Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Syndicat québécois des employés de Telus, section locale 5044 c. Moro

2014 QCCS 4600

COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

RIMOUSKI

 

 

N° :

100-17-001425-133

 

DATE :

25 septembre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PIERRE OUELLET, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

SYNDICAT QUÉBÉCOIS DES EMPLOYÉS DE TELUS, SECTION LOCAL 5044

 

Demandeur

c.

 

Me SUZANNE MORO

 

Défenderesse

 

et

 

SOCIÉTÉ TELUS COMMUNICATION INC.

 

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(Révision judiciaire)

______________________________________________________________________

 

Introduction

[1]           Le 10 mai 2013, la défenderesse, Me Moro (l’arbitre) en sa qualité d’arbitre de griefs, rejette deux griefs soumis par le demandeur (le syndicat) et accueille le grief déposé par la mise en cause (l’employeur, Telus), grief déposé en cours d’instance une fois que le syndicat eut déclaré sa preuve complétée, et ce, à la cinquième journée d’audition.

[2]           L’arbitre ordonne également au syndicat de payer «une somme symbolique de 1 $ à titre de dommages».

[3]           Le syndicat se pourvoit en révision judiciaire seulement contre les conclusions accueillant le grief patronal et l’octroi de dommages.

[4]           Il allègue :

«l’arbitre a erré en fait et en droit, et commis des erreurs constituant un excès de compétence :

a)             En posant la mauvaise question pour établir si le Syndicat a agi conformément à son droit de représentation.

b)            En appliquant de façon déraisonnable les faits au droit.»

[5]           Et quant à la norme de contrôle que nous devrions appliquer, le syndicat allègue qu’il s’agit de la norme de la décision raisonnable; toutefois à l’audience, il plaidera que c’est la norme de la décision correcte eu égard à une décision de notre Cour prononcée en novembre 2012.

[6]           De son côté, l’employeur a déposé une déclaration assermentée du directeur de son service de relation de travail ainsi que divers documents[1] dont les griefs, les communications entre son service des relations de travail et les représentants du syndicat.

Les faits

[7]           Étant donné que le rejet des deux griefs du syndicat au nom du salarié Steeven St-Laurent n’est pas contesté, il y a lieu de s’en tenir à une énumération des faits essentiels aux questions en litige.

[8]           En fonction du long résumé de la preuve contenue dans la sentence arbitrale, le Tribunal retient :

Ø  En juillet 2005, Steeven St-Laurent, un technicien télécom, réseau et réseautique, entre au service de Telus à son établissement de St-Georges de Beauce.

Ø  Le 22 mars 2011, le syndicat dépose le premier grief (11-00-01) dans lequel on reproche à l’employeur au nom du salarié d’avoir porté atteinte «à ma dignité et à mon intégrité physique et psychologique».

Ø  Les 30 mars et 1er mai 2011, le directeur des relations de travail de Telus, Gilles Lavoie, écrit à la présidente du syndicat, Diane Gagné, en demandant des précisions quant aux reproches soulevés par le salarié (A-2 et A-3).

Ø  Le 3 mai, la présidente du syndicat répond à Lavoie en lui transmettant certaines informations quant aux reproches du salarié St-Laurent.

Ø  Le 29 juin, le directeur Lavoie demande à Mme Gagné que le syndicat se désiste du grief (A-6).

Ø  Le 16 septembre, le syndicat dépose un second grief (11-00-06) au nom du salarié St-Laurent : «a porté atteinte à ma dignité et à mon intégrité physique et psychologique» alléguant une conduite vexatoire et hostile à son égard de la part de l’employeur (A-12).

Ø  Le 11 octobre, le directeur Lavoie demande au syndicat des précisions concernant le second grief.

Ø  Demande réitérée par l’avocat de Telus le 31 octobre demande des précisions à la conseillère syndicale (A-9).

Ø  Le 9 février 2012, la présidente Gagné répond à cette lettre; Telus plaide que cette réponse est insatisfaisante en ce qu’elle réfère à des événements vagues et imprécis.

Ø  L’audition de la preuve syndicale se déroule entre les 1er mars et 17 décembre 2012, moment où l’employeur dépose son grief [2] dont l’extrait pertinent se lit ainsi :

«Après avoir entendu toute la preuve syndicale, il est manifeste que le dépôt et le maintien des deux griefs syndicaux constituent un abus de droit et entraînent des dommages importants à l’employeur.

Dans les faits, les divers volets de ces griefs sont manifestement mal fondés et il apparaît clairement que le syndicat utilise cette procédure de manière excessive, déraisonnable et de manière à nuire à l’Employeur.»

Ø  Le même jour, Telus dépose un grief patronal (R-4) pour le motif que le dépôt et le maintien de ces griefs par le syndicat constitue un abus de droit d’où la demande de condamnation pour le motif à la somme symbolique de 1 $.

Décision arbitrale

[9]           L’arbitre résume et analyse de façon élaborée toute la preuve et les prétentions des parties quant aux deux griefs syndicaux (par. 16 à 129 et 140 à 171) pour conclure ainsi :

«[171]    Dans le contexte précité, l’examen de l’ensemble de la preuve convainc le tribunal qu’une personne raisonnable ne peut considérer que madame Milot a eu à l’endroit du plaignant une conduite vexatoire qui porte atteinte à sa dignité ou à son intégrité psychologique ou physique et qui entraîne pour lui un milieu de travail néfaste.  Au contraire, la gestionnaire a fait preuve d’une retenue exemplaire tout au long des évènements.  Le plaignant n’ayant pas été victime de harcèlement psychologique, ses griefs doivent être rejetés.»[3]

[10]        Rappelons que le syndicat ne conteste pas en révision judiciaire le rejet des deux griefs syndicaux.

[11]        Après avoir résumé la position des deux parties quant au grief patronal (par. 129 à 139), nous retrouvons son analyse de la preuve aux paragraphes 176 à 181, de sorte qu’elle retient :

«[179]    Il se dégage de ces contradictions entre les explications fournies par plaignant et celles fournies par la présidente du syndicat, que l’enquête prétendument menée par le syndicat n’a pas été faite avec sérieux et que le libellé du grief ne reflète pas la réalité.

(…)

[181]     Il appert que le syndicat a déposé les griefs en réponse aux demandes du plaignant, qui est aussi président de son syndicat local, parce que celui-ci veut faire pression sur l’employeur.  Le syndicat aurait dû savoir qu’une telle façon d’agir était inacceptable.  De toute évidence cependant, même si sa conduite démontre qu’il ne comprend pas le rôle très important qui lui revient en pareille matière, le syndicat n’a pas pour autant agi de mauvaise foi.»

[12]        En conclusion, l’arbitre accueille ce grief :

«[183]    L’employeur a démontré que le syndicat n’a pas mené une enquête sérieuse, ce qui a entrainé le dépôt et le maintien abusif des griefs de harcèlement psychologique.  Il s’agit là d’une faute de la part du syndicat et le grief patronal doit donc être accueilli, ainsi que sa réclamation d’une somme symbolique de 1 $ à titre de dommages.»

Questions en litige

[13]        Quelle norme de contrôle doit appliquer le Tribunal?  Le syndicat soumet que c’est la norme de la décision correcte alors que l’employeur allègue que c’est celle de la décision raisonnable.

[14]        Eu égard à la norme retenue, y a-t-il matière à révision judiciaire de façon à rejeter le grief patronal comme le soumet le syndicat?

I.-         La norme de contrôle

[15]        À l’audience, les deux avocats n’ont pas manqué d’arguments et de références à la jurisprudence pour nous convaincre du bien-fondé de leur position respective.

[16]        Tous deux connaissaient la décision de notre collègue, Mme la juge Soldevila, prononcée dans une affaire similaire : rejet du grief syndical et accueil du grief patronal pour abus de procédure.

[17]        Notre collègue[4] a retenu la norme de contrôle de la décision correcte et ce jugement a fait l’objet d’un pourvoi en appel par l’employeur vu que son grief a été rejeté.

 

[18]        Séance tenante, le 4 juin dernier, la Cour d’appel[5] maintient le jugement et statue quant à la norme de contrôle :

«[2]         La juge a eu raison d'appliquer la norme de contrôle de la décision correcte pour décider la demande de révision dont elle était saisie. La doctrine de l’abus de procédure et la notion qu’elle comporte soit celle d’abus d’ester en justice sont des questions complexes qui doivent être tranchées de manière uniforme et cohérente compte tenu de leur rôle central pour le système de justice. La jurisprudence a reconnu que l’application de cette doctrine « échappe clairement au domaine d’expertise des arbitres du travail qui peuvent devoir y faire appel. Lorsque cela se produit, les arbitres doivent trancher correctement la question de droit posée».

[19]        Nous n’avons donc pas à élaborer plus longuement et nous devons maintenant analyser la décision arbitrale à la lumière de cette norme de contrôle.

II.-        L’arbitre Moro a-t-elle prononcé la bonne décision eu égard à la règle de      droit et aux faits mis en preuve?

            .1         Thèse de chaque partie

[20]        Les procureurs du syndicat nous soumettent l’argumentation suivante :

Ø  À partir du moment où le syndicat a procédé à son enquête de façon sérieuse, il n’a pas d’autre choix que de continuer les griefs jusqu’au bout.

Ø  En matière de relations de travail, il est reconnu qu’une situation d’harcèlement psychologique constitue un sujet sérieux et important tout comme un cas de congédiement; en conséquence, le syndicat se retrouve dans une situation particulière : il ne doit pas traiter à la légère de tels dossiers.

Ø  Il faut distinguer la situation qui prévaut au moment du dépôt des griefs eu égard au devoir de représentation du syndicat de celle qui ressort de la preuve à l’audience; dans le présent cas, le salarié s’est contredit et sa thèse s’est effondrée entrainant le rejet des deux griefs.

Ø  L’affirmation de l’arbitre que «l’enquête prétendument menée par le syndicat n’a pas été faite avec sérieux» (par. 179) n’est pas supportée par la preuve; à l’audience devant nous, l’on nous réfère à différents paragraphes du sommaire de la preuve démontrant les différentes démarches des représentants du syndicat.

Ø  Les critères élaborés par la Cour d’appel dans les arrêts Viel et Royal Lepage ne sont pas rencontrés : le syndicat n’a fait preuve ni de mauvaise foi ni de témérité.

 

 

[21]        L’avocat de Telus au soutien du maintien du grief patronal nous soumet :

Ø  Rappelant le déroulement des évènements tant avant qu’après le dépôt des griefs, il souligne l’obligation du syndicat de procéder à un examen sérieux avant de déposer un grief eu égard à son monopole syndical et aux conséquences d’un grief d’harcèlement psychologique pour les personnes visées par ce grief.

Ø  Le syndicat n’a pas fait expertiser M. St-Laurent par un médecin ou un professionnel compétent et, de plus, a rédigé des griefs sans vérifier tous les faits qui sont allégués soit dans les griefs, soit dans les précisions transmises à l’employeur.

Ø   De plus, le syndicat a employé un vocabulaire «très fort» dans le but d’impressionner les représentants de l’employeur, le libellé est même diffamatoire.

Ø  Le syndicat a commis une faute dès le début et non pas seulement à partir du moment où la crédibilité de St-Laurent a été taillée en pièces lors du contre-interrogatoire.

Ø  Enfin, il nous réfère à des décisions arbitrales concernant l’abus de procédure par un syndicat dans le traitement d’un grief.

            .2         Le droit

[22]        Le soussigné a pris connaissance des références de notre collègue Soldevila dans Convoyeur continental sur l’état du droit quant à l’obligation de représentation d’un syndicat (par. 44 à 48) et à la notion d’abus de procédure (par. 37 à 43).

[23]        Quant au premier sujet, les arrêts Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon[6] et Noël c. S.E.B.J.[7] dressent de façon éloquente les tenants et aboutissants des droits et obligations (art. 47.2 Code du travail) d’un syndicat qui bénéficie du monopole de représentation :

Ø  Ne pas se conduire de mauvaise foi, cette dernière comprenant l’intention de nuire, le comportement malicieux, hostile…

Ø  Absence de comportement discriminatoire.

Ø  Prohibition de comportement arbitraire et ne pas faire preuve de négligence grossière.

[24]        Tout comme il est établi que le syndicat doit tenir compte de l’importance du grief et de ses conséquences pour le salarié; il est maintenant reconnu que toute situation de harcèlement psychologique constitue une question sérieuse et importante pour tout salarié[8].

[25]        Quant à la notion d’abus de procédure, il est opportun de citer des extraits des deux arrêts de principe de la Cour d’appel.

[26]        Dans Colette T. Viel[9] le juge Rochon s’exprime ainsi :

«[82]      J'ajoute que même en matière d'abus du droit d'ester en justice, il faut éviter de conclure à l'abus dès que la thèse mise de l'avant est quelque peu fragile sans être abusive. Même dans les provinces de common law qui reconnaissent la notion de «dépens avocat-client» le peu de fondement d'une demande ne suffit pas à lui seul pour justifier l'octroi de tels dommages. C'est, il me semble, une règle que reconnaît implicitement le législateur. L'article 75.2 C.p.c. se lit en partie :

(…)

[83]       Lorsque la conduite d'une partie sur le fond du litige est répréhensible, scandaleuse, outrageante, abusive, de mauvaise foi, le juge des faits sera porté plus facilement à conclure que cette conduite s'est poursuivie lors du débat judiciaire. Je suis d'avis qu'il faut se méfier des automatismes en cette matière.  L'abus sur le fond ne conduit pas nécessairement à l'abus du droit d'ester en justice. Règle générale et sauf circonstances exceptionnelles, seul ce dernier est susceptible d'être sanctionné par l'octroi de dommages (honoraires extrajudiciaires). Comme je l'examinerai plus loin, les faits de l'espèce sont un parfait exemple de cet énoncé.

[84]       J'ajoute que l'abus du droit d'ester en justice peut naître également au cours des procédures. L'abuseur qui réalise son erreur et s'enferme dans sa malice pour poursuivre inutilement le débat judiciaire sera responsable du coût des honoraires extrajudiciaires encourus à compter de l'abus.»

[27]        Dans Royal Lepage[10], le juge Dalphond, se référant à l’opinion de son collègue Rochon, met en évidence la notion de «témérité du plaideur» :

«[42]      Avant de tenter de définir la témérité comme source d’abus, je rappelle que la faute civile consistant en l’abus d’ester constitue une limite au droit fondamental de s’adresser aux tribunaux, un peu comme la diffamation par rapport à la liberté d’expression.  Il faut donc dans son interprétation balancer des intérêts et des valeurs contradictoires et se rappeler qu’il faut éviter une interprétation qui dissuaderait tout plaideur de faire valoir, de bonne foi, une thèse nouvelle ou fragile.

(…)

[45]       Pour conclure en l’abus, il faut donc des indices de mauvaise foi (telle l’intention de causer des désagréments à son adversaire plutôt que le désir de faire reconnaître le bien-fondé de ses prétentions ou à tout le moins des indices de témérité.

[46]       Que faut-il entendre par témérité? Selon moi, c’est le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d'un fondement pour cette procédure.  Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des indices de l’intention de nuire mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé de cette procédure.  Est infondée une procédure n’offrant aucune véritable chance de succès, et par le fait, devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur.  Comme le soulignent les auteurs Baudouin et Deslauriers, précités : « L’absence de cette cause raisonnable et probable fait présumer sinon l’intention de nuire ou la mauvaise foi, du moins la négligence ou la témérité ». »

[28]        En citant des extraits des notes du juge Dalphond, la juge Soldevila résume ainsi certains indices pour évaluer s’il y a abus d’ester en justice :

«[42]        Le juge Dalphond donne certaines indications révélatrices devant guider un Tribunal appelé à évaluer les actions d’un plaideur avant de les qualifier d’abusives. Parmi ces indices ou ces éléments, on retrouve la longue preuve administrée devant le juge d’instance sans laquelle le litige n’aurait pu être tranché, l’ampleur du délibéré et du jugement rendu et la nécessité pour le décideur d’en faire une analyse exhaustive :»

            .3         Application au cas d’espèce

[29]        Lors de ses représentations, la partie syndicale nous incite à prendre connaissance de plusieurs des paragraphes de la preuve que l’arbitre résume de façon exhaustive; le Tribunal retient comme étant pertinent pour sa décision :

Ø  Au moment de rédiger le premier grief, le salarié St-Laurent mentionne à la présidente Gagné son état d’angoisse et d’anxiété : il prend même de la médication.

Ø  Elle interroge d’autres collègues de travail de l’équipe sous la direction du gestionnaire dont l’un a demandé de changer d’affectation à cause de l’attitude de la gestionnaire.

Ø  Elle discute également avec le directeur Lavoie pour trouver une solution au bénéfice du salarié, et ce, avant le dépôt du grief.

Ø  Elle a fourni des précisions sur le contenu du premier grief lorsque requis par M. Lavoie (courriel du 3 mai), et ce, concernant les situations soulevées par le salarié.

Ø  À l’audience devant l’arbitre, elle affirme avoir discuté avec deux responsables du service des relations de travail des problèmes soulevés par St-Laurent; or ce dernier lui répond qu’aucun reproche ne peut être adressé à la gestionnaire Milot.

Ø  Elle a expliqué à l’audience les faits qui ont mené au dépôt du second grief : demandes de rencontres avec la gestionnaire qui a annulé après le dépôt du premier grief une rencontre prévue, certains des agissements et décisions de la gestionnaire qui ont créé du stress et de l’anxiété chez le salarié.

[30]        À la lecture de l’analyse de l’arbitre pour rejeter les griefs syndicaux (par. 148 à 171), le Tribunal retient des motifs de Me Moro ce qui suit :

Ø  Le plaignant se perçoit comme un mal aimé et son témoignage confirme les traits paranoïdes évoqués dans l’expertise médicale.

Ø  Il a fait preuve d’insubordination eu égard aux règlements de l’entreprise.

Ø  Il a refusé de collaborer avec la direction dans le cadre des démarches pour voir comment faire cesser le harcèlement, s’il y en a.

Ø  Il s’est contredit à plusieurs reprises «tout au long de son témoignage».

Ø  Les explications de la gestionnaire quant à certains gestes ou décisions démontrent qu’il n’y a pas eu d’actes vexatoires envers ce salarié.

[31]        D’où sa conclusion que le comportement de St-Laurent «n’est pas celui d’une personne qui cherche à mettre fin au harcèlement, bien au contraire (…) plutôt celui d’une personne qui se complaît dans la situation qu’il a lui-même provoquée…» (par. 170).

[32]        Pour conclure à l’abus de procédure de la part du syndicat, l’arbitre retient :

Ø  Les précisions fournies par le syndicat au service des relations de travail ou à l’avocat de Telus «sont à tout le moins inexactes, sinon erronées» (par. 176).

Ø  Mme Gagné a refusé de fournir les précisions à l’employeur suite au dépôt du second grief, référant tout simplement à la preuve à être administrée par le syndicat.

Ø  Le témoignage du plaignant et de la présidente Gagné sont contradictoires quant aux événements à la base des deux griefs.

Ø  L’attitude ambivalente du plaignant dans ses relations avec sa gestionnaire aurait dû alerter le syndicat tout comme son témoignage devant l’arbitre : il n’a jamais démontré d’acte vexatoire de la part de la gestionnaire.

Ø  Le syndicat a déposé les griefs en réponse aux demandes du plaignant qui désirait faire pression sur l’employeur; même si le syndicat n’a pas agi de mauvaise foi, il n’a pas compris son rôle  en tant qu’agent syndical de sorte que son attitude est inacceptable.

Ø  Il a accepté de déposer les griefs pour répondre aux demandes de St-Laurent, président d’une section locale, qui désirait faire pression sur Telus.

[33]        Le Tribunal retient que, pour l’essentiel, l’arbitre conclut à l’abus de procédure parce que le syndicat n’a pas mené une enquête sérieuse et s’est mépris sur son rôle face à l’employeur en se prêtant au désir du salarié de faire pression sur l’employeur.

[34]        Mais cela suffit-il pour conclure que le syndicat a abusé de son droit d’ester en justice?

[35]        Or, au paragraphe 181, l’arbitre retient que ce dernier n’a pas agi de mauvaise foi; or le juge Rochon dans Viel nous enseigne que pour conclure en l’abus, il faut des indices de mauvaise foi.

[36]        Et le juge Dalphond dans Royal Lepage nous enseigne qu’il faut rechercher des indices de témérité qui amènent une personne raisonnable à conclure que la procédure n’a aucune véritable chance de succès de sorte qu’elle «devient révélatrice d’une légèreté blâmable de son auteur».

[37]        Tout comme n’entre pas dans cette catégorie une situation où une partie se présente devant le Tribunal pour soumettre «une thèse nouvelle ou fragile».

[38]        Or ici, manifestement, l’arbitre ne s’est pas posé ces questions, peut-être parce que les avocats des parties ne l’ont pas instruite sur les enseignements contenus dans les arrêts Viel et Royal Lepage.

[39]        D'ailleurs, le Tribunal remarque que l’arbitre cite, au soutien de sa conclusion, un extrait de la décision arbitrale de Me Morin dans Convoyeur continental (6 novembre 2011) qui a justement fait l’objet de la révision judiciaire de notre collège Soldevila, jugement prononcé le 1er novembre 2012, pendant le déroulement de l’instance arbitrale devant Me Moro.

[40]        Comme le souligne le juge Dalphond, rappelons que les éléments suivants ne démontrent pas l’intention de nuire et la témérité du syndicat :

Ø  L’audition devant l’arbitre aura duré six jours.

Ø  Cette dernière a entendu plusieurs  témoins et reçu en preuve de nombreux documents.

Ø  Le grief patronal est déposé au cinquième jour d’audition après que la preuve du syndicat fut déclarée complète.

Ø  La sentence arbitrale comporte 184 paragraphes étalés sur 46 pages.

Ø  Il s’agissait d’allégations de harcèlement psychologique qui est une matière toujours délicate et importante pour un salarié.

Ø  Le témoignage du salarié a été difficile et, manifestement, l’arbitre ne lui accorde aucune crédibilité soulignant ses nombreuses contradictions.

Ø  Il est hasardeux de conclure à l’abus en fonction du contenu des témoignages et de la conclusion du décideur sur leur crédibilité.

Ø  De plus, devant nous, l’on ne nous a pas démontré des faits précis qui appuient l’opinion de l’arbitre selon laquelle l’enquête n’a pas été menée de façon sérieuse au point de conclure qu’il y a là des indices de témérité.

[41]        Le Tribunal est d’opinion que les critères pour conclure à l’abus de procédure ne sont pas rencontrés et que l’arbitre, si elle avait été adéquatement instruite en droit, aurait dû rejeter le grief patronal.

[42]        Il y a une marge entre se tromper dans l’évaluation d’un dossier et entreprendre ou continuer des procédures que l’on sait vouées à l’échec parce qu’elles n’ont aucune chance raisonnable de succès.

 

[43]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[44]        ACCUEILLE la requête en révision judiciaire;

[45]        CASSE en partie la sentence arbitrale (pièce R-3) prononcée le 10 mai 2013 en rejetant le grief patronal (pièce R-4) portant la date du 17 décembre 2012;

[46]        AVEC DÉPENS contre la mise en cause.

 

 

 

 

__________________________________

PIERRE OUELLET, j.c.s.

 

 

 

Me Ronald Cloutier

Mme Jehanne Bédard (stagiaire)

Service juridique au SCFP

565, boulevard Crémazie Est

Bureau 7100

Montréal (Québec) H2M 2V9

 

 

Me Jean-François Dolbec

BBD, avocats

Édifice Le Delta 1

2875, boul. Laurier

Bureau 1320

Québec (Québec) G1V 2M2

 

 

 

 

 

Date d’audience :

Le 23 avril 2014

 

 



[1]     Pièces A-1 à A-16.

[2]     Pièce A-16 : grief Telus 12-01.

[3]     Pièce R-3, sentence arbitrale, 10 mai 2013.

[4]     Syndicat des travailleurs d’usine de convoyeur continental (FISA) c. Me Marcel Morin et Convoyeur continental et usinage Ltée, 2012 QCCS 6207.

[5]     2014 QCCA 1153.

[6]     [1984] 1 R.C.S. 509.

[7]     [2001] 2 R.C.S. 207.

[8]     Vallières c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (CPS et APTMQ), 2011 QCCA 588.

[9]     Colette T. Viel c. Les Entreprises Immobilières du Terroir Ltée [2002] R.J.Q. 1262.

[10]    Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd, 2007 QCCA 915.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.