Décision

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J

J.V. c. Tribunal administratif du Québec

2008 QCCS 4544

 

JG 1116

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-040379-078

 

 

 

DATE :

18 septembre 2008

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DANIELLE GRENIER, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

J... V...

Demandeur

c.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU QUÉBEC

Défendeur

-et-

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

            Mise en cause

______________________________________________________________________

 

MOTIFS ET JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE

______________________________________________________________________

 

[1]                Le demandeur demande la révision judiciaire de deux décisions rendues par le Tribunal administratif du Québec (TAQ) : la première le 8 février 2007; la deuxième le 22 novembre 2007.

LES FAITS

[2]                Le 27 mai 2003, le demandeur est impliqué dans un accident d'automobile.

[3]                Il a soutenu devant la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) d'abord, et puis devant le TAQ par la suite, que cet accident a joué un rôle dans l'apparition d'un trouble de conversion qui se manifeste par des problèmes de spasticité organique.

[4]                Le TAQ a confirmé les décisions rendues en révision par la SAAQ. 

[5]                Les avocats s'entendent pour dire que la règle de contrôle est celle de la raisonnabilité de la décision.  Dans l'arrêt Dunsmuir[1], la Cour suprême a circonscrit cette norme comme suit :

[47]       La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.[2]

[6]                En l'espèce, il s'agit de se demander si, compte tenu de la preuve soumise et retenue, il était raisonnable pour le TAQ de conclure comme il l'a fait.

[7]                À sa face même, la décision du TAQ ne possède pas les attributs de la raisonnabilité.  Cette décision est carrément inintelligible.

[8]                Le TAQ a posé la question comme suit :

Le Tribunal doit décider si l'accident de mai 2003 a joué un rôle dans l'apparition d'un trouble de conversion qui se manifeste par des problèmes de spasticité non organique, rendant progressivement et épisodiquement le requérant inapte à l'exécution de diverses activités.

[9]                De la preuve médicale, le TAQ dit retenir les éléments suivants :

·         L'accident d'une grande banalité, réfère plus à un accrochage, sans preuve de dommage significatif tant aux voitures qu'aux occupants;

·         La symptomatologie initiale évoque plus une lombalgie sans véritable limitation de mouvement, une symptomatologie subjective pour laquelle les traitements n'apporteront aucune amélioration;

·         D'ailleurs, les experts orthopédistes, physiatre, neurologues n'attesteront jamais du moindre dommage au système locomoteur, ni neurologique;

·         La symptomatologie spastique apparaît dans les semaines post-accident.  Elle se révèle au fur et à mesure des traitements de physiothérapie.  Elle apparaît donc en juin 2003;

·         En juin 2003, le requérant vit une rupture et des rapprochements avec un nouveau partenaire;

·         Les trois experts psychiatres s'entendent sur le diagnostic.  Il s'agit d'une hystérie de conversion;

·         Les manifestations somatiques de ce trouble profond de la personnalité sont apparues bien avant l'accident de 2003.  En recherchant dans le passé du requérant, on peut même suspecter que l'accident de 1979, de par l'atteinte à l'intégrité physique du requérant, a permis au trouble de se manifester, trouble qui a resurgi entre 1993 et 1999;

·         L'accident n'est pas la cause du trouble, il est plutôt l'occasion de lui permettre de se manifester.

[50]                         Le requérant a un trouble de conversion.  Sa manifestation s'exprime par une symptomatologie physique spectaculaire qui trouve sa justification dans les suites attendues d'un accident, aussi banal soit-il.

                                                                                                       (soulignements ajoutés)

[10]            Dans sa requête, le demandeur souligne que certains des éléments retenus ne sont pas soutenus par la preuve.  Il n'est pas nécessaire, toutefois, d'entrer dans ce débat puisqu'il appert, à la face même de la décision, que le TAQ a jugé qu'il y avait un lien entre l'accident et l'apparition du phénomène de conversion, phénomène qui, selon la preuve versée devant le TAQ, se serait manifesté pour la première fois en 1993 à l'occasion d'un autre accident automobile et qui se serait résorbé par la suite.

[11]            Si le TAQ ne s'est pas explicitement prononcé sur la nature du lien de causalité, il semble avoir appliqué les principes de droit commun.  Or, comme le souligne le juge Baudouin dans l'arrêt Les Productions Pram inc. c. Lemay[3], le lien de causalité requis par la loi est un lien sui generis et il est vain, pour le qualifier, de s'enfermer dans les constructions doctrinales traditionnelles de la causa causans, causa proxima, causalité adéquate, causalité immédiate ou équivalente des conditions.

[12]            De la jurisprudence citée dans cet arrêt, on peut conclure qu'il suffit que le dommage se soit réalisé dans le cadre de l'usage de l'automobile pour qu'il y ait un lien causal.

[13]            Si, comme le souligne le TAQ, l'accident est l'occasion de la manifestation du trouble, alors c'est que l'accident a fait en sorte que le phénomène de conversion a recommencé à se manifester.  L'existence du lien causal a donc été démontré.

[14]            De plus, le par. 50 de la décision du TAQ établit clairement que le trouble de conversion trouve sa justification dans les suites attendues d'un accident aussi banal soit-il.

[15]            Ici, à juste titre, le TAQ reconnaît que la banalité de l'accident ne fait pas en sorte qu'il ne puisse exister de lien entre la symptomatologie du demandeur et l'accident, tout banal qu'il soit, dont il a été victime. 

[16]            Le TAQ2, en révision, a souligné l'incongruité de la situation tout en tentant de justifier la conclusion finale par le biais de la preuve :

[54]       Bien que la rédaction du dernier point du paragraphe 49 et celle du paragraphe 50 de la décision attaquée puisse surprendre, il en ressort que c'est à la lumière des expertises étudiées que la première formation en est arrivée à cette conclusion.  De l'ensemble de la décision, l'ont peut comprendre que la première formation a retenu des expertises que le trouble de conversion existait avant l'accident.  Le diagnostic n'avait cependant pas été posé, mais on faisait état de condition spastique atypique, de troubles somatoformes. On notait aussi que tout élément pourra permettre la continuité de son effet ou sa résurgence puisque, notamment, la symptomatologie est exacerbée par différents stresseurs dont l'attention portée sur le requérant lors d'atteinte à son intégrité physique entre 1993 et 1999, sauf les spasmes de la main droite qui se sont réglés d'eux mêmes, et ce qu'il a vécu après l'accident.   indique aussi le fait qu'il ait perdu un colocataire pour s'installer avec un amoureux à la période contemporaine à l'accident.  Il est noté que ce partenaire était alcoolique et que la relation était problématique depuis des années.  Force est de constater que la première formation n'a pas accordé à son témoignage une valeur probante en regard des autres éléments de la preuve, ni accordé une importance majeure à la rupture.  Il faut voir l'ensemble de la preuve analysée, sous-pesée et retenue.

[17]            Or, le rôle du TAQ, en révision, consistait à décider s'il y avait un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision et non à tenter de la bonifier ou d'en effacer l'incongruité en soulignant des éléments de preuve non retenus par la première formation.  Le TAQ2 aurait dû conclure que cette décision était affectée d'un vice de fond de nature à l'invalider, i.e. qu'il était devant une décision not supported by reasoning[4].

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

            ACCUEILLE la demande de révision judiciaire du demandeur;

            CASSE les décisions rendues par le TAQ1 le 8 février 2007 et celle rendue par le TAQ2, le 22 novembre 2007;

            RETOURNE le dossier au TAQ1, même formation, afin qu'il reprenne l'étude du dossier du demandeur en tenant compte des remarques de la soussignée dans le présent jugement;

            Avec dépens.

 

 

 

__________________________________

DANIELLE GRENIER, J.C.S.

 

Me André Laporte

(Laporte & Lavallée, Avocats)

Avocat du demandeur

 

Me Isabelle Dupuis

(Morel, Lemieux)

Avocate du défendeur

Me Julie Baril

(Dussault, Mayrand)

Avocate de la mise en cause

 

 

Date d’audience :

18 septembre 2008

 



[1]     Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 .

[2]     Id., par. 47.

[3]     Les Productions Pram inc. c. Lemay, [1992] R.J.Q. 1738 .

[4]     SAAQ c. Godin et TAQ, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.), par. 49.

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