la recherche et la découverte de la vérité » (R.
c. Nikolovski,
[25]
Même si les pouvoirs
d’intervention du juge dans la conduite de l’instance civile sont devenus de
plus en plus importants, en règle générale, ce dernier ne participe pas activement
à la recherche de la vérité (L. Ducharme et C.-M. Panaccio, L’administration
de la preuve (4e éd. 2010), p. 7; Technologie Labtronix Inc.
c. Technologie Micro Contrôle Inc.,
[26]
Période névralgique dans cette
quête de la vérité au prétoire, la phase « exploratoire » précédant
l’audition favorise la communication des éléments de preuve susceptibles de
permettre aux parties d’établir la véracité des faits qu’elles allèguent (J.-C.
Royer et S. Lavallée, La preuve civile (4e éd. 2008), p. 485
et 493; J.-L. Baudouin, Secret professionnel et droit au secret dans le
droit de la preuve : Étude de Droit Québécois comparé au Droit Français et
à la Common-Law (1965), p. 173; voir aussi Blaikie c. Commission
des valeurs mobilières du Québec,
[27] Conscient de l’importance de l’étape exploratoire dans le processus civil, le législateur québécois a eu tôt fait de l’encadrer en édictant une série de règles d’application générale, qui habilitent le juge à ordonner la communication de documents relatifs au litige. Contrairement aux prétentions des appelants, ce sont ces règles, et non pas les différentes lois fédérales qu’ils invoquent, qui permettent aux parties de requérir la communication des documents. En ce sens, elles constituent le fondement du « droit d’accès » à l’information. Parmi ces règles, aujourd’hui codifiées au ch. III du titre V du Code de procédure civile, mentionnons l’art. 402, dont le premier alinéa est rédigé ainsi :
402. Si, après production de la défense, il appert au dossier qu’un document se rapportant au litige est entre les mains d’un tiers, celui-ci sera tenu d’en donner communication aux parties, sur assignation autorisée par le tribunal, à moins de raisons le justifiant de s’y opposer.
[28]
Les tribunaux ont donné une
interprétation large et libérale à cet article (Royer et Lavallée, p. 487-489; Autorité
des marchés financiers c. Panju,
[29]
Cependant, s’il doit être entendu
de manière large, le droit à la communication dont dispose chacune des parties
à une instance civile n’est pas pour autant illimité. D’une part, comme nous le
verrons plus loin, l’étendue de la communication doit parfois être restreinte
pour éviter qu’il soit porté atteinte aux intérêts de tiers. D’autre part, il
importe de préciser que, aux termes de l’art.
[30]
Ainsi, il est possible de
s’opposer à la communication si les documents faisant l’objet de la requête ne
sont pas pertinents à l’égard du litige (D. Ferland et B. Emery, Précis de
procédure civile du Québec (4e éd. 2003), vol. 1, p. 629).
Quoique les tribunaux semblent plus prudents au moment d’évaluer la pertinence
de documents de nature confidentielle, le concept de pertinence s’apprécie
généralement de manière large au cours de la phase exploratoire de l’instance (Glegg,
par. 23; Kruger Inc. c. Kruger,
[31] Cette obligation de pertinence empêche les parties de se livrer à une « recherche à l’aveuglette ». Elle permet d’éviter que le bon déroulement de l’instance soit ralenti, compliqué ou même compromis par l’introduction d’éléments inutiles pour établir l’existence des droits invoqués (voir Royer et Lavallée, p. 487; Marseille, p. 1 et 21). En ce sens, la règle de la pertinence représente une règle d’équilibre procédural qui tend à assurer l’efficacité du processus judiciaire, tout en facilitant la quête de la vérité.
[32]
En l’espèce, la juge Bélanger a
conclu que les éléments de preuve sollicités par les intimés sont pertinents.
Rien dans le dossier ne permet de remettre en cause cette conclusion. D’une
part, qu’ils aient été transcrits ou non, il est clair que les enregistrements
en question constituent bel et bien des « document[s] » au sens de
l’art.
[33]
Pour l’application de l’art.
B. Les textes et principes invoqués par les appelants ne constituent pas une source valide d’opposition à la communication des enregistrements
[34]
Pour s’opposer à la communication,
les appelants invoquent les art.
(1) La Loi sur la concurrence
[35]
Les appelants prétendent que
l’art.
[36]
Ces moyens doivent être rejetés.
Comme nous l’avons expliqué précédemment, ce n’est pas en vertu de l’art.
29. (1) Il est interdit à quiconque exerce ou a exercé des fonctions dans le cadre de l’application ou du contrôle d’application de la présente loi de communiquer ou de permettre que soient communiqués à une autre personne, sauf à un organisme canadien chargé du contrôle d’application de la loi ou dans le cadre de l’application ou du contrôle d’application de la présente loi :
a) l’identité d’une personne de qui des renseignements ont été obtenus en application de la présente loi;
b) l’un quelconque des renseignements obtenus en application de l’article 11, 15, 16 ou 114;
c) quoi que ce soit concernant la question de savoir si un avis a été donné ou si des renseignements ont été fournis conformément à l’article 114 à l’égard d’une transaction proposée;
d) tout renseignement obtenu d’une personne qui demande un certificat conformément à l’article 102;
e) des renseignements fournis volontairement dans le cadre de la présente loi.
[37]
Les conversations privées
interceptées en vertu de la partie VI C. cr. ne font pas partie des
éléments mentionnés aux al. 29(1)a) à e). L’article 29 n’en
interdit donc pas la communication. Il en
va de même, à notre avis, de l’art.
(2) Le Code criminel — l’al. 193(2)a)
[38]
L’article
[39] Résultat de modifications législatives apportées au Code criminel en 1974 pour combler un vide juridique en matière de protection de la vie privée (Tse, par. 24), « [l]a partie VI du Code établit un régime de protection des communications privées » (TELUS, par. 3). Son objet « consiste à accorder une protection étendue aux communications privées contre les ingérences non autorisées de l’État » (ibid., par. 35). Au-delà de cette protection, la partie VI a pour fonction d’établir un équilibre entre la protection de la vie privée et la répression du crime : elle « vise à la fois à protéger la vie privée des personnes et à permettre d’y porter atteinte » (Lyons, p. 652; R. c. Welsh (1977), 15 O.R. (2d) 1 (C.A.), p. 7-8). Considérée ainsi, la partie VI vise donc à établir « un équilibre raisonnable entre le droit des particuliers d’être laissés tranquilles et le droit de l’État de porter atteinte à la vie privée pour s’acquitter de ses responsabilités en matière d’application des lois » (Duarte, p. 45).
[40] Il n’est pas question ici de perturber l’équilibre que permet d’établir la partie VI en encadrant de manière stricte l’interception de communications privées. Il s’agit plutôt de décider si des conversations déjà interceptées par l’État peuvent être communiquées à des particuliers parties à des procès civils, et ce, pour réaliser d’autres objectifs légitimes, comme la découverte de la vérité, l’équité procédurale et l’efficacité du processus judiciaire.
a) Article 193 : une infraction, et non un mécanisme de divulgation
[41]
Aux termes du par.
193. (1) Lorsqu’une communication privée a été interceptée au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre sans le consentement, exprès ou tacite, de son auteur ou de la personne à laquelle son auteur la destinait, quiconque, selon le cas :
a) utilise ou divulgue volontairement tout ou partie de cette communication privée, ou la substance, le sens ou l’objet de tout ou partie de celle-ci;
b) en divulgue volontairement l’existence,
sans le consentement exprès de son auteur ou de la personne à laquelle son auteur la destinait, est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans.
Ces dispositions ont pour objectif commun de protéger la vie privée des Canadiens. Comme l’a indiqué notre Cour dans Duarte, il est difficile de concevoir une activité de l’État qui soit plus dangereuse pour la vie privée que l’écoute électronique (p. 43).
[42]
De prime abord, le par.
(2) [Exemptions] Le paragraphe (1) ne s’applique pas à une personne qui divulgue soit tout ou partie d’une communication privée, ou la substance, le sens ou l’objet de tout ou partie de celle-ci, soit l’existence d’une communication privée :
a) au cours ou aux fins d’une déposition lors de poursuites civiles ou pénales ou de toutes autres procédures dans lesquelles elle peut être requise de déposer sous serment;
[43]
En soustrayant certaines
situations bien définies de la portée de l’interdiction créée par le par.
193(1), ces exemptions autorisent une personne à communiquer des
enregistrements qui, autrement, ne pourraient l’être. S’ils permettent une
telle communication, les par. 193(2) et (3) ne créent toutefois ni un mécanisme
de divulgation en soi ni, surtout, un droit d’accès. La procédure permettant d’accéder
aux enregistrements provient donc nécessairement d’une autre source. Comme nous
sommes en présence d’une poursuite civile intentée en vertu de l’art.
[44] Pour cette raison, l’arrêt Michaud — sur lequel les appelants appuient leur thèse — se distingue du présent appel. Dans cette affaire, la Sûreté du Québec avait mis Me Michaud sur table d’écoute, parce qu’elle le soupçonnait d’avoir divulgué aux médias des documents confidentiels relatifs aux négociations constitutionnelles de l’Accord de Charlottetown. Toutefois, aucune accusation criminelle n’avait en définitive été portée contre Me Michaud. Souhaitant intenter une action en dommages-intérêts pour perquisition illégale, ce dernier avait demandé, en vertu du sous-al. 187(1)a)(ii) (maintenant le par. 187(1.3)) C. cr., la communication du paquet scellé contenant les documents appuyant la demande d’autorisation judiciaire. Il avait également demandé la communication des enregistrements eux-mêmes. Comme le sous-al. 187(1)a)(ii) donnait aux accusés un accès automatique au paquet scellé en cas de procédures criminelles, la Cour devait décider si une cible d’écoute électronique ne faisant pas l’objet d’accusations criminelles bénéficiait de ce même accès automatique.
[45] À la majorité, notre Cour a décidé que les cibles non accusées ne pouvaient réclamer l’accès automatique au paquet scellé. Elles devaient plutôt présenter une preuve préliminaire indiquant que l’autorisation initiale avait été obtenue illégalement. La Cour a ajouté que, « en dehors d’une procédure criminelle, le Code ne prévoit pour la personne qui a été la cible d’une surveillance aucun moyen d’obtenir la divulgation des enregistrements » (par. 62). Les appelants s’appuient fortement sur ce passage. Or, à la différence de la présente situation, Me Michaud n’avait toujours pas entrepris de recours civil lorsqu’il a déposé sa requête en vertu du sous-al. 187(1)a)(ii) C. cr. Puisque sa demande reposait donc uniquement sur le Code criminel, lequel n’accorde pas de droit d’accès aux fruits de l’écoute électronique en dehors d’une procédure criminelle, aucun mécanisme ne permettait au tribunal d’ordonner la communication demandée. Toutefois, loin de fermer entièrement la porte à une possible divulgation, la Cour a poursuivi son analyse et indiqué que les enregistrements pourraient être communiqués dans une action en dommages-intérêts fondée sur la Charte, dans la mesure où ils seraient pertinents pour démontrer l’étendue du préjudice subi (Michaud, par. 63-65). Vu le contexte de cet arrêt, il revêt une pertinence limitée pour l’affaire qui nous occupe.
[46]
Comme nous l’avons expliqué plus
haut, l’art.
b) L’exemption prévue à l’al. 193(2)a) s’applique à l’espèce
[47] Suivant la méthode moderne d’interprétation des lois, les termes d’une loi doivent être interprétés [traduction] « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87, repris dans R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd. 2008), p. 1). Comme nous le verrons ci-dessous, le sens ordinaire du texte de l’al. 193(2)a), le contexte dans lequel il se trouve et son objet imposent la conclusion selon laquelle l’exemption s’applique en l’espèce.
(i) Les termes « aux fins d’une déposition lors de poursuites civiles »
[48]
L’alinéa 193(2)a) dispose
que l’infraction établie au par. 193(1) ne s’applique pas lorsque la
divulgation est faite « au cours ou aux fins d’une déposition
lors de poursuites civiles ou pénales ou de toutes autres procédures
dans lesquelles [la personne qui divulgue] peut être requise de déposer sous
serment ». Une « poursuite civile », qu’elle prenne ou non une
forme traditionnelle, comporte toujours une phase exploratoire. De plus, le mot
« fins » se rapporte à une « [c]hose qu’on veut réaliser, à
laquelle on tend volontairement » (Le Petit Robert (nouv. éd. 2012),
p. 1047), ou encore au « [b]ut poursuivi » (H. Reid, avec la
collaboration de S. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (4e
éd. 2010), p. 270). La version anglaise, « purpose » est au
même effet. Dans ce contexte, si le législateur avait eu l’intention de limiter
l’application de l’exemption au seul moment de la déposition, comme le
prétendent les appelants, il n’aurait pas inclus les mots « ou aux fins ».
Étant donné qu’il l’a fait, il faut présumer que ces termes ne sont pas
redondants, éviter de les priver d’effet utile et reconnaître qu’ils indiquent
l’intention de conférer à cette exemption une portée généreuse, qui englobe la
phase exploratoire d’une instance civile (sur le principe de l’effet utile,
voir P.-A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation
des lois (4e éd. 2009), par. 1047-1048; Subilomar Properties
(Dundas) Ltd. c. Cloverdale Shopping Centre Ltd.,
[49] Subsidiairement, les appelants arguent que les mots « aux fins d’une déposition » ne visent que les divulgations incidentes, c’est-à-dire celles qui surviennent en cours d’audience, dans le but, par exemple, de permettre à un témoin d’identifier les différentes voix enregistrées. Cette interprétation néglige le fait que la situation de divulgation incidente dont font mention les appelants est, comme nous le verrons plus loin, déjà visée par le par. 193(3). Interpréter ainsi l’al. (2)a) priverait donc d’effet utile le troisième paragraphe de l’art. 193, contrairement aux principes d’interprétation reconnus depuis longtemps par notre Cour (voir Côté, par. 1047-1050).
[50]
L’analyse du texte de l’al.
[51]
Par conséquent, nous concluons que
l’al.
(ii) Objet et contexte
[52] Conformément à l’objectif général de la partie VI, l’objectif particulier de l’art. 193 consiste à prévenir la divulgation non autorisée de communications privées. Malgré son importance, cet objectif n’a pas un caractère absolu. Il doit parfois céder devant d’autres objectifs auxquels le législateur a choisi de donner priorité (voir Lyons, p. 652). L’exemption prévue à l’al. 193(2)a) représente le meilleur exemple d’une telle situation. Selon le PGQ, cet alinéa a pour objet « d’assurer aux tribunaux compétents qu’ils auront accès à toute information pertinente aux procédures dont ils sont saisis, dans le respect des règles de procédure établies » (m.i. PGQ, par. 108). Cette perspective nous semble fidèle au contexte dans lequel s’inscrit cette disposition.
a. Les autres exemptions énoncées au par. 193(2)
[53] Relativement au contexte, l’analyse de l’ensemble des exemptions figurant au par. 193(2) est pertinente, dans la mesure où elle permet de définir de manière cohérente l’objectif global de la disposition. Les appelants prétendent que toutes ces exemptions se rattachent à la lutte contre le crime et que, en conséquence, l’al. 193(2)a) doit être interprété en fonction de cet objectif. Avec égards, nous ne sommes pas de cet avis.
[54]
Il est vrai que la plupart des exemptions
prévues au par. 193(2) visent à faciliter la lutte contre le crime. C’est le
cas des dispositions suivantes : al. (2)b) (divulgation au cours ou
aux fins d’une enquête en matière pénale); al. (2)c) (divulgation lors
de la remise d’un préavis ou de détails complémentaires requis en application
des art.
[55] Par ailleurs, il nous semble particulièrement important de souligner qu’à l’inverse des al. b), c), e) et f), dont une simple lecture permet de dégager l’objectif, la détermination du but visé par l’al. a) requiert une analyse plus poussée. Bien qu’il soit évident que, dans le scénario où les enregistrements sont demandés « au cours ou aux fins d’une déposition lors de poursuites [. . .] pénales », l’objectif est de lutter contre la criminalité, il paraît difficile de tirer la même interprétation du scénario où ils le sont « lors de poursuites civiles [. . .] ou de toutes autres procédures ». En effet, la lutte contre la criminalité (au sens strict du terme) prend d’abord et avant tout la forme d’enquêtes et de poursuites pénales. Or, si telle avait été la seule et unique fonction de cet al. a), le Parlement n’y aurait codifié que ce scénario (comme aux al. b) et e)). De plus, le législateur a adopté un style de rédaction beaucoup plus large que celui utilisé aux autres alinéas. Il nous semble en conséquence difficile de conclure que l’al. a) n’est destiné qu’à faciliter la lutte contre la criminalité.
[56]
Dans l’arrêt TELUS, notre
Cour s’est penchée sur l’interprétation des exemptions prévues à l’art. 193.
Comparant ces exemptions à celles relatives à l’interception que l’on trouve à
l’art.
L’article 193 prévoit des exemptions beaucoup plus permissives que celles prévues à l’art. 184, en particulier en ce qui a trait aux enquêtes en matière pénale. Aux termes de l’art. 184, la police ne peut intercepter des communications que si elle est autorisée à le faire (al. 184(2)b)) ou dans certaines circonstances exceptionnelles (art. 184.4). L’article 193, par contre, comprend de larges exemptions, qui permettent la divulgation de communications interceptées dans diverses circonstances, notamment lors de poursuites civiles ou pénales (al. 193(2)a)) et « au cours ou aux fins d’une enquête en matière pénale » (al. 193(2)b)). [Nous soulignons; par. 146.]
[57] Ainsi, la rédaction de l’al. 193(2)a) impose une définition large de ses objectifs. Il est clair que cette disposition ne s’applique pas seulement aux procédures de lutte contre la criminalité.
b. Le paragraphe 193(3)
[58]
Les appelants Couche-Tard et
autres plaident également que l’interprétation donnée à l’al.
(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux personnes qui rapportent une communication privée, en tout ou en partie, ou qui en divulguent la substance, le sens ou l’objet, ou encore, qui en révèlent l’existence lorsque ce qu’elles révèlent avait déjà été légalement divulgué auparavant au cours d’un témoignage ou dans le but de témoigner dans les procédures visées à l’alinéa (2)a).
[59] De l’avis des appelants, ce paragraphe ne peut être concilié avec le reste de l’article que si la divulgation mentionnée survient à l’étape de la production de la preuve. Comme la preuve devient alors publique par l’effet du principe de la publicité des débats, il n’existerait plus, selon eux, de raison d’interdire à quiconque de rapporter le contenu d’une preuve déjà connue. Au contraire, prétendent-ils, il serait « illogique pour le Parlement de permettre à un justiciable privé de rapporter publiquement le contenu de l’écoute électronique qui ne lui a été divulguée que dans le cadre d’une procédure civile de communication préalable » (m.a. Couche-Tard et autres, par. 66).
[60] Cette interprétation est mal fondée. D’une part, elle passe sous silence la possibilité que le Parlement ait pu, justement, souhaiter ne pas entraver la publicité des débats en permettant, à cette fin, que soient rapportés « la substance, le sens ou l’objet » d’une communication privée « légalement divulgué[e] auparavant au cours d’un témoignage ». Interprétée ainsi, cette exemption permettrait par exemple à un journaliste de rapporter la substance de la communication entendue au procès. D’autre part, l’interprétation des appelants s’avère trop restrictive. Elle omet une série de scénarios précis. À titre d’exemple, un expert qui serait autorisé, dans le cadre d’une « poursuite civile », à écouter des enregistrements de conversations privées communiquées « aux fins d’une déposition » pourrait devoir en « rapporter » le contenu lors de son témoignage en cour. Par ailleurs, dans le cas qui nous occupe, les procureurs des intimés voudront probablement utiliser le contenu des enregistrements afin de contre-interroger les appelants lors de leurs témoignages en cour. Ces témoins seront alors protégés par l’exemption énoncée au par. (3), car ils révéleront ce qui a « déjà été légalement divulgué auparavant [. . .] dans le but de témoigner », comme le prévoit l’al. (2)a).
c. Historique
[61] Sur la base des versions précédentes de l’al. 193(2)a), les appelants prétendent également que celui-ci n’a jamais eu pour fonction de permettre à un justiciable d’obtenir communication de fruits de mesures d’écoute électronique aux fins d’exercer un recours civil. Cet argument nous semble lui aussi mal fondé.
[62] Proclamé en vigueur en 1974, l’ancêtre de l’al. 193(2)a), l’al. 178.2(2)a), était libellé ainsi :
178.2 . . .
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à une personne qui divulgue soit tout ou partie d’une communication privée ou la substance, le sens ou l’objet de tout ou partie de celle-ci, soit l’existence d’une communication privée
a) au cours ou aux fins d’une déposition lors de poursuites civiles ou pénales ou de toutes autres procédures dans lesquelles elle peut être requise de déposer sous serment lorsque la communication privée est admissible en preuve en vertu de l’article 178.16 ou le serait en vertu de cet article s’il s’appliquait aux poursuites ou procédures;
[63] L’article 178.16 — auquel fait référence l’al. 178.2(2)a) — a été adopté avant l’entrée en vigueur de la Charte canadienne. Il établissait un régime selon lequel les communications interceptées par l’État étaient en principe inadmissibles en preuve contre leurs auteurs ou contre les personnes à qui les communications étaient destinées, sauf si elles avaient été obtenues légalement, ou si les personnes en question y consentaient :
178.16 (1) Une communication privée qui a été interceptée et une preuve obtenue directement ou indirectement grâce à des renseignements recueillis par l’interception d’une communication privée sont toutes deux inadmissibles en preuve contre son auteur ou la personne à laquelle son auteur la destinait à moins
a) que l’interception n’ait été faite légalement; ou
b) que l’auteur de la communication privée ou la personne à laquelle son auteur la destinait n’ait expressément consenti à ce qu’elle soit admise en preuve.
[64] Analysant conjointement l’al. 178.2(2)a) et l’art. 178.16, les appelants avancent que ces dispositions ont toujours régi la production des éléments en preuve, et non leur communication. Suivant cet argument, du fait qu’à l’étape de l’admissibilité, l’art. 178.16 assujettissait l’État à l’obligation de prouver la légalité de l’interception, il faut conclure que le législateur n’a jamais souhaité que l’exemption profite aux justiciables dans des recours privés. En effet, soulignent-ils, il aurait été illogique d’imposer à l’État le fardeau de démontrer la légalité de l’interception de communications chaque fois qu’un justiciable souhaitait obtenir la communication des fruits de ces interceptions dans une action privée.
[65] Cette interprétation nous paraît trop restrictive. D’une part, en ce qui concerne le fardeau potentiel imposé à l’État, les appelants omettent de considérer qu’en permettant l’admission en preuve d’une communication interceptée si une des personnes parties à la communication y a « expressément consenti » (al. 178.16(1)b)), le législateur avait ainsi prévu une solution qui le dégageait de ce fardeau éventuel. D’autre part, s’il est vrai que l’art. 178.16 avait pour fonction de régir l’admissibilité de la preuve, et donc sa production, il est inexact de prétendre que tel était également le rôle de l’al. 178.2(2)a). En effet, cette disposition visait « à accorder une immunité aux divulgations effectuées au cours ou aux fins d’une poursuite civile ou pénale ou au cours ou aux fins de toute autre procédure » (D. A. Bellemare, L’écoute électronique au Canada (1981), p. 153). Dans ce contexte, la seule différence entre ce régime et le régime actuel se trouve dans l’assujettissement de l’autorisation de divulgation à un examen préalable de la légalité de l’enregistrement ou, le cas échéant, à l’obtention du consentement d’une des personnes impliquées dans la conversation. C’est donc l’art. 178.16 qui avait pour fonction de régir la production des éléments en preuve, non pas le par. 178.2(2).
[66]
Cela dit, en 1993, après
l’adoption de la Charte canadienne, de larges pans de l’art. 178.16
(alors devenu l’art. 189) ont été abrogés. Par suite de cette abrogation,
l’admissibilité en preuve des enregistrements de communications privées est
désormais régie par le par.
d. Jurisprudence
[67]
La jurisprudence et la doctrine
appuient une interprétation large de l’al.
[68] À titre d’exemple, l’affaire Tide Shore Logging Ltd. c. Commonwealth Insurance Co. (1979), 13 B.C.L.R. 316, portait sur une demande de communication préalable d’enregistrements présentée en vertu du par. 26(11) des règles de procédure de la Cour suprême de la Colombie-Britannique (B.C. Reg. 310/76). La Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») avait intercepté des communications privées de l’actionnaire principal de Tide Shore Logging à l’occasion d’une enquête criminelle sur l’incendie qui était au cœur du litige civil entre Tide Shore Logging et son assureur. Ce dernier refusait d’indemniser Tide Shore Logging, car il considérait que l’incendie avait été causé délibérément. Les avocats du procureur général de la Colombie-Britannique, au nom de la GRC, n’avaient pas d’objection à ce que les enregistrements soient communiqués, à la condition que leur communication n’entraîne pas la perpétration d’une infraction criminelle. La cour s’est penchée sur l’infraction figurant aujourd’hui au par. 193(1), ainsi que sur l’exemption maintenant prévue à l’al. 193(2)a). Convaincue qu’une telle communication préalable n’était pas visée par l’expression « au cours d’une déposition », la cour estimait toutefois que la communication était visée par les termes « aux fins d’une déposition ». Elle a ordonné la communication des enregistrements, concluant que le Parlement avait clairement envisagé l’utilisation des communications interceptées dans des procédures civiles relevant des provinces, et non seulement dans des procédures civiles sur lesquelles le Parlement a compétence.
[69] Au même effet, dans une procédure civile impliquant l’État (Ault c. Canada (Attorney General) (2007), 88 O.R. (3d) 541), la Cour supérieure de justice de l’Ontario a refusé une requête visant à faire exclure les enregistrements obtenus au moyen d’un mandat d’écoute électronique que le gouvernement fédéral souhaitait produire en preuve (par. 31-32). La cour a également précisé que les demandeurs et les personnes ciblées par le mandat — qui s’opposaient à cette preuve en partie parce qu’elle était produite tardivement — auraient pu en demander la communication durant l’enquête préalable en vertu des Règles de procédure civile de l’Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194 (par. 11). Selon la cour, l’al. 193(2)a) autorisait la production en preuve, dans une procédure civile, des fruits d’activités d’écoute électronique recueillis antérieurement dans le cadre d’une enquête criminelle (par. 31).
[70]
Plus récemment, dans Canada
(Procureur général) c. Charbonneau,
Le
Tribunal n’ignore pas l’énoncé de la Cour suprême, dans l’arrêt Michaud,
voulant que le régime édicté à l’article
. . .
La GRC avance que les
travaux de la Commission ne constituent pas une enquête en matière civile ou
pénale, semblant vouloir limiter l’exemption aux procédures judiciaires.
Toutefois, elle passe sous silence que l’exception édictée à l’article
[71] En somme, la jurisprudence a appliqué l’exemption énoncée à l’al. 193(2)a) dans des contextes autres qu’au cours de dépositions dans un procès, et dans des cas où l’État n’est pas directement partie prenante. De plus, on constate que l’al. 193(2)a) a été appliqué à l’occasion d’audiences disciplinaires (par exemple, Law Society of Upper Canada c. Canada (Attorney General) (2008), 89 O.R. (3d) 209 (C.S.J.); Re Board of Commissioners of Police for City of Thunder Bay and Sundell (1984), 15 C.C.C. (3d) 574 (C. div. Ont.)), et en matière de protection de la jeunesse (par exemple, Children’s Aid Society of Thunder Bay (District) c. D. (S.), 2011 ONCJ 100, 2 R.F.L. (7th) 202).
[72] La doctrine considère elle aussi que l’exemption prévue à l’al. 193(2)a) permet la divulgation, dans le cadre de procédures civiles, de communications privées interceptées dans le cadre d’enquêtes criminelles. Par exemple, les auteurs Hubbard, Brauti et Fenton écrivent ce qui suit :
[traduction] Bien que des mesures d’écoute électronique ne puissent être autorisées que pour les besoins d’enquêtes criminelles, toute preuve recueillie conformément à une telle autorisation peut être utilisée dans une instance civile. La raison pour laquelle la partie VI du Code ne renferme aucune disposition autorisant expressément l’utilisation dans des procédures civiles de preuve obtenue par écoute électronique est que le Code s’attache d’abord et avant tout à la procédure et aux infractions criminelles. Toutefois, l’art. 193 — qui crée l’infraction consistant à divulguer des renseignements interceptés au moyen de dispositifs électroniques — écarte cette infraction lorsque la preuve recueillie par écoute électronique est divulguée « au cours ou aux fins d’une déposition lors de poursuites civiles ou pénales ». [Nous soulignons; p. 6-40.6a.]
[73] Dans le même sens, après avoir passé en revue la jurisprudence sur la question, Bellemare conclut ainsi :
. . . la divulgation faite au cours ou aux fins d’une poursuite ou d’une procédure de nature civile relevant d’une province pourra au même titre que celle faite au cours ou aux fins d’une procédure relevant de la juridiction du Parlement, être faite légalement dans la mesure où cette divulgation rencontre les conditions d’application de l’article 178.20(2)(a) du Code criminel. [p. 156]
(iii) Conclusion
[74] L’analyse du texte, du contexte, de l’objectif et de la jurisprudence nous amène à conclure que l’al. 193(2)a) — qui constitue une exception à l’infraction criminelle créée par le par. 193(1) — s’applique en l’espèce. La décision de la juge Bélanger était donc, à cet égard, bien fondée.
(3) Le statut de « tiers innocent »
[75] En plus d’appuyer la thèse de ses codéfendeurs, une des appelantes, Pétrolière Impériale, soutient que l’absence d’accusation contre elle dans les procédures pénales parallèles et le fait qu’elle n’était pas « ciblée » par l’opération d’écoute électronique lui confèrent le statut particulier de « tiers innocent ». Ce statut empêcherait la juge de première instance d’ordonner la communication des enregistrements la concernant, de près ou de loin. Cette prétention s’avère sans fondement.
[76] Il nous apparaît nécessaire de rappeler que, bien qu’elle reste un tiers par rapport aux procédures pénales parallèles, Pétrolière Impériale est devenue une partie à l’instance civile. À ce titre, elle bénéficie des mêmes droits et est soumise aux mêmes règles procédurales que l’ensemble des parties en cause. Or, comme nous l’avons exposé plus haut, durant la phase exploratoire d’une instance, à défaut d’une exception précise, le tribunal doit favoriser la communication la plus complète de la preuve. Ce n’est qu’en présence de raisons le justifiant de s’y opposer que le juge pourra refuser d’ordonner la communication.
[77]
Dans cette optique, Pétrolière Impériale
affirme que l’intérêt du public dans la protection de la vie privée des
personnes innocentes revêt une importance telle qu’il justifie l’opposition à
la communication, et ce, même si la preuve contenue dans les enregistrements a
été jugée pertinente. Pour appuyer cette affirmation, elle cite entre autres
les décisions Michaud, Procureur général de la Nouvelle-Écosse c.
MacIntyre,
[78] Nous sommes d’accord avec l’appelante pour dire que l’impact de la communication sur les droits des personnes innocentes exige un examen attentif d’une requête en communication. Cependant, cette règle de prudence ne saurait justifier pour autant l’opposition à la communication en toutes circonstances.
[79]
D’une part, sans revenir sur la
jurisprudence invoquée par Pétrolière Impériale, il importe de souligner que,
dans les circonstances du présent pourvoi, le préjudice dont celle-ci serait
menacée diffère des préjudices auxquels étaient exposées les personnes
concernées dans les jugements qu’elle cite. En effet, dans la majorité de ces
affaires, le contenu des conversations était susceptible d’être rendu public.
En l’espèce, ce facteur n’est pas présent. En effet, l’ordonnance de la juge
Bélanger limite la communication aux seuls professionnels participant à l’instance.
D’autre part, il ne faut pas oublier que la protection des personnes innocentes
— plus particulièrement la protection de leur droit à la vie privée — n’est pas
absolue. L’étendue de cette protection reste tributaire des circonstances
particulières de chaque affaire, et doit toujours être mesurée en fonction des
divers intérêts en jeu (MacIntyre, p. 186-187; Vickery c. Cour
suprême de la Nouvelle-Écosse (Protonotaire),
(4) Conclusion
[80]
En définitive, il n’existe donc
pas d’obstacle factuel ou légal à la communication des documents que
sollicitent les intimés en vertu de l’art.
[81] Toutefois, l’absence d’obstacle à la communication ne règle pas tout. Les intérêts en cause dans une affaire comme celle qui nous occupe commandent un examen du cadre régissant le processus de communication et l’étendue de celle-ci.
C. L’encadrement de la communication
[82]
Les tribunaux ont, de tout temps,
exercé un droit de regard et de contrôle sur le processus d’administration de
la preuve. À cette fin, ils détiennent tous les pouvoirs nécessaires à
l’exercice de ce contrôle (art.
[83] Le juge qui établit les modalités de la communication de documents à caractère privé doit considérer et soupeser les différents intérêts en présence. Il doit, d’une part, limiter les risques d’atteinte à la vie privée et, d’autre part, éviter de restreindre indûment l’accès aux documents pertinents, pour que les procédures demeurent équitables, que la recherche de la vérité ne soit pas entravée et que le déroulement de l’instance ne soit pas retardé de manière injustifiée (voir Frenette, p. 685-686). Dans les cas où, comme en l’espèce, les documents demandés par une partie sont le produit d’une enquête pénale, le juge devra considérer — en plus des facteurs que nous venons de mentionner — l’impact de la communication de ces documents sur le bon déroulement des procédures pénales et, s’il y a lieu, sur le droit des accusés concernés à un procès juste et équitable. L’intérêt de la société en général dans le respect de ces deux principes justifie qu’on leur accorde une attention particulière. À ce sujet, bien que nous ne soyons pas en présence d’un cas de la sorte, nous tenons à souligner que l’importance de ces principes est telle qu’ils pourraient justifier l’intervention de la Couronne dans une situation de communication de documents en la possession d’une des parties au litige civil. Sur la base de ces principes, la Couronne elle-même pourrait s’opposer à ce que des documents qu’elle a déjà communiqués à un accusé, qui participe également à l’instance civile, soient communiqués à d’autres parties, ou encore demander que la communication soit assujettie à certaines modalités particulières. Les tribunaux qui détiennent un pouvoir de contrôle sur l’ensemble de l’instance devraient alors soupeser les différents intérêts en jeu pour décider si la communication demandée doit avoir lieu et, si oui, quelle doit être l’étendue de celle-ci.
[84]
Cependant, au cours de la phase
exploratoire de l’instance, le droit au respect de la vie privée, le bon
déroulement des procédures pénales et le droit à une défense pleine et entière
sont, dans une certaine mesure, protégés par le devoir de confidentialité qui
s’impose aux parties, à leurs avocats et à leurs experts (voir Lac d’Amiante;
Autorité des marchés financiers, par. 57; Marché Lionel Coudry inc. c.
Métro inc.,
[85]
Dans tous les cas, tout en
respectant le principe de proportionnalité qui fait intrinsèquement partie de
l’art.
[86]
Lorsque les documents demandés
sont les fruits d’une enquête pénale, le juge peut refuser d’en ordonner la
communication s’il est convaincu que même des modalités très strictes de
communication ne seraient pas suffisantes pour assurer notamment le bon
déroulement des procédures pénales, la protection des droits des tiers ou,
encore, le droit à un procès juste et équitable. Dans ces situations
exceptionnelles, le juge aura donc le pouvoir de refuser une demande de
communication en vertu de l’art.
[87] En l’espèce, l’ordonnance de la juge Bélanger respecte complètement ces principes. Sa portée est limitée de manière à protéger le droit à la vie privée de l’ensemble des personnes dont les conversations ont été interceptées. Ces limites assurent également que la communication ne constitue pas une entrave au bon déroulement des procédures pénales et une atteinte au droit qu’ont les défendeurs toujours accusés au pénal de subir un procès juste et équitable. Finalement, rien n’indique que l’ordonnance crée un fardeau financier et administratif excessif pour le tiers visé en l’espèce.
VI. Conclusion
[88] Pour l’ensemble de ces motifs, nous sommes d’avis que les deux pourvois doivent être rejetés, avec dépens.
Version française des motifs rendus par
[89]
La Juge en
chef — J’ai pris connaissance des motifs
de mes collègues les juges LeBel et Wagner et je souscris à leur conclusion
dans les présents pourvois. Toutefois, dans la mesure où l’on déduirait de
leurs motifs que l’al.
[90]
Je suis d’avis que, dans les
circonstances de l’espèce, le pouvoir d’obtenir les communications privées
interceptées découle uniquement de l’art.
[91] Je souscris pour le reste aux motifs des juges LeBel et Wagner. Par conséquent, je rejetterais les pourvois.
Version française des motifs rendus par
[92] La juge Abella (dissidente) — « [O]n peut difficilement concevoir une activité de l’État qui soit plus dangereuse pour la vie privée des particuliers que la surveillance électronique ». Ainsi s’exprimait le juge La Forest, en 1990, dans l’arrêt Duarte[1]. Dans le cours de ses réflexions au sujet de la menace que fait planer sur la vie privée des gens cette extraordinaire technique d’enquête, il a écrit ce qui suit :
La surveillance électronique est à ce point efficace qu’elle rend possible, en l’absence de réglementation, l’anéantissement de tout espoir que nos communications restent privées. Une société nous exposant, au gré de l’État, au risque qu’un enregistrement électronique permanent soit fait de nos propos chaque fois que nous ouvrons la bouche, disposerait peut-être d’excellents moyens de combattre le crime, mais serait une société où la notion de vie privée serait vide de sens. [p. 44]
[93]
Puis, dans l’arrêt R. c. Mills,
[94] Notre système de justice a pris à cœur ces mises en garde. En effet, la surveillance électronique ne peut être autorisée que dans les circonstances limitées énoncées à la partie VI du Code criminel[2], dans le cadre d’enquêtes relatives à des crimes graves, ou encore en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité[3], en matière d’enquêtes sur des menaces envers la sécurité du Canada.
[95] Il convient de souligner qu’en droit canadien aucune activité de surveillance électronique ne peut être autorisée à l’occasion d’une instance civile en vue de recueillir des éléments de preuve.
[96] La question qui se pose dans les présents pourvois consiste à décider si des communications privées interceptées en vertu d’une autorisation accordée dans le cadre d’une enquête criminelle peuvent néanmoins être divulguées à l’étape de la communication préalable dans une instance civile. Avec égards pour l’opinion contraire, je suis d’avis que de telles communications ne peuvent être divulguées dans une instance civile que lorsqu’elles ont déjà été rendues publiques dans un procès criminel, ou lorsque les personnes visées par l’interception ont consenti à la divulgation ou ont autrement renoncé à leurs droits en matière de respect de la vie privée. Nous ne sommes en présence d’aucune de ces exceptions dans l’affaire dont nous sommes saisis.
[97] La juge de première instance a ordonné que soient divulguées aux avocats et aux experts des demandeurs, sur la base de leur pertinence, des communications privées qui ont été interceptées. Elle l’a fait avant que quelque décision que ce soit ait été prononcée dans les procédures criminelles connexes concernant la validité de la surveillance électronique ou l’admissibilité des communications interceptées. L’ordonnance a été rendue en vertu de l’art. 402 du Code de procédure civile[4], qui énonce ce qui suit :
402. Si, après production de la défense, il appert au dossier qu’un document se rapportant au litige est entre les mains d’un tiers, celui-ci sera tenu d’en donner communication aux parties, sur assignation autorisée par le tribunal, à moins de raisons le justifiant de s’y opposer.
[98] Cette disposition confère un vaste pouvoir discrétionnaire au juge de première instance, mais ne lui donne toutefois pas carte blanche pour ordonner la divulgation de communications jouissant d’une protection légale pratiquement impénétrable, comme c’est le cas pour les communications privilégiées. À mon avis, les éléments de preuve recueillis au moyen de mesures de surveillance électronique ont droit à la même protection et, par conséquent, ne se prêtent pas à une mise en balance des intérêts opposés.
[99]
Les décisions relatives au secret
professionnel de l’avocat peuvent apporter des indications utiles. Par exemple,
dans l’arrêt Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels),
[100]
Il me semble que cette façon de
considérer les communications interceptées trouve un appui supplémentaire dans
le fait législatif suivant : tant le droit général au respect de la vie
privée que le droit particulier au respect du secret professionnel sont
expressément protégés dans la Charte des droits et libertés de la personne[5]
du Québec. Il ne faudrait donc pas interpréter le pouvoir discrétionnaire
conféré à l’art.
[101] Cela nous amène à la protection plus grande que prévoit la partie VI du Code criminel à l’égard des communications interceptées. Aux termes du par. 193(1), qui figure dans la partie VI, divulguer des communications interceptées constitue une infraction. Les seules exceptions sont énoncées aux par. 193(2) et (3). L’alinéa 193(2)a) est la disposition pertinente pour les besoins du présent pourvoi :
193. . . .
(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à une personne qui divulgue soit tout ou partie d’une communication privée, ou la substance, le sens ou l’objet de tout ou partie de celle-ci, soit l’existence d’une communication privée :
a) au cours ou aux fins d’une déposition lors de poursuites civiles ou pénales ou de toutes autres procédures dans lesquelles elle peut être requise de déposer sous serment;
[102] La partie VI reconnaît le caractère exceptionnellement attentatoire de la surveillance électronique, en ce qu’elle permet l’interception de communications privées par l’État uniquement si certaines garanties expresses sont respectées. Parmi ces garanties, mentionnons les suivantes : des restrictions quant aux types d’infractions criminelles à l’égard desquelles une autorisation peut être accordée[6]; la condition exigeant qu’il n’existe aucune autre méthode raisonnable permettant d’enquêter sur le crime en question[7]; l’obligation d’aviser dans un délai déterminé les personnes qui ont fait l’objet de l’interception[8], mesure qui leur permet d’attaquer la légalité de l’interception. Tant qu’il n’a pas été statué sur la légalité d’une interception contestée, les communications interceptées ne sont pas admissibles dans une instance pénale.
[103] Cela signifie que l’al. 193(2)a) ne devrait pas être interprété d’une manière qui écarte les mesures de protection de la vie privée que prévoit la partie VI. L’alinéa 193(2)a) ne crée pas un droit d’accès aux communications interceptées. À tout le moins, il ne devrait pas pouvoir être invoqué pour prévenir une décision judiciaire relative à la validité d’interceptions. Tant que la validité de ces interceptions n’a pas été constatée ou concédée et que les communications interceptées n’ont pas été admises en preuve dans une instance criminelle, elles conservent à toutes fins utiles leur caractère privé et le public ne peut y avoir accès. Si, par contre, les communications interceptées sont jugées légales et admissibles et sont rendues publiques dans l’instance en question, elles deviennent alors publiques à toutes fins utiles, y compris dans le cadre de procédures civiles.
[104] Le fait de se fonder sur l’al. 193(2)a) afin de permettre à des plaideurs dans une instance civile d’obtenir la divulgation de communications interceptées dans une enquête criminelle — avant qu’une interception contestée ait été jugée légale — permet à ces mêmes plaideurs de bénéficier indirectement d’une technique d’enquête extraordinaire à laquelle ils n’ont autrement pas droit en vertu de la loi. Il me paraît paradoxal d’affirmer que des communications assidûment protégées contre la divulgation dans le système de justice criminelle puissent d’une certaine manière perdre ces protections simplement en traversant la rue et en entrant dans le système de justice civile.
[105] Il convient également de souligner que, dans d’autres pays, des communications privées interceptées ne peuvent jamais être divulguées dans un litige civil entre des parties privées : National Broadcasting Co. c. United States Department of Justice, 735 F.2d 51 (2nd Cir. 1984); In re Motion to Unseal Electronic Surveillance Evidence, 990 F.2d 1015 (8th Cir. 1993); C. S. Fishman et A. T. McKenna, Wiretapping & Eavesdropping : Surveillance in the Internet Age (3e éd. (feuilles mobiles)), vol. 4, § 41:69; Regulation of Investigatory Powers Act 2000 (R.-U.), 2000, ch. 23, art. 17 et 18.
[106] En l’espèce, la juge de première instance a ordonné, dans le cadre d’une instance civile portant sur le prix de l’essence, la divulgation de communications privées confidentielles interceptées. Le prix de l’essence constitue indubitablement une question importante, mais cette question est loin d’être suffisamment urgente pour le public pour justifier la divulgation prématurée de communications privées avant que la légalité de leur interception — et le droit du public d’en prendre connaissance — ait été judiciairement décidée dans le procès criminel.
[107] J’accueillerais les pourvois.
Pourvois rejetés avec dépens, la juge Abella est dissidente.
Procureurs de l’appelante Pétrolière Impériale : Gowling Lafleur Henderson, Montréal et Ottawa.
Procureurs des appelants Couche-Tard inc. et autres : Davies Ward Phillips & Vineberg, Montréal; Louis Belleau, Montréal; Chenette, Boutique de litige, Montréal; Osler Hoskin & Harcourt, Montréal; McMillan, Montréal; Langlois Kronström Desjardins, Montréal; Miller Thomson, Toronto; Miller Thomson Pouliot, Montréal.
Procureurs de l’appelante Ultramar ltée : Stikeman Elliott, Montréal.
Procureurs des intimés Simon Jacques et autres : Bernier Beaudry, Québec; Paquette Gadler, Montréal.
Procureurs de l’intimé le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Québec; Chamberland Gagnon, Québec.
Procureur de l’intimé le directeur des poursuites pénales du Canada : Service des poursuites pénales du Canada, Ottawa.
Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Ontario : Procureur général de l’Ontario, Toronto.
[1]
R. c. Duarte,
[2] L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 183, al. a) de la définition d’« infraction ».
[3] L.R.C. 1985, ch. C-23, art. 21.
[4] RLRQ, ch. C-25.
[5] RLRQ, ch. C-12, art. 5 et 9.
[6] art. 183, al. a) de la définition d’« infraction ».
[7]
al. 186(1)b); R. c. Araujo,
[8] art. 196.
AVIS :
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