Venne et Albert Dumais inc. |
2012 QCCLP 7092 |
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[1] Le 25 juillet 2011, madame Denise Venne (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 28 juin 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme, dans un premier temps, une décision qu’elle a initialement rendue le 1er avril 2011, déclare que la travailleuse est capable, à compter du 4 avril 2011, d’occuper l’emploi convenable de préposée aux clés chez son employeur et que cet emploi peut lui procurer un revenu annuel estimé à 25 418,25 $. Elle déclare également que la travailleuse n’a plus droit aux indemnités de remplacement du revenu prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à compter du 4 avril 2011.
[3] Par cette même décision, la CSST confirme également une autre décision qu’elle a initialement rendue le 26 mai 2011, déclare que la travailleuse n’a pas subi une récidive, rechute ou aggravation le 20 avril 2011, qu’elle n’a donc pas droit aux prestations prévues par la loi et qu’elle devra rembourser à la CSST la somme de 704,70 $.
[4] Une audience s’est tenue devant la Commission des lésions professionnelles à Val-d’Or le 7 août 2012 en présence de la travailleuse qui se représente seule. Une représentante de Albert Dumais inc. (l’employeur), une représentante de la CSST et leurs procureurs respectifs assistent également à cette audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision rendue par la CSST le 28 juin 2011, de déclarer que l’emploi de préposée aux clés ne constitue pas un emploi convenable et de déclarer également qu’elle a subi une lésion professionnelle le 20 avril 2011, soit une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale qu’elle a subie le 5 février 2010.
LA PREUVE
[6] La travailleuse occupe un emploi de préposée à l’entretien ménager pour le compte de l’employeur depuis 1994. Précisons immédiatement que l’employeur exploite un magasin sous la bannière « Canadian Tire ».
[7] Le 5 février 2010, la travailleuse est victime d’un accident du travail alors qu’elle s’affaire à nettoyer les planchers du magasin à l’aide d’une machine prévue à cet effet. En effet, à cette date, en tournant le coin d’une allée du magasin, elle doit déplacer rapidement sa machine afin d’éviter de frapper un client. Elle ressent alors une douleur à la région lombaire.
[8] Le 8 février 2010, la travailleuse consulte la docteure Julie Massé qui pose un diagnostic d’entorse lombaire. Elle prescrit alors à la travailleuse une médication (analgésique et anti-inflammatoire) et autorise le retour au travail dans le cadre d’une assignation temporaire.
[9] Le 15 février 2010, la travailleuse rencontre le docteur Jacques Martin qui maintient le diagnostic d’entorse lombaire et dirige la travailleuse pour des traitements de physiothérapie. Sur le rapport médical qu’il produit lors de cette visite, le docteur Martin précise également que la travailleuse avait passé un examen d’imagerie par résonance magnétique en février 2009 qui avait démontré la présence d’une hernie discale L4-L5.
[10] Le suivi médical sera par la suite assuré par le docteur Martin qui maintient le diagnostic d’entorse lombaire. À compter de la visite médicale du 25 mars 2010, il modifie son diagnostic pour retenir celui de lombalgie en lieu et place de celui d’entorse lombaire.
[11] Le 9 juillet 2010, la travailleuse se soumet à un examen d’imagerie par résonance magnétique de la colonne lombaire. Cet examen démontre les éléments suivants :
Niveau D12 à L2 : discrets signes de discopathie chronique se manifestant par un peu de perte du signal hydrique des disques avec de petits ostéophytes marginaux et des anomalies de signal de type Modic II en D11-D12. Pas de sténose centrale ou foraminale.
Niveau L2-L3 : discopathie chronique se manifestant par un pincement discal modéré et un étalement circonférentiel qui est asymétrique étant plus marqué à la région foraminale droite. Il y a un complexe disco-ostéophytique foraminal droit ayant un contact avec la racine L2 sans signe franc de compression.
Niveau L3-L4 : un peu de pincement discal, perte du signal hydrique du disque et discrets bombements discaux aux régions foraminales de chaque côté. Pas de sténose centrale ou foraminale.
Niveau L4-L5 : fissuration annulaire à la région foraminale droite sans évidence de hernie. Pas de sténose centrale ou foraminale.
Niveau L5-S1 : pas de discopathie significative. Arthrose facettaire modérée qui prédomine à gauche.
[12] Le 12 octobre 2010, la travailleuse rencontre le docteur Louis Bellemare, chirurgien orthopédiste, à la demande de la CSST. Son examen permet de constater des douleurs à la palpation de la région lombaire basse ainsi que de légères ankyloses des mouvements de flexion antérieure, d’extension et de flexion latérale gauche du rachis lombaire.
[13] Le docteur Bellemare conclut son rapport d’expertise médicale en suggérant que la lésion de la travailleuse est consolidée à la date de son examen et que celle-ci conserve un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une entorse lombaire avec séquelles fonctionnelles objectivées. Le docteur Bellemare est également d’avis que la travailleuse conserve les limitations fonctionnelles suivantes :
· Éviter d’avoir à soulever, tirer, pousser, de façon répétitive ou fréquente, des charges de plus de 5 à 10 kilogrammes;
· Éviter d’avoir à travailler dans des positions accroupies ou dans des endroits exigus;
· Éviter l’exposition à des vibrations de basse fréquence ou à des contrecoups au niveau du rachis lombaire inférieur;
· Éviter les mouvements répétitifs du rachis lombaire inférieur de grande amplitude articulaire;
· Avoir la possibilité d’alterner les positions assises ou debout aux 15 à 30 minutes.
[14] Le 25 janvier 2011, le docteur Martin produit un rapport complémentaire dans lequel il se dit en accord avec l’ensemble des conclusions émises par le docteur Bellemare dans son rapport d’expertise médicale du 12 octobre 2010.
[15] C’est dans ce contexte que la CSST entreprend des démarches auprès de la travailleuse et de l’employeur afin d’élaborer un plan de réadaptation professionnelle. À cet égard, une rencontre a lieu le 29 mars 2011. Les notes évolutives du dossier relatives à cette rencontre mentionnent notamment :
J’explique à l’employeur les limitations fonctionnelles qui sont considérées de classe 2 à 3. donc sévères. Nous constatons que MMe au niveau des poids, des positions et de devoir alterner les positions assises et debout ne peut refaire la majeure partie de ses tâches. L’employeur suite à ma lettre du 17 février a réfléchi à la situation et se dit prêt à offrir un emploi où la travailleuse aura la possibilité de travailler assis ou debout à volonté. En effet, le poste de préposée aux clés se fait assis ou debout. Il est situé au comptoir des pièces automobiles. Il s’agit d’un emploi à 32 heures comme l’ancien. Mme recevra le même salaire. En plus de tailler les clés, la travailleuse accueillera la clientèle et le plan du nouveau magasin pourra les diriger sans toutefois se déplacer. seulement indiquer le numéro de rangée. L’employeur prendra le temps qu’il faut pour la former. De plus, un retour progressif est suggéré par l’employeur qui toutefois assumera le salaire au complet de Mmme. L’employeur prévoit débuter à 16 heures par semaine puis augmenter de 4 heures à toutes les deux semaines pour obtenir 32 heures. Donc un retour sur 6 à 8 semaines.
- ASPECT PSYCHOSOCIAL :
Mme semble souffrante et surtout bien inquiète de ce retour au travail. Elle se déplace avec difficultés. L’employeur indique qu’au début elle pourra prendre des pauses si nécessaire et il y a un divan dans une salle à côté pour s’asseoir. La salle de pause pour les employés est au deuxième étage, il y a beaucoup de marches. Mme dit qu’elle aura trop de difficultés à s’y rendre. Elle pourra prendre ses pauses en bas dans la dite salle. Mme Venne me demande ce qu’elle fera si elle n’est pas capable. Je lui réponds que le retour progressif devrait l’aider. que les tâches offertes respectent les limitations fonctionnelles et que si elle a trop de douleurs, elle devrait revoir son médecin. [sic]
[16] Le 1er avril 2011, la CSST rend donc une décision par laquelle elle détermine que la travailleuse est capable d’exercer, à compter du 4 avril 2011, un emploi convenable de préposée aux clés au revenu annuel estimé de 25 418,25 $. Cette décision prévoit également que le droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu prendra fin le 4 avril 2011. Cette décision a été confirmée le 28 juin 2011, à la suite d’une révision administrative. Il s’agit du premier litige soumis à l’attention de la Commission des lésions professionnelles.
[17] La travailleuse réintègre donc un emploi de préposée aux clés à compter du 4 avril 2011. Lors de son témoignage devant le tribunal, elle explique que son travail consistait à tailler les clés à l’aide de la machine prévue à cet effet. Elle devait également accueillir les clients dans le département des pièces automobiles et les diriger dans le nouveau magasin. Elle indique que ce travail pouvait se faire en position assise ou debout, à l’exception des périodes où elle taillait une clé avec la machine, ce qui impliquait obligatoirement la position debout. Le temps requis pour tailler une clé est estimé à deux ou trois minutes.
[18] Elle poursuit en mentionnant qu’elle avait de la difficulté à travailler avec la machine qui sert à tailler les clés en raison d’ankyloses qu’elle conserve au pouce droit à la suite d’une chirurgie antérieure.
[19] La travailleuse indique que l’employeur lui a fourni un banc derrière son comptoir pour pouvoir s’asseoir. Elle précise cependant qu’elle avait beaucoup de difficultés à rester assise sur le banc puisqu’elle ressentait alors des engourdissements dans son membre inférieur droit et une sensation de froideur à son pied droit. En conséquence, elle se levait et marchait dans le magasin de façon régulière.
[20] La travailleuse reconnaît que l’emploi de préposée aux clés respecte les limitations fonctionnelles émises par le docteur Bellemare et qui ont été approuvées par le docteur Martin, médecin qui a charge de la travailleuse. Elle estime cependant que ses limitations fonctionnelles réelles sont plus importantes que celles recommandées par le docteur Bellemare.
[21] En conséquence, elle se dit incapable d’exercer l’emploi convenable déterminé ainsi que tout autre emploi. Elle a d’ailleurs présenté une demande d’invalidité auprès de la Régie des rentes du Québec et cet organisme a reconnu son invalidité à compter du mois d’août 2011, soit le mois qui a suivi son soixantième anniversaire de naissance.
[22] La Commission des lésions professionnelles a également bénéficié du témoignage de madame Denyse Carpentier qui occupe le poste de directrice des ressources humaines pour l’employeur depuis septembre 2010. Celle-ci confirme essentiellement les informations transmises par la travailleuse quant au poste de travail de préposée aux clés et mentionne que ce poste est le moins exigeant physiquement parmi l’ensemble des postes de travail que l’on retrouve chez l’employeur.
[23] En raison des douleurs qu’elle ressent à la région lombaire et au membre inférieur droit, la travailleuse revoit donc le docteur Martin le 20 avril 2011. Ce dernier retient alors un diagnostic de lombalgie et mentionne que la travailleuse doit cesser le travail puisque qu’elle ne peut accomplir les travaux légers qui lui sont assignés. Les notes de consultations médicales pour cette visite contiennent essentiellement les mêmes informations et on n’y retrouve pas d’éléments relatifs à l’examen physique qui a pu être pratiqué à cette date.
[24] La travailleuse soumet donc une réclamation à la CSST invoquant une aggravation de sa condition. La CSST rend une décision le 26 mai 2011 refusant cette réclamation puisqu’elle est d’avis qu’il n’y a pas de détérioration de l’état de santé de la travailleuse. Cette décision sera confirmée le 28 juin 2011, à la suite d’une révision administrative. Il s’agit du deuxième litige soumis à l’attention de la Commission des lésions professionnelles.
[25] À la suite de cet arrêt de travail, la travailleuse se soumet à un examen d’imagerie par ultra-sons (Doppler) afin de vérifier si elle présente un problème relié à la circulation sanguine au niveau des membres inférieurs. Cet examen s’est révélé normal selon le rapport du docteur Martin du 9 juin 2011.
[26] La travailleuse s’est également soumis à un examen d’électromyographie. Cet examen pratiqué le 12 juillet 2012 a été interprété de la façon suivante par la docteure Louise Roux, neurologue :
Les études de conduction nerveuses ont mis en évidence une absence de potentiel sensitif au nerf péronier superficiel droit qui à mon avis n’est pas relié à un problème radiculaire, mais uniquement à une atteinte sensitive du nerf sciatique poplité externe. Il faut aussi dire que les potentiels sensitifs sont d’amplitude légèrement sous-optimale pour les autres nerfs étudiés soit le nerf péronier superficiel gauche et les deux nerfs suraux. Ces résultats pourraient être associés au diabète de la patiente. J’ai ensuite examiné à l’aiguille le membre inférieur droit pour couvrir les myotomes L2 à S1 et cette étude demeure dans les limites de la normale. Je n’ai pas vu de signes neurogènes aigus ou chroniques qui me permette de confirmer une atteinte radiculaire. [sic]
[27] La Commission des lésions professionnelles tient également à préciser que la travailleuse n’a reçu aucun nouveau traitement à la suite de sa réclamation et que les examens mentionnés précédemment sont les seuls que la travailleuse a subis à la suite de son arrêt de travail du 20 avril 2011.
L’AVIS DES MEMBRES
[28] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs partagent le même avis dans ce dossier.
[29] Dans un premier temps, ils estiment que la preuve prépondérante démontre que l’emploi de préposée aux clés rencontre tous les critères d’un emploi convenable, tel que défini à l’article 2 de la loi. Ils confirmeraient donc la décision de la CSST à ce sujet.
[30] Dans un deuxième temps, ils considèrent que la preuve n’est pas prépondérante pour démontrer une modification de l’état de santé de la travailleuse le 20 avril 2011. Dans ces circonstances, ils émettent donc l’avis qu’on ne peut reconnaître que la travailleuse a subi une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion initiale du 5 février 2010.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[31] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer, dans un premier temps, si l’emploi de préposée aux clés constitue un emploi convenable.
[32] Par la suite, la Commission des lésions professionnelles devra décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 20 avril 2011.
L’EMPLOI CONVENABLE
[33] Dans le présent dossier, la preuve démontre que la travailleuse n’est plus en mesure de refaire les tâches de l’emploi qu’elle exerçait au moment où elle a subi son accident du travail. Dans une telle situation, la CSST doit, dans un premier temps, demander à l’employeur s’il a un emploi convenable disponible. C’est ce que prévoient les dispositions de l’article 170 de la loi :
170. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent, la Commission demande à l'employeur s'il a un emploi convenable disponible et, dans l'affirmative, elle informe le travailleur et son employeur de la possibilité, le cas échéant, qu'une mesure de réadaptation rende ce travailleur capable d'exercer cet emploi avant l'expiration du délai pour l'exercice de son droit au retour au travail.
Dans ce cas, la Commission prépare et met en œuvre, avec la collaboration du travailleur et après consultation de l'employeur, le programme de réadaptation professionnelle approprié, au terme duquel le travailleur avise son employeur qu'il est devenu capable d'exercer l'emploi convenable disponible.
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1985, c. 6, a. 170.
[34] C’est exactement le processus qui a été suivi ici et l’employeur a alors identifié un emploi de préposée aux clés. Le tribunal doit donc s’interroger si cet emploi correspond à la définition d’un emploi convenable que l’on retrouve à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[35] La Commission des lésions professionnelles est donc d’opinion que lorsque la CSST détermine un emploi convenable, elle doit s’assurer que les cinq critères contenus à cette définition soient respectés.
[36] Concernant ces critères, le tribunal se réfère à l’affaire Duguay et Construction du Cap-Rouge[2] qui précise le sens à donner à chacun de ceux-ci :
[51] Il est ainsi généralement établi que pour être qualifié de « convenable » au sens de la loi, un emploi doit respecter les conditions suivantes :
- être approprié, soit respecter dans la mesure du possible les intérêts et les aptitudes du travailleur;
- permettre au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle, soit plus particulièrement respecter ses limitations fonctionnelles, qu’elles soient d’origine professionnelle ou personnelle;
- permettre au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, dans la mesure du possible, soit tenir compte de sa scolarité et de son expérience de travail;
- présenter une possibilité raisonnable d’embauche, ce qui ne signifie pas que l’emploi doit être disponible. Cette possibilité doit par ailleurs s’apprécier en regard du travailleur et non de façon abstraite.
[…]
- ne pas comporter de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité du travailleur compte tenu de sa lésion, soit, notamment, ne pas comporter de risque réel d’aggravation de l’état du travailleur ou de risque d’accident en raison des limitations fonctionnelles.
[37] Le tribunal doit donc déterminer, dans le présent dossier, si ces critères sont respectés en regard de l’emploi de préposée aux clés qu’a retenu la CSST.
[38] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles tient à préciser que l’analyse d’un emploi convenable offert par l’employeur conformément aux dispositions de l’article 170 de la loi doit se faire en tenant compte de cette situation particulière. En effet, il ne s’agit pas d’une analyse visant à décider si un emploi convenable non disponible peut constituer un emploi convenable, mais bien une analyse qui doit se faire en fonction d’un emploi qui est alors disponible chez l’employeur. L’analyse des critères de l’emploi convenable devra donc être modulée pour tenir compte de cette situation.
[39] Bien entendu, le tribunal devra s’assurer qu’il s’agit d’un emploi qui est bien réel et qui offre la perspective d’une stabilité raisonnable pour la travailleuse à moyen terme, comme le rappelait le juge administratif Watkins dans l’affaire Dubé et Multi-Canevas 1997 inc.[3] :
[128] Dans une telle situation, la jurisprudence enseigne que le critère de la possibilité raisonnable d’embauche s’apprécie dans un contexte particulier lorsque l'emploi convenable offert est disponible chez l'employeur. Il faut alors se demander si ce poste est bien réel et s'il offre la perspective d’une stabilité raisonnable à moyen terme et si le travailleur y a accès compte tenu de la convention collective en vigueur. Si ces conditions sont remplies et s’il n’y a aucune raison sérieuse de douter qu’il va continuer d’en être ainsi pour l’avenir prévisible, l’objectif premier visé par la loi dans le cadre du programme de réadaptation professionnelle élaboré pour le travailleur, à savoir sa réintégration dans son milieu de travail, sera atteint, comme le veut l’article 170 de la loi16. Telle est la situation dans le présent dossier.
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16 Brisebois et Volailles Grenville inc.,
C.L.P.
[40] En ce qui concerne le premier critère de la définition d’emploi convenable, soit qu’il doit s’agir d’un emploi approprié, le présent tribunal partage l’opinion émise par la juge administrative Morin dans l’affaire Boivin et Dicom Express inc.[4] lorsqu’elle affirme au sujet de ce critère :
[88] La Commission des lésions professionnelles retient d’une lecture d’ensemble qu’elle fait de ces décisions que la définition d’emploi convenable retrouvée à l’article 2 de la loi impose le respect de cinq caractéristiques distinctes puisqu’il doit s’agir non seulement d’un emploi qui permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d’embauche et dont les conditions d’exercice ne comportent pas de danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique, mais aussi d’un emploi qui est « approprié » pour lui.
[89] Elle retient également que cette dernière caractéristique vise à tenir compte de diverses réalités individuelles qui ont pour effet de particulariser la situation d’un travailleur et qui ne peuvent être couvertes par les autres caractéristiques servant à qualifier un emploi de « convenable ».
[41] Dans le présent dossier, rien dans la preuve présentée par la travailleuse ne vient remettre en question le fait que l’emploi de préposée aux clés constitue un emploi approprié au sens de la jurisprudence du tribunal.
[42] En ce qui à trait au deuxième critère, soit que l’emploi déterminé permette à la travailleuse d’utiliser sa capacité résiduelle, le tribunal tient d’abord à rappeler que ce critère englobe tant les limitations fonctionnelles retenues à la suite de la lésion professionnelle que les limitations personnelles qui peuvent être présentes lors de la détermination de l’emploi convenable. À ce sujet, le soussigné fait siens les commentaires de la juge administrative Quigley dans l’affaire Cadoret et Quincaillerie R. Durand inc.[5] :
[78] De plus, comme l’a rappelé la Commission des lésions professionnelles à maintes reprises2, lors de l’évaluation de la capacité résiduelle du travailleur en vue de déterminer un emploi convenable, la CSST ne doit pas uniquement limiter son analyse aux limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle mais doit plutôt considérer toutes les conditions médicales affectant la santé du travailleur dans la mesure où celles-ci sont médicalement démontrées et existaient au moment de la détermination de l'emploi convenable.
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2 Boulianne et
Les Transports Chaumont inc.,
[43] Dans la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles constate premièrement que les limitations fonctionnelles émises par le docteur Bellemare et qui ont été approuvées par le médecin qui a charge de la travailleuse, le docteur Martin, sont respectées dans le cadre de l’emploi convenable de préposée aux clés. La travailleuse a d’ailleurs admis ce fait dans le cadre de son témoignage devant le tribunal. Elle soumet plutôt que ses limitations véritables sont plus importantes que celles retenues par le docteur Bellemare.
[44] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles se doit de souligner qu’elle n’a pas juridiction, dans le cadre du présent litige, pour remettre en question les limitations fonctionnelles identifiées. Son analyse doit donc s’effectuer en fonction de ces limitations.
[45] La travailleuse soutient cependant qu’elle avait de la difficulté à opérer la machine qui sert à tailler les clés en raison d’ankyloses qu’elle présente au pouce droit. Cependant, la Commission des lésions professionnelles constate qu’il n’y a pas de preuve démontrant les limitations fonctionnelles que la travailleuse pouvait avoir à cet égard et qui seraient incompatibles avec l’emploi de préposée aux clés. Dans les circonstances, le tribunal ne peut conclure que la travailleuse n’avait pas la capacité résiduelle lui permettant d’exercer cet emploi.
[46] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve qui lui a été soumise ne démontre pas que l’emploi de préposée aux clés ne permet pas à la travailleuse d’utiliser ses qualifications professionnelles ou qu’elle ne possède pas les qualifications lui permettant d’occuper cet emploi.
[47] Comme nous l’avons mentionné précédemment, la possibilité raisonnable d’embauche doit être analysée de façon un peu différente lorsqu’il s’agit d’un emploi offert par l’employeur. Dans un tel cas, il faut se demander si ce poste est bien réel, s’il existe ailleurs sur le marché du travail et s'il offre la perspective d’une stabilité raisonnable à moyen terme.
[48] Dans le cas qui nous occupe, la preuve n’a pas démontré que ce poste n’est pas réel. Au contraire, la preuve démontre que la travailleuse l’a exercé pendant quelques semaines avant de présenter une réclamation dans laquelle elle invoque la survenance d’une récidive, rechute ou aggravation. Le tribunal constate également que la travailleuse n’a pas soutenu que ce poste ne présentait pas de perspective de stabilité pour elle ou qu’il n’existe pas ailleurs sur le marché du travail. Il y a donc lieu de conclure que ce critère est également respecté.
[49] Enfin, en ce qui concerne le dernier critère, soit que l’emploi ne comporte pas de danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité de la travailleuse compte tenu de sa lésion, le tribunal constate également que les modalités d’exercice de l’emploi de préposée aux clés chez l’employeur ne comportent pas de risques réels d’aggravation de sa condition en raison des limitations fonctionnelles qu’elle conserve de sa lésion professionnelle du 5 février 2010.
[50] En conséquence de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’emploi de préposée aux clés constitue un emploi convenable pour la travailleuse. Le tribunal conclut également que la travailleuse était apte à exercer cet emploi à compter du 4 avril 2011 et que le droit à une indemnité de remplacement du revenu prend fin à cette date puisque le salaire que la travailleuse peut recevoir dans le cadre de cet emploi est équivalent à celui qu’elle recevait au moment où elle a subi sa lésion professionnelle.
LA LÉSION PROFESSIONNELLE DU 20 AVRIL 2011
[51] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si la travailleuse a été victime d’une lésion professionnelle le 20 avril 2011.
[52] La notion de lésion professionnelle est définie à l’article 2 de la loi dans les termes suivants :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[53] Une simple lecture de cette définition permet de constater que la notion de lésion professionnelle couvre trois possibilités distinctes, soit :
§ La blessure ou la maladie qui résulte d’un accident du travail;
§ La maladie professionnelle;
§ La récidive, rechute ou aggravation d’une lésion professionnelle antérieure.
[54] Dans le présent dossier, la travailleuse ne prétend nullement être victime d’une blessure ou d’une maladie résultant d’un nouvel accident du travail pas plus qu’elle prétend être victime d’une maladie professionnelle. Ses prétentions sont qu’elle a subi une récidive, rechute ou aggravation le 20 avril 2011 en lien avec l’accident du travail dont elle a été victime le 5 février 2010.
[55] Considérant les prétentions de la travailleuse et considérant que la preuve au dossier ne permet nullement de conclure à une autre forme de lésion professionnelle qu’une récidive, rechute ou aggravation, la Commission des lésions professionnelles limitera donc son analyse à cette dernière possibilité.
[56] La loi ne définit pas la notion de récidive, rechute ou aggravation. Dans ce contexte, le tribunal s’en remet au sens courant de ces termes ainsi qu’aux définitions que l’on retrouve dans les dictionnaires. Comme le rappelait à juste titre la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans l’affaire Lapointe et Cie minière Québec Cartier[6] :
Un examen rapide des définitions qui en sont données dans les dictionnaires de la langue française permet d’en dégager une tendance dans le sens d’une reprise évolutive, d’une réapparition ou d’une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.
[57] Il est bon de rappeler qu’il appartient à la travailleuse de démontrer l’existence d’une récidive, rechute ou aggravation. La preuve doit révéler deux éléments :
· La présence d’une modification à la baisse de l’état de santé de la travailleuse.
· Une relation entre cette modification de l’état de santé de la travailleuse et la lésion professionnelle initiale.
[58] Le présent tribunal tient à souligner qu’il est d’accord avec la jurisprudence récente de la Commission des lésions professionnelles qui utilise l’expression « modification à la baisse de l’état de santé » plutôt que l’expression « détérioration objective » qui a longtemps été utilisée par le tribunal en cette matière[7].
[59] Qu’en est-il dans le présent dossier ?
[60] La travailleuse a été victime d’un accident du travail le 5 février 2010 qui a entraîné une entorse lombaire. Cette lésion a été consolidée le 12 octobre 2010 avec présence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles importantes.
[61] Est-ce que la preuve démontre que l’état de santé de la travailleuse a subi une modification à la baisse entre la consolidation de sa lésion initiale (12 octobre 2010) et la récidive, rechute ou aggravation alléguée (20 avril 2011).
[62] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve n’est pas probante pour conclure en ce sens.
[63] En effet, le rapport médical produit par le docteur Martin le 20 avril 2011 mentionne un diagnostic de lombalgie, ce qui représente une condition qui était présente lors de la consolidation de la lésion initiale. Rien dans ce rapport médical ne peut amener le tribunal à conclure à une modification de la condition de la travailleuse.
[64] De plus, la note de consultation médicale complétée par le docteur Martin à cette date ne fait que reprendre ce diagnostic et ne contient aucun examen physique de la travailleuse qui aurait pu amener le tribunal à conclure à une modification de l’état de santé de la travailleuse.
[65] La Commission des lésions professionnelles constate également que l’investigation médicale qui a suivi n’a pas révélé de modification de l’état de santé de la travailleuse qui serait reliée à sa lésion professionnelle initiale. En effet, le Doppler s’est avéré négatif et l’examen d’électromyographie n’a pas mis en évidence de problème radiculaire. La docteure Roux, qui a interprété ce dernier examen, mentionne une atteinte sensitive du nerf sciatique poplité externe qu’elle associe, de façon probable, au diabète de la travailleuse.
[66] Le tribunal observe également que le médecin traitant, le docteur Martin, n’a prescrit aucun nouveau traitement à la suite de l’arrêt de travail du 20 avril 2011 qui aurait pu convaincre la Commission des lésions professionnelles que la travailleuse présentait une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence de sa lésion ou de ses symptômes.
[67] Enfin, la Commission des lésions professionnelles tient à préciser que le fait que la Régie des rentes du Québec ait reconnu l’invalidité de la travailleuse à compter du mois d’août 2011 n’est pas un élément qui en soi permet la reconnaissance d’une récidive, rechute ou aggravation.
[68] En effet, cette reconnaissance de l’invalidité de la travailleuse s’est faite en raison de l’âge de celle-ci (plus de 60 ans). Les dispositions de la Loi sur le régime de rentes du Québec[8] prévoient, dans le cas d'une personne âgée de 60 ans ou plus, le droit à une rente si son invalidité la rend régulièrement incapable d'exercer son occupation habituelle. Son droit à une rente d’invalidité est donc relié à l’incapacité de la travailleuse d’exercer son emploi habituel de préposée à l’entretien ménager. La CSST a d’ailleurs conclu dans le même sens et c’est en raison de cette incapacité à refaire cet emploi qu’elle a déterminé que la travailleuse pouvait exercer un emploi convenable de préposée aux clés.
[69] En conséquence de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que la travailleuse n’a pas subi de récidive, rechute ou aggravation le 20 avril 2011.
[70] Avant de conclure, la Commission des lésions professionnelles tient à discuter de l’application possible des dispositions de l’article 51 de la loi à la situation de la travailleuse. En effet, le tribunal a soulevé cette question aux parties lors de l’audience et les a invitées à soumettre des représentations sur cette question. Cet article prévoit :
51. Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.
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1985, c. 6, a. 51.
[71] Après analyse de la preuve sur cette question, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la travailleuse ne peut bénéficier des dispositions de cet article pour récupérer son droit à une indemnité de remplacement du revenu.
[72] En effet, le tribunal considère que le rapport médical produit le 20 avril 2011 par le docteur Martin et qui se limite à mentionner que la travailleuse doit cesser son travail puisqu’elle n’est pas en mesure d’accomplir les travaux légers qui lui sont assignés, ne démontre pas qu’il connaissait les tâches et les exigences physiques de l’emploi alors occupé par la travailleuse. Dans les circonstances, il s’agit d’une allégation trop vague relative à l’incapacité de la travailleuse plutôt qu’une véritable opinion médicale. La Commission des lésions professionnelles souligne également que la note de consultation médicale relative à cette visite n’est pas plus détaillée.
[73] À cet égard, le présent tribunal est en parfait accord avec la jurisprudence antérieure de la Commission des lésions professionnelles quant à la forme que doit prendre un rapport médical qui permettra l’application des dispositions de l’article 51 de la loi. À cet égard, le juge administratif Champagne résumait bien cette jurisprudence dans une récente décision, soit l’affaire Godbout et Québec (Ministère des Transports)[9] :
[82] La jurisprudence9 a également établi qu’il doit ressortir de l’avis du médecin du travailleur qu’il connait les antécédents médicaux du travailleur et ses limitations fonctionnelles, qu’il sait de quel emploi il est question et qu’il connait les tâches et les exigences physiques de cet emploi. Il faut donc disposer d’une véritable opinion médicale et non une simple allégation de l’incapacité du travailleur.
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9
Grenier et Grands Travaux Soter inc., C.L.P.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Denise Venne, la travailleuse;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 juin 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’emploi de préposée aux clés constitue un emploi convenable pour la travailleuse et qu’elle est capable d’exercer cet emploi à compter du 4 avril 2011;
DÉCLARE que cet emploi convenable peut procurer à la travailleuse un revenu annuel estimé à 25 418,25 $;
DÉCLARE que la travailleuse n’a plus droit au versement d’une indemnité de remplacement du revenu à compter du 4 avril 2011, puisque l’emploi convenable est disponible;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 20 avril 2011;
DÉCLARE que la travailleuse n’a donc pas droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que la travailleuse doit rembourser à la Commission de la santé et de la sécurité du travail la somme de 704,70 $.
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Michel Letreiz |
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Me Nicolas Dallaire |
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NDC, soutien juridique aux employeurs |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Maxime Gagné |
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Vigneault Thibodeau Bergeron |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2]
[3] C.L.P.
[4]
[5] C.L.P.
[6]
[7] Voir notamment Dubé et Entreprises du Jalaumé enr.,
CLP
[8] L.R.Q., c. R-9.
[9]
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.